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MÉMOIRES COURONNÉS
ET
AUTRES MÉMOIRES
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MÉMOIRES COUROINNÉS
ET
AUTRES MEMOIRES
PUBLIAS PAR
L ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES, DBS LETTRES ET DES BEACJL-ABTS DE BELGIQUE
COLLKCTION IW-So. — TOME LX¥I
BRUXELLES
HAYEZ, IMPRIMEUR DE L*ACADÉM1E ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES
ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE
rue de Louvain, 142
Juin 1904
ITIIDE 8IIR II SYSTilE BI16E
EN MATIÈRE DE
BUDGET DE L'ETAT
EXPOSÉ HISTORIQDE ET CRITIQUE
PAR
Ernest DUBOIS
PROFESSEUR HONORAIRE A L'UNIVERSITÉ DE GAND
DIRECTEUR DE L'INSTITUT SUPÉRIEUR DE COMMERCE D'ANVERS
Le système financier d'un pays
se compose non seulement de belles
institution* éparses , mais d'un
budget sincère et contréli...
(Stourm.)
(Couronné par la Classe des lettres et des sciences morales et politiques,
dans la séance du 4 mai 1903.)
Tome LXVl.
145889
DEVISES :
« Le système financier d'un pays se compose non seulement de belles
institutions éparses, mais d'un budget sincère et contrôlé, réunissant
annuellement en faisceau les résultats mêmes de ces institutions, pour
les soumettre à la sanction des représentants de la nation. » (Stourm,
Les finances du Consulat. Paris, Guillaumin, 1902, p. 357.)
« Rien n'est étranger au budget, parce que les considérations de
chiflfres dépendent de la confiance qu'inspire le gouvernement, du
bonheur dont jouit la nation... Tout rentre dans la discussion du
budget, parce qu'il n'y a pas une liberté qui n'ait son chiffre dans les
dépenses. » (de Brouceère, député du Limbourg à la seconde Chambre
des Étais- Généraux. Discours du 48 décembre i829^
Mémoire adressé à la Classe des lettres et des sciences morales et
politiques de l'Académie royale de Belgique, en réponse à la deuxiètne
question posée par la Section des sciences morales et politiques pour le
Concours de i90S :
« Faire l'histoire et la critique du système belge en matière de budget
de l'État.
» L'auteur examinera les règles constitutionnelles, la théorie de la
comptabilité publique, la pratique parlementaire en matière de con-
fection, vote et vérification des budgets, etc. 11 che reliera à en tirer des
conclusions quant au système budgétaire en général et aux améliorations
possibles en Belgique. Il recherchera autant que possible des éléments
de comparaison dans l'étude des budgets des pays étrangers. »
PRÉFACE
L'étude du budget d'un pays peut être faite à divers points
de vue. On peut l'envisager sous le rapport économique et
examiner d'une manière détaillée les revenus dont dispose
^^ l'État pour la tenue de son ménage, ainsi que les besoins de
^ celui-ci, étudier les uns et les autres dans leurs relations
"^ avec les ressources du pays, en montrer le développement
parallèle et discuter les réformes et les améliorations qu'il
conviendrait d'introduire.
Cette étude tn^^n« du budget n'est pas celle que l'Aca-
démie nous demande.
Ce que l'Académie désire, c'est a l'histoire et la critique
du système belge en matière de budget de l'État ».
Nous avons donc tâché de faire un exposé à la fois histo-
rique et critique du régime budgétaire belge, c'est-à-dire de
l'ensemble des principes, des règles, des prescriptions qui
gouvernent l'élaboration de cet acte important de la vie
publique, par lequel sont prévues et approuvées les recettes
et les dépenses nécessaires à un exercice ânancier.
Le plan que nous suivrons est tout indiqué par les
(4)
phases successives que parcourt nécessairement un budget :
la préparation^ qui se fait principalement dans les bureaux
du Ministère des finances, le vote par le Parlement, Yexécu-
tion par les Ministres et leurs subordonnés, le contrôle par la
Cour des comptes et par les Chambres.
Ces quatre chapitres seront précédés d'une Introduction
historique^ où Ton trouvera d'abord un aperçu de l'organisa-
tion financière dans les Pays-Bas autrichiens et ensuite une
étude du régime budgétaire du royaume des Pays-Bas, que
nous avons essayé d'expliquer d'après les documents officiels
de l'époque.
Quant aux sources, il faut signaler l'absence de tout tra-
vail d'ensemble sur la matière.
L'important mémoire de L. Richàld, Histoire des finances
publiques de la Belgique depuis 1830^ couronné par l'Aca-
démie en 1882, est un précieux recueil de documents sur les
finances belges, mais il n'envisage pas spécialement les
questions relatives au budget.
[1 existe aussi un certain nombre d'ouvrages, déjà
anciens, relatifs à la comptabilité publique, comme le
Manuel des comptables de Mathys ^, le Dictionnaire de
Lacomblé 2, mais ces ouvrages se cantonnent exclusivement
dans une partie de la matière : l'exécution du budget. Ils
font le commentaire des lois et règlements à l'usage des
* J.-H. Mathys, Manuel des comptables de l'État. Gand, Hoste, 1860,
in-80 de yu-543 pages.
* Ed. Lacomblé, ùictionnaire de la comptabilité générale de VÉtat et
des provinces. Bruxelles, 1854.
(S)
professionnels, des fonctionnaires de Tadministratlon des
finances.
De même, les études publiées sur les matières budgétaires
dans les grands recueils de de Brouckère et Tielemans *, de
Defooz 2, des Pandectes belges 3, de Giron ^, sont ou bien très
sommaires ou bien de simples commentaires législatifs.
Nous avons consulté ces divers travaux, mais nous avons
puisé surtout aux sources premières : le texte des lois et
règlements^ les documents et les discussions parlementaires.
Les travaux des spécialistes étrangers nous ont aussi rendu
de grands services, surtout pour l'étude des principes géné-
raux du droit budgétaire et de la législation comparée.
Nous citerons en particulier les ouvrages de Stourm ^,
Boucard et Jèze ^, von Heckel '^, etc. Les ouvrages et les
* De Brouckère et Tielemans, Répertoire de V administration et du
droit administratif de la Belgique (inachevé), 8 volumes, 1834-1856
(A.-Hosp.). V^s Budget, Comptabilité de TÉtat, Comptable, Cour des
comptes.
* J. Defooz, professeur à l'Université de Liège, Droit administratif
belgey t. II. Tournai, Casterman, 1861, in-8o de 767 pages.
5 Pandectes belges, V" Budget, Comptabilité, Cour des comptes.
* Giron, Dictionnaire de droit administratif et de droit public, 3 vol.
Bruxelles, Bruylant, 1895 et 1896.
s Stourm, Cours de finances. Le budget, 4fi édition. Paris, Guillau-
min, 1900.
» Boucard et Jèze, Éléments de la science des finances et de la
législation financière française, 2® édition, 2 volumes. Paris, Giard et
Brière, 1902.
7 D' Max von Heckel, Das Budget. (Collection K. Frankenstein, Hand-
UND Lehrbuch der Staatswissenschaften.) Leipzig, Hirschfeld, 1898.
(6)
documents consultés sont d'ailleurs indiqués en note, chaque
fois que nous y avons eu recours.
C'est dans ces conditions que nous avons l'honneur
de soumettre au jugement de l'Académie cette modeste
étude.
Nous avons mis tous nos soins à l'orienter, à travers
les complications du sujet et le dédale des documents offi-
ciels, vers un exposé clair, concis et complet du système
belge en matière de budget de l'Élat.
ÉTUDE SUR LE SYSTÈME BELGE
EN MATIÈRE DE
BUDGET DE L'ÉTAT
EXPOSÉ HISTORIQUE ET CRITIQUE
Introduction historique
CHAPITRE PREMIER
Le Budget à la fin de TaDcien régime.
L'administration financière des Pays-Bas autrichiens ne
comporte, pas plus que celle des autres États de Tépoque, une
organisation budgétaire développée, basée sur la collaboration
constante et continue à tous ses degrés du gouvernement et des
représentants de la nation.
Une telle conception, en opposition manifeste avec les prin-
cipes de la monarchie absolue, ne devait se réaliser que plus
tard, dans le cadre des institutions libérales des états constitu-
tionnels et des gouvernements parlementaires.
Cependant, chacune des dix provinces belgiques avait sa
constitution particulière et sa représentation nationale propre,
et les États provinciaux c( traitaient isolément avec le souverain
(8)
chaque fois que celui-ci avait besoin de ressources puisées dans
la bourse des sujets ^ ».
Ce droit de consentir aux subsides leur appartenait de très
ancienne date, et ils l'exerçaient effectivement. Ils possédaient
donc le droit de voter l'impôt, droit primordial et essentiel,
d'où l'on a déduit dans la suite tout le système budgétaire
moderne.
Hais, pour le reste, l'administration financière était tout
entière aux mains du souverain, qui en avait la direction
suprême et l'exerçait sans contrôle sérieux.
Les nombreux auteurs qui ont décrit nos anciennes consti-
tutions nationales ont insisté longuement sur cette prérogative
du vote du subside, peu commune à cette époque et que des
luttes énergiques et tenaces contre le pouvoir central avaient
seules réussi à conquérir et à maintenir.
Il nous suflSra donc ici de rappeler brièvement les principes
constitutionnels du vote des subsides. Nous examinerons
ensuite les organes principaux de l'administration financière
centrale et les quelques règles que l'on peut démêler dans les
tableaux et les aperçus qui tiennent lieu de budgets et de
comptes. ^
§ 1. — Le vote des subsides 2.
Les finances de l'État ou du Souverain s'alimentaient à
quatre sources principales de revenus publics : les aides et
* PouLLET, Les Constitutions nationales belges de Vancien régime à
V époque de IHnvasion française de i794. (Mém. cour, de l'Acad., in-S®,
t. XXVI, p. 9.)
* A consulter notamment :
Poullet, loc. cit,, pp. 421 et suiv., et les sources qui y sont citées
(de Neny, Wynants, etc.).
Ch. Stedr, Précis historique de l* administration générale des Pays-Bas
autrichiens sous le règne de Vimpératrice Marie-Thérèse. (Mém. cour, de
L'ACAD., 1827, m-¥, t. VI, pp. 8-19.)
Ch. Faider, Exposé des finances belgiques en 1780 et i78i, diaprés les
(9)
subsides, le domaine, les droits d'entrée et de sortie, les par-
ties casuelles ^.
Sous ce terme générique de parties casuelles, on rangeait des
droits de nature et d'origine les plus diverses, et notamment le
médianat, les engagères (ïoflices, l'affermage des postes, le pro-
duit des terres franches, celui des loteries, etc. « On y compte
tout d'abord, dit M. Bigwood, de véritables impôts, tels que le
médianat, la dîme royale sur les magistrats, les droits d'expé-
dition et d'exploits des conseils et tribunaux, le droit de sceau
et de timbre. On y trouve ensuite des revenus dont le carac-
tère est plutôt domanial : ventes d'objets appartenant à l'État,
produit des postes, du monnayage, confiscations, amendes,
consignations surannées, intérêts et remboursements des
capitaux actifs et particulièrement des actions que le prince
possédait de la Compagnie d'assurances d'Anvers, les clôtures
actives des divers comptes, produit de la collation de certains
emplois, diverses reconnaissances d'octrois ^. »
documents authentiques des Archives du royaume, (Revue belge, Liège,
1835, t. II, pp. 97 -H2 et 158-170.)
L. Van de Walle, Des aides et subsides en Belgique, (Messager des
SCIENCES HiSTOii. Gand, 1845, pp. 57-79 )
ACH. Gallet-Miry, Les États de Flandre sous les périodes espagnole et
autrichienne, Gand, Vuylsteke, 1892. (Extrait du Messager des sciences
HiSTOR., années 1890-1891-1892, pp. 69 et suiv.)
G. Bigwood, Les impôts généraux dans les Pays-Bas autrichiens.
Étude historique de législation financière. Librairie française interna-
tionale, 1900.
Abbé Joseph Laenen, Le ministère de Botta-Adorno dans les Pays-Bas
autrichiens pendant Le règne de Marie -Thérèse (1749-i7ô3). Anvers,
Librairie néerlandaise, 1901. — Cliap. IV : Botta et les finances publiques.
* A côté de ces revenus ou fonds ordinaires, il y avait des fonds
extraordinaires, tels que : les dons gratuits ou subsides extraordinaires,
les emprunts, les aliénations domaniales, la vente des biens jésuitiques,
ordonnée après la suppression de TOrdre des Jésuites par Clément XIV
en 1773, par décret du 19 mars 1777.
* Bigwood, toc. cit., pp. 4-5.
( 10)
La détermination du tarif de ces droits et la jouissance de
leur produit appartenait exclusivement au souverain, sans
aucune intervention des États. Il en était de même pour
les droits de douane, dont tout le produit, depuis qu'on ne
payait plus la dette de la Barrière, était à la libre disposition
du souverain ^.
Cependant, en ce qui concerne ces derniers, « on avait com-
pris à la fin de l'ancien régime ce qu'il y avait de grave à laisser
au pouvoir discrétionnaire du souverain le règlement si déli-
cat des rapports de commerce internationaux ». De là, la stipu-
lation de l'article 5, paragraphe 8 du traité de La Haye : « Que
S. M. se propose d'entendre aussi les États sur les changements
essentiels qui pourraient être faits aux tarifs des douanes »
— stipulation qui ne rendait pas aux États le vote libre de
l'impôt douanier, mais qui, du moins, leur permettait de faire
entendre la voix des intérêts du pays 2.
Les produits principaux du domaine provenaient des objets
suivants : forêts, terres, prairies, étangs, maisons, moulins,
dîmes, terrages, péages, barrières, fiefs, droits de congé, cens,
arrentemens, revenus en grains et en vins du Luxembourg,
revenus en plomb et calamine, droits de chasse, de pêche et
autres très compliqués, droits féodaux de mainmorte ou meil-
leur calel et corvées, amendes, confiscations, épaves, etc. 3.
Très considérables au moyen âge et très largement suffisants
à assurer la marche de tous les services publics dépendant du
comte ou du duc, les revenus du domaine avaient successive-
ment baissé, par suite surtout d'une mauvaise administration
et de gaspillages, tandis que les besoins publics avaient grandi *.
Les forêts, notamment, qui formaient la principale source
du revenu foncier, étaient dans un état déplorable à la fin
de l'ancien régime. En 1780, le produit brut des domaines
* Cf. PoDLLET, loc, cit., p. 433.
« Ibid,
3 Ch. Faider, loc, cit., p. 109.
* PouLLET, loc, cit., p. 419. — Cf. aussi Laenen, op. cit., pp. 449-155.
(11 )
s'élevait à 2,000,000 de florins et le produit net à 1,600,000
florins ^.
Le Conseil des finances avait, sous l'inspection du gouver-
neur général, la régie et l'administration du domaine 2. Hais
le souverain n'avait pas le droit d'aliéner le domaine sans le
consentement des États provinciaux; il n'en avait la*supréme
administration, avec la faculté d'en percevoir les revenus, que
dans l'intérêt du pays et à la charge de faire rendre bonne et
loyale justice à ses sujets 3.
Le droit pour les États de consentir à l'aliénation du
domaine était, d'après M. Poullet, un principe constitutionnel
incontestable dans les Pays-Bas catholiques, et il appuie cette
affirmation sur l'autorité de Wynants, qui s'exprime à cet égard
comme il suit : « Les domaines sont inaliénables sans le con-
» sentement formel des États de la province où ils sont situés;
» el quoique une grande partie en soit aliénée, vendue, enga-
» gée, cela .s'est toujours fait par semblable consentement. »
(Manuscrit n« 12294, chap. IX *.)
Les Etats de Brabant avaient vu consacrer leurs privilèges,
dans l'espèce, par l'article 5 de la Joyeuse-Entrée. Ils interve-
naient même seuls à l'aliénation des domaines du Limbourg
et du pays d'Outre-Meuse, sans que les corps représentatifs de
ces pays fussent consultés, et ils restèrent en possession de leur
* Ch. Fau)ER, loc. cit., pp. 409-HO.
5 Constitution du 19 septembre 1725, article 19. Placards de Flandre^
t. IV, fo 243. Cité par Steur, loc. cit., p. 9.
3 Loi du 27 juin 1736. Placards de Flandre, t. IV, fo 2033. Cité par
Steur, Ihid, — M. Steur ajoute : « Le souverain pouvait néanmoins les
donner en gage pour sûreté des emprunts qu*il avait faits et, à cette fin,
concéder les revenus en nature, pourvu cependant que cette concession
n'aggravât point la condition de ses sujets, soit en augmentant la quotité
des impôts, soit en rendant leur perception plus onéreuse. » (Loc. cit.,
p. 10.)
* Poullet, loc. cit., p. 419. D'après cette citation de Wynants, le
souverain n'aurait pu même engager le domaine sans le consentement
des États. Ce qui contredit l'opinion de Steur que nous venons de
signaler (note 3).
(12)
prérogative jusqu'à la fin de l'ancien régime. « Il semble, au
contraire, que les États des autres provinces l'avaient perdue,
défait, peut-être par leur négligence, et (|ue le Souverain, dans
leur ressort, disposait parfois de ses domaines, sans leur
aveu 1. »
L'inaliénabilité du domaine sans le consentement des États
était comme un corollaire du droit que possédaient ces
mêmes États de consentir aux aides et subsides. Ceux-ci for-
maient une source subsidiaire de revenus publics, à laquelle
on ne pouvait puiser, en principe, qu'en cas d'insuffisance des
revenus du domaine.
Les États avaient donc un intérêt capital à surveiller la
gestion de ce dernier.
Ceci nous amène à parler des aides et subsides, dont nous
avons à nous occuper principalement.
Dans le principe, les aides et subsides {beden en subsidiën)
n'étaient que des secours temporaires et extraordinaires accor-
dés au prince par ses sujets, en vue, notamment, des frais de
la guerre ou d'un besoin pressant. Ces impositions « servaient
subsidiairement et in subsidium'^ y>. a Mais le retour de ces
besoins, réels ou fictifs, étant devenu très fréquent, et l'État de
plus en plus sujet à des dépenses extraordinaires, ces secours
ont fini par former un état permanent de contributions 3. »
Source extraordinaire et temporaire de revenus publics,
l'impôt en est devenu une source ordinaire et permanente :
c'est là, en deux mots, son évolution historique en tous pays.
Tel était déjà le caractère des aides et subsides dans nos
provinces à partir du XIV« siècle -*. Cependant, on distinguait
encore au XVIII® siècle le subside ordinaire et le subside extra-
ordinaire : ce dernier portait aussi le nom de don gratuit.
* PouLLET, loc. Cit., pp. 449420.
* Selon Texpression de Wynants, citée par Bigwood, loc. cit., p. 8.
5 Steur, op. ctf., p. 11.
* Cf. BiGWOOD, loc. cit., p. 6.
(13 )
Les termes de aides et de subsides ont été pris dans des
acceptions différentes selon les époques et les provinces*.
Mais, au XVIII* siècle, on pouvait dire que « les noms d'aides
et subsides s'emploient depuis un certain temps d'une manière
indifférente et étaient devenus synonymes 2 ».
Les Pays-Bas n'étaient donc pas un pays d'impôt, mais de
subside : een land van bede, c< Aucun impôt ordinaire ou
extraordinaire ne pouvait y être établi directement par le
prince sur les personnes ou sur les biens, sans le consente-
ment exprès des États des provinces respectives. Ce principe
avait été reconnu en faveur de toutes les provinces par l'arti-
cle 20 du traité d'Arras de 1579 3. »
Wynants disait : ce Le plus grand droit, qui est véritablement
une loi fondamentale du pays, est que le souverain ne peut
faire aucune imposition ni charger ses sujets sans consente-
ment des États; ce point borne indubitablement l'autorité du
prince, mais, ce nonobstant, on ne saurait ni le renverser ni
le détruire sans faire une injustice manifeste et sans contre-
venir au serment solennel que le souverain fait à son inaugu-
ration *. »
Seule, la West-Flandre faisait exception à la règle. Le pays
rétrocédé par la France aux Pays-Bas, à la suite des traités
d'Utrecht, de Rastadt et de Bade, dont elle faisait partie, avait
perdu sa représentation nationale collective et régulière; il
était pays d'impôt et non de subside. « On levait, d'autorité
souveraine, sur son territoire les subsides ordinaires sans
s'embarrasser du soin de demander le consentement de per-
sonne. On avait même annexé au domaine du prince des
impôts dont le produit appartenait jadis au corps des sujets, et
* Cl. à ce sujet : Bigwood, loc. cit., pp. 5-8 et Laenen, op. cit.^
pp. Iâ3 et suiv.
2 Bigwood, loc. cit., p. 8.
3 PouLLET, loc. cit.j p. 421.
* Manuscrit no 12294, chap. VIII, cité par Pqullet, ioc. cit., p. 421.
( 14 )
dont la levée dépendait originairement du vote de leurs repré-
sentants ^. »
Dans les principautés de Liège et de Stavelot-Malmedy, les
principes constitutionnels en matière du vote des impôts
étaient les mêmes que dans les Pays-Bas autrichiens 2.
Il est vrai qu'à diverses reprises, ces principes constitution-
nels avaient été méconnus ou niés dans les Pays-Bas autri-
chiens par le pouvoir centrai, qui supportait mal cette dépen-
dance des États provinciaux. Sous Kœnigsegg, en 1716, sous
Prié, un peu plus tard, puis sous Marie-Thérèse et Joseph II,
diverses tentatives furent faites dans le but d'énerver les.
antiques privilèges 3 . Mais, à la fin du XVIII^ siècle, le vieux
droit national fut reconnu formellement et sans restriction
aucune par la déclaration léopoldine insérée dans le § 5 de
l'article 3 du traité de La Haye et, en 1795, dans une lettre à
l'Empereur, Trautmansdorff lui-même se bornait à dire, sans
ambages : « Us ont le droit de voter les subsides ordinaires et
extraordinaires * ».
Le consentement aux aides et subsides était donc un droit
incontesté des États provinciaux à la fin de l'ancien régime.
Comment l'exerçaient-ils? Quelle était la procédure régulière-
ment suivie dans l'espèce?
Le subside ordinaire, au XVIÏI® siècle, était généralement
* PouLLET, loc. cit., p. 8. « Les pays rétrocédés, qui comprenaient les
villes de Tournai, Ypres, Furnes, Warneton, Poperinghe, Wervick,
avaient perdu le droit de consentir aux aides et subsides. Aussi dans les
états des revenus du domaine fournis par la Chambre des comptes au
gouvernement, le 14 juin 1749, range-t-on les subsides et les moyens
courants de ces pays parmi les revenus du domaine.» Cf. Laenen, op, cit,,
p. 130, note 1 ; cf. aussi Bigwood, loc. cit., pp. 19-20.
2 Cf. POULLET, pp. 434-441.
3 Cf. sur ce point Poullet, op. cit., chap. XIII, § 5; Bigwood, loc. cit.^
p. 10; Laenen, loc. cit., pp. 131-132.
* Poullet, loc, cit., p. 425.
( 15 )
accordé pour un an^. Le gouvernemeDt faisait aux États la
c( proposition » ou « demande de subside » par Tintermédiaire
d'un commissaire délégué spécialement à cet effet. La nomi-
nation du commissaire était notifiée par le gouvernement à la
députation des ecclésiastiques (députation permanente) et
membres, qui étaient avertis ainsi de la proposition qui allait
être faite aux États 2. « Ce commissaire était toujours un haut
personnage, grand d'Espagne, membre de la Toison d'gr et de
nationalité flamande; il arriva même que le gouverneur général
vint en personne aux États de Flandre, il était toujours accom-
pagné du président du Conseil de Flandre... Le commissaire
recevait. des instructions écrites, parfois très longues, très
détaillées, très minutieuses même sur la manière dont il devait
accomplir sa mission ; les arguments qu'il devait faire valoir en
laveur de la demande du gouvernement y étaient longuement
exposés. £n somme, fenvoi d'un commissaire de haut rang
était surtout une marque de lact et de courtoisie du gouverne-
ment envers les États, car la mission de ce personnage se
bornait à paraître à l'assemblée, ayant à sa gauche le président
du Conseil provincial, chacun dans un fauteuil. Le président
lisait la harangue au nom du roi et faisait la demande d'un
subside ordinaire ou extraordinaire. Après quoi, tous deux se
retiraient î^. »
^ £n Flandre orientale, depuis 1754, il y avait un accord fixe. Le
produit était de l,64'i,500 florins, qui se payait par mois à partir du
1«' novembre de chaque année. Cf. Faider, loc. ciL, p. 102. — Sur la
réforme de 1754 en Flandre, cf. Gallet-Miry, loc. cit. y pp. 115-130, et
BiGwooD, loc. cit.j p. 13.
* Nous exposons ici la procédure suivie devant les États de Flandre,
d'après A. Gallet-Miry, op. cit., pp. 69 et suiv. Elle était analogue pour
les autres États.
' A. Gallet-Miry, loc. cit., pp. 71-72. Le gouvernement faisait
d'ailleurs tous ses efforts pour se concilier les bonnes grâces des États.
« Chaque fois qu'il demandait un subside, le gouvernement avait Thabi-
tude d'accorder une faveur. . . On influençait aussi individuellement les
membres. . . Quelquefois le ministre s'appuie sur l'un des membres pour
( 16)
La députation prenait ensuite l'avis des villes subalternes,
pays, châtellenies et districts, qui devaient répondre dans la
quinzaine, (lopies authentiques de ces avis étaient adressées aux
chefs-villes et au clergé, et les décisions de ces chefs-collèges
étant parvenues à la députation, celle-ci procédait à la forma-
tion du résultat.
c( La formation du résultat consistait à prendre une moyenne
exitre les diverses résolutions prises. Il fallait tenir compte de
quatre, même de cinq décisions, — les deux clergés, celui de
Gand et celui de Bruges, n'étant pas toujours d'accord, — les-
quelles décisions étaient généralement toutes cinq différentes.
Ensuite, chaque chef-collège mettait certaines conditions à son
consentement. Le résultat étant formé, on le transmettait avec
la copie des résolutions des corps principaux à chaque chef-
collège, afin qu'il pût vérifier l'exactitude du résultat^. »
Nouvelle délibération de chacun des chefs-collèges, puis
rédaction par la députation d'un acte de présentation ou
d'accord, envoyé encore une fois à l'examen des chefs-collèges,
(c Ces derniers prenaient encore une résolution, dans laquelle
ils présentaient, le cas échéant, leurs observations au sujet de
la teneur de l'acte de présentation 2. »
Nouveau projet rédigé par la députation, en tenant compte
des observations présentées par les « principaux ». Nouvelle
discussion de ceux-ci, qui prenaient une dernière résolution
pour déclarer si, oui ou non, ils avaient leurs apaisements.
Lorsque, ensuite de cette procédure longue et compliquée,
l'acte de présentation avait finalement été élaboré, on le portait
h Bruxelles, pour le présenter au gouverneur général. « Le
subside était accepté à Bruxelles par le gouverneur général,
au nom de Sa Majesté et « par advis des Conseils d'Estat et des
finances... ». Le gouvernement inscrivait cette acceptation en
faire échec aux autres. . . Aussi était-ce annuellement une affaire grosse
de soucis pour le premier ministre, que le vote du subside. » Cf. Lâenen,
loc, cit., pp. 133-133.
* A. Gallet-Miry, loc. cit., p. 73.
« IHd., p. 74.
( 17 )
marge de l'acte d'accord et appointait également les demandes
et réclamations contenues dans l'acte; celui-ci était ensuite
renvoyé à la députation, qui le transmettait aux « corps prin-
cipaux », et l'on formait alors ce qu'on appelait « le résultat
d'apaisement ».
« II n'était d'ailleurs pas rare que la formation de ce résultat
d'apaisement ne subît quelque retard, parce que les ce princi-
paux » avaient encore des remontrances à opposer aux objec-
tions que le gouvernement présentait parfois pour ne pas con-
sentir à toutes les demandes contenues dans l'acte d'accord.
Enfin, on n'oubliait pas complètement les « subalternes ». Ils
recevaient, en même temps, communication et du résultat et
de l'acceptation. La même information était adressée aux com-
mis des impositions » ^.
Les conditions auxquelles les chefs-collèges subordon-
naient l'accord du subside étaient l'expression de vœux rela-
tifs aux objets et aux intérêts les plus divers. Dans certains
actes d'accord, il y a parfois plus de trente conditions de toute
nature. Les États, par ce moyen, tendent à s'immiscer dans la
direction des affaires : l'administration de la justice, la poli-
tique générale, la politique commerciale, etc. 2.
Les Ëtats ayant accordé le subside et fixé sa quotité ^ et les
moyens destinés à y satisfaire, Tacte d'acceptation émanant du
gouverneur général et inscrit, comme nous l'avons dit, en
marge de l'acte d'accord, leur tenait lieu d'octroi pour répar-
tir et pour faire lever les impôts sur les contribuables. Car,
d'après la remarque de Poullet, « s'il était de principe consti-
tutionnel que les charges publiques dussent être consenties
par les corps représentatifs des sujets, il était également de
* Ibid.. pp. 74-76.
* Cf. les exemples rassemblés par A. Gallet-Miry, loc, cit., pp. 76-83.
3 A la différence des Étals des autres provinces qui votaient, à titre de
subside, une somme fixe, ceux de Brabant déterminaient certaines
impositions dont le produit entier, quel qu'il fût, était versé dans les
caisses du souverain. Cf. Faider, loc. cit,, p. 99; Bigwood, loc. cit. y
pp. 27-28.
Tome LXVI. 2
(18)
principe qu'elles ne pouvaient éire imposées sinon de l'auto-
rité du souverain » ^.
La répartition du subside voté se faisait par les soins des
États « quand les impôts à y pouvoir-étaient frappés directe-
ment sur les personnes et sur les biens » 2. Elle était réalisée
par l'acte de transport de la province, d'après des bases inva-
riables 3. Aussi « dès le moment que la quotité générale des
aides et subsides accordés était connue, il n'y avait pas d'en-
droit qui ne sût pour quelle somme il devait y contribuer,
tout ce qui restait à faire aux magistrats était de répartir cette
somme entre les différents contribuables et d'assigner la part
de chacun 4 ».
De même que la répartition, la perception des sommes
réparties était aussi du ressort des États, ce Les agents finan-
ciers du souverain n'étaient plus nulle part, dans les derniers
temps de l'ancien régime, en contact avec les contribuables.
Ils recevaient les sommes perçues, au profit du prince, soit
des mains des receveurs établis par les États, soit, mais rare-
ment, des communautés elles-mêmes s. »
Les sommes perçues étaient centralisées, en définitive, dans
les caisses de la recette générale, mais, avant d'y parvenir, elles
subissaient, en cours de route, d'assez notables diminutions,
qui réduisaient dans une proportion variable, selon les pro-
vinces, les subsides votés par les différents États. Ces diminu-
* PouLLET, op. cit., p. 427.
2 Ibid., p. 428. — «Le subside voté, les États en faisaient la répartition
sur les quartiers et châtellenies qui composaient la province ; ensuite,
chaque part était de nouveau subdivisée sur les communautés, villes ou
villages du quartier ou de la châtellenie ; enfin, la communauté nommait
des taxateurs chargés de distribuer les sommes demandées sur les
personnes et les biens imposables. » Lâënen, loc. dt,, pp. d38d39.
5 Cf. Steur, loc. cit., pp. 41-12.
* Itnd., p. 43.
5 PouLLET, loc. cit., pp. 430-431. Cependant, dans le Luxembourg, il y
avait un receveur général qui levait directement, au nom de l'empereur,
l'impôt consenti. Cf. Faider, loc. cit., p. 100. « Les abus dans la
perception étaient nombreux. » Cf. Laenen, loc. cit., p. 140.
(19)
tions provenaient principalement soit a des remises faites par
les États et par le prince à des communautés hors d'état de
contribuer pour leur part dans les charges publiques )>, soit
des réductions consenties à une province ou à Tun de ses
ordres, soit encore des frais de perception défalqués du mon-
tant brut des sommes perçues, soit de la perte sur le change
et les frais de transport d'argent monnayé, etc. ^.
Le receveur général avait à se plaindre aussi de la lenteur
de la rentrée des impôts qui alimentaient le subside. « En
prévision de cette circonstance, les actes d'accord détermi-
naient généralement l'époque des paiements. Ce fut souvent
une faveur que le prince demandait dans les moments de
crise, que d'avancer l'échéance d'un paiement; celui-ci se fai-
sait tous les trois ou quatre mois. Les subsides de Tournai-
Tournaisis ne devaient être acquittés qu'à la fin de l'année sui-
vant celle pour laquelle ils étaient accordés... Les versements
entre les mains du receveur général devaient souvent s'impu-
ter sur les subsides de deux ou trois ans : c'était une source
d'erreur et de complication dans la comptabilité 2. »
La procédure que nous venons de retracer était applicable
au subside extraordinaire, comme au subside ordinaire. Mais,
tandis que ce dernier était demandé annuellement à toutes les
provinces, il arrivait que le gouvernement n'adressait sa péti-
tion de subside extraordinaire qu'à certaines provinces, à
l'exclusion des autres ou même seulement à l'un des membres
des États — le clergé généralement — sans Tintervention des
autres 3. « Toutes les provinces, en effet, ne se montraient pas
également disposées à accorder ces dons qui grevaient consi-
dérablement leur budget. Le gouvernement avait vite remar-
qué celles qui y consentaient le plus volontiers. Il prit
l'habitude de s'adresser à elles en premier lieu et de ne faire la
pétition aux autres qu'après avoir obtenu le consentement des
4 Cf. BiGwooD, loc. cit.j pp. 30-40; cf. Laenen, loc, ciL, pp. 135-136.
' BiGWOOD, loc. cit., pp. 4142.
5 Cf. Laenen, loc. cit., p. 136.
( 20)
premières; celles-là ne voulant pas paraître moins dévouées à
leur prince que celles-ci, n'osaient plus refuser. On débutait
généralement par le comté de Flandre et le Tournaisis, et on
finissait par le Brabant et le Hainaut ^. »
La destination du don gratuit ou subside extraordinaire était
indiquée chaque fois dans la pétition adressée aux États. On
l'employait généralement à couvrir les dépenses occasion-
nées par des guerres. Pendant longtemps, les États fournis-
saient un subside extraordinaire, qui était en réalité devenu
ordinaire, pour « être employé aux assistences de l'Empire
contre les invasions des ennemis Turcqs de la chrétienté 2 >>.
Depuis 1725, une liste civile de 560,000 florins à répartir entre
les provinces, destinée à l'entretien delà cour, fut régulière-
ment accordée pendant tout le temps où un prince de sang
royal résidait en Belgique 3.
Quant au subside ordinaire, « en droit constitutionnel
strict, le produit des aides et des subsides devait servir à payer
les charges communes de S. M. et du pays... Dans la pratique
des choses, une partie du produit des impôts votés par les
Etats passait dans la caisse de guerre ou servait aux besoins
généraux de la monarchie autrichienne^* ». « En général, dit
Laenen, l'impôt royal restait affecté à un double but : l'entre-
tien de l'armée et des places fortes, le payement des fonction-
naires ^. »
<c Les aides et subsides, il est vrai, n'étaient accordés par les
États qu'à la condition parfois exprimée, toujours tacitement
comprise, d'être employés à l'usage pour lequel on les avait
demandés. C'était même le dispositif de l'article 18 de la Capi-
tulation de Mons de 1710. Malheureusement, aucun corps
représentatif n'était à même, dans l'ancien régime, de veiller à
l'application de cette règle tutélaire. La publicité des budgets
* BiGwooD, loc. cit,, p. 43.
2 A. Gallet-Miry, loc, dt,, pp. 85-86.
.3 BiGwooD, Loc. cit„ p. 44,
* PouLLET, loc. cit.^ p. 431.
5 Loc, cit,, p. 132.
( 21 )
était inconnue. Nul n'avait le droit légal de scruter les arcanes
des finances du prince ^. »
11 résulte des citations que nous venons de faire, qu'une fois
le subside voté et les impôts qui l'alimentaient perçus et ver-
sés à la caisse^du souverain, leur emploi échappait complète-
ment au contrôle des États. Le souverain en disposait à son
gré, il en était le maître. L'administration financière dépen-
dait de lui, exclusivement, sans possibilité d'un contrôle réel
et effectif.
Le droit des États se bornait donc à l'accord du subside, à
sa répartition et à sa perception. Ils étaient théoriquement
libres de consentir le subside ou de le refuser. En fait, cepen-
dant, il leur eût été impossible de ne pas y consentir 2. Tout
leur pouvoir réel consistait à réduire la quotité demandée par
le souverain.
 cela se limitait leur part d'intervention dans les finances
du prince,
§ 2. — Le Conseil des finances et la Chambre
DES comptes.
L'administration des finances du prince était centralisée
dans le Conseil des finances et dans la Chambre des
comptes 3.
* POULLET, loc, cit.., p. 431.
* Cf. Laenen, loc, cit., p. 132. — « S*il était de règle que le consentement
des Ëtats portât toujours sur une somme inférieure à la demande du
prince, il était au contraire rare que celui-ci rencontrât un refus absolu,
du moins pour ce qui concerne les subsides ordinaires. » Bigwood,
loc, ct^, p. 25.
3 Nous ne ferons que mentionner la Jointe des administrations et des
affaires des subsides, institution qui n'a pas de rapport direct avec les
finances du prince, mais dont les archives constituent une source
précieuse pour l'étude des finances provinciales et communales au
XVnie siècle. Les États, villes et communautés avaient la libre gestion et
administration de leurs finances particulières. Mais leur comptabilité
était des plus embrouillée et leur gestion donnait lieu à de sérieux abus.
( 22 )
Au Conseil apparlenait la gestion des affaires financières,
sous la haute direction du gouverneur général. « C'était lui
qui décidait, sauf approbation du souverain, de tout ce qui
était relatif aux recettes et aux dépenses générales ; c'est lui qui
posait en cette matière les principes directeurs, qui examinait
et tranchait toutes les difficultés, qui avait, enfin, la haute direc-
tion de tout le personnel ^ . » Sa compétence se limitait cepen-
dant aux questions purement financières. Car « lorsqu'au sujet
de ces matières, il se présentait des questions d'administration
générale, de police ou d*ordre public, le Conseil était tenu de
renvoyer l'affaire à la délibération du Conseil privé, et de ne
s'occuper de la question purement financière que lorsqu'elle
était entièrement dégagée de toute contestation civile. Cest par
ce motif que les réclamations des contribuables ne pouvaient
être adressées qu'au Conseil privé 2 ».
Le Conseil des finances ne paraît pas avoir suivi une poli-
tique bien nette dans la gestion des affaires. Les règles qu'il
appliquait manquaient de suite et de précision, ce Successive-
ment, les principaux revenus avaient été donnés en admo-
diation et remis en régie. C'est ainsi que, pour ne toucher que
deux exemples, les domaines de Flandre avaient été donnés
en admodiation, en 1726, à Walckiers et Nicole, et rendus à
l'administration quatre ans après. Les droits d'entrée et de
sortie, la principale source de revenus, furent admodiés par
La Jointe fut créée par décret de Cobenzl du 13 octobre 1764 afin
de recueillir des renseignements précis sur la situation des finances
provinciales et communales et d*y remédier. Elle était composée du
trésorier général, d*un conseiller privé, de deux conseillers des finances
et d'un membre de la Chambre des comptes. Supprimée par décret du
27 mars 1787, rétablie par Tempereur Léopold II le 7 juillet 1791, elle
tint sa dernière séance le 17 juin 1794. (Cf. Gaillard, Introduction à
l'inventaire sommaire des archives delà Jointe. . .)
* BiGWOOD, loc. cit., Introduction, p. iv. —«Il intervenait dans la nomi-
nation des officiers de finance et quelquefois même se les arrogeait
exclusivement, malgré le décret de Charles de Lorraine de février 17S0. »
Laenen, loc. cit,, p. 112.
' Ch. Steur, loc. cit., p. 3.
( 23 )
le baron de Sottelet, de 1719 à 1732 ; le même baron de Sotte-
let fut nommé directeur général de ces droits trois années plus
tard ^ ».
Le Conseil des finances se composait d'un président et d'un
certain nombre de conseillers. Il comprenait, en outre, deux
greffiers, un garde des chartes, des commis ou officiaux et des
huissiers 2.
Deux de ses membres remplissaient spécialement les fonc-
tions de trésorier général et de receveur général 3.
Pour l'expédition des affaires, le Conseil était divisé en
quatre départements: celui des aides et subsides, celui des
domaines, celui des droits d'entrée et de sortie et celui du
revenu casuel.
Chacun des conseillers avait son département propre. Rigou-
reusement, ces conseillers n'auraient dû avoir que le référât
sur les affaires de leur département. Mais ce ils s'en adjugeaient
la connaissance exclusive, agissant en vrais despotes, sans
consulter leurs collègues ^ ».
La Chambre des comptes était hiérarchiquement soumise au
Conseil des Bnances. Elle siégeait à Bruxelles. Avant 1733, il
* Laenen, loc, ciL, p. 113.
- En 1780, le nombre des membres du Conseil était de dix, y compris
les employés. Il coûtait 68,145 florins. Cf. Faider, loc. cit,, p. 166.
3 BiGWOOD, loc. cit., Introduction, p. iv. — En 1780, c'était le président
du Conseil, le baron de Caziers, qui était en même temps trésorier
général. (Faider, loc, cit., p. 166.) — Il y avait, en réalité, deux receveurs
généraux, mais non simultaixémént. « Ils exerçaient alternativement
leurs fonctions pendant un an. A Texpiration de chaque terme, le
receveur en activité vidait sa caisse dans celle de Taulre et rendait ses
comptes. On avait cru ce mode de recette propre à prévenir des malver-
sations. Le cautionnement des receveurs généraux était de 300,000 florins
et leurs émoluments de 5,786, outre 2,000 pour frais de bureau. »
(Faider, loc. cit., p. 167.)— Par décrets des 13 juillet et 2 septembre 1784,
Joseph II avait établi des caisses provinciales en Flandre, Uainaut,
Namur, Luxembourg et Limbourg, destinées à centraliser les revenus de
chacune de ces provinces. (Bigwood, loc. cit., p. 3.)
* Laenen, loc. cit., p. 113.
(24)
existait deux Chambres des comptes : l'une, la Chambre des
comptes de Flandre, instituée à Lille en 1386, par Philippe le
Hardi; l'autre, la Chambre des comptes de Brabant, créée
en 1404 par Antoine de Bourgogne. Ces deux Chambres avaient
été réunies une première fois par Charles le Téméraire, puis
séparées et réunies à diverses reprises dans la suite jusqu'à leur
fusion définitive par un décret de Charles VI, du 16 octo-
bre 1735 4.
A la mort de Marie-Thérèse, en 1780, la Chambre se com-
posait du président, de huit conseillers- maîtres ordinaires,
deux surnuméraires, six auditeurs ordinaires, six surnumé-
raires. Elle comprenait encore deux greffiers et des commis et
employés subalternes 2.
c( Les membres de la Chambre étaient nommés par la Cour
de Vienne. Cependant, depuis 1753, le président recevait seul
des lettres-patentes sous le grand sceau et signées par le sou-
verain. Les conseiller-maîtres, les auditeurs et les greffiers
avaient de simples commissions, sous la signature du gouver-
neur général. Celui-ci nommait aussi lesofficiaux ou employés
subalternes, sur la présentation de la Chambre ^. »
Tandis que le Conseil des finances « s'occupait de trouver
les fonds nécessaires et les employait d'après les ordonnances
du souverain, la Chambre contrôlait la gestion des officiers
qui maniaient les deniers du prince * ».
* A consulter sur Thistoire des anciennes Chambres des comptes, la
Notice historique de M. Gachard, qui précède son Inventaire des archives
des Chambres des comptes. Bruxelles, Hayez, 1837, t. L
2 Cf. Gachard, toc, cit., p. 64; Laenen, lac, cit., p. 114. Le traitement
des^ conseillers et auditeurs surnuméraires était le même que celui des
ordinaires. Le président touchait 7,000 florins; les conseillers, 3,000;
les auditeurs, 2,600; les greffiers, 2,000. Les émoluments, composés
des taxes et droits de dépêches perçus par la Chambre, augmentaient les
traitements de 2,000 florins environ pour les greffiers, de 500 florins
pour les autres membres. Ils jouissaient de plus de l'exemption et
franchise des impôts. (Gachard, loccit,, pp. 64, 68, 69.)
5 Gachard, p. 64.
* Laenen, op. cii., p. 114; Steur, lac. cit., p. 26.
( 25 )
Le contrôle de la comptabilité était sa fonction capitale Elle
vérifiait et contrôlait le produit ainsi que l'emploi des revenus
du souverain. Elle s'acquittait de cette fonction au moyen de
l'audition des comptes de tous les officiers royaux de recette
et de dépense. Lorsque ces officiers négligeaient de présenter
leurs comptes à l'époque voulue, la Chambre les faisait com-
paraître, leur assignait un nouveau terme, comminait des
amendes contre les officiers en défaut et pouvait enfin en
arriver à la suspension du comptable réfractaire ^. •
M. Steur délimite en ces termes l'étendue du contrôle exercé
par la Chambre 2 : « Les actes des fonctionnaires comptables
n'étaient soumis à ses investigations que par suite du renvoi
ordonné par le gouvernement. Tous les receveurs ou comp-
tables publics ne devaient reconnaître d'autre autorité que
leurs supérieurs immédiats. C'est ainsi que les receveurs des
communes, pour satisfaire à leurs obligations, n'étaient tenus
annuellement de rendre leurs comptes qu'au magistrat muni-
cipal, en présence d'un commissaire envoyé par le collège du
chef-lieu; que les receveurs des chefs-lieux n'avaient d'autres
devoirs à remplir, qpe de rendre les leurs, aux mêmes époques,
à un membre du Conseil des finances, et que le receveur
général ne rendait le sien, en présence d'un contrôleur, qu'aux
conseillers députés par le Conseil des finances. Les comptes
de ces divers fonctionnaires étant ainsi rendus, mis en écrit et
soutenus des pièces à l'appui, étaient envoyés aux membres de
la Chambre des comptes, qui, après vérification de tous ces
documents, en constataient l'exactitude ou les erreurs. »
Dans un mémoire adressé à la reine 3, on lit encore : « La
principale besogne de la Chambre des comptes est d'ouïr et de
* Sur les attributions de la Chambre des comptes, cf. Gachard, loc. cit,,
pp. 66-68. Elles étaient encore, dans les derniers temps, conformes aux
instructions données par Charles-Quint en 1541.
2 Loc. cit., pp. 25-26.
5 Bruxelles. Secrétairerie, liasse 51 : « Idée en raccourci de Tétat actuel
du ministère aux Pays-Bas. » Sans date (1735?). Cité par Laenen, loc. dt.,
p. 114.
( 26 )
clore tous les comptes des officiers comptables du chef de
leurs emplois dans les revenus de V. M., de même que des
officiers de police et de justice, qui doivent rendre compte des
amendes ^. Indépendamment de ces comptes coulés qui y sont
gardés avec les acquits y servant, la Chambre des comptes est
encore le dépôt des comptes des États, des villes, châtellenies,
pour la clôture desquels on envoie des commissaires du gou-
vernement dans les résidences de ces administrations ».
En plus .de cette attribution fondamentale, la Chambre sur-
veillait aussi Tadministration des domaines, sous la direction
supérieure du Conseil des finances. « Elle donnait son avis sur
les arrentements de la direction des eaux et forêts, sur les
octrois pour des concessions de moulins, et elle assistait au
besoin par commissaires à la ferme des droits de pâturage dans
les forêts domaniales. La Chambre des comptes n'avait, en
tout cas, qu'un pouvoir de contrôle consistant à redresser les
erreurs et à constater les infidélités 2. »
Elle veillait encore au maintien des droits et hauteurs du
prince, en ce qui concernait les domaines; elle recevait les
serments et les cautions des receveurs des domaines'3, conférait
les emplois domaniaux subalternes et procédait à la nomina-
tion de certains échevins.
La Chambre possédait juridiction sur les hôtels et les offi-
ciers de monnaies. L'entérinement des octrois accordés aux
provinces, aux châtellenies, aux villes, aux communes, aux
* « La Chambre régularisait la note des frais de justice à charge de
Sa Majesté et en particulier de ceux faits pour la détention des coupables.
Elle avait, dans cette occasion, h s'assurer si la détention des prévenus
ou des condamnés n'avait pas été prolongée au delà du terme fixé par la
loi; elle faisait, en cas d'affirmative, retomber ces frais sur ceux qui
étaient convaincus d'être les auteurs de ces détentions illégales. »
(Ch. Steur, loc, ciL, pp. 24-25.)
« Steur, loc, cit., p. 25.
^ a Les receveurs des subsides royaux établis dans les provinces, de
même que les receveurs des droits d'entrée et de sortie étaient tenus
également de prêter serment entre ses mains et de lui donner une
caution dont elle se contentât. » (Gachard, loc. cit.)
(27 )
églises, aux maisons religieuses pour perception d'impôts,
construction de canaux et de chaussées, levée de deniers, créa-
tion de rentes, etc., était du ressort de la Chambre, de même
que Tentérinement des privilèges, patentes de noblesse, octrois
d'amortissement, etc.
Enfin, la Chambre était chargée de la garde des conventions,
concordats, traités de paix et autres actes relatifs aux posses-
sions et aux droits utiles du souverain.
• Chaque jour ouvrable, les membres de la Chambre
devaient être rendus à leur poste à 8 ^/g heures, ils entendaient
la messe ^ que célébrait un chapelain spécialement établi à cet
effet; ensuite ils commençaient leurs travaux qui se prolon-
geaient jusqu'à 1 heure. Ils avaient été dispensés, en 1753, de
fréquenter les après-midi 2. »
La Chambre était divisée en deux départements : celui de
Flandre et celui de Brabant. Car, malgré la réunion de 1735,
chaque département avait conservé son ressort, son greffier,
son sceau spécial et ses archives distinctes. Les affaires étaient
distribuées à l'un ou l'autre de ces départements, selon le
domicile des personnes ou la situation des lieux qu'elles
concernaient 3.
ce A l'égard des affaires génél*ales, le président chargeait de les
traiter tel membre de la Chambre qu'il jugeait à propos. Les
rapports sur les objets qui exigeaient une décision étaient faits
soit au bureau de l'un ou de l'autre département, soit aux
deux burepux réunis, selon la nature ou l'importance de la
chose.
ce Lés conseillers-maîtres seuls siégeaient au bureau; les
auditeurs, alors même qu'ils y rapportaient, n'avaient voix
délibérative que dans le cas qu'ils eussent été appelés à sup-
pléer un conseiller-maître absent ; jusqu'en 1740, les conseillers-
* Usage aboli par Joseph II en 1787.
2 Gachard, loc. cit. y p. 65.
5 Ibid.
(28)
maîtres avaient même prétendu obliger les auditeurs à rester
debout pendant la lecture des rapports ^. »
La Chambre des comptes était subordonnée au Conseil des
finances, qui détenait en définitive la haute administration
financière sous la direction du gouverneur général. Elle rece-
vait les ordres de ce dernier par l'intermédiaire du Conseil et
en référait au Conseil dans les affaires qui dépassaient sa
compétence 2.
§ 3. — Les états et aperçus des recettes et dépenses.
II n'existait pas, sous l'ancien régime, des budgets et des
comptes, au sens précis que nous donnons à ces mots dans nos
états modernes.
« Le budget, tel que le définit la science financière, dit
excellemment iM. Besson 3, ne s'analyse pas seulement en un
état de prévisions; c'est un acte de la puissance publique,
* Gachard, p. 65.
* Cf. Gachard, p. 68. — Le décret de Joseph II du 4 juillet 1787 réorga-
nisa la Chambre des comptes. Elle fut placée sous la double dépendance
du gouvernement des Pays-Bas et de la Chambre aulique des comptes à
Vienne. Ses membres étaient nommés par Tempereur. Ses attributions
comprenaient le contrôle de la comptabilité des receveurs royaux, des
receveurs des administrations provinciales et communales, des fonda-
tions et établissements religieux, mais elle n'administrait plus les
domaines ni aucune autre branche du revenu pubhc. Elle reçut aussi,
dans une certaine mesure, le contrôle préalable des finances. Le 11 juil-
let 1791, la Chambre fut rétablie « sur le pied où elle existait en 1786 »;
elle reprit ses anciens usages, droits et prérogatives. Elle se composa
dès lors d'un président, de huit conseillers-maîtres, douze auditeurs
ordinaires, quatorze auditeurs surnuméraires et deux greffiers.
(Cf. V. Marge, Étude sur la Cour des comptes et la œmptabilité publique
en Belgique. Paris, Guillaumin, 1892, pp. 13-14.)
3 Emmanuel Besson, Le contrôle des budgets en France et à l'étranger.
Étude historique et critique sur le contrôle financier des principaux États ,
depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Paris, Chevalier-Maresq,
1899, p. 197.
(29)
auquel s'attache invinciblement une idée de coercition et de
sanction. Les fixations contenues dans cet acte obligent le
gouvernement, elles lui tracent une ligne de conduite inflexible,
dont il ne lui est permis de s'écarter sous aucun prétexte. »
Et de même, le « compte » n'est pas un simple état des
dépenses et recettes réalisées au cours d'un exercice passé,
mais il implique aussi un acte de la puissance publique et
l'intervention d'une loi qui donne décharge au gouvernement
de sa gestion financière. *
Rien de semblable, sous l'ancien régime, où l'administration
financière dépendait exclusivement du gouvernement, nous le
répétons, sans intervention ou contrôle possible de la part des
États.
On rencontre cependant, sous le nom de : états géfiéraux
des recettes et dépenses, aperçus, rapports, tableaux, des docu-
ments décrivant la situation financière, et destinés unique-
ment à éclairer l'administration. Ils étaient purement faculta-
tifs et leur rédaction dépendait essentiellement, de la bonne
volonté du souverain et de son désir plus ou moins vif d'être
renseigné sur l'état des finances de son pays.
Dans les Pays-Bas autrichiens, il existe au XVIIl® siècle,
des états généraux des receltes et dépenses effectuées pendant
une année ou « apparentes » pour Tannée suivante, des
bilans, des rapports, réclamés notamment par Charles Vï
et Marie-Thérèse, qui, à partir de 1760, se fit adresser par
le trésorier général un rapport annuel sur l'état des finances
belgiques^.
Sous le règne de Joseph II, de nombreuses et utiles réformes
furent apportées en matière de comptabilité et d'administra-
tion financière, et des états furent dressés avec précision sui-
vant un plan méthodique, de manière à faire jaillir la lumière
sur une situation financière jadis bien embrouillée et bien
obscure.
* Cf. BiGWOOD, pp. 1-3.
(30)
Le ministère du prince de Starhemberg aux Pays-Bas fut
particulièrement fécond sous ce rapport.
Un document récemment publié dans les Bulletins de la
Commission royale d'histoire de Belgique, contient des ren-
seignements très intéressants sur les lacunes que présentaient
les états généraux des recettes et dépenses et sur les améliora-
tions qu'il conviendrait d'y apporter. Il s'agit des remarques
adressées par le ministre plénipotentiaire, prince de Starhem-
berg, au [chancelier Prince de Kaunitz, le 10 février 1781, sur
le rapport général des fmancesdes Pays-Bas pour Tannée 1778,
et développement du nouveau plan de comptabilité qui résulte
de ces remarques^.
Ce nouveau plan de comptabilité, dont le prince de Star-
hemberg développait les principes, fut réalisé dans la suite
sous son impulsion et notamment par le décret des gouver-
neurs Albert et Marie- Christine du 31 octobre 1782.
Nous nous proposons d'examiner rapidement les parties
* Cf. Eugène Hubert, Les finances des Pays-Bas à Vavènement de
Joseph II (4780-4784). (Comptes uendus des séances de la Commission
ROYALE d'histoire OU RECUEIL DE SES BULLETINS, Bruxelles, 1899,
t. LXVIII, 5® sér., t. IX, pp. 429 et suiv.) Nous citons d'après l'extrait ou
tiré à part : Bruxelles, Hayez, 1899, pp. 1-169. Outre le texte de ce
document (pp. 28 et suiv.), on trouvera dans l'étude de M. Hubert l'expli-
cation des circonstances qui ont provoqué ce rapport de Starhemberg. Ces
circonstances les voici : Joseph II, avant d'entreprendre son voyage aux
Pays-Bas en 1781, veut se renseigner exactement sur la situation finan-
cière de ces provinces. (Lettre au prince de Kaunitz, le 44 janvier 4781 .
Cf. Hubert, pp. 10-11.) En conséquence, le chancelier prescrit au
ministre plénipotentiaire des Pays-Bas de produire un tableau des
revenus royaux de 1757-1780. Le 20 janvier, le prince de Starhemberg
répond qu'il sera satisfait aux ordres de l'empereur dans le plus bref
délai possible. (Cf. Hubert, pp. 12-14.) En attendant l'achèvement de ce
travail considérable, il communique, le 27 janvier, au prince de Kaunitz,
le Tableau des dettes actuelles du gouvernement des Pays-Bas (cf. Hubert,
pp. 14r20) et, le 10 février, un Rapport détaillé sur un nouveau plan de
budget (cf. Hubeut, pp. 20 et suiv.). Ces diverses pièces sont conservées
aux Archives de la chancellerie des Pays-Bas à Vienne (portefeuille CCLX),
d'où M. Hubert les a extraites.
(31 )
essentielles de ce document et les réformes injportantes qu'il
a provoquées.
Le prince débute par des observations générales sur le
rapport général des finances des Pays-Bas pour 1778, puis il
fait porter ses observations sur chacune des deux parties de ce
rapport : c'est-à-dire le tableau de la recette et dépense opérées
à la recette générale pour 4778, ce que nous appellerions
aujourd'hui : le compte de 1778 et Vaperçu de la recette et de
la dépense apparentes de la recette générale des finances de l'impé-
ratrice et reine apostolique aux Pays-Bas pour tannée 1779, ce
qui correspond au budget de 1779.
Laissant de côté le détail de l'argumentation, nous nous
bornerons à signaler les idées maîtresses qui dominent le
nouveau plan de comptabilité.
1. Un rapport général des finances, pour être vraiment
utile et remplir son but, doit satisfaire aux conditions sui-
vantes :
ce a) Faire connaître la consistance de tous les revenus
quelconques du souverain, c'est-à-dire leur produit brut ou
total, avec des notions succinctes sur les objets d'où chaque
revenu procède et sur sa manutention ;
b) Faire connaître avec la même précision le montant des
frais de perception ou d'exploitation;
c) Faire connaître de même les charges que supportent
partie de ces revenus, avant qu'ils soient versés dans le trésor
royal, telles qu'engagères, copropriétés ou aliénations par-
tiaires, etc., ainsi que les non-valeurs soit fortuites ou per-
manentes;
d) Donner, ensuite de cela, la désignation exacte de ce qui
en doit entrer dans le trésor royal ;
^ Expliquer exactement ce qui est entré dans la recelte
générale pendant le cours d'une année, du produit net de
chaque espèce de revenus, tant de la même année que de
l'année précédente. D'autant plus, qu'on remarque que le pro-
duit net des diverses branches, telles que le subside, le
(32 )
domaine et les douanes, ne rentre pas aux mêmes époques et
par conséquent les deniers entrés dans la recette générale
pendant l'année 1778 ne représentent point le produit courant
des différentes branches de revenus pendant la même année,
mais qu'il est composé en grande partie des revenus courants
de l'année précédente, pendant qu'une partie des revenus
courants de 1778 ne sera entrée dans la recette générale qu'en
1779 ^»
Or, ces diverses conditions ne sont remplies que très impar-
faitement jusqu'ici par les rapports généraux. Et notamment,
on constate un manque de concordance entre les comptes des
différentes recettes particulières et ceux de la recette générale,
lequel nuit beaucoup à la clarté de Texposé général de la
situation.
Ce défaut de clarté tient surtout à la confusion que l'on fait
entre le revenu (ïune année et la recette d'une année.
On entend par revenu d'une année « la reproduction du fond
de chaque branche des finances, du chef de cette année-là, et,
le plus souvent, ce revenu n'entre en caisse que dans Tannée
suivante ».
On entend par recette d'une année « la rentrée des deniers
dans les mains des receveurs. Cette recette est presque tou-
jours composée d'une partie du revenu résultant de l'année
précédente, et d'une partie seulement du revenu de l'année
courante dont le reste ne rentrera en deniers comptants que
l'année prochaine 2 ».
Pour remédier à la confusion qui se produit entre « ces
deux mouvements dans les finances », il conviendrait que
« tous les receveurs particuliers des domaines, des subsides, etc.,
fussent obligés à envoyer des bilans mensuels rédigés avec des
précautions qui en assurent l'exactitude, lesquels bilans con-
tiendraient ce qu'ils ont reçu et payé pendant le mois, en y
distinguant avec précision ce qui, dans les deniers reçus et
* Cf. Hubert, hoc. cit., p. 32.
«76irf., p. 35.
(33)
dans les paiements faits, appartient au revenu de Vannée préeé^
dente, et ce qui résulte du revenu de Vannée courante.
« Au moyen de celte méthode, on peut connaître chaque
année, et même mois par mois, la recette et la dépense effec-
tives.
» On ne fera en cela que suivre l'ordre naturel des choses,
et les deux mouvemens de la finance, qui sont le revenu ou
produit d'une année, et la recette en deniers comptants, seront
également constatés, le premier par les comptes du revenu de
chaque année, rendus à la Chambre des comptes, et le second
par les bilans mensuels des caisses.
» Ces deux résultats devront se trouver dans les rapports
généraux ^. »
Ces bilans mensuels sont déjà dressés par les receveurs des
douanes. 11 suffira d'étendre cette méthode à tous les autres
receveurs particuliers, et il y aura lieu de procéder aussi à
certaines modifications dans les procédés de comptabilité de la
recette générale '2.
« En matière de routine, conclut judicieusement le prince,
le moment d'un changement, même léger, présente presque
toujours quelques difficultés; mais la nouvelle routine, une
fois établie, devient bientôt familière, surtout lorsqu'elle n'a
pour objet que de mettre plus de clarté dans la manutention.
Il n'y aurait plus alors dans les rapports généraux des finances
cette complication de calculs qui résulte de la différence des
époques entre la recette générale et les recettes particulières;
èl les bilans mensuels, qui seraient la base des résultats des
receveurs particuliers, deviendraient également la base des
résultats de la recelte générale 3. »
2. Abordant un autre ordre de considérations, à propos de
Taperçu des recettes et dépenses apparentes de 1779, le rapport
* IHd., p. 38.
2 Cf. iMd., pp. 39-44.
3 Ibid.^ p. 44. Sur celte question des bilans imnsueiSy cf. aussi : ibid.^
pp. 61 et suiv.
Tome LXVi. 3
(34)
signale l'intérêt pour une administration prudente de prévoir
d'avance les ressources de Tannée suivante. Elle doit donc
dresser son budget des recettes et des dépenses, et il importe à
cet effet que les évaluations qu'elle en fait soient aussi exactes
que possible.
On prendra pour base Texpéricnce de l'année écoulée, et si
les circonstances font prévoir des modilications, il faudra les
signaler et en tenir compte.
Nos administrations modernes ne procèdent pus autrement.
Voici en quels termes le rapport énonce ce principe très sage :
ce Un pareil tableau ne peut, ù la vérité, jamais être
formé qu'en donnant quelque chose au hasard, mais sa base
doit être l'expérience de ce qui a été reçu et dépensé l'année
précédente, dès qu'il n'y a pas de changement prévu dans les
circonstances, et dès lors que, dans l'aperçu pour l'année sui-
vante, on augmente ou l'on diminue sensiblement quelque
article de recette ou de dépense, il écherroit d'énoncer le
changement des circonstances qui donnent lieu à cette pré-
somption ^. »
Mais cette règle n'a guère été observée jusqu'à présent. Le
prince critique à ce point de vue l'aperçu de 1779 et montre
comment on aurait dû l'établir.
Ainsi, on suppose que, du chef des aides et subsides, la
recette générale encaissera pour 1779, 3,000,000 de florins,
indépendamment des revenus du pays rétrocédé. Or, en 1778,
elle n'a touché que 2,892,000 florins, il y a donc une différence
en plus de 108,000 florins. « il aurait été à propos d'expliquer
sur quoi l'on fondoit l'espoir de ces 108,000 florins dans le
subside ordinaire, et de quelles provinces on espérait le
tirer 2. »
Le produit des recettes domaniales est porté seulement à
800.000 florins pour 1779fEn 1778, il était de 1,026,000 florins.
« On n'explique pas ce qui pourrait faire appréhender une
- . * Hubert, loc, cit., pp. 53-54.
« Ibid., p. 54.
( 33 )
diminution de 236,000 florins sur un revenu d'une nature
aussi fixe que le domaine ^. »
Pour les parties casuelles, l'estimation de leur recette pour
1779 n'est portée qu'à 30,000 florins, tandis qu'en 1778, on
avait touché de ce chef 103,000 florins. « Il auroit été à propos
de citer quelles parties extraordinaires il peut y avoir eu
en 1778, qui ne seraient pas de nature à se reproduire, et qui
feroient présumer une aussi grande diminution en 1779 2. »
De même, pour les droits d'entrée, de sortie et autres, on
suppose que la recette générale en retirera, en 17*79,
2,200,000 florins. Elle avait touché cependant, en 1778,
2.238,000 florins. Pourquoi cette diminution?
A propos de cette source particulière de revenus, le prince
donne le conseil suivant : « Il paraît, dit-il, que si le rapport
se faisait au commencement de l'année, le meilleur parti sur
une branche de revenu dont la variation ne peut guère être
prévue serait de supposer l'année suivante d'un produit égal
à la précédente; mais comme lorsqu'on fait ce rapport on est
déjà avancé de quelques mois dans l'année suivante, et qu'on
à chaque mois les états des produits des douanes, on pourrait
marquer dans le rapport qu'il y a déjà une augmentation de
tant^ et tabler à tout hasard là-dessus, pour le reste de l'année,
à moins que quelque circonstance particulière ne donnât lieu
à calculer différemment pour les moissuivans 3. »
Ceux qui de nos jours ont la charge de préparer les budgets
et qui connaissent par expérience les difficultés de faire des
évaluations sérieuses, ne pourraient, nous semble-t-il, que
souscrire à d'aussi sages conseils.
Enfin, pour terminer les critiques de la partie de l'aperçu
de 1779 qui concerne les revenus, le rapport insiste sur la
nécessité de distinguer nettement la recette ordinaire et la
recette extraordinaire. « il conviendrait que cet aperçu fût
formé dans Tordre qu'on a indiqué sur le tableau de la recette
* Ibid.
« Ibid., p. S6.
^ Ibid., p. 55.
( 36 )
générale de 1778, c'est-à-dire en distinguant les revenus ordi-
naires belgiques, sans y comprendre le don gratuit et les ventes
des biens jésuitiques, ni les remises de Vienne, puisque c'est
principalement sur les revenus courants et ordinaires que
doivent porter les comparaisons de produit d'une année à
Fautre.
Dans l'aperçu, les revenus ordinaires font . fl. 7,004,000
Le doit gratuit (4 mill.) et les ventes de biens
jésuitiques (1 mill.), faisant de fonds extraordi-
naires belgiques 5,000,000
Les remises de Vienne 1,961,000*
n. 13,965,000
Il faut adresser des critiques analogues à Vapperçu des
dépenses. Ici aussi, il conviendrait de motiver les évaluations
plus ou moins fortes que l'on fait des dépenses pour 1779.
Pour les fortifications, par exemple, qui sont portées à
80,000 florins dans l'aperçu, tandis qu'en 1778 la recette
générale n'a dépensé pour cet objet que 40,357 fl. 6 s. 8 d.
a On croit se rappeler que dans les années précédentes c'était
à peu près la même chose, et que cela provient de ce que quel-
ques administrations municipales contribuent directement à
cette dotation; mais, dans ce cas, pourquoi porter les
80,000 florins en entier dans l'apperçuZ ^ »
3. L'article dépenses jésuitiques fournit au prince de Star-
hemberg l'occasion de rappeler une règle que l'on peut consi-
dérer comme le principe fondamental de la comptabilité des
finances publiques sous l'ancien régime et dont l'examen doit
retenir quelque peu notre attention.
Le prince observe que les dépenses jésuitiques 3 sont portées
* Hubert, loc, cit., p. 56.
2 md'. p. 57.
3 Ainsi que nous le rappelions ))lus haut (p. 9, note 4), la vente des
biens de la Compagnie de Jésus, supprimée par Clément XIV en 1773, avait
été ordonnée par un décret du 49 mars 4777. Au 4e»' août 4780, le produit
( 37)
dans l'aperçu pour 1779 à 100,000 florins, et il ajoute : « Cet
article auroit eu spécialement besoin d'explication. 11 avait été
établi pour maxime que tous les fonds jésuitiques seroient
censés unis au domaine, et même les intérêts des capitaux
placés, provenant des veiltes faites; mais qu'en revanche toutes
les dépenses en résultante sans exception seroient censées
charges inhérentes au domaine. Ces dépenses jésuitiques,
savoir la dotation des nouvelles études, les pensions des indi-
vidus de la Société éteinte, la dotation des Acta Sanctorum et
autres objets assignés sur les biens jésuitiques, sembloicnt
devoir être toutes assignées sur les recettes domaniales.
» Quelle est la raison pour laquelle, en effet, les receveurs
du domaine payent la majeure partie de ces objets, et pour
laquelle en même temps on en auroit laissé une partie affectée
sur la recette générale. Il est à craindre que ce ne soit l'eff^et de
quelque méprise dans Tapplicalion du principe prescrit : car
supposé même qu'il y eût des payemens qui ne pussent être
convenablement effectués par les receltes particulières du
domaine, ce qui se conçoit difficilement, il conviendroit tou-
jours d'arranger les choses de façon que la totalité des
dépenses jésuitiques fût acquittée par l'administration du
domaine, et comprise dans les comptes de cette branche de
revenu.
» Cest un grand principe en matière de finances, lorsqu'on veut
y établir l'ordre et la clarté, que chaque branche de revenu doit
supporter ses charges, et que ces charges ne doivent jamais être
assignées sur une autre branche ou sur une autre caisse. Si l'on
n'établit pas rigoureusement ce principe, on ne pourra jamais
trouver le montant des dépenses inhérentes à chaque branche de
revenu, et son revenu net effectif^. »
de la vente des meubles et immeubles s'élevait à 5,791,083 fl. 16 s. 16 d.,
mais si ce produit entrait comme revenu extraordinaire dans les caisses
du trésor, le gouvernement avait, en revanche, à supporter certaines
charges appelées dépenses jésuitiques et dont le détail est donné dans
le texte.
* Cf. Hubert, loc. cit., pp. 57-58.
( 38 )
Dans la suite, parmi les diverses réformes qu'il introduisil
dans la comptabilité, le prince de Starhemberg prit des
mesures destinées à assurer l'observation rigoureuse de ce
principe.
Un décret de Leurs Altesses Royales (Albert et Marie-Chris-
tine) du 18 janvier 1782 ^ contient notamment la disposition
suivante :
« Nous informons le Conseil que, conformément aux prin-
cipes prescrits par S. M. et qui ont été consignés dans un décret
du prince de Starhemberg du l®*" mars 1781, nous avons
résolu que tous les articles de dépenses suivans, qui, jusqu'au
l®*" janvier 1782, avaient été assignés sur la recette générale des
finances soient désormais, à commencer du 1®"^ janvier de la
présente année, transportés comme s'ensuit, savoir... »
Suit une longue énumération de dépenses qui seront assi-
gnées à l'avenir sur les recettes des domaines^ sur les recettes
des subsides, sur les recettes des douanes, par exemple, sur ces
dernières : a tous les paiements qui se faisaient jusqu'ici par
la recette générale des finances, pour imprimés d'acquits,
registres, inspections, frais de commissions, fournitures, telles
qû'étuves, fers, pinces, etc.. ».
Le môme principe est encore énergiquement proclamé dans
un décret ultérieur du 31 octobre 1782 2 : a Nous recomman-
dons spécialement au Conseil et à la Chambre des comptes,
dans tous les cas qui les concernent respectivement, de faire
observer exactement les principes et directions déjà consi-
gnées dans les décrets du 1*"^ mars 1781 et du 18 janvier 1782,
par rapport à la maxime générale que chaque caisse et chaque
branche de revenu doit supporter ses charges et les dépenses qui
y sont inhérentes, et qu'on ne doit assigner sur aucune caisse ou
branche de revenu, sous quelque prétexte ou pour quelque cause
que ce soit, des charges ou dépenses qui incombent à une autre
* Arciiives générales du royaume. Conseil des finances, registre 63,
fol. 24.
2 /^irf., fol, 30 et 31.
(39 )
branche de revenu, de manière que pour chaque revenu, on en
connaisse exactement le produit net, et que chaque dépense se
trouve en entier dans un seul et même endroit, tant des tableaux
généraux ou particuliers à chaque branche de revenu, que dans
la mention qui en sera faite dans les rapports de Vannée. »
Celte mélhode de comptabilité, qui consiste à assigner sur
chaque branche de revenu les charges et les dépenses qui y
sont inhérentes, « de manière que pour chaque revenu, on en
connaisse exactement le produit net », porte en science finan-
cière le nom de système de la spécialisation. Elle était pratiquée
Irèi^ généralement sous Tancien régime. On la retrouve notam-
ment en France, en Prusse, en Autriche ^.
Ce système de la spécialisation s'oppose à celui de l'univer-
salité, que les budgets modernes ont adopté dans une mesure
plus ou moins large 2.
La spécialisation, sous l'ancien régime, était, d'après
* En France, « cette règle de la spécialisation des revenus à Tacquit
de dépenses délerminées était traditionnelle. Dès le XIV* siècle, on voit
une ordonnance du 15 avril 1360 affecter les subsides et aides aux
dépenses de guerre. Tous nos anciens auteurs proclament la nécessité
de cette mesure de précaution. L'auteur anonyme du Traité des finances
de France, qui était contemporain de Henri lll, déclare très énergique-
ment que, pour assurer les finances, il faut « que chascune sorte d*impo-
» sition soit destinée pour quelque chose ». (Besson, op. cit., p. 200,
note 1.).
En Prusse, dès le milieu du XVII« siècle, on trouve déjà des états
budgétaires. Le premier budget général méthodiquement établi date du
règne de Frédéric-Guillaume I®*', en 1688. Le principe de la spécialisation
y était appliqué aussi. « Aus dem Etat geht hervor, dass das Princip der
» Specialisirung der Fonds in Anwendung stand, indem bei den Ausga-
» ben in aller Uegel zugleich die besondere Einkommensquelle ange-
r> geben ist, aus v^elcher die Ausgabe ihre Deckung zu fmden habe. »
(Cf. D' G. Seidleu, Budget und Budgetrecht im Staatshaushalte der
constitutionellen Monarchie. VVien, Alfred Hôlder, 1885, pp. 60-6i.)
Pour TAutriche (cf. ibid., p. 62).
* Sur les mérites respectifs des deux systèmes : cf. Stourm, Le Budget,
4« édition. Paris, Guillaumin, 1900, chap. YI, pp. 142-167. Nous aurons
Foecasion d'y revenir au cours de ce travail.
(40)
H. Besson, une mesure de précaution destinée à contre-
balancer Tabôence de contrôle, qui, sous les monarchies
absolues, existait en matière d'administration financière.
(c La spécialisation, dit-il, telle que l'entendaient les finan-
ciers d'autrefois, avait certes le grave inconvénient de morce-
ler le budget général en autant de budgets particuliers qu'il
existait de catégories de revenus ; mais elle ne procédait pas
tant d'une conception erronée que du désir de protéger les
deniers publics contre les prodigalités du roi et de son entou-
rage. On savait que les fonds de l'impôt, une fois entrés au
trésor central, étaient à la merci du souverain, libre de dépen-
ser sans mesure et sans contrôle. Il n'y avait qu'un moyen de
soustraire à cette éventualité la dotation des services publics,
c'était de considérer la dépense de ces services comme une
charge inhérente au recouvrement des revenus, grevant le pro-
duit de l'impôt à la manière de frais de gestion, et, dès lors,
devant être acquittée, par voie de retenue sur la recette brute,
dans les divers bureaux de la ferme, de la régie et de la recette
générale des finances. Par l'effet de cette combinaison, une
notable partie des dépenses publiques échappait à la sphère
d'action du service central du trésor, et se soldait directement
à la caisse des receveurs locaux et régionaux des généra-
lités ^. »
4. Nous retournons à l'examen des observations du prince
de Starhemberg sur le rapport général des finances de 1778,
pour mentionner une dernière réforme qu'il recommande.
Le prince insiste sur la nécessité de distinguer nettement les
diverses catégories de dépenses, et notamment les dépenses
ordinaires d'avec les dépenses extraordinaires 2.
a Pour tâcher, dit-il, de donner une direction à suivre
là-dessus, on a analysé la pièce intitulée : Relevé des dépenses
appelées casuelles, sotis les rubriqttes de grosses et menues par-
* Besson, op. cit , pp. 199-200.
* De même qu'il avait indiqué à un autre endroit la distinction essen-
tielle entre revenus ordinaires et extraordinaires. Cf. plus haut, p. 35.
( 41 )
ties, dons et récompenses, frais de. nécessités d'offices, lo'iers de
maisons, etc., qui est annexée au rapport général de 1778.
» On a reconnu qu'on avait confondu en masse dans cette
liste des dépenses de cinq catégories différentes, savoir : des
dépenses ordinaires; des dépenses extraordinaires; des objets
qui auraient dû naturellement être rapportés à la catégorie des
appointemens et pensions ; d'autres qui auroient dû faire par-
tie des payemens particuliers qui ne tiennent pas aux dépenses
du département civil; enfin, des articles de dépense qui
auroient dû être supportés immédiatement par les branches
particulières de revenu auxquelles elles sont inhérentes, telles
que les domaines et les douanes ^. »
Suit une longue liste des dépenses qu'il faut considérer
comme ordinaires et que l'on peut définir : « toutes les
dépenses tenant à l'existence du gouvernement, et de nature à
se reproduire régulièrement chaque année ».
Au contraire : a dans les dépenses extraordinaires, résul-
tantes du service du gouvernement, on ne devroit porter que
celles qui sont tout à fait casuelles et imprévues, et qui ne
sont pas les mêmes une année que l'autre ^ ».
Le prince en donne divers exemples; il dresse ensuite le
plan du classement méthodique des autres catégories de
dépenses et conclut de la manière suivante : « Si les choses
étaient exécutées selon le plan qu'on vient d'exposer, il en
résulterait qu'après les dépenses militaires, les dépenses
civiles se trouveraient comprises sous ces quatre caté-
gories :
» Appointemens et pensions; dotation du département des
Pays-Bas à Vienne; dépenses ordinaires; dépenses extraordi-
naires.
» La différence entre les revenus tant ordinaires qu'extraor-
dinaires belgiques, et le total de la dépense tant du départe-
ment militaire que du département civil, composerait le revenu
* Hubert, loc, cit., p. 131.
« ID., ilrid,, p. 132.
(42)
Del, el remploi de œ rereno net derroit être oonstalé dans les
colonnes saî%'antes...
» Ensuite, après avoir additionné ensemble les col<maes des
trois catégories générales de dépense militaire, de dépense
dnie et d*emploi du rerenn net, la différence entre le total de
ces trois catégories et le total des revenus belgiques démon-
treroit ce qui seroit resté dans la caisse de la recette générale
à la fin de l'année du produit de ces mêmes revenus.
» Là finiroit le décompte des revenus belgiques.
» Mais comme les remises et remboursemens par les capi-
taux levés au compte des finances allemandes sont censés
s'opérer par le canal de la recette générale, il y auroit après
cela une nouvelle colonne intitulée : Rembounemeiii ei intérêts
des capitaux levés pour le compte des finances allemandes; et ces
deux colonnes comparées immédiatement ensemble, au lieu
d'être confondues, comme elles Font été jusqu'à présent au
milieu du décompte des finances belgiques, feroient voir si la
recette générale à Bruxelles, emploiée comme agent des
finances allemandes, auroil plus reçu que déboursé de ce chef
ou plus déboursé que reçu.
» Telle serait la marche du tableau de la recette géné-
rale ^, »
Cette discussion serrée à laquelle le prince de Starhemberg
soumet le système de comptabilité financière des Pays-Bas
autrichiens ne présenta pas seulement un intérêt purement
théorique, qui explique d'ailleurs lattentiou que nous y avons
prêté.
Le plan nouveau qui lui servait de conclusion fut exécuté
dans la suite par une série de décrets rendus sous le ministère
même du prince de Starhemberg.
Il y a lieu de citer notamment le décret du l*' mars 1781 *,
qui résume encore une fois les principes nouveaux dont le
* Hubert, loc. cit., pp. 138-139.
* Archives générales du royaume. Conseil des finances, registre 63,
fol. 1 à 20.
( 43 )
prince veut assurer l'application, puis les décrets du 18 jan-
vier 1782 et des 19 et 31 octobre 1782 i.
Laissant de côté les prescriptions de ces décrets relatives à
l'application rigoureuse du principe de la spécialisation dont
nous avons parlé, nous nous bornerons à signaler quelques
autres règles intéressantes consacrées par ces décrets.
La comptabilité des divers objets de revenus et de dépenses
des finances belgiques devra être terminée dorénavant au
1«' novembre, et cela à dater du 1«' novembre 1782, époque du
commencement de Tannée militaire 1783 2.
Pour Tannée 1782, par mesure transitoire, la comptabilité
comprendra seulement les dix premiers mois de Tannée. Le
décret établit diverses prescriptions pour assurer Texécution
de celte mesure 3.
Le décret du 31 octobre 1782 remet au Conseil des finances
le modèle nouveau, d'après lequel sera dressée « la comptabi-
lité des recettes et des dépenses quelconques des finances bel-
giques à commencer au 1«' novembre prochain pour Tannée
militaire 17(S3 ^ ».
Le Conseil des finances, la Chambre des comptes et tous
autres qu'il appartiendra devront s'y conformer, jusqu'à ce
qu'il en soit autrement disposé.
Les comptes de chaque année devront être arrêtés avec toute
l'accélération possible. La Chambre des comptes s'assurera,
notamment, de l'exactitude des états mensuels que les diffé-
rents comptables remettront en conséquence des dispositions
actuelles. Il faut aussi que ces étals correspondent a avec autant
d'accuratesse qu'il est possible » aux états définitifs, ce Et
à cet effet, les comptes à rendre à la Chambre des comptes, à
commencer de Tannée militaire 1783, devront être rédigés en
suivant les même subdivisions de chapitres et intitulations de
1 Ibid., fol. 21-77.
« Décret da 19 octobre 1782, toc. cit,, fol. 27 et 28.
* Ibidem,
* Conseil des finances, loc, cit. y fol. 30.
(44)
rubriques qui sont désignées dans les directions annexées au
présent décret.
» On devra pareillement, à commencer à la même époque,
avoir la plus grande attention à ce que les listes d'appointe-
ments, états de frais, et toutes les autres opérations quel-
conques de recette et de dépense, aussi bien à la recette géné-
rale que dans les recettes particulières soient exactement et
invariablement rapportées à la rubrique au titre de laquelle
elles appartiennent selon le nouveau plan ^. »
Ce nouveau plan est annexé au décret du 31 octobre 1782,
dont nous venons de parler. Il est intitulé : Modèle d'après
lequel devront être rédigés les apperçus, les étals de trimestre, et
les états ou rapports annuels des finances belgiques 2.
Chacun des articles de ce modèle est accompagné de direc-
tions ou instructions auxquelles devront se conformer les fonc-
tionnaires et employés intéressés, pour rétablissement de la
nouvelle comptabilité.
Le modèle se divise en deux parties : recettes et dépenses.
Les recettes sont soigneusement distinguées en ordinaires et
extraordinaires. Chacune des sources des revenus ordinaires :
subside, domaines et revenus domaniaux, douanes, revenus
particuliers et parties casuelles fait l'objet d'un tableau qui
doit aussi exactement que possible indiquer le total du revenu
brut, les charges, frais et dépenses afférentes à chaque branche
et le revenu net.
Cette première sous-division delà première partie est ter-
minée par la récapitulation des fonds ordinaires.
La seconde sous-division de la première partie comprend le
tableau des fonds extraordinaires^, qui se composent du pro-
duit :
1*» De la vente des biens provenant de la suppression de la
Société des jésuites et qui avaient été unis aux domaines;
* Conseil des finances, lac. cit., fol. 30-33.
«/M., fol. 33-77.
5 Ibid., fol. 48.
(45)
i" Des ventes de terrains des fortifications et des bâtiments
militaires provenant de la démolition des places;
3^ Des ventes des biens et revenus de Tancien domaine.
ce Ce qui rentrera de ces fonds extraordinaires sera porté à
la suite des produits ordinaires, dans le sommaire de chaque
trimestre, ainsi que dans le rapport général pour 1783. »
Le tableau de \si dépense forme la seconde partie du modèle ^.
Il se caractérise par une distinction très nette de la dépenae
civile et de la dépense militaire et des dépenses ordinaires et
extraordinaires. Les diverses dépenses sont l'objet d'une spéci-
fication très détaillée dans chacune de ces catégories.
C'est d'après ce modèle que furent dressés tous les états de
comptabilité des Pays-Bas autrichiens pendant les dernières
années de l'ancien régime. 11 témoigne d'un eff'ort sérieux de
l'administration pour introduire la méthode, Tordre et la
clarté dans les rapports, états et aperçus destinés à décrire la
situation financière de nos provinces.
CHAPITRE IL
La domination française*
Dans la France d'autrefois, si le droit de consentir le subside
était théoriquement reconnu aux représentants du pays,
ceux-ci ne possédaient pas en fait les moyens de l'exercer
pratiquement.
Depuis 1314, date à laquelle ils s'occupèrent pour la pre-
mière fois de questions fiscales, sous Philippe le Bel, jusqu'en
1G14, les États-Généraux furent convoqués très irrégulière-
ment. On ne compte guère plus de cinq ou six assemblées, en
moyenne, par siècle, si l'on fait abstraction des règnes excep-
tionnels de Jean le Bon et de Charles VU 2.
* Ibid., fol. 51-65.
* Cf. Stourm, loc, cit., pp. 27 et 30. Nous avons puisé ces rensei-
gnements historiques et ceux qui suivent dans le beau chapitre que
M. Stourm a consacré à l'étude des Origines du droit budgétaire en
France {toc. cit., chap. II, pp. 25-50),
( ^6)
« A partir de 1614, les États-Généraux cessent d'être convo-
qués et jusqu'en 1789, pendant cent soixante-quinze ans, la
Couronne gouvernera seule, établira seule les impôts, réglera
les dépenses à son gré, sans le concours des représentants du
pays^. ^> Cependant « l'idée que tout impôt doit être consenti
par la nation ne cessa pas de survivre en France. Cette idée,
proclamée en maintes circonstances solennelles, reconnue par
la royauté elle-même, domina constamment les esprits. Bien
qu'elle ait trouvé rarement sa réalisation, on peut dire qu'elle
forma toujours la base latente de notre droit public 2 ».
Aussi les cahiers de 1789 furent-ils unanimes à proclamer
que « aucun impôt ne peut être levé sans l'autorisation de la
nation », et le décret de l'assemblée nationale du 17 juin 1789
apporta la consécration légale décisive à ce principe longtemps
méconnu et qui fut reproduit et organisé dans la suite par les
diverses constitutions françaises.
Cependant, seul le droit de voter l'impôt se trouvait consacré
de la sorte. Aucune Constitution, ni celle de Tan III, ni celle
de l'an Vlil, ni la charte constitutionnelle de 1814 n'attribue
à la représentation nationale le droit de voter l'emploi de l'im-
pôt et de contrôler les dépenses publiques.
Après comme avant la Révolution, le pouvoir exécutif
restait donc maître de déterminer et d'effectuer les dépenses,
sans l'intervention de ceux qui, par le vote de l'impôt, lui
avaient fourni les moyens de gérer les affaires publiques '^.
Aussi, la réunion de nos anciennes provinces belgiques à
la France et leur transformation en départements français par
* Stourm, loc, cit., p. 35.
* Ibid., p. 31.
3 « Un seul homme, en résumé, gouverne les finances du pays sans
contrôle : telle est la situation que le Consulat va léguer à TEmpire, et
que TEmpire ne fera qu'aggraver. » C'est la conclusion du beau livre que
M. R. Stourm vient de publier sur les finances du Consulat, (Paris, Guil-
laumin, 1902, p. 334.) On consultera avec intérêt, pour se rendre compte
dans le détail de la vérité de cette affirmation, la quatrième partie de
cet ouvrage, chapitres XXIIl-XXX. -
( 47 )
les lois de la Convention des 9 et 14 vendémiaire an IV n'ap-
portent aucun élément nouveau à nos franchises nationales.
Nos anciens États provinciaux non seulement possédaient
de très ancienne date le droit de voter les subsides, mais ils
Fexerçaient effectivement et régulièrement. Ils réussirent,
ainsi que nous l'avons rappelé, à le conserver et à le défendre
avec succès contre tous les empiétements tentés par l'absolu-
tisme autrichien. C'est pourquoi le décret du 17 juin 1789, qui
représente, à bon droit, aux yeux de la nation française une
des conquêtes les plus précieuses de la Révolution, n'avait pour
nos provinces nouvellement annexées qu'une importance
minime. Leur annexion à la France ne leur apportait aucune
franchise nouvelle, et celles qu'elles auraient pu leur donner,
comme par exemple le vote et le contrôle des dépenses, les
constitutions françaises de l'époque révolutionnaire et impé-
riale ne les prévoyaient pas plus que nos anciennes constitu-
tions nationales.
On peut donc dire que les vingt années de domination fran-
çaise qui précédèrent la création en 1814 du royaume des
Pays-Bas ne laissèrent aucune trace marquante dans Télabora-
tions de nos institutions budgétaires.
CHAPITRE m.
L*organisation budgétaire du royaume des Pays-Bas.
Les principes de cette organisation tigurent dans la loi fon-
damentale du 24 avril 1815 ^, qui fut la charte constitution-
nelle du royaume éphémère constitué par le traité de Londres
du 20 juin 1814.
Nous y retrouvons proclamée et consacrée l'ancienne règle
* Principales dispositions de la loi fondamentale relatives aux finances
et à rorganisation budgétaire :
" Art. 61. — Le roi a la direction suprême des finances; il règle et fixe
1
(48)
du vote du subside, sous une forme . plus moderne, dans
Particle 197 : « aucune imposition ne peut être établie au pro-
fit du trésor public qu'en vertu d'une loi ». Mais, de plus,
l'article 121 introduit le principe nouveau de l'assentiment
nécessaire des États-Généraux au budget des dépenses du
royaume, qui est présenté par le roi à la seconde Chambre
dans la session ordinaire.
les traitements des collèges et des fonctionnaires, qui sont acquittés par
le trésor public ; il les porte sui' le budget des dépenses de l'Ëtat.
CHAPITRE m. — Des États-Généraux.
Section VI : Du budget de VÈtat,
AftT. 121. — Le budget des dépenses du royaume doit avoir l'assenti-
ment des États-Généraux; il est présenté par le roi à la seconde Chambre
dans la session ordinaire.
Art. 122. — Le budget est divisé en deux parties. Cette division devra
être faite pour l'an 1820, et plus tôt si les circonstances le permettent.
Art. 123. — La première partie contient toutes les dépenses ordi-
naires, fixes et constantes, qui résultent du cours habituel des choses et
se rapportent plus particulièrement à Tétat de paix.
« Ces dépenses étant approuvées par les États -Généraux ne sont pas
soumises pendant les dix premières années à un consentement ultérieur
et annuel.
» Elles ne deviennent pendant ce période [sic) le sujet d'une nouvelle
délibération que lorsque le roi fait connaître qu'un objet de dépenses a
cessé ou varié. »
Art. 124. — En arrêtant celte partie du budget, on détermine en
même temps les moyens d'y faire face.
Ils sont également arrêtés pour dix ans et demeurent invariables, à
moins que le roi ne fasse connaître qu'il est nécessaire de remplacer ou
de modifier un de ces moyens.
Art. 125. — Un an avant l'expiration du terme pour lequel ces dépenses
fixes sont arrêtées, le roi propose un nouveau budget pour les dix années
qui suivent ce terme.
Art. 126. — La seconde partie du budget contient les dépenses extra-
(49)
L*article 427 déclare encore que les dépenses de chaque
déparlement d'administration générale sont l'objet 4'un chat-
pitre séparé du budget. 11 établit ainsi la règle de la spécialité
par chapitre, dont le corollaire est qu*aucun transfert de
dépense ne peut avoir lieu d'un chapitre à un autre saiis le
concours des États-Généraux.
ordinaires, imprévues et incertaines, qui surtout en temps dé guerre
doivent être réglées d'après les circonstances.
Ces dépenses ainsi que les moyens de les couvrir ne sont arrêtées que
pour un an.
Art. 127. — Les dépenses de chaque département d'administration
générale sont l'objet d'un chapitre séparé du budget.
Les fonds alloués pour un département doivent être exclusivement
employés pour des services qui lui appartiennent, de sorte qu'aucune
somme ne peut être transférée d'un chapitre d'administration générale
à un autre, sans le concours des États-Généraux.
Art. 128. — Le roi fait mettre annuellement sous les yeux des États-
Oénéraux un compte détaillé de l'emploi des deniers publics.
CHAPITRE VIL — Des finances.
Art. 197. — Aucune imposition ne peut être établie au profit du trésor
public qu'en vertu d'une loi.
Art. 198. — Il ne peut être accordé aucun privilège en matière de
•contributions.
Art. 199. — Tous les ans la dette publique est prise en considération
dans l'intérêt des créanciers de l'État.
Art. 200-201. — (Monnaies, conseillers et maîtres généraux des
monnaies.)
Art. 202. — Il y a pour tout le royaume une Chambre des comptes,
chargée de l'examen et de la liquidation des comptes annuels des dépar-
tements d'administration générale, de ceux de tous les comptables de
l'État et autres, conformément aux instructions données par la loi.
Les membres de la Chambre des comptes sont choisis, autant que
possible, dans toutes les provinces.
Le roi nomme aux places vacantes sur une liste triple que la seconde
Chambre des États-Généraux lui présente.
Tome LXVI. 4
{ «0 )
Ces concessions faites à l'intervention du Parlement dans
l'administration financière étaient cependant plus apparentes
que réelles. L*esprit général de la nouvelle constitution et
d'autres dispositions de cette loi fondamentale en diminuaient
sensiblement la valeur et l'importance.
On sait que le gouvernement du royaume des Pays-Bas, tel
qu'il fut conçu par la loi de 1815, n'était qu'un simulacre de
gouvernement parlementaire. Sa forme était celle d'une
monarchie représentative, mais tous les pouvoirs étaient
réellement concentrés entre les mains du roi, sans trouver de
contrepoids dans la responsabilité ministérielle.
C'est ainsi que l'article 61 de la loi fondamentale attribue au
roi la direction suprême des finances. 11 règle et fixe les trai-
tements des collèges et des fonctionnaires, qui sont acquittés
par le trésor public; il les porte sur le budget des dépenses
de l'État.
Si les États- Généraux ont le droit de voter ce budget des
dépenses, ce droit est cependant profondément énervé par la
division de ce budget en deux parties, le budget décennal et le
budget annal (art. 12^26), qui aboutissait en fait à soustraire
au vote et au contrôle du Parlement, pendant dix ans, les
trois quarts des dépenses et des revenus de l'État.
Si le roi était tenu « de mettre annuellement sous les yeux
des États- Généraux un compte détaillé de l'emploi des deniers
publics » (art. 128), c'était là une simple formalité, qui ne
trouvait pas sa sanction dans le vote de la loi des comptes par
les États-Généraux.
Les transferts des dépenses d'un département d'administra-
tion générale à un autre devaient être autorisés par les États-
Généraux (art. 127), mais la détermination des services que
devait comprendre chaque département d'administration gêné*
raie appartenait au roi seul et dans les limites d'un même cha-
pitre tous les transferts pouvaient se faire librement, sans le
concours du Parlement.
La Chambre des comptes organisée par Tarticle 202 était un
simple corps de fonctionjsaires nommés par le roi et dépen*
(81 )
.dant de lui. La valeur du contrôle qu'elle exerçait sur les
finances s'en trouvait dès lors fort amoindrie.
Nous voudrions maintenant étudier avec quelques détails
cette organisation budgétaire, dont les vices et les lacunes
n ont pas peu contribué à la fondation du royaume de Bel-
gique et à l'élaboration du régime budgétaire belge dont nous
nous occuperons spécialement.
Dans cette étude, trois points surtout retiendront notre
attention :
1" Le budget décennal ;
S"" Le syndicat d'amortissement ;
S"" La Chambre des comptes et la comptabilité publique.
§ 1. — Le budget décennal.
Le traité de Londres, en constituant le royaume des Pays-
Bas, avait décidé qu'une nouvelle constitution serait établie,
du consentement des deux pays fusionnés, sur le modèle de la
loi fondamentale des Provinces-Unies du 23 mars 1814.
Le roi Guillaume convoqua donc une commission mixte de
vingt-quatre membres, composée de jurisconsultes belges et
hollandais, à l'effet d'examiner les moyens d'adapter la l6i
de 1814 au nouvel État et de préparer le projet qui devait
aboutir à la loi fondamentale de 1815.
Au point de vue budgétaire, l'article 71 de la loi de 1814
distinguait un double budget : le budget décennal ou ordi-
naire, le budget annal ou extraordinaire. Lorsqu'on proposa
à la commission d'introduire purement et simplement la
même disposition dans la Constitution du nouveau royaume,
une discussion s'éleva entre les commissaires belges et leurs
collègues hollandais.
Au nom des premiers, ce Raepsaet, invoquant les vieilles tra-
ditions brabançonnes, demanda le vote annuel du budget tout
entier. La permanence du budget lui semblait, à bon droit,
conduire à la négation de la liberté, à la destruction des privi-
lèges des États-Généraux. Ëlout et Van Lyden objectèrent que
(52 )
le vote annuel des subsides n'avait été jadis qu'une sauvegarde
contre le despotisme, dont les jours étaient expirés; qu'autre-
fois, le souverain demandait des aides pour son profit person-
nel, tandis qu'aujourd'hui, il les réclamait pour le bien de
rËtat. Hogendorp ajouta que le vote annuel du budget serait
une cause de désordre et d'instabililé dans les affaires. La com-
mission se rallia à son avis ^. »
La loi fondamenlale de 1815 adopta donc le même régime
budgétaire que la loi de 1814 (art. 122-126). Ce régime devait
peser lourdement sur les destinées du nouveau royaume.
L'hostilité que lui avaient vouée les Belges et que Raepsaet
avait éloquemment motivée dans les réunions de la commis-
sion, ne désarma pas. Le budget décennal constitua, on ne
rignore pas, Tun des griefs les plus sérieux des provinces
méridionales contre le gouvernement hollandais, et leurs
députés ne négligèrent aucune occasion d'attaquer ce système
budgétaire et d'en signaler les vices et les abus.
La lutle engagée en 1828 et 1829 entre le gouvernement et
les États-Généraux sur le vote du budget décennal pour la
période postérieure à 1830 est particulièrement intéressante et
instructive pour Tétude de l'organisation budgétaire du
royaume des Pays-Bas. Ces discussions parlementaires servi-
ront donc de base aux développements de ce chapitre ^.
Le premier budget décennal pour la période de 1820-1830
avait été tixé par la loi du 27 avril 1820. Il s'élevait en
* Louis Hymans, Histoire politique et parlementaire de la Belgique de
4814-4830, lome I : La fondation du royaume des Pays-Bas, Bruxelles,
Office de publicité, 1869, p. 229.
* La discussion du premier budget décennal en 1819 avait déjà donné
lieu à de sérieuses difficultés. Le budget avait été une première fois
rejeté par la seconde Chambre des États -Généraux (Cf. A.-J. Van der
Heim, Hct Budgetrec/U, eene historisclie schets. Leiden, P. Somerwil, 1884,
p. 142 et De Bosch Kebipeu, Staatskundige geschiedenis van Nederland
tôt 4830, p. 543.
(83)
dépenses à fl. 89,878,053.89 et présentait les subdivisions sui-
vantes :
Chapitre I. — La maison royale fl. 2,600,000 00
— IL — La secrétarerie d'État, hauts collèges
et officiers qui n'appartiennent à
aucune branche d'administration . . 1,005,143 »
— IIL — Département des affaires étrangères . 678,790 »
— IV. — de la justice 246,500 »
— V. — de l'intérieur et des digues 2,267,553 42
— VL — du culte réformé et autres,
à l'exception du culte catholique
romain 1,325,755 65
— VIL — Département du culte catholique romain 1 ,826,859 58
— VIIL — de l'instruction publique,
industrie nationale et colonies. . . I,0i2,355 06
— IX. - Département des tinances 26,829,742 67
— X. — de la marine . . . , . 5,395,291 34
— XL — de la guerre 16,677,06217
Total . . . . fl. 59,875,052 89
Les recettes destinées à couvrir ces dépenses atteignaient un
total de fl. 47,979,113 33 et comprenaient :
1® Le produit des contributions ilirectes (foncier — person-
nel et mobilier — portes et fenêtres) ;
2* Le produit de l'enregistrement, du timbre, des droits
d'hypothèque et de succession ;
3« Les 2/3 du produit des droiu d'entrée et de sortie, y
compris les péages sur les rivières et les accises;
4® Le produit de la taxe sur les ouvrages d'or et d'argent ;
b^ Le produit de la poste.
On leva, en outre :
a) 23 <>/o en sus de la taxe personnelle et mobilière pour
les non-valeurs, frais d'administration et de justice ;
b) 10 7» en sus des portes et fenêtres, pour frais de per-
ception et non-valeurs;
( si )
c) 6 V« sur rimpôt foncier, ainsi que sur la taxe person-
nelle et mobilière pour faire face aux dépenses com-
munales, jusqu'à ce que d'autres règlements sur \os
droits d'octroi soient agréés par le gouvernement.
Les dépenses du budget décennal attei-
gnaient ; . . . fl. 59,878,052 89
Les recettes du budget décennal étaient
de . • fl. 47,979,H3 33
Il Y avait donc un déficit prévu de . . fl. 11,895,939 56
D'autre part, le budget annal pour 1820, s'élevant en
dépenses à fl. 22,314,481 79 et en recettes à fl. 17,754,390 62
était lui aussi en déficit de fl. 4,560,091 17.
Pour la période décennale postérieure à 1830, un premier
projet de budget fut présenté par le roi aux États^énéraux,
en octobre 1828, conformément à l'article 125 de la loi fonda-
mentale.
Le plan général de ce'projet était le suivant :
CHAPITRE I.
Liste civile fl. 2,100,000 »
CHAPITRE IL
La secrélarerie d'État et les grands corps de VÉtat.
Section 1. — La secrélarerie d'État il. 88,466 »
— !2. — Le cabinet du roi 17,076 »
— 3. — La poste d'État 25,608 »
— 4. - Les États-Généraux 624,100 »
— 6. — Le Conseil d'État .... ....... 274,463 50
— 6. — La Chambre générale des comptes .... 155,086 50
— 7. — L'Ordre militaire de Guillaume 53,800 »
— 8. — L'Ordre du Lion Belgique 21,700 »
fl. 1,160,000 »
(38)
CHAPITRÉ III.
Département des affaires étrangères.
Section 1.— Frais du département 11. ' 89,000 »
— 2. — Frais des missions à Télranger (représent.
diplomat.) 600,000 »
— 3. — Consulats. 35,000 »
— 4. — Fraiï d'équipement et de route pour les
missions ordinaires à Tétranger . 23,X)0 »
— 6. -- Port de lettres, frais d'affranchissement,
autres déboursés à restituer aux agents -
diplomatiques 30,000 »
( — 6. — Frais de secours et transports à fournir à
des marins et militaires belges par agents
diplomatiques 5,000 »
— 7. — Dépenses diverses 66,000 »
fl. 737,000 »
CHAPITRE IV.
Département de la justice.
Section 4. — Frais du département 53,538 »
— 2, — Frais de la Haute-Cour 197,300 »
— 3. — Frais des cours et tribunaux dans les pro-
vinces 1,885,200 »
— 4. — Frais généraux de justice 473,800 »
— 5. — Frais de justice militaire 123,062 »
— 6. — Dépenses diverses 48,700 »
fl. 2,800,000 »
CHAPITRE V.
Département de V intérieur.
Section 1. — Frais du département , . . : . 345,612 70
— 2. — Frais de l'administration de l'intérieur
^ (art. 1-18 : les dix-huit provinces,
art. 19 : le Grand-Duché de Luxembourg) 1,441,219 »
(86)
Section 3. — Dépenses diverses fl. 5,490 »
— 4. — Frais du service de santé 12,!500 »
— 5. — Frais généraux du Waterslaat 141,400 »
— 6. — Frais généraux des bâtimens 7,671 20
— 7. — Rivières, canaux, navigation intérieure. . 108,500 »
— 8. — Ports de mer et travaux maritimes .... 418,000 »
— 9. — Palais royaux 100,000 »
— 10. — Frais des prisons 892,234 68
— 11. — Frais des fonctionnaires supérieurs de
l'instruction 27,600 »
— 12. — Frais des universités et aihénées .... 596,323 80
— 13. — Séminaires pour Tinstruction scientifique,
concernant des cultes particuliers . . . 8,320 »
— 14. — Frais des collèges et écoles latines. . . . 73,499 65
— 16. — Subsides ordinaires aux commissions pour
les écoles 66,955 »
— 16. — Traitements et suppléments aux institu-
teurs des écoles moyennes et primaires. 188,993 97
— 17. — Secours et encouragements pour l'instruc-
tion moyenne et primaire 46,160 »
— 18. — Archives et histoire du royaume 26,440 »
— 19. — Institutions et entreprises scientifiques . . 39,780 »
— 20. — Frais des fonctionnaires pour l'industrie
nationale 4,300 »
— 21. — Primes pour le soutien de quelques bran-
ches de l'industrie nationale..., de l'ar-
mement des navires marchands, de la
pèche et de l'agriculture 800,000 »
— 22. — Frais de l'administration du culte catho-
lique dans l'archevêché de Malines et
les sept évéchés 253,600 »
— 23. — Frais du clergé catholique 2,192,100 »
-— 24. — Frais du culte catholique (dit Owàe Klerezij) 4,300 »
fl. 7,800,000
(87)
CHAPITRE VI.
Département des affaires du culte réformé, elc,
SectionI. — Frais du département fl. 33.600 »
— 2. — Frais de Tadministration ecclésiastique du
culte réformé 40,500 »
— 3. — Frais de l'administra tion ecclésiastique des
autres cultes protestants 4,500 »
— 4. — Frais de l'administration ecclésiastique du
culte israélite 2,500 »
— 5 — Frais des différents clergés 1,112,490 »
— 6. — Indemnités dites « Kinder-scliool en Aca-
demiegelden» ». 121,000 »
— 7. — Frais du clergé israélite 11,000 »
— 8. — Dépenses diverses 74,710 »
fl. 1,400,000 »
CHAPITRE VIL '
Département de la gueire.
19 Sections fl. 16,277,916 36
CHAPITRE VIII.
Département de la marine et des colonies,
18 Sections fl. 5,920,000 »
CHAPITRE IX.
Département des finances.
SectionI. - Dette nationale fl. 22,000,000 »
— 2. — Pensions et gratifications 1,050,000 »
— 3. -- Frais du département des finances .... 212,664 »
— 4. — Frais de l'administration du trésor public
(dont remise de 115,000 florins à la
Société générale du chef de ses fonctions
de caissier de l'État) 224,300 »
— 5. — Frais de l'administration des monnaies . . 69,000 »
— 6. — Frais du département des recettes de l'État. 32,500 »
fl. 23,793.964 «
Total du budget : fl. 61,988,880 36.
(88)
Le projet de budget comprenait donc neuf chapitres, divisés
en un certain nombre de sections, subdivisées à leur tour en
articles et numéros.
Quant aux recettes, destinées à faire face aux dépenses du
budget décennal, le gouvernement avait élaboré un double
projet : projet A et projet R, qui différaient l'un de l'autre en
ce que le premier maintenait l'accise sur la mouture, tandis
que le second la supprimait à partir du !«' janvier 1830.
Dans la suite, le gouvernement adopta le projet B, qui se
montait à fl. 62,047,582 42 net. Car les frais d'administration
et de perception des impôts avaient été déduits du montant
brut présumé, mais ils figuraient dans le projet du budget
dans une colonne séparée, intitulée : produits présumés bruts.
Le budget des recettes était donc divisé en deux colonnes :
brut et net. Les frais d'administration et de perception des
impôts étaient évalués à fl. 6,765,437 64.
Quatre grandes catégories de moyens et revenus alimen-
taient ce budget :
L — Contributions directes.
Elles se composaient de l'impôt foncier sur les propriétés
bâties et non bâties, de l'impôt personnel, des patentes.
II. — Droits d'entrée et de sortie.
Accises (sel, abatage, vin, boissons distillées à l'intérieur
et à l'étranger, bières, vinaigre, sucre, timbre collectif).
L'accise sur la mouture est supprimée.
Impositions indirectes (enregistrement, timbre, greffe,
hypothèques, droits de succession).
, 111. — Produit des postes.
IV. — Droits de garantie sur les ouvrages d'or et d'argent.
Déposé en octobre 1828, ce projet de budget décennal fut
soumis à l'examen des sections de la seconde Chambre, pen-
dant les derniers mois de l'année. Ce travail préparatoire
( 59 )
éclafre vivement les différents aspects du régime budgétaire,
et à ce point de vue nous avons étudié avec fruit les rapports
des sections.
Laissant de côté les critiques relatives à l'augmentation
exagérée des charges budgétaires, qui recueillent une adhésion
unanime, nous constatons que la discussion a surtout porté :
i^ Sur la composition du budget décennal ;
S'* Sur la forme que lui a donnée le gouvernement ;
3<^ Sur la déduction des frais d'administration et de percep-
tion des impôts et la présentation d'un budget net.
Nous examinerons successivement ces différentes questions.
I. — Le budget décennal contient, diaprés la loi fondamen-
tale (art. 123) : c( toutes les dépenses ordinaires, fixes et con-
stantes qui résultent du cours ordinaire des choses et se rap-
portent plus particulièrement à l'état de paix ».
Le budget annal est réservé aux « dépenses extraordinaires,
imprévues et incertaines, qui surtout en temps de guerre
doivent être réglées d'après les circonstances » (art. 126).
Or, les États-Généraux, supportant mal cette distinction qui
leur enlevait pendant dix ans le contrôle de la très grande
majorité des dépenses publiques, la tactique de l'opposition
gouvernementale était tout indiquée. Elle apparaît très claire-
ment dans les travaux des sections, qui s'appliquent à faire
rayer du budget décennal le plus de dépenses possible pour
les reporter au budget annal.
Il s'agissait pour cela d'interpréter le texte de la loi fonda-
mentale et de déterminer ce qu'il faut entendre par dépenses
ordinaires^ fixes et constantes j- et ce qu'il faut ranger dans la
catégorie des dépenses extraordinaires, imprévues et incertaines.
Tout ce qui n'est pas d'une nature certaine et constante,
disait le rapporteur de la première section, semble devoir
être porté à l'extraordinaire, c'est-à-dire au budget annal.
Or, il est de nombreuses dépenses qui n*ont pas ce caractère
de fixité et de certitude et qui néanmoins figurent au budget
décennal. Les sections en relèvent de nombreux exemples.
( 60 )
Elles réclament ënergiquement le respect de la loi fondamen-
tale et le report de ces dépenses au budget annal.
« On le demande avec confiance, lisons-nous dans le
rapport de la première section, les dépenses, par exemple
pQ,ur l'entretien des locaux, pour achat et réparations de
meubles, pour rivières, canaux et navigation intérieure, pour
frais de route et vacations, non compris dans les articles
communs à chaque chapitre et qui, par conséquent, ont paru
d'une nature extraordinaire, ces dépenses sont-elles variables
ou invariables, constantes ou assujetties à être calculées diffé-
remment pour chaque année, à raison des besoins existants et
présomptifs?
» 11 est vrai qu'une observation semblable a déjà été présen-
tée lors de l'examen du budget décennal de 1820, et qu'alors
le gouvernement a répondu que, quoique de pareils objets
fussent variables par leur nature, cela ne devait pas empêcher
qu'ils ne tiennent au cours habituel des. choses !
» Cet argument cependant n*a pas convaincu la section.
Elle pense qu'il tendrait à trop prouver, et ainsi, en ne le
trouvant pas assez péremptoire pour autoriser un crédit fixe
pendant dix années, crédit dont le montant entre dans la
masse générale, elle croit devoir insister à ce que la dite obser-
vation soit prise en considération ultérieure. »
<c II paraît k la seconde section que selon le prescrit de la
loi fondamenlalo, le budget décennal doit contenir les dépenses
fixes et constantes qui résultent du cours habituel des choses
et se rapportent plus particulièrement à l'état de paix; que
conséquemment toutes les dépenses variables et douteuses
doivent paraître au budget extraordinaire, à l'égard duquel le
commun accord des États-Généraux est requis annuelle-
ment. »
En conséquence, la section propose une série de transferts
de dépenses du budget décennal au budget annal. Pourquoi,
par exemple, faire figurer au budget décennal les dépenses
pour la confection des tableaux décennaux de Vétat civil ? « Cet
objet ne peut paraître comme une dépense fixe et constante
(61)
sur le budget décennal, parce que les tableaux décennaux
d'état civil ne peuvent pas se faire chaque année du période
décennal et qu'ainsi cette dépense ne devra se trouver qu'au
budget extraordinaire de Tannée où les tableaux décennaux
devront être faits. »
De même, on porte au budget décennal, en même temps
que les traitements des fonctionnaires, les suppléments de
traitements. Et la section remarque, à bon droit, que ce sup-
posé que les traitements soient tixes et constants, les supplé-
ments doivent être variables et par conséquent paraître au
budget extraordinaire, pour autant qu'il y aura lieu ».
Le budget décennal de la guerre prévoit des crédits pour
frais de transport et de passage d^eau, pour frais de charroi, etc.
c< La section a peine à concevoir que cet objet exige chaque
année la même somme et croit par cette raison que cela ne
peut faire partie du budget ordinaire. »
En ce qui concerne ce même budget de la guerre, la
sixième section remarque « que la totalité des frais pour sub-
sistances est réservée pour le budget annal et que les traite-
ments, soldes et autres frais sont portés en totalité au budget
décennal ».
A première vue, cette distinction semble correcte et con-
forme aux règles posées dans la loi fondamentale. Mais la sec-
tion observe qu'il résulte de ce système que par l'acceptation
du budget décennal ce Ton pourrait considérer les États-Géné-
raux comme obligés de consentir annuellement les frais de
subsistances, car l'armée soldée doit aussi être nourrie et
entretenue. Or, comme l'effectif de l'armée est tout aussi
variable que le prix des subsistances, la section demande, que
de même comme au budget précédent un douzième de tous
les frais soit réservé pour le budget annal et croit que les onze
douzièmes peuvent suffire, puisqu'au budget annal aucun sup-
plément n'a été nécessaire pour les dernières années, et qu'au
surplus si les circonstances exigeaient une somme plus forte,
elle pourra être suppléée par le budget annal ».
La quatrième section présente la même observation.
D'autres sections signalent encore des dépenses qu'il con-
(62 )
viendrait de transférer au budget annal : les crédits demandés
pour présents et cadeaux à Toccasion des traités n'ont rien de
fixe et de constant. Pourquoi donc les maintenir au décennal?
Les Trais prévus pour les épidémies sont éventuels, comme
les épidémies elles-mêmes. Ils doivent donc figurer à Pextraor-
dinaire.
Le budget prévoit 800,000 florins à litre de primes pour sou-
tien de tindustrie nationale. Mais « ces dépenses étant ou pou-
vant être variable d'année en année, on pense qu'il convien-
drait de les porter au budget annal ».
IL — En ce qui concerne la forme adoptée pour la présen-
tation du budget décennal, les observations des sections
concernent notamment les points suivants :
a) Le gouvernement ne détaille pas suffisamment les' crédits
qu'il sollicite. Il se contente de demander des sommes glo-
bales, des allocations en bloc, sans spécifier nettement les
objets particuliers auxquels elles doivent servir. Les États-
Généraux ne peuvent, dès lors, se rendre compte d'une
manière exacte de l'affectation des crédits.
Toutes les sections s'accordent à faire celte critique. La
quatrième section exprime le désir que oc les états prescrits par
les articles 122 et 127 du règlement sur la comptabilité arrêté
le 24 octobre 1824 ^ et qui ont dû servir de base à l'évaluation
des dites dépenses au présent budget soient communiqués à la
* L'arrêté royal organique de l'administration générale des finances
du 24 octobre 1824 avait publié le Règlement général sur l'administration
des finances dans le royaume des Pays-Bas, Ce règlement ne contenait
pas moins de 453 articles. 11 embrassait l'organisation budgétaire dans
tous ses détails, depuis les évaluations jusqu'à la clôture des comptes.
Art. 122. — L'état d'évaluation des dépenses de l'État qui se rapportent
à chaque période décennale sera formé d'après le modèle joint au présent
règlement.
Art. 424. — Chaque chapitre particulier sera divisé en sections et
celles-ci en articles.
Art. 127. — Chaque article du projet sera appuyé d'états particuliers
détaillés présentant les éclaircissements nécessaires, et qui devront être
établis conformément au modèle joint au présent règlement.
(63)
Cbambre de la manière que le gouvernement le jugera le plus
convenable ».
b) La spécialité par chapitre est consacrée par l'article Hl
de la loi fondamentale. Les transferts de crédits d'un chapitre
d'administration générale à un autre chapitre sont dès lors
interdits. Mais le gouvernement a toute latitude de faire, sans
le concours des États-Généraux, tous les transferts qu'il veut
dans les limites d'un même chapitre. Et comme, d'autre part,
c'est au gouvernement seul qu'il appartient de déterminer les
départements d'administration générale et les dépenses qui y
correspondent dans chaque chapitre du budget, le contrôle des
États-Généraux sur les transferts de crédits et les virements est
pratiquement illusoire.
Aussi, les membres de la première section ont-ils été una-
nimes à demander (c que tout ce qui est relatif à chaque admi-
nistration distincte, quoique combinée maintenant avec une
autre administration générale, soit compris sous un titre séparé
et qu'ainsi la division de chaque ministère se fasse en rapport
avec le nombre des administrations d'une nature essentielle-
ment diverse, attachées à ce même ministère ».
A la quatrième section, on précise cette remarque générale
et on signale, par exemple, le chapitre V du budget, relatif au
département de l'intérieur et dans lequel on a réuni les
dépenses les plus diverses : celles concernant le culte catho-
Hque^ Vindustrie nationale , Vinstrudion publique. c( Toutes ces
branches de l'administration publique, ajoute le rapport, n'ont
rien de commun avec le ministère de l'intérieur proprement
dit, mais ce sont des choses tout à fait distinctes, qui ont cha-
cune leurs dépenses propres à elles et qui doivent rester sépa-
rées des dépenses affectées aux autres branches de i'adminisr
tration qui y sont étrangères...
» Sans contester à Sa Majesté le droit de réunir plusieurs
départements en un seul département ou à un seul et même
ministère, il est désirable que les dépenses alférentes à chacun
de ces départements de nature toute différente, restent exclu-
sivement affectées à celui pour lequel elles ont été créées, en
(64)
un mot, qu'elles doivent former dans le budget autant de cha-
pitres séparés sans pouvoir transférer les dépenses d'un
chapitre à un autre chapitre et qu'ainsi, par exemple, les
dépenses votées pour le culte catholique ne peuvent dans
aucun cas, et sans le concours des États-Généraux, être
employées à faire face aux frais du Waterstaat ou de quelque
autre branche d'administration générale dépendante du
ministère de l'intérieur. »
Dans le budget de 1820, d'ailleurs, les dépenses pour le
culte catholique formaient un chapitre séparé ^, de même que
les dépenses pour le culte réformé : pourquoi, dans le budget
de 1830, les faire rentrer parmi les dépenses du département
de l'intérieur?
c) Afin de mieux assurer le contrôle des dépenses exercé
par la Chambre, un certain nombre de membres de diverses
sections émettent le vœu a que les différents chapitres du
budget des dépenses soient divisés en autant de lois distinctes
et votées séparément ». (l'« section.) Ce mode leur paraît pré-
férable aussi, parce que « de cette manière on pourrait éviter
la nécessité de rejeter le tout à cause d'une raison de rejet qui
se rattache à un seul chapitre, même à un seul article et
qu'ainsi le gouvernement lui-même s'assurerait, par ce mode,
un avantage essentiel ».
Le règlement de la seconde Chambre interdisait, en effet,
tout amendement au budget et forçait la représentation natio-
nale à adopter ou à rejeter le budget en bloc.
Cependant, cette proposition fut loin de recueillir la majo-
rité dans les sections. On fit remarquer qu'il suffirait de
reviser le règlement de la Chambre, sans modifier le mode de
présentation du budget, et qu'au surplus le mode de présenta-
tion actuel est préférable, parce qu'il permet d'envisager d'une
manière plus générale lo budget de 1 État que si ce dernier
était fractionné en une série de projets. (5°»® section.)
111. — Le budget décennal de 1820 était un budget brut. II
* Cf. supra, p. 53.
(68)
faisait figurer en recettes les différents revenus publics sans
en déduire les frais d'administration et les frais de perception
des impôts. Ces frais figuraient parmi les dépenses, au chapitre
du ministère des finances.
C'était là une excellente pratique budgétaire que le gouver-
nement, sous prétexte d'amélioration, abandonna en présen-
tant le budget décennal pour 1830 à 1840. Dans son discours
d'octobre 1828, le ministre des finances tentait de justifier en
ces termes, la modification qu'il proposait : « Il a semblé au
roi, que le mode adopté jusqu'à présent à cet égard était
défectueux; que celui qu'on propose actuellement est plus
convenable et mieux approprié à son objet; qu'il indique plus
distinctement le montant des dépenses publiques; qu'il n'en
porte pas la totalité à une hauteur imaginaire, et qu'il ne met
plus sur le compte du département des finances une somme de
quelques millions de florins qu'on a pu considérer à tort
comme faisant partie des dépenses réelles de ce dépar-
tement.
» Or, comme, malgré cette modification, la chose reste au
fond la même, tandis que le produit net des impôts et les frais
d'administration, déduits de leur montant et séparément énon-
cés et justifiés, figurent comme ci-devant, au budget, dans le
chapitre du déparlement des finances. Sa Majesté espère que
l'adoption de ce nouveau mode obtiendra l'assentiment de Vos
Nobles Puissances.
» Et, en effet..., si l'on considère, indépendamment des
raisons que je viens d'alléguer, combien, par exemple, le mon-
tant des salaires alloués pour la perception des impôts dépend
de la quotité des sommes à percevoir, et combien, par consé-
quent, il est incertain; si l'on fait attention qu'il paraît moins
raisonnable, à l'occasion d'une loi sur les dépenses publiques,
de voter, pour frais d'administration, une certaine somme
dont la quotité dépend néanmoins nécessairement du mon-
tant des recettes, dont alors on n'a encore pu juger, certaine-
ment, Vos Nobles Puissances regarderont ce changement
comme une véritable amélioration. »
Tome LXVI. 8
(66)
Tel ne fut pas l'avis des sections, qui très généralement se
prononcèrent contre le projet de budget net et pour l'an-
cienne méthode du budget brut. La première section se chargea
de répondre à l'argumentation du ministre. « Elle avoue que
le résultat financier des modes différents, dont on a fait la
comparaison en faveur de celui qui vient d'être proposé, est
égal pour tous les deux. Elle avoue encore que le montant des
frais de perception des impôts dépend de la quotité des sommes
à percevoir, mais ces motifs ne semblent pas pour cela devoir
autoriser la marche nouvelle.
2> D'abord, n'est-elle pas en contradiction avec les règles
ordinaires de comptabilité qui prescrivent que tout ce qui est
perçu doit être porté en recelte ; et que, par contre, tout ce qui
est payé en général, donc aussi ce qui est payé pour frais
d'administration, de quelque nature que ce soit, doit être porté
dans les dépenses?
» Ensuite, le montant des taxes et recettes, telles qu'elles
sont payées par la nation, figurerait de cette manière à raison
de 6 à 7 millions de moins qu'il ne le serait effectivement
d'après les calculs du gouvernement, et dès lors l'état des
choses ne paraîtrait pas entièrement sous son véritable point
de vue.
» D'ailleurs, l'incertitude de ces frais ne dépend-elle pas
uniquement du montant des recettes elles-mêmes, de sorte que,
en adoptant le projet énoncé dans le discours précité, une
incertitude de la même espèce resterait toujours dans le mon-
tant net des recettes d'après l'évaluation qui en a été proposée,
et sur laquelle les projets de loi pour les recettes reposent éga-
lement? »
La troisième section appuyait cette manière de voir et résu-
mait excellemment son point de vue en disant : « La section
entière est d'avis que la recette brute doit figurer au budget et
que les frais de perception trouveront alors leur place parmi
les dépenses. La section estime que le système contraire ne
peut prévaloir, parce que les frais de perception aussi bien que
toute autre dépense doivent être soumis au contrôle de la
(67 )
Chambre et faire partie du compte détaillé qui doit être rendu
annuellement. »
Dans sa réponse aux observations des sections ^, le gouver-
nement déclare d'abord ne pouvoir entrer dans les vues expri-
mées par un grand nombre de députés et ratifiées assez
généralement par les sections, au sujet du transfert au
budget annal de la totalité ou au moins d'un nombre impor-
tant de dépenses dont le montant n'est pas en tout temps te
même.
Les articles 123 et 126 de la loi fondamentale, d'après l'in-
terprétation du gouvernement, ne permettent pas de grossir
de la sorte le budget annal aux dépens du décennal. De plus,
« de cette manière, les objets à comprendre dans les budgets
annuels seraient si nombreux et leur montant si considérable,
qu'il y aurait impossibilité physique à terminer les opérations
relatives à celui de chaque année dans l'espace de vingt jours,
ce dont l'article 100 de la loi fondamentale suppose néanmoins
la possibilité pour quelques années ». Enfin « l'admission
d'un principe, qui déroge à la division voulue par la loi fonda-
mentale, ramènerait, chaque année, des discussions sur des
objets d'administration, qui se renouvellent constamment, et
sur des dépenses dont le montant doit être réparti sur plus
d'une année ».
Le gouvernement consent toutefois à modifier son projet de
budget, d'après le vœu des sections, en portant, notamment,
comme par le passé, les frais de perception et d'admi-
nistration séparément au nombre des dépenses,^ bien qu'il ne
soit nullement convaincu des avantages de cette méthode.
« On ne conçoit pas, dit-il, quelle espèce d'avantage il en
pourra résulter; on persiste même à croire que c'est le moyen
de grossir inutilement et d'exagérer la somme des dépenses
* Mémoire contenant les réponses aux procès-verbaux des sections de
la seconde Chambre des États-Généraux, concernant les projets de loi
relatifs au budget ordinaire pour le terme de dix années, à commencer
par 1830. {Doc, de 48^8-48^9, no 19 a).
(68)
publiques ; d'autres considérations, dictées par la nature dés
choses, Tordre et la simplification de la comptabilité, semblent
aussi militer pour la conservation du mode adopté dans le
projet présenté : néanmoins le roi ne s'est pas refusé à faire
aussi cette concession à l'opinion de l'assemblée. »
De même, le gouvernement, tout en assurant que les trans-
ferts abusifs de crédits d'un chapitre à l'autre du budget ne sont
pas à craindre et qu'il n'y a pas de motifs de multiplier le
nombre des chapitres du budget, consent à détacher le culte
catholique du département de Tintérieur, pour en former le
VII® chapitre d'administration intérieure. « En même temps,
S. M. a déclaré être disposée, d'après les résultats de cette
épreuve, à donner un peu plus d'extension à ce principe. »
Dans son discours du 12 mai 1829 ^, le ministre des
finances fit valoir ces concessions ; il insista aussi sur l'aboli-
tion de l'impôt sur la mouture et sur la diminution et les
économies réalisées sur le premier projet, pour un total de
a. 4,649,863 59.
Le projet de budget décennal, amendé, se présentait donc
comme il suit :
Au total du premier projet, qui s'élevait à fï. 61,998,880 36
on ajoutait les frais d'administration et de
perception des impôts, se montant à. . . fli. 6,768,437 64
Soit un total de. . fl. 68,754,318 00
Lequel, grâce à différentes réductions, a été
diminué de fl. 4,649,863 59
De manière que le projet du budget décen-
nal amendé s'élevait à . ...... fl. 64,104,45441
* Cf. Verslag der Handelingen van de Staten-Generaal, gedurende de
zitting van 1828-1829, gehouden te Brussel, van 20 Oktober 1828 toi
20 Mei 1829. Bewerkt door J. J. F. Noordziek en uitgegeven onder
toegezicht van de Commissie voor de huishoudelijke aangelegenheden
van de tweede Kamer der Staten-Generaai. 's Gravenhage, ter algemeen
Landsdnikkerij, 1888, blz. 649 en^volg.
(69)
Il était divisé en dix chapitres au lieu de neuf, par suite de
l'érection en chapitre distinct des dépenses pour le culte catho-
lique.
Les États-Généraux discutèrent ces nouvelles propositions
budgétaires en trois séances : les IS, 13 et 14 mai 18^9.
Le 14 mai, le budget décennal des dépenses fut rejeté par
79 voix contre 3ti, et le budget des moyens par 86 voix
contre 19 ^.
Après le rejet de ce projet, à une majorité aussi considé-
rable, le gouvernement se décida à tenir compte dans une
plus large mesure de la volonté des États-Généraux, dans
l'élaboration du nouveau projet qu'il avait à leur soumettre.
Ce troisième projet se distinguait, en effet, des deux précé-
dents par une sérieuse revision des évaluations budgétaire;}
primitives, qui aboutit soit à la suppression d'un certain
nombre de dépenses, soit à leur transfert du budget décennal
au budget annal. « Je ne m'arrêterai pas, disait le ministre des
finances 3, à la réduction de plus de 8 millions qu'ont subie les
calculs antérieurs du budget ordinaire, car la valeur de cette
réduction ne peut être jugée que par la comparaison combi-
née du budget décennal et de Tannai pour 1830; je me con-
tenterai de faire remarquer qu'en tout cas une grande partie
des dépenses qui figuraient primitivement au décennal, a été
ou supprimée ou reportée à Tannai. »
Ces concessions rallièrent au gouvernement bon nombre de
députés, qui avaient voté une première fois contre le budget.
Il restait néanmoins une opposition irréductible, dont Thosti-
lité se manifesta au cours de la discussion 3. Elle motivait son
< Ibid., p. 694. — Cette importante majorité ne comprenait pas seule-
ment les députés des provinces méridionales, mais encore un grand
nombre de députés du Nord.
« Discours du 26 octobre 4829.
» Elle eut lieu du 14 au 49 décembre 1829. — Cf. Verslag der Hande-
lingen van de Staten-Generaal, gedurende de zitting van 4829-1830
gehouden te 's Gravenhage van 49 Oktober 4829 tôt 2 Juni 4830, bewerkt
door J. J. F. Noordziek, i^ deel, blz. 425 en volg.
(70)
refus du budget par la mauvaise administration financière du
gouvernement et aussi par la défiance que lui inspirait sa poli-
tique générale.
Cependant, si Topposition était d'accord pour refuser le
budget décennal, elle consentait, afin de ne pas entraver la
marche des affaires, à voter un budget provisoire.
Les partisans du gouvernement reprochaient cette attitude
à l'opposition, qui se composait en majeure partie de Belges.
Mais ceux-ci défendaient énergiquement leur droit d'agir de la
sorte et proclamaient la vieille formule : (c point de redresse-
ment de griefs, point de subsides ».
c( On nous fait un crime, disait le député du Limbourg,
H. de Brouckère, de rattacher des griefs à notre vote, tandis
que nos accusateurs font eux-mêmes abstraction des chiffres.
L'adoption du budget sans examen, ou plus de budget, c'est-
à-dire plus de loi fondamentale, tel est leur adage constitu-
tionnel!... Le budget décennal n'est pas un subside, il com-
prend les dépenses fixes et régulières; mais si, parmi elles, il
s'en trouve qui se rattachent à un abus, il faut ou y refuser son
adhésion, ou vouloir que l'abus se perpétue. En ce sens, c'est
plus particulièrement sur l'adoption du budget décennal qu'il
faut être rigoureux. De son côté, le gouvernement peut préve-
nir que par des combinaisons de plusieurs minorités, il n'y ait
confusion et que ses projets soient renversés. Le moyen est
simple, la divison par chapitres ^. »
Le règlement d'ordre de la seconde Chambre des États-
Généraux interdisait, en effet, tout amendement, il obligeait les
députés à voter ou à rejeter en bloc tout le budget et n'admet-
tait pas le vote par articles ou par chapitres 2. Les vices de ce
système sont évidents. Il restreignait la libre expression de la
volonté parlementaire, tout en exposant le gouvernement à
voir rejeter ses propositions, pour un désaccord sur Tun ou
l'autre point de détail.
* Ibid., p. 484.
* Voyez plus haut.
(71 )
M. Angillis, député de la Westflandre, appréciait très exac-
tement la situation créée par cet article du règlement, dans son
discours du 17 décembre ^ : « Je partage, disait-il, l'opinion
émise pour que le budget soit discuté par chapitre. Ce mode
qui tend à introduire les amendements est de beaucoup préfé-
rable à celui observé jusqu'à présent. Et tel est le malheur
attaché à notre manière de voter en masse sur une foule de
dispositions diverses, accumulées dans une seule et même loi,
que souvent on se trouve placé dans la pénible alternative, ou
de repousser pour un seul article, pour une seule phrase, un
projet de loi dont quelquefois toutes les autres parties sont
sagement combinées, ou d'admettre une espèce de compensa-
tion en vertu de laquelle on adopte les projets qui contiennent
plus de dispositions utiles que de dispositions défectueuses, et
quoique ce calcul soit singulièrement trompeur, on l'a cepen-
dant plus d'une fois admis. A une demande si juste, si raison-
nable, si conforme enfin aux usages parlementaires d'autres
pays, que répond-on? On répond que cette marche n'est pas
voulue par la loi fondamentale. Mais cette loi ne la défend pas,
et comme le mode de voter est purement réglementaire, la loi
a bien fait de ne pas s'en occuper... Dire que le mode de déli-
bérer et de voter par amendement est contradictoire avec
l'esprit de la loi fondamentale, est une erreur. Seulement, il
n'est pas admis par notre soi-disant règlement d'ordre, mais ce
règlement, qui ne dit pas la dixième partie de ce qu'il aurait
dû dire, et qui laisse souvent deviner ce qu'il veut dii*e,
réclame depuis longtemps une réforme complète. En adoptant
les amendements, nos discussions seraient bien plus régulières,
autant de projets ne seraient pas rejetés, nous aurions de
meilleures lois, et nos lois financières seraient plus stables.
Au vote, qui eut lieu en séance du 19 décembre 1829 2, le
budget décennal des dépenses fut adopté par 61 voix contre 46,
tandis que le budget des moyens destinés à y faire face était
rejeté par 84 voix contre 52.
* Verslag der Handelingen,.,, blz. 166.
« Ibid., blz. 219.
(72)
Le 21 décembre 1829, le gouvernemenl proposa un nouveau
budget des voies et moyens, t)rovisoire jusqu'en octobre 18S0, et
ce budget fut adopté le 22 par 100 voix contre 1 (de Stassart).
Ainsi se termina, sans grande gtoire pour le gouvernement,
la lutte parlementaire mémorable engagée autour du dernier
budget décennal du royaume des Pays-Bas.
Nous l'avons exposée en détail, afin de saisir sur le vif l'orga-
nisation budgétaire, telle qu'elle était conçue par la loi fonda-
mentale de 1815 et pratiquée par le gouvernement du roi
Guillaume.
Et cette étude un peu longue n'était pas inutile, pensons-
nous, puisqu'elle nous aide à comprendre la genèse du système
budgétaire de la Constitution belge, dont les principes fonda-
mentaux incarnent en quelque sorte la réaction contre les
pratiques hollandaises, si âprement critiquées aux États-
Généraux par les députés des provinces méridionales.
§ 2. — Le syndicat d'amortissement.
L'étude de l'organisation budgétaire du royaume des Pays-
Bas serait incomplète, si nous passions sous silence l'institution
du syndicat d'amortissement, véritable budget occulte, qui
existait à côté du budget annal et décennal et permettait au
gouvernement d'alimenter ses finances, en dehors de toute
prévision constitutionnelle et indépendamment du contrôle,
même purement formel, du Parlement^.
Dès les premières années de l'administration hollandaise,
les déficits s'installèrent dans sa gestion financière et ne la
quittèrent plus. Lorsqu'on eut épuisé les moyens ordinaires
* Nous avons consulté avec intérêt sur ce sujet une brochure anonyme
de Tépoque, intitulée : « Exposé historique des finances du Royaume des
Pays-Bas depuis 1813, par Tauteur de Texamen de la question sur la
liberté du commerce et sur le système de prohibition dans les Pays-
Bas, etc.. », traduite de Tallemand par ***. Bruxelles, 1829, imprimerie-
librairie romantique, rue Ducale n^ 8.
( 73 )
d'y remédier : augmentation des impôts, emprunts, etc., on
recourut à des combinaisons extraordinaires, comme cet
emprunt par loterie sur les domaines^ proposé aux États-Géné-
raux au commencement de 1822 et combiné avec la création
de 40 millions de papier-monnaie, sous la dénomination de
billets du domaine.
L'inefficacité de cette combinaison fit adopter un nouvel
expédient : la création d'un syndicat d'amortissement (amorti'-
satie syndikaal)^ destiné à réunir les opérations d'un syndicat
antérieurement existant et de la caisse d'amortissement.
Le syndicat fut créé et organisé par les lois du 27 décembre
1822 et du 5 juin 1823.
Le syndicat assumait vis-à-vis de l'Etat les obligations sui-
vantes :
L — Payer annuellement au trésor une somme de 190,000 flo-
rins pour les produits des domaines cédés à S. A. R. le prince
Frédéric des Pays-Bas, par la loi du 25 mai 1816;
Payer les intérêts des emprunts faits sur la grande commu-
nication du royaume et procurer les fonds nécessaires au rem-
boursement de ces emprunts, pour autant que le produit des
péages n'y fût pas suffisant;
Remplir les obligations affectées aux domaines ;
Payer au trésor dans le courant des cinq années 30 millions
de florins, aux fins qui suivent :
a) Pour achèvement des grandes communications par eau et
par terre;
b) Pour remplir le déficit qui se trouvera à la fin des travaux
de la commission de liquidation, ainsi que pour satisfaire à ce
dont le gouvernement serait reconnu être redevable aux puis-
sances étrangères ou à leurs sujets avant la fin de la liqui-
dation ;
c) Pour la construction extraordinaire de vaisseaux de
guerre ;
d) Pour achèvement des fortifications de diverses places dans
les provinces méridionales ;
e) Pour remplir le déficit de 1822.
(74)
II. — Mettre le trésor en état de payer les pensions et rentes
viagères extraordinaires et de satisfaire à d'autres obligations
qui s'éteignent successivement ;
III. — Payer au trésor la somme de 12 millions pour faire
face aux frais que nécessitait l'introduction du nouveau système
monétaire ;
IV. — Rembourser les obligations à charge du syndicat qui
avait existé jusqu'alors;
Retirer la dette différée, aussi bien les certificats que les
billets de chance (de la lotterie du domaine), tous deux
ensemble, au prix de 50 «/o valeur nominale.
Afin de permettre au syndicat de tenir ces engagements, on
lui assigna les moyens suivants :
I. — L'État lui céda :
a) Le produit net des péages sur routes et rivières, après le
remboursement des emprunts y affectés ;
b) Le droit de vendre des biens domaniaux jusqu'à concur-
rence d'un revenu annuel de 1,750,000 florins, ou bien d'hypo-
théquer ces biens pour des sommes remboursables par le
produit de la vente.
II. — Ouverture au grand-livre d'un crédit de 68,000,000 de
florins de dette effective donnant 2 Vs"/**
III. — Ouverture au grand-livre d'un crédit de 26,000,000 de
florins de dette effective à 2 Va Vo-
IV. — Autorisation d'émottre pour 116 millions d'obliga-
tions à 4 V2 "A-
tt En substance, dit l'auteur de la brochure anonyme citée *,
cette nouvelle et importante opération de finances consistait
en ce que, après une suite d'années de paix, il fut créé une
masse de nouvelles dettes tellement prodigieuse, que peut-être
on n'en trouve point d'exemple dans l'histoire des autres États,
eu égard à leurs forces ; et cela, sans qu'on songeât seulement à
augmenter la recette par quoi que ce fût, afin de la mettre à
même de pouvoir payer les intérêts de ces dettes,
* Exposé lits torique, . ., p. 49.
(78)
» Après cela, est-il étonnant que les déficits, quoique
couverts pour quelque temps, se soient enfin augmentés
considérablement ?
» Il est donc permis de penser que la création de la nouvelle
institution ne pouvait avoir iautre but que de porter sur un
autre compte tout ce qui aurait pu choquer l'économie de FÉtat ;
et de le dérober par là à l'attention des Chambres, dont le mécon-
tentement hautement prononcé sur cet étemel renouvellement du
déficit avait inspiré quelques alarmes aux conseillers de la
couronne. »
De son côté, H. de Gerlache, député de Liège aux États-
Généraux, caractérisait l'institution en ces termes, dans son
discours du 18 décembre 1829 ^ : « Le syndicat d'amortisse-
ment, créé en 1822, espèce de corporation anonyme, grand
propriétaire, immense capitaliste, entrepreneur de barrières,
routes, canaux, mines, etc., qui exploite à la fois diverses
sortes d'industries, qui administre, prête, emprunte, aliène et
qui n'est pas plus responsable que nos ministres, a été imaginé
afin de faire disparaître ces terribles déficits qui efirayaient de
plus en plus les États-Généraux et la nation; il a été imaginé
non pas afin de combler réellement le vide du trésor, mais de
le dérober pour un temps aux regards des feibles en finances,
c'est-à-dire à ceux de l'immense majorité. C'est la fureur de
tout réglementer, administrer, centraliser, accaparer, qui a
créé parmi nous cette troisième espèce de budget, ce budget
occulte, qu'on nomme syndicat d'amortissement.
» On peut regretter de voir dans le seul budget décennal les
trois quarts de nos finances soustraits à l'investigation des
Chambres. Toutefois, cela est constitutionnel. Mais le syn-
dicat ne Test point, mais le syndicat va beaucoup plus loin
que le budget décennal, puisqu'il rend presque nul le droit
de censure que vous devez exercer sur toutes les opérations
du gouvernement.
1 Verslag der Handelingen..,, 4829-18S0, blz. 189.
(76)
» C'est pourquoi j'avais demandé en section que cet établis-
sement fût soumis h une revision générale et ramené à son
véritable but, qui est l'amortissement de la dette. »
Les statuts du syndicat ne laissent aucun doute sur le véri-
table caractère de cette institution, qui permettait au gouver-
nement de se livrer à de vastes opérations financières, à l'abri
de tout contrôle parlementaire ^.
L'article 48 de la loi déclare que « le compte du syndicat
d'amortissement est confié, sous Fimposition du secret, aux
mains d'une commission de sept membres qui sont .les deux
présidents des Chambres, deux conseillers d'État et trois
membres de la Chambre générale des comptes. Ces trois der-
niers sont à la nomination du gouvernement ».
L'article 49 ajoute : « à commencer de l'année 1829, et ensuite
tous les dix ans, l'état de situation du syndfcat d'amortissement
sera communiqué aux États-Généraux et ensuite rendu public,
et chacun en pourra faire l'acquisition. »
Cette organisation Occulte du syndicat était manifestement
* On peut se denjander comment il se fait que les États- Généraux
aient pu consentir à voter la loi de 4822, qui créait le syndicat. Nous
trouvons Texplication suivante dans la brochure anonyme citée : « Ceux
qui présentèrent le projet de loi semblent avoir compté principalement
sur ce que le plus grand nombre des membres de tous les corps légis-
latifs a> aient toujours prouvé jusqu'ici un défaut de connaissances en
matière d'économie politique et plus encore en ce qui regardait propre-
ment la comptabilité; el ils ne furent pas trompés dans leur attente, car
le projet de loi passa bon gré mal gré aux deux Chambres. . . Il est vrai
qu'il fallut employer quelques tours de tactique parlementaire pour
réussir : par exemple, il ne fut nullement question de nouveaux impôts
pour faire face aux intérêts des grands emprunts nouveaux; on présenta,
au contraire, le projet comme étant le seul moyen de satisfaire à tous les
besoins extraordinaires de l'État, sans charger la nation d'un nouvel
impôt; et pour ne pas laisser le moindre doute sur un effet si bienfaisant,
on procéda d'abord à une petite réduction de quelques contributions, ce
qui plut particulièrement dans les provinces méridionales; et les con-
seillers de la couronne surent si bien tirer parti de ce moment favorable,
qu'ils se procurèrent la majorité des voix dans les Chambres. » (p. 49.)
(77)
contraire aux articles 121, 128 et 199 de la loi fondamentale.
Inconstitutionnelle dans son principe, cette institution don-
nait lieu à de graves abus dans son fonctionnement.
Les déficits budgétaires que Ton prétendait faire disparaître
grâce aux secours du « bienfaisant » syndicat étaient simple^
ment masqués artificiellement. On creusait un trou pour en
combler un autre.
Jusqu'en 1829 le syndicat avait contribué au budget annal,
pour les sommes suivantes ^ :
1823 tl. 9,653,579 74*/»
1824 9,598,980 14
1825 10,358,361 21
4826 7,460,996 80
4827 7,456,936 40
4828 6,586,957 54 Vi
4829 8,372,742 87 Va
ce Dans les sept années de 1823 à 1829, une caisse secrète,
qui ne se procure de nouveaux fonds qu'en émettant de nou-
velles obligations, a donc fourni aux besoins de l'Etat, un
secours notoire de fl. 58,888,543 384/2 2. „
Le gouvernement avait ainsi toute latitude de se procurer
les fonds nécessaires à des dépenses arbitraires, sans avoir
de compte à rendre de son administration financière, mais,
de plus, il disposait d'un moyen facile de dépasser les crédits
mis à sa disposition par le Parlement et de faire fi de ses
décisions.
Voici deux faits à l'appui de cette affirmation. Nous les
empruntons au discours de M. de Gerlache, dont nous par-
lions plus haut,
ce En 1828, si j'ai bonne mémoire, nos collègues du Nord
* Brochure citée, p. 103.
« Ibid,. p. 114.
( 78 )
réclamèrent contre les travaux que le gouvernement faisait
exécuter à l'île de Marken. Cependant, ces travaux furent con-
tinués et poussés fort avant, quoique twus eussions refusé des
fonds à cet effet, et ils coûtèrent plusieurs millions. Le syndicat
d'amortissement y avait pourvu.
y> Il résulte de l'état dressé par la commission permanente,
que le syndicat a déboursé une somme de 3,618,329 tlorins
pour l'encouragement de l'industrie nationale. 11 suit de là
-que le million mis à la disposition du gouvernement pour la
même fin et dont la plupart des sections ont demandé la
suppression, a paru insuffisant au ministre, ce qui laisse
beaucoup à penser ^... »
La situation budgétaire du royaume des Pays-Bas était donc
des plus embrouillées. On n'y comptait pas moins de trois ou
même quatre budgets : le budget décennal, alimenté par des
impôts fixes; un budget annal, basé lui aussi sur des imposi-
tions publiques; un second budget annal, qui reposait sur les
subsides du syndicat d'amortissement; enfin, le budget secret
de ce syndicat.
Les deux premiers s'élaboraient au grand jour du Parlement»,
sous des garanties constitutionnelles, les deux derniers étaient
occultes et leurs opérations sont soigneusement soustraites
aux regards indiscrets des profanes.
Nous pouvons donc conclure avec l'auteur anonyme que
nous nous plaisons à citer : « Un tel ordre dans les finances
appartient exclusivement aux Pays-Bas, et le politique, même
le plus pénétrant, pourrait être fort embarrassé de se faire une
idée juste de la cohérence du tout.
» Il n'est donc nullement étonnant que dans un pareil état
de choses, les plaintes sur l'obscurité qu'on met dans la reddi-^
tion des comptes se renouvellent et s'augmentent à chaque
session des Étals-Généraux 2. »
1 Verslag der Hancielingen,.., 48^9-1850, blz. 189.
2 Exposé historique,,,, p. 129.
( 79 )
§ 3. — LA CHAMBRE GÉNÉRALE DES COMPTES
ET LA COMPTABILITÉ PUBLIQUE.
Un arrêté du prince-souverain Guillaume I®', roi des Pays-
Bas, du 30 novembre 1814, avait institué une Chambre des
comptes pour les départements de la Belgique, appelés à
former les provinces méridionales du nouveau royaume.
La loi fondamentale de 1815 confirma cette institution.
L'article 202, alinéa 1, déclare : c( Il y a pour tout le royaume
une Chambre des comptes, chargée de l'examen et de la liqui-
dation des comptes annuels des départements d'administra-
tion générale, de ceux de tous les comptables de l'Etat et
autres^ conformément aux instructions données par la loi. »
En exécution de cet article, la loi du 21 juin 1820 organisa
la Chambre générale des comptes et précisa ses attributions et
ses devoirs.
Enfin, un volumineux règlement générai sur l'administration
des finances — il ne comprenait pas moins de 453 articles —
approuvé par un arrêté royal du 24 octobre 1824 ^, précisa tous
les détails de la comptabilité publique et de l'administration
financière et notamment le rôle de la Chambre générale des
comptes.
La Chambre siégeait à La Haye. Elle se composait de seize
membres, choisis, selon la prescription de la loi fondamen-
tale, autant que possible dans toutes les provinces (art. 202,
al. 2} et nommés par le Roi sur une liste triple de candidats
présentés par la seconde Chambre des États -Généraux
(art. 202, al. 3). Elle comprenait, en outre, un secrétaire,
nommé, lui, directement par le roi (loi de 1820, art. 4).
La loi de 1820 lui donnait les principales attributions sui-
vantes :
1*» Exercer un contrôle exact sur les dépenses et sur la
comptabilité des fonds, biens et propriétés de TÉtat (art. 12) ;
* Cf. supra^
(80)
^ Examiner et clôturer le compte des revenus ordinaires
et extraordinaires de l'État, destinés par la loi à faire face aux
dépenses publiques. Ce compte sera transmis par l'administra-
tion à la Chambre, accompagné de pièces justificatives consta*
tant que les sommes y énoncées sont versées au trésor du
royaume (art. 13).
L'administration transmettra de même à la Chambre, pour
y être examiné et clos, le compte des dépenses ordinaires et
extraordinaires de l'État. La Chambre n'admettra définitive-
ment dans ce compte aucun paiement dont la vérification et
la liquidation voulue par l'article 15 n'auraient pas eu lieu
(art. 18) ;
3® S'opposer au transfert des crédits d'un ministère à un
autre. « La Chambre générale des comptes veillera spéciale-
ment à ce que les dispositions contenues dans Tarticle 127 de
la loi fondamentale, par rapport aux dépenses publiques, aient
leur plein efiet et que les sommes des budgets décennal et
annuel, dont nous avons accordé la disposition, ne soient
surpassées, ni employées à d'autres fins que conformément à
ces dispositions (art. 14) ;
4° L'article 15 attribue nettement à la Chambre le contrôle
préventif des dépenses publiques : « Aucune disposition pour
paiement de quelque dépense de TÉtat, affectée sur le budget,
ne pourra être ordonnée, si au préalable cette dépense n'est
vérifiée^ liquidée et enregistrée à la Chambre^.
» Tous paiements provisoires, lesquels pourront d'après
notre autorisation être ordonnés par un département d'admi-
nistration générale, seront considérés comme des avances et
devront être soumis à l'examen, la liquidation et l'enregistre-
* Le rapport de la section centrale constate que la majorité dans une
section et les membres d'une autre ont pensé que les attributions données
par cet article et d'autres du projet sont hors du cercle de celles voulues
par l'article 202 de la loi fondamentale, et qu'aux termes de cet article la
Chambre des comptes serait seulement chargée de l'examen et de la
liquidation des comptes annuels des départements d'administration
générale et de ceux de tous les comptables de l'État et autres.
(81)
ment de la Chambre générale des comptes, avant de pouvoir
être reconnus dépenses légales de l'État.
» Les règles à suivre à cet égard seront arrêtées par nous
après avoir entendu la Chambre. »
L'article 16 ajoute : ce La Chambre générale des comptes ne
pourra procéder aux liquidations mentionnées à l'article pré-
cédent, à moins qu'il ne lui conste que la dépense a été
autorisée par nos arrêtés généraux ou spéciaux. »
S"" L'article 20% de la loi fondamentale chargeait la Chambre
des comptes de l'examen et de la liquidation des comptes de
tous les comptables de l'État et autres.
L'article 22 de la loi de 1820 organise partiellement cette
disposition en décidant que « la Chambre générale des comptes
arrêtera et clorra les comptes des receveurs généraux dans les
provinces; elle devra s'assurer que les revenus de l'État y
soient portés conformément au compte général des recettes,
qui lui sera transmis conformément à ce qui est prescrit dans
l'article 13.
» Pour ce qui concerne les dépenses publiques, la Chambre
générale des comptes devra s'assurer que ces dépenses forment
partie du compte mentionné à l'article 18, avant de les
admettre définitivement dans ceux des receveurs généraux ».
Quant aux autres comptables de l'État, soumis au contrôle
de la Chambre, la loi, contrairement à l'avis exprimé par la
section centrale, en abandonne la désignation à des arrêtés
royaux : a Nous désignerons, en outre, par des arrêtés spé-
ciaux, les comptables ordinaires et extraordinaires du royaume
et autres, dont les comptes d'administration de fonds ou de
biens et propriétés du royaume seront examinés et clos par la
Chambre générale des comptes, en y comprenant, dans tous
les cas, ceux qui toucheront des deniers publics à charge d'en
rendre compte (art. 23). »
6" Les articles 20 et 21 organisent le contrôle de la dette
publique. « Le double du grand-livre de la dette nationale
sera déposé à la Chambre générale des comptes et sera tenu
Tome LXVL 6
( 82 )
conformément aux règlements déjà arrêtés ou à arrêter. A
regard de Tinscription des pensions, les règlements arrêtés ou
à arrêter seront observés, ainsi que la règle générale comprise
à l'article 16 (art. 20). »
c< La Chambre générale des comptes tiendra également des
registres de tous les emprunts, avances et autres opérations
au profit du trésor, à TefFet d'en assurer la comptabilité
(art. 21). «
Cette organisation, quelque développée et bien conçue
qu'elle puisse paraître à première vue, ne répondait cependant
pas aux exigences d'une comptabilité publique rationnelle
dans un gouvernement représentatif.
Comme nous le disions plus haut, le gouvernement du
royaume des Pays-Bas n'avait que les formes extérieures et
pour ainsi dire la façade d'un gouvernement parlementaire.
C'est le roi, en réalité, qui exerçait tous les pouvoirs et les
ministres qu'il nommait n'étaient pas responsables vis-à-vis du
Parlement.
L'article 61 de la loi fondamentale attribuait expressément
au roi la direction suprême des finances, et ce droit il l'exer-
çait de manière à rendre pratiquement vaines et illusoires
toutes les garanties constitutionnelles destinées à ménager le
contrôle de la gestion financière du gouvernement.
Aussi la Chambre des comptes, qui était théoriquement
investie de ce contrôle, n'avait pas les moyens de l'exercer
efficacement.
Et d'abord, elle n'était pas indépendante du gouvernement,
dont elle avait mission de surveiller les actes financiers.
Ses membres étaient nommés par le roi, non pas directe-
ment, il est vrai, puisque le Parlement avait un droit de pré-
sentation. Mais à cela se bornait le droit de ce dernier, car les
membres de la Chambre étaient destituables à volonté par lu
roi qui les nommait.
Au cours des travaux parlementaires de la loi de 1820, des
sections avaient proposé de déclarer inamovibles les membres
(83)
(le la Chambre, — voulant leur donner ainsi une garantie
d'indépendance — ou du moins de fixer la durée de leurs
fonctions.
Nous lisons, en effet, dans le rapport de la section centrale :
« Une section, vu surtout le mémoire du ministre duquel il
résulterait que les membres de la Chambre des comptes ne seraient
pas inamovibles, mais destituables à volonté, a déclaré unanime-
ment persister de plus en plus dans l'opinion que ces emplois
(levaient être inamovibles pour que l'institution pût corres-
pondre à son objet...
» Une autre section a développé son observation à cet égard,
en disant que dans l'intérêt du roi et celui de l'État, les mem-
bres de la Chambre générale des comptes doivent jouir de la
plus haute indépendance si on ne veut pas les assimiler à des
commis des ministres, amovibles au gré de ceux dont ils doivent
surveiller et arrêter les comptes; que personne ne s'est imaginé
que même ceux actuellement existants ne fussent nommés à
vie, qu'il est au moins dans le domaine de la loi de fixer la
durée de fonctions aussi intéressantes et que si elle n'est pas à
vie, la loi fondamentale aura manqué son but en instituant
une Chambre des comptes. »
Mais ces propositions ne furent pas suivies et aucun article
de la loi ne stipule l'inamovibilité des membres de la Chambre
des comptes ou ne précise la durée de leurs fonctions.
De plus, le roi nommait directement le secrétaire de la
Chambre dont les fonctions et la situation étaient prépondé-
rantes au sein de celle-ci.
De même, toutes les nominations des employés de la Cham-
bre et toutes les instructions à lui donner émanaient de celui
qui avait la direction suprême des finances ^.
* Cf. Considérations sur les systèmes politiqtœs de comptabilité des
gouvernements belge et des Pays-Bas, suivi d'un tableau général du
mouvement de la dette publique jusqu'en 4830, à Toccasion de la revision
de la loi qui institue la Cour des comptes, par un Belge, attaché à la
Cour des comptes. (F. Rapaert, conseiller à la Cour.) Bruxelles, H. Remy,
imprimeur du Roi, 4835, p. 18.
(84.)
Dépendante du gouvernement dans sa cotnposition, la
Chambre générale des comptes se trouvait aussi très empêchée
d'exercer normalement ses multiples attributions.
L'article 14 de la loi de 1820 la chargeait, par exemple, du
soin de veiller spécialement à l'application de l'article 127 de
la loi fondamentale, qui établit la spécialité des crédits par
ministère ou par département d'administration générale et
interdit le transfert des crédits d'un chapitre d'administration
générale à un autre chapitre, sans le concours des États-
Généraux.
Mais cette spécialité était absolument insuffisante pour per-
mettre à la Chambre — ce qui eût été sa mission normale —
de s'assurer que les crédits alloués au gouvernement étaient
réellement employés à l'objet pour lequel il les avait obtenus.
En effet, c'est le roi qui détermine lui-même les chapitres
du budget (art. 75 de la loi fondamentale), et il lui est loisible,
dans les limites d'un même chapitre, de faire toutes les
dépenses qu'il juge à propos, sans s'inquiéter de l'attribution
spéciale des crédits^.
Dans ces conditions, le rôle attribué à la Chambre des
comptes par la loi était bien diminué et presque illusoire.
11 en était de même de son contrôle préventif (art. 15). « Cette
innovation était alors de peu d'importance, car le chef du
nouvel Etat, comme le chef de l'Empire (français) qui venait de
s'écrouler, avait la direction suprême des tinances, d'après la
' D'après la loi fondamentale, le roi Guillaume pouvait faire des
transferts dans chaque chapitre du budget, sans l'autorisation de la
Législature. Toutes les subdivisions, tous les chiffres à l'appui des projets
n'étaient que des moyens d'apaiser les plus scrupuleux, de contenter les
curieux, de justifier le montant des dépenses, sauf à bouleverser après
l'approbation toutes les combinaisons primitives de chaque département
d'administration générale. (Cli. de Brouckere, administrateur général des
finances. Exposé des motifs du budget des dépenses pour le premier
semestre 1834. — Séance du congrès national, 13 janvier 1831. Huyttens,
IV, p. 499.)
(88 )
loi fondamentale, sans avoir à rendre compte de leur gestion à
la représentation nationale ^ . »
Il avait notamment une faculté illimitée d'ordonner des
paiements provisoires ou avances (art. 15, al. S), et il n'existait
aucune sanction à Fexamen et à la liquidation préalable con-
cédée à la Chambre des comptes.
Si l'article S2 de la loi de 1820 confie à la Chambre des
comptes le contrôle des recettes, en ce qui concerne les rece-
veurs généraux, et si l'article 23 de la même loi prévoit l'exten-
sion de ce contrôle, par voie d'arrêtés, à d'autres comptables,
ces articles ne reçurent jamais d'exécution.
« Le gouvernement hollandais, qui avait adopté le principe
de n'admettre que l'œil du maître pour contrôler les finances,
et qui repoussait par conséquent tout ce qui aurait pu répandre
quelque jour sur la gestion des deniers publics, ne permit pas
à la Chambre des comptes de vérifier les receltes.
» En effet, le règlement sur l'administration des finances du
24 octobre 1824, délayé en 453 articles, ne tarda pas à paraître.
Ce règlement modifia complètement le système de comptabi-
lité, supprima les seuls justiciables que la loi de 1820 avait
donnés à la Chambre des comptes et se garda de lui en
assigner de nouveaux.
» La Chaipbre des comptes fut donc chargée d'arrêter des
comptes et n'eut pas de justiciables; elle eut à vérifier des
recettes, sans moyens d'en obtenir la justification, et à liquider
des dépenses, d'après le bon vouloir du Pouvoir exécutif. Le
ministre des finances puisait dans le trésor public, sans autre
contrôle que celui du chef d'État 2. »
Enfin, il n'existait aucun contrôle parlementaire sur la
gestion des finances publiques. Le Parlement votait les impôts,
* Rapport de M. de Man d'Attenrode, au nom de la section centrale,
sur le projet de loi concernant la comptabilité de l'État. (Session de
1844-1845, Doc. pari., no 160.)
» Ihidein.
(86)
il autorisait aussi les dépenses et allouait au gouvernement les
crédits que celui-ci réclamait, mais il ne disposait d'aucun
moyen de s'assurer que les crédits qu'il votait recevaient l'emploi
auquel il les avait affectés. L'article 128 de la loi fondamentale
obligeait certes le roi à faire mettre annuellement sous les yeux
des États- Généraux un compte détaillé de l'emploi des deniers
publics. Mais c'était là une pure formalité. Le Parlement
n'avait pas à examiner ce compte, ni à en délibérer, ni à
l'arrêter^. La loi des comptes n'existait pas et les ministres
n'étaient pas responsables vis-à-vis du Parlement.
Aussi pouvons-nous conclure, avec M. de Man d'Attenrode 2 :
c( La Chambre des comptes, comme dans les États où la
représentation du pays ne peut s'enquérir de l'emploi des
subsides, fut donc réduite au rôle d'auxiliaire de l'administra-
lion : elle ne fut qu'un bureau où le gouvernement réunissait,
pour ses propres investigations, les pièces justificatives des
dépenses, afin de s'assurer qu'elles avaient été faites conformé-
ment à ses ordres, dans la limite de la répartition qu'il avait à
faire des crédits généraux ».
Ce qu'on a justement appelé c< la comptabilité politique »
laissait donc beaucoup à désirer sous le gouvernement du roi
Guillaume, et la « comptabilité matérielle » -^ bien que très
* « La chose était rationnelle. En effet, sur quoi eussent porté et les
discussions, et les recherches, et les observations, en présence des
crédits absolus, accordés sans délimitation aucune? Tous les documents
que le pacte fondamental prescrivait de présenter aux Chambres étaient
dans leur essence frappés d'une insignifiance complète; ils étaient
véritablement dérisoires pour la nation à qui on les offrait; aussi,
pendant toute la durée du royaume, aucun compte n'a été ni publié, ni
arrêté, ni discuté; et. en vérité, c'eût été un hors-d'œuvre. » (Cf Consi-
dérations sur les systèmes politiques, etc., pp. 13-14.)
2 Rapport de la section centrale, cité plus haut. L'honorable rapporteur
emprunte d'ailleurs cette remarque à l'auteur des Considérations sur les
systèmes politiques, etc., p. 19 in fine,
5 « Le gouvernement des Pays-Bas possédait une tenue de livres
parfaite; aucun denier n'entrait, aucun denier ne sortait des caisses
( 87 )
perfectionnée, ne pouvait suppléer évidemment à TinsufBsance
de la première.
Cependant, on s'exposerait à porter sur cette organisation
budgétaire et comptable du royaume des Pays-Bas un juge-
ment peu équitable, si Ton se bornait à la comparer aux insti-
tutions plus développées et plus libérales qui Tont remplacée
après 1830.
Il ne faut pas perdre de vue, en effet, qu'avant cette époque,
les institutions budgétaires modernes étaient encore dans
l'enfance, comme les institutions parlementaires elles-mêmes,
et que la plupart des pays, si Ton excepte l'Angleterre, étaient
loin d'avoir réalisé un régime libéral attribuant aux représen-
tants de la nation une influence réelle dans la gestion des
finances publiques.
On pourrait même soutenir que les lois politiques et consti-
tutionnelles des Pays-Bas avaient réalisé un progrès et, en
tout cas, on peut affirmer que le royaume des Pays-Bas n'était
pas, sous ce rapport, dans une situation plus mauvaise que ses
voisins du continent.
La France seule faisait exception, grâce aux réformes finan-
cières accomplies dans ce pays, sous la Restauration, sur l'ini-
tiative notamment de M. de Villèle i.
Cependant, on peut encore relever dans les institutions déjà
très libérales existant sous Louis XVIH, de sérieuses lacunes,
notamment en matière de spécialité budgétaire.
« Depuis le début de la Restauration, malgré le silence de la
publiques sans que Tenlrée ou la sortie n*en fût à la fois constatée et
justifiée dans ses motifs : d'abord dans les livres locaux, si je puis
m'exprimer ainsi, tenus sur les lieux par ceux qui faisaient directement
les recettes et les dépenses; ensuite dans des livres de centralisation,
tenus aux administrations générales chargées de l'examen et de la vérifi-
cation des pièces. » (Cf. Considérations, etc., pp. 4-5.)
* Cf. Stocrm, Le budget, passim, spécialement chapitres II, XIII, XXX.
— Georges Surleau, Les réformes financières de M. de Villèle, Paris,
Larose, 1901 (thèse), spécialement 2* partie, chapitres I, II, IV, V.
^
(88)
Charte, les députés votaient quand même le budget des
dépenses. Seulement, leur vote ne portait que sur Tensemble
des crédits, lesquels se trouvaient ainsi mis en bloc à la dispo-
sition du gouvernement; le détail ne figurait dans la loi du
budget qu'à titre de renseignement annexe. i
» D'après Tarticle 151 de la loi du 25 mars 1817, non seule-
ment le Parlement demeure chargé d'ouvrir les crédits néces-
saires aux divers services publics, mais il pénètre dans leurs
détails, il en spécialise la distribution par ministère i. »
Cette loi créait la spécialité des dépenses par ministères, au
lieu du vote des dépenses en bloc. « L'innovation réalisait sans
doute un progrès considérable pour l'époque, en posant pour
la première fois le principe de la spécialité. Hais ce principe
étendu à tout un ministère laissait au gouvernement beaucoup
trop de latitude, les ministres, une fois la loi de finances
votée, demeurant maîtres de se mouvoir à leur guise dans des
cadres de 100, 120 et jusqu'à 190 millions de crédits en bloc.
Pourvu que ces blocs fussent respectés, l'aménagement des
éléments qui les composaient pouvait être impunément bou-
leversé 2. »
A ce moment, la spécialité budgétaire n'était donc pas plus
avancée en France qu'elle ne l'était dans le royaume des Pays-
Bas.
Mais les libéraux ne cessèrent de protester contre ce système,
et en 1827 une ordonnance de M. de Villèle, du 1«' septembre,
fit faire un pas de plus à la spécialité, en la restreignant à des
sections formées dans l'intérieur de chaque ministère : <c A
partir de l'exercice 1829, dit l'article 1", le projet de budget
général de TÉtat présentera directement l'évaluation des
dépenses par branches principales de services.
» En conséquence, le vote du budget de l'exercice 1829
porta non plus seulement sur sept ministères, mais sur
cinquante-deux subdivisions budgétaires : la réforme avait
* Stourm, loc, cit,f p. 48.
« Ibid., pp. 293-294.
(89)
donc uoe certaine valeur. Mais elle péchait d'abord par son
origine, puisqu'elle émanait d'une simple ordonnance, dont le
gouvernement se réservait chaque année de reviser les cadres.
Puis les sections formaient encore des subdivisions d'une
étendue trop considérable, quelques-unes comprenant 25, 33,
42, 45 et même 169 millions.
» La révolution de 1830 provoqua un pas en avant décisif.
Le vote par chapitre fut alors édicté par la loi du 29 jan-
vier 1831 (art. 11, 12) <. »
Si Ton excepte la spécialité budgétaire, qui ne reçut une
solution satisfaisante qu'après la chute de Louis XVIII, on peut
dire que la France de la Restauration possédait une organisa-
tion budgétaire digne d'un gouvernement parlementaire.
Elle connaissait en effet le vote annuel du budget, la loi des
comptes depuis la loi du 15 mai 1818 ^ et avait développé
d'une manière heureuse les attributions parlementaires de la
Cour des comptes, solidement établie déjà dès 1807 dans ses
attributions judiciaires 3.
Il n'est pas étonnant que ces institutions libérales françaises
aient inspiré sur bien des points l'œuvre législative de nos
constituants belges de 1830.
CHAPITRE IV.
Le Congrès national et la Constitution belge.
Il nous serait difficile toutefois d'établir d'une manière
précise cette influence des réformes de M. de Villèle sur l'éla-
boration du système budgétaire de la Constitution belge,
bien que nous soyons persuadé que c'est par le canal des
institutions françaises qu'a pénétré chez nous l'ensemble des
* STomn, toc, cit., pp. 294-295,
« Ilfid., p. 606.
3 Ibid,, pp. 593et suiv.
( 90)
principes financiers très libéraux qui caractérisent Tœuvre des
constituants de 1830.
Plus tard, dans la loi de comptabilité du 15 mai 1846 et
dans les règlements généraux qui Font suivie, Tinfluence
française est très nettement marquée. Des textes entiers des
lois et règlements de la comptabilité française ont passé dans
la comptabilité belge, et nous aurons plus d'une fois Toccasion
de les signaler.
Mais les discussions du Congrès national sur les articles du
pacte constitutionnel relatifs aux fmances publiques ont été
très sommaires, peu explicites et ne permettent pas de discer-
ner avec précision leur origine directe.
Le titre IV : Des finances, a d'abord été l'objet d'un rapport
très laconique, fait au Congrès, dans la séance du 22 janvier
1831, par le chevalier de Theux de Meylandt ^.
La discussion a été très rapidement menée dans les séances
des 26 et 27 janvier 1831 2 et n'a guère porté sur les principes
essentiels*
D'autre part, les constituants ont eu soin d'adopter un
régime financier diamétralement opposé à celui du royaume
des Pays-Bas. Leur œuvre s'inspira naturellement d'une
réaction contre les règles et les pratiques financières du gou-
vernement précédent.
Ils proclamèrent notamment que tout impôt doit être établi
par une loi (art. 110) et que les impôts au profit de l'État sont
votés annuellement, insistant d'ailleurs sur ce point, que les
lois qui les établissent n'ont de force que pour un an si elles
ne sont renouvelées (art. 111), et que les Chambres votent
chaque année le budget (art. 115) : tout cela pour prévenir les
abus auxquels donnait lieu le budget décennal.
De même, la règle de l'universalité du budget est établie
* HuYTTENS, Discussions du Congrès national, lY^ n» 61, pp. 105 et
suiv.
« Ibid., II, pp. 274-276 et 281 et suiv.
I
(94)
par Tarticle 118, alinéa 2 : il n'y a plus place* sous le régime
nouveau, pour le budget net et les budgets occultes.
Le compte annuel des finances de l'État ne sera plus soumis
au Parlement, à titre de simple renseignement, mais les
Chambres le contrôleront et voteront chaque année la loi des
comptes (art. 115, al. 1).
La Cour des comptes sera complètement indépendante du
gouvernement dont elle a mission de surveiller les actes. Ses
membres seront nommés par la Chambre des représentants.
La Cour sera en quelque sorte une commission de la Cham-
bre, et parmi les attributions étendues que lui confère Tar-
ticle 116, les constituants ont eu soin d'inscrire celle qui sera
une garantie sérieuse du principe de la spécialité budgétaire,
si méconnu sous le régime antérieur : la « Cour veille à ce
qu'aucun transfert n'ait lieu ».
Il nous suffira, pour le moment, d'indiquer ces principes
fondamentaux de notre organisation financière. Nous aurons
l'occasion d'y revenir et de les examiner d'une manière plus
détaillée, à mesure que nous avancerons dans cette étude.
PREMltîRE PARTIE
LA PRÉPARATION DU BUDGET
SOMMAIRE :
Chapitre premier. — L'absence d'unité dans le budget belge,
§ 1. — La pratique belge des budgets spéciaux et divisés.
§ 2. — La forme extérieure des budgets. — L'arrêté royal du
19 février 1848.
§ 3. — La tentative de réforme de M. Graux : le budget de 1884.
§ 4. — Le budget extraordinaire :
A. — La situation avant 1884;
B. — La réforme de M. Graux;
C. — Le budçfet extraordinaire organisé par M. Beernaert ;
D. — La distinction des dépenses exceptionnelles et des
dépenses ordinaires, inaugurée en 1895.
§ 5. — Appréciation critique de cette organisation.
Chapitre IL — La procédure belge en matière de préparation de budget.
Le comité permanent du budget.
Chapitre IIL — La règle de V universalité.
§ 1. — L'article 115, alinéa 2 de la Constitution.
§ 2. — Étendue d'application de la règle :
A. — Le budget belge est un budget brut ;
B. — Loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité : article 16 ;
C. — Le budget des recettes et dépenses pour ordre.
§ 3. — La spécialisation.
Chapitre IV. — L'évaluation des recettes et des dépenses. Les crédits
complémentaires et les crédits supplémentaires.
Chapitre V — Époque de la présentation du budget à la Chambre. (Loi
du 15 mai 1846 : art. 1. — Loi du du 24 juillet 1900.)
(93)
CHAPITRE PREMIER.
L'absence d'unité dans le budget belge.
§ 1. — La pratique des budgets spéciaux et divisés.
Depuis l'époque où une administi'ation régulière a pu être
organisée en Belgique après les événements de 1830, et
jusqu'en 1846, le budget de l'État était présenté par le gouver-
nement en deux projets de loi distincts, dont l'un, compre-
nant toutes les dépenses publiques, était intitulé : Budget
général des dépenses et services du royaume, et l'autre, consacré
aux recettes, était dénommé : Budget général des voies et
moyens.
Ces deux projets étaient déposés à des époques différentes.
En novembre 1840, par exemple, le ministre des finances
soumet à la Chambre le projet fixant à fr. 103,632,724 31, pour
l'exercice de 1841, les budgets de la dette publique, des
dotations, des services généraux des ministères et des non-
valeurs et remboursements, et à 1,714,000 francs le budget des
dépenses pour ordre. Le 21 décembre suivant sont déposés le
budget des voies et moyens, s'élevant à 101,464,464 francs, et
celui des recettes pour ordre, évaluées à 1,514,000 francs.
De même, pour l'exercice 1846, un premier projet de loi
comprend le budget des recettes de l'État et les recettes pour
ordre, un second projet tous les budgets de dépenses et les
dépenses pour ordre. Ces deux projets réunis forment le budget
des recettes et des dépenses du royaume de Belgique, et leur
présentation est précédée d'un discours du ministre envisa-
geant, dans son ensemble, la situation financière.
Mais, selon la marche des travaux de la Chambre, le projet
(94)
unique, proposé pour les budgets de dépenses, était divisé en
lois séparées relatives à un ou plusieurs départements ou
services. Ainsi en 1846, du 21 janvier au 18 juin, plusieurs
lois publièrent successivement les budgets des dépenses, à
mesure qu'ils étaient votés ^.
Aussi jugea-t-on opportun de consacrer cette pratique et de
présenter dorénavant à la Chambre des projets de loi distincts,
correspondant chacun à un service budgétaire déterminé et
présentés à des époques différentes.
Ce changement fut inauguré pour l'exercice 1847. En avril
1846, le gouvernement présenta les projets de loi relatifs à la
dette publique, aux dotations, aux non-valeurs et rembourse-
ments, et aux départements de la justice, des affaires étran-
gères, de la marine et des finances. En novembre de la même
année, ce fut le tour du budget général des voies et moyens,
et des projets de loi fixant le budget des dépenses et services
du ministère de l'intérieur et du ministère des travaux
publics.
Enfin, depuis 1849 jusqu'à nos jours, exception faite pour
le budget de 1884^, tous les gouvernements qui se sont
succédés aux affaires ont conservé cette pratique des budgets
spéciaux et divisés, avec cette différence, qu'au lieu d'être
déposés à la Chambre à des époques variables, les différents
projets de loi sont proposés tous ensemble à une même
époque, actuellement au plus tard le 31 octobre de Tannée qui
précède l'ouverture de l'exercice 3.
A cette date, les projets de budgets doivent être imprimés et
distribués aux membres des Chambres législatives, de manière
que ceux-ci puissent s'en occuper dès la rentrée des Chambres,
dont la session ordinaire s'ouvre de plein droit le second
mardi de novembre.
* Cf. Ch. des Représ., sess. de 4884-4885, Doc. pari., no 3.
« Cf. § 3, infra.
5 Cf. infra, chap. V. Loi du 24 juillet 4900.
(95 )
§ 2. — La forme extérieure des budgets. L'arrêté royal
du 19 février 1848.
C'est dans les conditions que nous venons d'exposer que
furent présentés les budgets des recettes et des dépenses pour
l'exercice 1902.
A l'époque voulue, le ministre des finances soumit à la
Législature treize projets de loi formant le budget général des
recettes et des dépenses du royaume pour l'exercice 1902, et un
quatorzième projet contenant le budget des recettes et des
dépenses pour ordre.
Les treize premiers projets constituent le service ordinaire
des recettes et dépenses du royaume.
Le budget des recettes et dépenses pour ordre est un simple
budget de comptabilité, ne renfermant que par exception des
receltes et des dépenses réelles de l'État i.
A une époque variable, le gouvernement dépose, en cours
de session, un quinzième projet de budget consacré aux
recettes et dépenses extraordinaires 2. Pour 1902, ce budget a
été déposé à la séance du 15 avril 1902, trois semaines à peine
avant la clôture de la session.
Des treize projets de loi qui forment le budget ordinaire de
l'État, le premier est le budget des recettes ou budget des
voies et moyens.
Les douze autres sont des budgets de dépenses, dont :
Huit concernent les huit départements ministériels;
Un le corps de la gendarmerie :
Dn la dette publique (service de la dette proprement dite,
annuités diverses, rémunérations et pensions, intérêts sur
cautionnements et consignations) ;
Un les dotations (liste civile, dotation de S. À. R. le comte
* Cf. infra, chap. 111, § 2.
« Cf. infra, § 4.
(96)
de Flandre, Sénat, Chambre des Représentants, Cour des
comptes);
Un les non-valeurs et remboursements (cotes irrécouvrables
sur les diverses contributions, restitutions de droits indûment
perçus, etc.). J
Le projet de budget des voies et moyens pour 1902 est
précédé d'une note préliminaire, donnant toutes les explica-
tions et les éclaircissements nécessaires, et suivi de deux |
tableaux, dont l'un énumère, article par article, les différentes
sources de produits et donne le montant des évaluations de
recettes par article et le total par chapitre^ et dont l'autre con-
tient un état des produits et revenus réalisés pendant les exer-
cices 1896, 1897, 1898, 1899 et 1900, et une comparaison des
évaluations de recettes pour 1901 avec les évaluations propo-
sées pour 1902.
Le projet de loi lui-même est divisé en deux titres. Le pre-
mier, suivant une habitude qui tend à devenir la règle, et dont
nous aurons l'occasion de reparler, apporte une série de modi-
fications de détail à diverses lois d'impôt, en matière de
contributions directes, de douanes et d'accises.
Le second, par application de l'article 111 de la Constitu-
tion ^, renferme d'abord une disposition en vertu de laquelle
« les impôts directs et indirects, en principal et centimes addi-
tionnels au profit de l'État, existant au 31 décembre 1901,
seront recouvrés, pendant l'année 1902, d'après les lois et les
tarifs qui en règlent l'assiette et la perception (art. 5) » ; puis
une autre disposition qui contient Vévaluation du produit des
recettes ordinaires pour 1902 (art. 6); enfin, la formule qui
déclare la loi obligatoire le l*' janvier 1902 (art. 7).
Les projets des budgets de dépenses sont présentés sous
une forme analogue. Cette forme a été déterminée par l'arrêté
* Article 144 : « Les impôts au profit de TÉtat sont votés annuellement.
Les lois qui les établissent n*ont de force que pour un an, si elles ne
sont renouvelées. »
(97 )
royal du 19 février 1848 ^, dont les principales prescriptions
sont encore appliquées actuellement.
Chaque budget est précédé d'une note préliminaire « ayant
pour but d'expliquer sommairement toutes les parties du
projet présenté » (art. 6). Les explications qui sont conte-
nues dans ces notes préliminaires portent surtout sur les
augmentations ou diminutions des crédits demandées par le
gouvernement.
Le projet de loi fixant les dépenses de chaque département
est accompagné de deux tableaux :
1® L'un résume, par articles, le montant des crédits
demandés;
2*» L'autre développe ces articles par litteras et autres sub-
divisions jugées utiles pour éclairer les Chambres dans
l'appréciation des crédits demandés (art. !«').
Ce dernier tableau de développements fait dans ce but la
comparaison des crédits demandés pour l'exercice précédent
avec ceux demandés pour le nouvel exercice 2, et il contient
une série d'annotations ou d'observations explicatives qui n'ont
pas trouvé place dans la note préliminaire.
De plus, le projet de loi est encore suivi fréquemment
d'annexés explicatives « si la nature des services l'exige »
(art. 1").
Le budget de la dette publique est suivi, par exemple, de
quatre annexes, dont la première indique les sommes payées
à titre de minimum d'intérêt de 1894 à 1899 et les autres sont
relatives au service des pensions. A la suite du budget de
* Cf. Moniteur du 7 mars 4848, n» 67.
2 II indique, en outre, depuis le projet de budget pour 4885 (cf. Ch. des
Représ., sess. de 4883-4884, Doc, parL^iï^ 404), les crédits alloués pour
le pénultième et les dépenses faites dans l'antépénultième exercice.
Ainsi, les développements des budgets pour 4902 donnent les renseigne-
ments suivants :
4« La comparaison des crédits demandés pour 1902 et des crédits
alloués pour i90l ;
2o Les crédits alloués pour 4900 et les dépenses de Vexercice 4899,
Tome LXVI. ^ î :\Z^ ^^
(98)
l'agriculture et ries beaux-arts on trouve, comme annexe, un
relevé des œuvres de peinture et de sculpture en voie d'exé-
cution, indiquant la part de l'État, des provinces, des com-
munes et des établissements intéressés dans la dépense.
Tous les tableaux des divers projets de budget et les tableaux
de développement y annexés présentent d'une manière uni-
forme les évaluations de dépenses par branche de service
(art. 2).
Tous les articles d'un même budget sont numérotés, et il n'y
a qu'une seule série de numéros pour chaque budget, mais
les crédits sont totalisés par chapitres (art. 3).
Dans un même article on ne pourra confondre les dépenses
du personnel avec les dépenses relatives au matériel (art. 4). il
faut donc maintenir une distinction très nette entre ces deux
catégories de dépenses ^.
De même, l'arrêté de 1848 (art. 8 et 9) prescrivait d'établir
dans les projets de budget une distinction des crédits et
dépenses en charges ordinaires et permanentes et en charges
extraordinaires et temporaires, et en ce qui concerne les
recettes, une distinction en produits ordinaires et permanents
et produits extraordinaires et temporaires.
Cette dernière distinction a disparu purement et simplement.
La première a été remplacée 2 par celle des dépenses ordi-
naires et dépenses exceptionnelles qui, depuis 1895, s'est
introduite dans les divers budgets de dépenses 3.
* a II est aussi à désirer que les allocations destinées au personnel
soient distinctes de celles destinées au matériel, de manière à mettre
obstacle à ce que le gouvernement puisse disposer des crédits destines
au matériel pour augmenter les traitements, et à permettre une appré-
ciation plus sûre des actes des ministres, lors de la discussion des
projets de lois de comptes. » (Rapport de la section centrale sur le
projet de loi concernant la comptabilité de l'État. — Ch. des Représ.,
sess. de 1844-1845, séance du 7 février 1845, ûoc, parL, n^ 460.)
* Elle avait été supprimée par le projet de budget pour 1885. (Ch. des
Représ., sess. de 1883-1884, Doc. parL, n^ 104.)
3 Cf. infra, § 4.
1
(99)
§ 3. — La tentative de réforme de M. Graux.
Le budget de 1884 ^.
Usant du droit qui appartient au ministre des finances de
déterminer dans quelle forme la loi de budget doit être sou-
mise au Parlement, M. Graux, rompant avec le mode de
présentation traditionnel depuis 1849, et qui devait être repris
dans la suite, réunit les budgets de 1884 en une seule grande
loi générale. « Nous ne vous proposerons plus, disait-il à la
Chambre, douze lois différentes, contenant des propositions
de dépenses, des crédits ouverts à chaque département minis-
tériel et une loi séparée pour le budget des voies et moyens;
je vous apporte le projet d'une seule loi, contenant le budget
général de TÉfat, contenant les prévisions de recettes et décré-
tant toutes les dépenses réparties entre les différents départe-
ments ministériels ^. »
Le projet de loi contenant le budget général du royaume de
Belgique pour l'exercice 1884 constituait un document impor-
tant de 644 pages 3. Il comprenait quatre parties :
L — Exposé des motifs (pages i-xxxn).
IL — Projet de loi portant fixation du budget (pp. 1-78).
liL — Développement du budget (pp. 79-578j.
IV. — Annexes à la situation du trésor (pp. 581-644).
Le projet de loi proprement dit, établissant le budget
général des recettes et dépenses, présentait l'aspect suivant *.
Il était divisé en cinq titres et dix-sept tableaux.
* Cf. V. Brants, Sur une forme nouvelle donnée au budget du royaume
de Belgique pour i884, (Notice dans le Bull, de la Soc. de législ.
comparée, 1883, t. Xll, pp. 437 et suiv.)
« Ch. des Représ., séance du 28 février 1883, Ann. parUy p. 450.
* Ibid., sess. de 4882-1883, Doc. pari., m 102.
* Ibid. — Cf. aussi Rapport de M. Demeur sur le budget général de
rÉlat, fait au nom de la section centrale. (Ch. des Représ., sess. de 1883-
4884, Doc. pari., n» 26.)
( 100 )
Le titre I établissait le budget ordinaire de l'État. II con-
cernait donc les dépenses qui se reproduisent chaque année et
dont le montant seul est variable, ainsi que les revenus annuels
de rÉtat qui doivent servir à payer ces dépenses.
L'article 1^ ouvrait aux divers départements ministériels
et services publics les crédits jugés nécessaires pour 1884.
Ces crédits étaient répartis entre eux, conformément aux
tableaux Il-XII annexés. Le tableau XHl contenait la récapi-
tulation des dépenses ordinaires.
L'article 2 indiquait la somme des revenus publics destinée
à subvenir à ces dépenses ordinaires et contenait la formule
d'exécution de la disposition constitutionnelle qui prescrit le
vote annuel des impôts (tableau [).
L'évaluation de ces recettes, mise en regard des dépenses
pour lesquelles les crédits sont ouverts, donne l'excédent, en
receltes ou en dépenses, des services ordinaires.
Pour 1884, le projet prévoyait un excédent de dépenses de
plus de 26 millions. Cet excédent devait être soumis au vote de
la Législature, contrairement à la pratique suivie jusqu'alors
et depuis. « Le but principal de cette disposition, disait
l'Exposé des motifs, est de mettre en évidence le résultat du
budget de chaque exercice, tel qu'il est proposé et tel qu'il est
voté. »
Le titre II était relatif aux dépenses sur ressources extra-
ordinaires (tableau XIV). Il contenait donc le budget extraordi-
naire et réalisait une importante innovation dans l'organisa-
tion budgétaire. Nous nous en occuperons spécialement plus
loin ^.
Le titre III était intitulé : Dépenses sur ressources spéciales.
Le tableau XV qui les comprenait était divisé en trois cha-
pitres : subsides, fonds de remploi, services divers. « Les
subsides, disait l'Exposé des motifs, sont des fonds de con-
cours offerts à l'État par les provinces, les villes et les com-
munes et même par des particuliers, pour aider soit à la
* Cf.§4B.
( 401 )
construction de routes, soit à l'exécution d'autres travaux
d'utilité publique.
» Les fonds de remploi proviennent en très grande partie
soit de prestations d'un service public à un autre, soit de la
cession, par adjudication publique, de matières ou de maté-
riaux hors d'usage. Il ne peut-en être fait emploi que pour
autant qu'ils demeurent affectés au service même d'où ils pro-
viennent.
» Les services divers se composent des cautionnements
d'entrepreneurs défaillants et des créances recouvrées à charge
des provinces et des communes du chef de remboursements
d'avances relatives aux dépenses de l'enseignement primaire
Les cautionnements d'entrepreneurs défaillants sont attribués
au Trésor pour servir au règlement du prix des travaux ou
des fournitures qu'ils ont laissés en souffrance. Les rembour-
sements d'avance sont destinés à être affectés à de nouveaux
prêts.
» Toutes dépenses imputables sur les recettes inscrites au
tableau XV doivent être soumises au visa préalable de la
Cour des comptes. »
La plupart de ces ressources spéciales étaient portées anté-
rieurement au budget des recettes et dépenses pour ordre.
C'était à tort, puisqu'elles n'étaient pas des fonds de tiers,
mais des fonds de l'Etat. D'autre part, on les avait réunies aux
fonds des tiers et placées dans le même cadre, parce que les
uns et les autres doivent être affranchis des règles qui fixent la
durée de l'exercice ^ .
L'Exposé des motifs indiquait d'ailleurs les raisons qui
avaient engagé le gouvernement à ne pas ranger ces ressources
spéciales parmi les services ordinaires ou extraordinaires,
mais sous une rubrique séparée 2.
* Cf. Rapport de M. Demeur et Exposé des motifs.
' Après l'abandon en 4885 du système du budget unique, celte caté -
gorie des ressources spéciales fut de nouveau rattachée au budget des
recettes et dépenses pour ordre, dont elle forme trois chapitres du
titre II, intitulé : Dépenses sur ressources spéciales, soumises au visa
préalable de la Cour des comples.
( 402 )
Le titre IV renseignait Jes fonds à percevoir et à payer pour
le compte de tiers : provinces, communes, établissements
publics et caisses diverses, à Tëgard desquels l'État remplit les
fonctions de caissier (loi du 15 mai 1846, art. 24). Le titre IV
(tableau XVI) correspondait donc au budget des recettes et
dépenses pour ordre.
Enfin, le titre V renfermait des dispositions diverses « depuis
longtemps en usage et maintes fois consacrées par la Législa-
ture ». Elles étaient rattachées antérieurement soit au budget
des travaux publics, soit au budget de la guerre (art. 9-12 du
projet de loi).
Le tableau XVII du projet de loi contenait le compte de
prévision de l'exploitation des chemins de fer de TÉtat pour
1884.
Ce nouveau mode de présentation du budget se caractérisait
donc essentiellement par la substitution d'un seul et unique
projet de budget général à la série de projets de loi, correspon-
dant chacun à un département ministériel ou à un service
public spécial.
Il en résultait pratiquement que le Parlement n'avait plus à
élaborer qu'une seule loi budgétaire. Il devait suffire désor-
mais de constituer une seule section centrale et de procéder à
une seule discussion et à un seul vole d'ensemble.
Aussi^ dans son Exposé des motifs, le ministre des finances
signalait à la Chambre l'opportunité d'apporter certaines
modifications à son règlement.
« Le budget, disait-il, constituant une loi unique, devrait
être soumis à l'examen d'une seule commission ou d'une
section centrale...
« Je pense qu'un examen préalable du projet de budget dans
son ensemble ne pourrait être fait utilement par toutes les
sections telles qu'elles sont constituées actuellement; mais
l'importance de la loi, la variété des objets auxquels elle
s'applique, la multiplicité des décisions que son étude com-
porte, exigent, selon moi, qu'elle soit soumise à une section
centrale plus nombreuse, à une sorte de commission du
budget qui serait élue par les sections. En la composant
( 103 )
de deux ou trois délégués par section, on constituerait une
section centrale de douze ou dix-huit membres.
» Celle-ci pourrait désigner un rapporteur général, qui
serait chargé d'exprimer les vues de la section centrale sur
Y'ensemble du budget, sur les éléments qui le constituent,
sur les conditions financières dans lesquelles il a été établi.
Elle nommerait aussi des rapporteurs spéciaux plus particu-
lièrement investis de la mission de traiter les questions poli-
tiques, administratives ou techniques que ferait naître l'examen
des chapitres relatifs aux divers services et aux divers mini-
stères. »
Le 25 avril 1883, la Chambre, s'inspirant de ces indications
gouvernementales, introduisit dans son règlement les disposi-
tions qui figurent encore actuellement à l'article 58 et qui sont
les suivantes :
« Pour l'examen du projet de loi contenant le budget géné-
ral de l'État, le nombre des rapporteurs nommés par chaque
section sera de trois.
» La section centrale chargée de cet examen comprendra en
outre, avec le président de la Chambre, conformément à
l'article 55, les deux vice-présidents.
» Elle nommera, à la majorité absolue, ceux de ses
membres qui seront chargés de faire rapport à la Chambre sur
l'ensemble et sur les diverses parties du budget.
» Les demandes de crédits supplémentaires ou extraordi-
naires seront toujours directement renvoyées à la section cen-
trale qui aura examiné .le budget de l'exercice auquel ces
crédits se rattachent. »
Le mode de discussion et de vote du projet de loi sur le
budget général fut d'autre part réglé par l'article 46 du règle-
inent de la Chambre, adopté par celle-ci le 39 janvier 1884.
Cet article 46 est libellé comme il suit :
« Par dérogation aux dispositions générales du présent
règlement, il sera procédé de la manière suivante à la discus-
sion et au vote du projet de loi réglant le budget général de
l'État :
( 404 )
» !• Après la discussion sur rensemble du projet de loi,
chaque tableau du budget sera mis en délibération conformé-
ment au règlement, depuis la discussion générale du tableau
jusqu'au second vote exclusivement;
» 2® La Chambre sera ensuite appelée à voler par assis et levé
ou par appel nominal, s'il est régulièrement demandé, sur la
partie du texte du projet de loi qui correspond au tableau;
» 3° Avant de faire l'appel nominal sur Tensembledu projet
de loi, il sera procédé, s'il y a lieu, à un vote de revision por-
tant exclusivement sur les propositions qui auraient pour
objet de mettre en concordance les votes définitifs partiels t. »
La forme nouvelle donnée au budget par M. Graux répon-
dait, d'après lui, à un vœu souvent exprimé à la Chambre.
Elle était recommandée aussi par l'avis unanime d'une com-
mission spécialement instituée 2 pour l'étude de celte forme
nouvelle.
Mais quels étaient donc les arguments invoqués pour la
modification proposée et les avantages intrinsèques que le
nouveau mode de présentation du budget possédait sur le
mode traditionnel?
On invoquait d'abord et les partisans du budget unique
invoquent aujourd'hui encore en sa faveur la nécessité pour
le Parlement d'examiner simultanément les recettes et les
* En même temps que la Chambre, le Sénat apportait à son règlement,
en avril et décembre 1884, les modifications jugées nécessaires pour
l'examen et la discussion du nouveau projet de budget.
L'article 49 du règlement du Sénat indique la manière dont se fera,
ainsi qu'à la Chambre, la discussion et le vote sur les différents tableaux
du budget et la partie du projet de loi qui y correspond.
L'article 50 porte : « Une commission spéciale, composée comme il
est dit à l'article 52, est chargée de l'examen du projet de loi contenant
le budget général de l'État. »
Article 52 : « Chaque commission délègue deux de ses membres pour
faire partie de la commission générale du budget général de l'État.
Le président du Sénat préside de droit la commission du budget général
de l'État. »
« Arrêté ministériel du 11 juillet 1882. Moniteur du 26.
( 408 )
dépenses, afin de mieux se rendre compte de leur équilibre et
d'apprécier dans son ensemble la situation financière du pays.
Dans un de ses beaux et lumineux rapports, faits à diverses
reprises au nom de sections centrales chargées de l'examen des
budgets — rapports auxquels nous aurons recours plus d'une
fois, — M. Demeur signalait dès 1878 cette nécessité ^. « Il
entre, disait-il, dans les attributions de la section centrale,
chargée de l'examen du budget des voies et moyens, d'examiner
si les recettes comprises dans ce budget, en les supposant
établies, seront suffisantes pour couvrir les dépenses de l'exer-
cice auquel le budget se rapporte. C'est même là, semble-t-il, un
des objets principaux de sa mission; mais dans les conditions
ou elle est placée, la Section centrale est impuissante à faire
cet examen. En effet,. la comparaison du montant des recettes
avec le montant des dépenses peut seule permettre déjuger
de leur équilibre. Ce sont là deux éléments inséparables d'un
seul problème... Or, d'après le mode usité en Belgique pour
l'examen du budget général de l'État, des sections centrales
distinctes sont chargées de l'examen du budget des recettes et
de l'examen de chacun des budgets des dépenses; spéciale-
ment la section centrale, chargée de faire rapport sur le budget
des voies et moyens, n'est saisie ni du budget des travaux
publics, ni du budget des finances, ni des autres budgets.
» C'est là une anomalie : l'unité de vues qui doit présider à
la confection du budget de l'État est impossible dans ces
conditions. Cette anomalie ne se rencontre pas dans les autres
corps, chargés de l'examen des budgets, spécialement les
conseils communaux et les conseils provinciaux. Là une com-
mission est chargée de délibérer et de faire rapport sur
l'ensemble du budget.
» Il a paru convenable d'appeler l'attention de la Chambre
sur ce point : son action ne peut être efl'ective, au point de
vue du bon ordre dans les finances de l'État, que si, sous une
* Rapport sur le budget des voies et moyens pour 1879. (Ch. des
Représ., sess. de 1878-1879, Doc. pari., n? 26.)
( 106)
forme quelconque, il est remédié à l'état de choses que nous
venons de signaler. »
Dans un rapport ultérieur ^, M. Demeur revenait sur la
même question et insistait à nouveau sur la nécessité de sou-
mettre à un examen d'ensemble le budget des voies et moyens
et les divers budgets de dépenses. Cette nécessité résulte,
remarquait-il, de la nature même des choses, et il le montrait
par un exemple destiné à mettre en relief le lien qui unit entre
eux les divers chapitres du budget de l'État. Il citait aussi à
l'appui de sa thèse l'enquête du Cobden-Club sur l'organi-
sation budgétaire des divers pays, de laquelle il résulte que
partout, sauf en Portugal et en Belgique, l'ensemble du bud-
get est soumis à l'examen d'une seule commission, qui fait
rapport à la Chambre.
En présentant, en 1883, son projet de budget unique
pour 1884, M. Graux se rallia à ces considérations pour en
faire l'argument capital de la réforme qu'il proposait. Il con-
damnait à ce point de vue le système traditionnel, parce que,
disait-il dans son Exposé des motifs 3, si a les discussions des
budgets sont restées, comme elles doivent l'être, l'occasion de
contrôler les actes politiques et administratifs des ministres,
elles ont perdu leur utilité directe, qui consiste dans l'examen
parlementaire des dépenses proposées, comparées aux voies et
moyens que possède le trésor ou qu'il faut lui procurer pour
les couvrir ».
Et plus tard, après Tabandon de sa réforme et plusieurs
années après qu'il eût quitté le ministère, M. Graux, resté
fidèle à son plan financier, précisait son idée d'une manière
plus nette encore, lorsqu'il disait à la Chambre 3 : c< Un
budget .. c'est, en réalité, un tableau sur lequel on inscrit d'une
part toutes les recettes que le gouvernement demande l'autori-
sation de percevoir; d'autre part, toutes les dépenses qu'il
* Rapport sur le budget des voies et moyens pour 4883. (Ch. des
Représ., sess. de 1882-4883, Doc. parL, n^ 47.)
« Ch. des Représ., sess. de 4882-4883, Doc. pari., n» 402.
^ Ibid., séance du 4 février 4891, Ann. pari., p. 318.
(107)
demande la permission de faire. Ce tableau forme un tout
complet, établissant une situation exacte, d'où ressort une
balance, qui accuse ou un excédent de recettes, un boni, ou
une insuffisance de ressources, un déficit.
» L'unité d'un budget général, dont toutes les parties se
tiennent et sont solidaires, qui, par sa nature, est indivisible,
permet seule d'apprécier quel est le plan financier du gouver-
nement pour l'exercice qui va s'ouvrir. »
bans la même séance de la Chambre, M. Graux appelait au
secours de sa thèse l'autorité de M. Thiers, qui professait aussi
que c( dans un pays bien administré, une seule chose est
sincère, utile, profitable, c'est d'avoir un seul budget; d'avoir
dans un même tableau toutes les dépenses de l'État, dans un
seul autre toutes les recettes. Alors on sait quelle est la situa-
tion; alors le public la comprend facilement et immédiatement,
sans qu'il soit possible de faire illusion à personne... Le
budget unique, c'est la lumière, » (Discours du 3 juillet 1868.)
Hais la réforme, dans l'esprit de ses promoteurs, devait pré-
senter, en outre, le grand avantage de faciliter et d'accélérer
l'examen et le vote du budget, de manière à le terminer en
temps utile, avant l'ouverture de l'exercice.
(( La substitution à l'examen et au vote de lois financières
multiples d'une seule loi budgétaire générale, aura non seule-
ment pour effet de faciliter le contrôle législatif de l'adminis-
tration des finances, mais elle rendra probablement plus
simple et plus méthodique la discussion du budget. Sans rece-
voir aucune restriction dans tout ce qu'ils ont d'utile, les débats
dont il est l'occasion pourront être plus condensés ; des redites
seront évitées et la Chambre épargnera ainsi un temps qu'elle
pourra consacrer à d'autres travaux *. »
M. Frère-Orban partageait aussi cette manière de voir qu'il
exposait en ces termes à la Chambre ^ : a La manière dont on
^ Exposé des motifs. (Gh. des Représ., sess. de 1882-1883, Doc, pari.,
n» 401)
* Gh. des Représ., séance du 16 décembre 1884, Ann. parL, p. 252.
(108)
a coutume de procéder dans cette Chambre à la discussion du
budget, contribue à ce qu'il en soit ainsi (retard considérable
dans le vote des budgets) ; mais ces inconvénients sont plus
considérables encore lorsque, au lieu d'un budget unique, il y
a des budgets séparés. Je veux parler de ces discussions inter-
minables qui ont lieu, en réalité, à côté du budget plutôt que
sur le budget lui-même... Le budget unique aurait pour consé-
quence de remédier en très grande partie à cet inconvénient-là ;
on s'accoutumerait à se restreindre dans la réelle discussion
du budget. »
La réforme de M. Graux, dont nous venons d'exposer l'éco-
nomie, ne survécut pas à la chute du dernier cabinet libéral.
En présentant à la Chambre le budget amendé des recettes et
dépenses du royaume de Belgique pour 1885 ^, M. Beernaert
reprit la tradition des projets de loi spéciaux et distincts, telle
qu'elle avait subsisté de 1847 à 1883. « Nous en sommes
revenus, disait-il, aux budgets divisés, parce que l'expérience a
démontré que la méthode suivie l'an dernier était fâcheuse et
que, parmi les chefs d'administration qui ont eu à la mettre en
pratique, il n'y en a pas un, pas un, entendez-le bien, qui s'y
soit déclaré favorable 2. »
La méthode proposée par M. Graux était fâcheuse, d'après
M. Beernaert, parce que d'abord, loin de favoriser la rapidité
de l'examen et du vote du budget, elle rend le travail parlemen-
taire plus lent.
Le budget de 1884 est resté quatorze mois sur le métiers. Et
* Ch. des Représ., sess. de 1884-1885, Doc. pari., n» 3.
2 Ch. des Représ., séance du 46 décembre 1884, Ann.j^ar^, p. 257. —
Il est curieux de rapprocher cette déclaration de Tavis de la commission
spéciale instituée par M. Graux, laquelle opinait unanimement en sens
contraire. Cf. supra^ p. 104.
3 a La commission se mit sans doute résolument à l'œuvre et appliqua
largement le principe fécond de la division du travail; néanmoins, bien
que la session ordinaire de 1882-1883 ait duré jusqu'au 18 août, la
Chambre se sépara sans avoir reçu un seul rapport.
» Le 17 octobre 1883, le gouvernement adressa au président de la
( 109 )
tandis que la loi était en supens à la Chambre, le Sénat n'avait
rien à faire; il devait attendre que l'ensemble du budget fût
voté avant de pouvoir commencer son travail.
L'expérience faite ne confirmait don 3 pas la vertu que l'on
avait attribuée au budget unique d'accélérer l'élaboration de la
loi annuelle des finances <. De plus, les retards dans le vote
sont plus préjudiciables avec le système de la loi unique,
qu'avec celui des lois divisées. « Du moment qu'il n'y a qu'un -
seul budget, aucun crédit n'est voté définitivement aussi long-
temps que tous n'ont pas été discutés. Et l'an dernier ce vote
n'a eu lieu qu'au mois de mai. Il en est résulté que nous avons
vécu sous l'empire de crédits provisoires pendant les cinq pre-
miers mois de Tannée et, chose beaucoup plus grave, qu'au
Chambre un volume contenant trois séries d'amendements, changeant
entièrement la physionomie du budget. En février, celui-ci soldait par
un déficit de fr. 26,113,331 71; en octobre, le déficit était réduit à
fr. 16,981,531 71. Des rapports partiels furent déposés successivement
du 27 novembre au 12 décembre, et la discussion, commencée le
15 janvier, se termina le 28 mars 1884. Enfin, le projet déposé le
28 février 1883, transformé de nouveau de manière à solder par un
déficit de 6,422,014 francs, devint la loi du 7 mai 1884, et cela après une
élaboration de quatorze mois. » (Exposé des motifs du budget de 1885.
Ch. des Repr., sess. de 1884-1885, Doc. pari., n^ 3.)
* Les partisans du budget unique ré|)ondaient à cette constatation
qu'on ne pouvait tirer argument contre le système d'une première
expérience, faite d'ailleurs dans des circonstances difficiles. Déjà, anté-
rieurement, dans son rapport sur le budget de 1884, M. Demeur observait :
« Si ces avantages (vote plus rapide) ne sont pas obtenus, dès cette année,
dans toute la mesure désirable, cela tient notamment à ce que, par
suite des modifications nécessaires au règlement de la Chambre pour la
composition de la section centrale, celle-ci n'a été convoquée qu'au mois
de mai. Cela tient aussi à ce que le budget présentait une insuffisance
de ressources qui a nécessité la présentation des lois d'impôts discutées
au cours de la dernière session, et enfin, à ce que la section centrale,
chargée de son examen, se livrait pour la première fois à ce travail
relativement considérable. » (Ch. des Représ., sess. de 1883-1884, Doc.
parL, n« 26.)
( 140 )
point de vue des travaux publics, l'année a été pour ainsi dire
perdue ^. »
MM. Malou et Beernaert se refusaient aussi à reconnaître au
système du budget unique une plus grande clarté et la qualité
de mieux faire saisir au Parlement l'ensemble de la situation
financière du pays. « C'était, d'après H. Malou 2, une innova-
tion admirable de faire un seul budget de ces budgets divisés;
.mais je cherche encore, ajoutait-il, quelle utilité réelle il y aà
cela; je le disais au Sénat, en discutant la même question : il y
a la différence de quelques cahiers épars ou de quelques cahiers
reliés, il y a une ficelle de plus.
» On ne voit pas l'ensemble, dit-on, mais voyait-on l'ensem-
ble sous le budget général ? On le voyait au début de la discus-
sion, mais il disparaissait ensuite 3; ce budget général et
unique de 1884, je défie qui que ce soit d'avoir vu ses méta-
morphoses, ses transformations. »
Le système des budgets divisés permet d*ailleurs parfaite-
ment d'envisager la situation dans son ensemble.
En effet, les divers projets de loi sont soumis à la Chambre
ensemble ^, le même jour et non pas à des époques différentes.
^ Beernaert, discours du 16 décembre 1884 (Gh. des Représ., Ann.
paru p. 257.)
* Discours du 17 décembre 1884. (Ch. des Représ., Ann. parL, p. 268.)
3 D'autant plus vite que par l'article 46 de son règlement, la Chambre
avait réglé la discussion et le vote du budget unique, comme si chaque
tableau formait une loi spéciale.
* M. Demeur, quoique partisan du budget unique, constatait cependant
que le fait de présenter les projets de loi budgétaires tous ensemble
à la Chambre, conférait une certaine unité au budget ordinaire et
permettait de se rendre compte de l'équilibre des recettes et des
dépenses « Les lois qui autorisent, disait-il, les recettes et les dépenses
ordinaires sont soumises ensemble à la Chambre, et ce n'est qu'à titre de
supplément ou pour pourvoir à des besoins qui n'ont pu être prévus
lors du vote du budget que des crédits ordinaires sont ultérieurement
demandés. C'est grâce à cette unité du budget ordinaire qu'il est possible
de se rendre compte de l'équilibre entre les recettes et les dépenses
( 111 )
Ensuite, un exposé général précède toujours les différents
budgets, lequel synthétise pour ainsi dire l'ensemble de .la
situation budgétaire, en établissant une comparaison entre les
recettes et les dépenses totales de l'exercice.
c( On dit : le budget unique, c'est la lumière! Je me demande,
Messieurs, si c'est bien sérieusement que Ton vient dire dans
cette Chambre que, depuis 1830, tous les budgets ont été votés
sans qu'ils aient pu faire l'objet d'un examen approfondi.
» L'exposé général qui précède nos budgets séparés, ne
rapproche-t-il pas les chiffres et ne donne-t-il pas sur la situa-
tion financière dans son ensemble, tous les renseignements
désirables?...
» Voici nos budgets divisés. Pour connaître la situation
dans son ensemble, n'est-il pas vrai qu'il suffit de les prendre
un à un, d'en additionner les. totaux, et de rapprocher le
résultat de cette addition du montant du budget des voies et
moyens? Or, celte peine si mince, on a voulu l'éviter. L'exposé
général résume les budgets et les rapproche. Il n'y a plus qu'à
prendre la peine de lire...
» Entre le système de M. Graux et celui d'autrefois, auquel
nous sommes revenus, l'honorable M. SJalou a pu dire un jour
qu'il n'y a absolument d'autre distance que l'épaisseur d'une
ficelle. On s'était borné à réunir en un seul fascicule des cahiers
qui se trouvent aujourd'hui séparés, et à mettre à la fin de ce
qui n'était plus ainsi que des chapitres, une addition que la
Chambre trouve aujourd'hui au commencement de l'exposé
général dont nous faisons précéder le dépôt des divers
budgets ^..
» C'est à ce point la même chose que, lorsque, en 1885, nous
projetées et de mesurer le degré d'urgence des diverses recettes et des
diverses dépenses. » (Cf. Rapport sur le budget de la dette publique
pour 1881. Ch. des Représ., sess. de 1880-1881, Doc, parL, n9 26.)
* « Seulement, il y a cette différence essentielle, que les budgets de
1884, discutés isolément, ne pouvaient être votés qu'en bloc, tandis que,
d'après la pratique d'autrefois et d'aujourd'hui, chaque budget est voté
au fur et à mesure de la discussion. »
( 112 )
avons voulu substituer des budgets divisés au budget unique,
le] qu'il avait été préparé par M. Graux, il nous a sufii de...
couper la ficelle et de substituer plusieurs additions à une
seule. En réalité, nous n'avons tout comme vous qu'un budget
uniqm, mais il est voté par fragments ^. »
Si donc le budget unique a été abandonné en 1885 par
MM. Malou et Beernaert, c'est parce que sous ce régime les
retards dans le vote du budget offraient plus d'inconvénients,
et que d'autre part la situation financière pouvait, disait-on,
apparaître aussi clairement dans son ensemble sous le régime
des budgets divisés qu'avec le budget unique.
Nous n'avons pas pour le moment à apprécier ces arguments.
Nous nous sommes borné à exposer ici les opinions adverses,
nous réservant de les discuter en manière de conclusion à ce
chapitre 2. ^
§ 4. — Le budget extraordinaire.
A. — La situation avant 18S4.
Avant 1884, on rencontrait dans notre organisation budgé-
taire, à côté du service financier ordinaire de l'État, un service
extraordinaire, qui comprenait deux catégories de dépenses
nettement distinctes. C'étaient, d'une part, les « charges
extraordinaires et temporaires » et, d'autre part, les ce crédits
spéciaux et extraordinaires ».
Les charges extraordinaires et temporaires étaient occa-
sionnées par les travaux extraordinaires de réparation, d'agran-
dissement ou d'entretien des bâtiments, des canaux, des
ports, les intérêts des bons du trésor, les subsides exception-
nels, etc....
Ces dépenses figuraient dans une colonne spéciale des
* Discours de M. Beernaert. (Ch. des Représ., séance du 5 février 1894,
Ann. parl.y p. 333.)
« Cf. infra, § 5.
(H3)
budgets de dépenses, à côté des charges ordinaires, en vertu de
l'article 8 de l'arrêté royal du 49 février 1848.
Elles n'avaient d'extraordinaire que leur caractère périodique
et temporaire, car, en réalité, elles étaient, « comme les charges
ordinaires, destinées à être couvertes par les ressources portées
au budget des voies et moyens : malgré leur dénomination,
elles sont comprises dans les services ordinaires et portées
comme telles dans les comptes ».
Les crédits spéciaux et extraordinaires, par contre, méri-
taient mieux le qualificatif de dépenses extraordinaires. On
les réclamait, par exemple pour l'exécution des installations
maritimes d'Anvers, pour le Palais de Justice de Bruxelles,
pour la construction et l'ameublement de maisons d'école,
de nouvelles casernes, l'établissement de nouvelles lignes de
chemin de fer, etc.
Ces dépenses avaient donc pour objet des entreprises nou-
velles, dans lesquelles s'engageaient les capitaux de l'État, et,
dès lors, elles n'étaient pas payées sur les ressources ordinaires
du budget, mais au moyen de recettes extraordinaires, telles
que surtout le produit des emprunts ou encore l'aliénation de
fonds domaniaux et les fonds d'amortissement restés sans
emploi.
Ces crédits ' spéciaux et extraordinaires se distinguaient
d'autre part des crédits ordinaires par leur objet et aussi par
diverses circonstances de forme qui leur ménageaient une
place à part dans l'organisation budgétaire^.
Et d'abord, tandis que, au vœu de l'article !•' de la loi
de 1846 sur la comptabilité de l'État, le budget ordinaire était
régulièrement présenté à la Chambre dix mois avant l'ouver-
ture de l'exercice auquel il se rapporte, les crédits spéciaux et
* Cf. Rapport Demeur, au nom de la Commission permanente des
finances, sur le règlement définitif du budget de 1875. (Ch. des Représ,,
sess. de 1879-1880, Ooc. pari., n^ 133.)
Id., ibid. sur le budget de la dette publique pour 1881. (Ch. des
Représ., sess. de 1880-1881, Doc. pari., n« 26.)
Tome LXVI. 8
( 114)
extraordinaires étaient Fobjet de lois spéciales présentées, au
fur et à mesure des besoins, au cours et souvent à la fin de la
session.
En 1880, par exemple, du 26 avril au 27 août, une série de
lois accordent des crédits pour près de 70,000,000 de francs.
La loi du 26 avril 4880 : fr. 4,000,000 pour le Palais de Justice de I
de Bruxelles.
— 27 — — 4.500,000 pour la construction de ca-
sernes.
— 23 mai — 26,500,000 pour des travaux publics.
— 25 — — 900,000 pour le recensement général.
— 23 août — 946,421 62 pour l'enseignement normal
primaire.
— 23 — — 197,000 pour l'hôtel du Ministre de
l'Intérieur et de rinstruction
publique.
— 23 — — 372,800 pour construction et ameuble-
ment d'écoles.
— 26 — — 26,398,500 pour travaux publics.
— 27 — — 4,663,865 pour subsides aux communes
pour construction et ameu-
blement d'écoles.
De plus, par opposition aux recettes et dépenses ordinaires,
dont les prévisions sont soumises ensemble au vote des
Chambres, ces recettes et dépenses spéciales qui étaient appe-
lées à constituer en fait le budget extraordinaire n'étaient Tobjet
d'aucune vue d'ensemble, permettant de juger de leur équi-
libre. Selon la remarque de M. Demeur, la facilité avec laquelle
se placent les titres de la dette publique semble écarter l'obli-
gation de se préoccuper de l'équilibre de ces recettes et de ces
dépenses.
Enfin, et nous touchons à la différence capitale entre les
deux espèces de crédits que H. Demeur expose en ces termes ^ :
^ Rapport, au nom de la Commission permanente des finances, sur le
règlement définitif du budget de 1875. (Ch. des Représ., sess. de 1879-
1880, Ooc./?aW., nol33.)
(115)
c( Pour les services ordinaires, les lois ouvrent chaque année
les crédits présumés nécessaires aux dépenses de l'exercice, et»
si ces crédits sont insuffisants, des lois ultérieures allouent au
gouvernement des crédits supplémentaires; si, au contraire,
des crédits ne sont pas consommés dans le cours de l'exercice,
ils sont annulés à Texpiration de celui-ci, à moins qu'ils ne
soient grevés de droits en faveur de créanciers de l'État pour
travaux adjugés et en cours d'exécution, auquel cas la partie
d'allocation nécessaire pour solder la créance est transférée à
l'exercice suivant. (Art. 30 de la loi sur la comptabilité.)
» Pour les services spéciaux, au contraire, les crédits ouverts
par les lois qui autorisent la dépense sont, jusqu'à leur épui-
sement, reportés à l'exercice suivant, alors même qu'ils ne
sont grevés d'aucun droit en faveur de créanciers de l'État, et
ils ne sont annulés que quand ils n'ont plus de raison d'être,
par suite soit de l'achèvement de l'œuvre pour laquelle ils ont
été ouverts, soit pour toute autre cause. En d'autres termes,
l'administration applique à ces crédits la règle tracée à l'arti-
cle 31 de la loi sur la comptabilité, relatif aux allocations
affectées à des services étrangers aux dépenses générales de
l'État, allocations qui ne sont pas votées pour un seul exercice,
mais qui restent en permanence à la disposition du gouver-
nement.
» De même, quant aux recettes. Pour les services ordinaires,
les Chambres votent chaque année les voies et moyens, qui
sont fixés en raison des besoins présumés de l'exercice. Pour
les services spéciaux, au contraire, les voies et moyens sont
ouverts par des lois spéciales, particulièrement par les lois qui
décrètent les emprunts dont le produit peut être considérable
pendant un exercice et nul, en quelque sorte, pendant un
autre. »
Ces crédits spéciaux existaient donc à côté et en dehors du
budget ordinaire et obéissaient à des règles toutes différentes.
Ils constituaient les éléments d'un budget extraordinaire, mais
ce budget n'était pas organisé.
Une fois votés, ces crédits restaient indéfiniment à la dispo-
sition du gouvernement, qui les employait quand bon lui sem-
( 116 )
blait et se contentait de rendre compte de leur emploi, en
indiquant chaque année dans la Situation générale du trésor
le montant de la dépense faite pendant l'année écoulée.
C'est donc avec raison que M. Graux pouvait dire que ces
crédits votés hors budget constituaient « une véritable bizar-
rerie dans notre législation financière »•
(c La latitude qui est laissée au gouvernement, ajoutait-iM,
l'absence presque complète de contrôle en cette matière sont,
en effet, assez étranges. Aujourd'hui, à côté du budget ordi-
naire, qui vous est présenté chaque année et. pour lequel vous
votez des crédits qui doivent être employés dans Tannée ou
bien être annulés h son expiration, viennent se placer des
crédits spéciaux et extraordinaires que le gouvernement est
autorisé à dépenser quand bon lui semble.
» J'ai fait relever le chiffre des crédits de cette nature actuel-
lement ouverts et non dépensés; ils s'élevaient au 31 décembre
dernier à 137,679,000 francs. Le plus ancien de ces crédits
date du 8 septembre 1859. Il a été voté pour des travaux
d'amélioration à exécuter au régime de la Vesdre et de la
Mandel. D'autres crédits, non encore dépensés et par consé-
quent disponibles, ont été votés en 1862 et 1864; il existe sur
ces crédits des reliquats dont le gouvernement a le droit de
disposer demain si bon lui semble... Ces 137 millions sont
dans nos mains et il nous est loisible de les dépenser ou de
les engager en six mois, aussi bien que nous pouvons laisser
ces dépenses en suspens pendant vingt-cinq ans... 11 n'existe
en cette matière ni règle ni contrôle sérieux des Chambres. »
Un tel régime était manifestement inconstitutionnel, con-
traire aux prescriptions de la loi sur la comptabilité et préju-
diciable aux intérêts du pays S.
En prescrivant que chaque année les Chambres arrêtent la
* Discours prononcé à la Chambre des Représentants, le 28 février 1883.
(Ann. pari., p. 5S1.)
* Cf. Rapport Demeur sur le budget de la dette publique pour 1881.
(Ch. des Représ., sess. de 1880- 1881,* Doc. pari., n» 26.)
Id. , ibid. sur le budget des voies et moyens pour 1883. (Ch. des Représ.,
Séss. de 1882-1883, Doc. parL, no 47.)
( HT )
loi des comptes et votent le budget et que toutes les recettes et les
dépenses de FÊtat doivent être portées au budget et dans les
comptes, l'article 115 de la Constitution ne distingue pas entre
les recettes et les dépenses ordinaires et les recettes et les
dépenses extraordinaires. Quelle que soit leur nature parti-
culière, ces deux catégories sont toutes les deux également
des recettes et des dépenses de l'État ; elles auraient dû, à ce
titre, figurer les unes et les autres au budget voté chaque année
par les Chambres.
L'article 1" de la loi sur la comptabilité de l'État n'est pas
moins explicite à cet égard et d'une application aussi générale,
lorsqu'il dispose : les recettes et les dépenses publiques à effec-
tuer pour le service de chaque exercice sont autorisées par les lois
annuelles de finance et forment le budget général de l'État,
il en est de même de l'article 15 de la même loi : la loi
annuelle des finances ouvre les crédits nécessaires aux dépenses
présumées de chaque exercice. Toute demande de crédit faite en
dehors de la loi annuelle des dépenses doit indiquer les voies et
moyens qui seront affectés aux crédits demandés.
Le but de cette dernière disposition (art. 15, al. 2) n'est pas,
d'après la remarque de M. Demeur, « de permettre que des
dépenses présumées d'un exercice, ordinaires ou extraordi-
naires, ne soient pas comprises dans la loi annuelle des
finances, mais uniquement d'exiger que, pour les dépenses
qui n'ont pas pu être prévues lors de la formation du budget
annuel, les moyens d'y faire face soient indiqués dans la loi
qui les autorise i ».
Afin de justifier ce régime tout spécial des crédits hors
budget et en particulier leur afi'ranchissement de la règle
générale qui prononce l'annulation des crédits non employés
et non grevés de droits acquis à la fin de l'exercice (art. 30 de
la loi sur la comptabilité), l'administration invoquait l'article 31
de la loi de 1846 sur la comptabilité de l'État.
D'après cet article : les fonds restés disponibles à la clôture
dun exercice, sur les allocations spéciales affectées à des services
* Lac. cit. (Ch. des Représ , sess. de 1880-1881, Doc, pari., n» 26.)
(118)
étrangers aux dépenses générales de l'État, sont reportés à l'exer-
cice suivant, et ils y conservent V affectation qui leur a été donnée
par le budget.
Or, cet article ne vise nullement les crédits spéciaux et
extraordinaires dont il s*agit ici.
ce Qui s'avisera de prétendre, écrit M. Demeur, que la
construction de chemins de fer, de casernes, de Palais de
Justice, d'écoles, les travaux maritimes d'Anvers, ceux du
canal de Gand à Terneuzen; etc., sont étrangers aux dépenses
générales de l'État? »
L'article 31 s'applique uniquement aux fonds restés dispo-
nibles, à la clôture de l'exercice, sur les consignations, fonds
de tiers, de non-valeurs sur les contributions directes, sur les
fonds provenant des subsides alloués par les provinces, les
communes et les particuliers pour construction de routes et
d'autres fonds analogues.
Cela résulte clairement des travaux préparatoires de l'arti-
cle 31 ^. Ces allocations affectées à des services étrangers aux
* Le texte primitif du projet de loi sur la comptabilité de l'État,
amendé par la section centrale, portait article 30 : « Les fonds restés
disponibles, à la clôture de Texercice, sur les allocations spéciales
affectées à des services étrangers aux dépenses de l'État, sur les consi-
gnations, fonds de tiers, de non-valeurs sur les contributions directes,
sur les fonds provenant de subsides alloués par les provinces, les
communes et les particuliers pour construction de routes sont reportés
à l'exercice suivant, et ils conservent l'affectation qui leur a été donnée
par le budget. »
Lors de la discussion à la Chambre, le 4 mars 1846, le gouvernement
proposa la rédaction qui est devenue le texte de l'article 34, et le ministre
des finances expliquait son amendement en disant : « Je pense qu'il
vaut mieux ne pas faire d'énumération dans la disposition parce que
cette énumération peut être exacte aujourd'hui et ne plus l'être demain.
Je crois qu'il suffit de dire qu'il s'agit uniquement des allocations
affectées à des services étrangers aux dépenses générales de l'État. »
Quoi qu'il en soit, l'énumération qui figurait dans le texte primitif
détermine d'une manière très claire ce qu'il faut entendre par « services
étrangers aux dépenses générales de l'État », et par conséquent la portée
de l'article 31.
( H9 )
dépenses générales de FÉtat sont aujourd'hui, et depuis 1853,
comprises dans un budget spécial : Je budget des recettes et
dépenses pour ordre. Et l'on comprend très bien que la loi les
ait soumises à la prescription exceptionnelle de l'article 31.
Car, selon la remarque de M. Demeur, a elles ne doivent pas
nécessairement être utilisées dans le cours de l'exercice au
budget duquel elles ' figurent, et elles ne peuvent pas être
annulées à défaut d'emploi dans le cours de cet exercice, puis-
qu'elles proviennent de fonds dont l'État n'est pas le maître
de disposer à son gré.
» Tout autres sont les allocations destinées à couvrir les
dépenses qui forment le budget extraordinaire de l'État. Ici
rien ne s'oppose à ce que chaque année les Chambres fixent
lo montant des sommes mises à la disposition du gouverne-
ment pour les dépenses de cette nature pendant l'exercice
suivant 4. »
L'administration justifiait donc par une interprétation
erronée de la loi la pratique des crédits spéciaux hors budget,
à laquelle elle tenait beaucoup 2. Or, cette pratique était
manifestement contraire et à la Constitution et aux principes
inscrits dans la loi sur la comptabilité publique.
Elle était de plus préjudiciable aux intérêts financiers du
pays.
Le crédit spécial et extraordinaire fut pendant longtemps
chose rare et exceptionnelle dans notre organisation financière.
« En effet, lisons-nous dans un rapport de 1881 ^, antérieure-
ment aux douze ou quinze dernières années, ... les crédits de
cette nature étaient portés à l'extraordinaire dans la seconde
colonne des budgets et la Chambre ne votait que des crédits
nécessaires h chaque exercice. Il était alors vrai de dire : la
* Rapport Demeur sur le budget de la dette publique pour 4881.
(Ch. des Repr., sess. de 4880-1881, Doc. parL, n* 26.)
* Ch. des Représ., séance du 2 juin 1875, Ann, pari., p. 958. — M.,
Ann. parL, 1878-1879, p. 213, et 1879-1880, p. 95.
5 Rapport sur le budget des voies et moyens pour 1882. (Ch. des
Représ., sess. de 1881-1882, Doc. pari., n» 45.)
( 120 )
Chambre vote annuellement le budget. Aujourd'hui les crédits
spéciaux ne sont plus l'exception, ils tendent à devenir la
règle. »
Les crédits spéciaux se confondaient donc primitivement
avec les charges extraordinaires et temporaires, dont nous
avons parlé.
Puis, ils se sont séparés du budget ordinaire, pour suivre
un régime spécial et fantaisiste.^
Les recettes et les dépenses extraordinaires sont devenues
permanentes et fournissent les éléments d'un budget sur lequel
il importe assurément que l'attention de la Chambre et du
pays soit appelée chaque année, disait le rapporteur du budget
des voies et moyens pour 1879 ^. Et il constatait que de 1868
à 1877, le total des recettes extraordinaires s'était élevé à plus
de 528 millions et le total des dépenses de même nature à plus
675 millions, soit une moyenne annuelle respective de 52.8 et
de 57.5 millions.
11 est probable que bien des dépenses extraordinaires qui
ont dépassé, dans des proportions considérables, la volonté de
la Législature et du gouvernement lui-même seraient restées
dans les limites en rapport avec les besoins du pays, si le
gouvernement avait soumis chaque année aux Chambres les
dispositions qu'il se proposait de prendre pour le prochain
exercice 2.
€€ Le vote du budget extraordinaire a d'ailleurs lieu chaque
année dans toutes les communes et toutes les provinces du
pays... Ce sont les lois provinciale et communale (art. 66,
art. 134) qui le prescrivent dans les mêmes termes que la
Constitution le prescrit pour l'État. Pourquoi l'État est-il seul
à ne pas suivre cette règle? 3 ».
* Ch. des Représ., sess. de 1879-1880, Doc. parL, m 26.
* Rapport Demeur sur le budget de la dette publique pour 1881.
(Ch. des Représ., sess. de 1880-1881, Doc. parL, n^ 26.) — Cf. aussi
p. 121, note 4.
* Rapport Demeur sur le budget des voies et moyens pour 1883.
(Ch. des Représ., sess. de 1882-1883, Doc. pari., n» 47.)
( 121 )
Malgré cette critique très serrée adressée à diverses reprises
par le Parlement aux crédits spéciaux hors budget et basée sur
les arguments concluants que nous venons de résumer, le
gouvernement s'obstinait à défendre et à maintenir cette pra-
tique abusive.
M. Malou prétendait que ce système n'était pas arbitraire.
a J'aurais délié, disait-iJ, que l'on fît autrement. On fait un
budget pour des dépenses dont on prévoit la nature et le
chiffre, mais pour certaines dépenses, cela est matériellement
impossible ^. »
Et M. Graux opinait dans le même sens que ses prédéces-
seurs K
Cependant, à l'occasion du projet de budget unique, la
question des crédits spéciaux fut mise sérieusement à l'étude,
et cette fois, M. Graux n'hésita plus à opérer sur ce point une
réforme radicale.
B. — La réforme de M. Graux.
Dans son discours budgétaire du 28 février 1883 3, M. Graux,
après avoir montré les vices du régime en vigueur '^, faisait à
la Chambre la proposition suivante : « En dehors des cas for-
* Ch. des Repr., séance du 2 juin 1875, Ann. parL, p. 958.
« Cf. Ann, pari., 1878-1879, p. 213; 1879-1880, p. 95.
^ Ann, pari., p. 551.
^ Il les résumait d'une manière très nette dans TËxposé des motifs du
budget de 1884. (Ch. des Représ., sess. de 1882-1883, Doc. pari., no 102.)
« On chercherait en vain ce qui détermine le chiffre de la plupart de
ces crédits spéciaux. Ce n'est pas le terme de leur emploi, car celui-ci
n'est pas annuel ; à cet égard, vous ne réglez rien, vous ne décidez rien ;
ils peuvent être et sont transférés indéfiniment d'un exercice à l'autre,
sans aucune autorisation de la Législature...
» La mesure de ces crédits n'est pas déterminée davantage par le prix
total de l'objet auquel ils s'appliquent.
» La plupart des grands travaux publics ont été commencés sans que
l'on sût ce qu'ils devaient coûter et ont été poursuivis au moyen de crédits
( 122 )
tuits et des circonstances imprévues, il n'y aura plus de crédits
hors budget. Au surplus, ceux qui seront votés après le budget
y devront être rattachés. Le budget annuel contiendra une
deuxième partie qui aura pour objet les dépenses sur ressources
extraordinaires,
• » Ce budget fera suite à l'autre, et le gouvernement fera
ainsi connaUre, au commencement de chaque année, quelles
sont les dépenses sur ressources extraordinaires qu'il compte
faire, article par article, comme il le fait pour le budget ordi-
naire. Il dira quelles sont les ressources au moyen desquelles
il entend les couvrir et si, à la fin de l'exercice, il existe des
reliquats de crédits sur le budget extraordinaire, ils* seront
annulés et ne pourront être reportés à l'exercice suivant qu'en
vertu de la loi.
» Vous aurez ainsi sous les yeux le tableau exact, fidèle, des
propositions de dépenses extraordinaires, en même temps que
des dépenses ordinaires, et ces dépenses vous pourrez les
ralentir ou les accélérer en votant chaque année le budget
général de l'État. »
successifs dont le chiffre ne correspond qu'à une fraction minime de la
dépense totale. C'est par le vote d'un crédit de 6 millions de francs que
Ton a inauguré les dépenses des installations maritimes d'Anvers, qui en
coûtent 70. Aucun des crédits votés pour le Palais de Justice de Bruxelles
n'a dépassé 4 millions ; ensemble ils s'élèvent à 33,900,000 francs . . .
» Ces dépenses votées ainsi hors budget sans règle et sans méthode sont
les plus périlleuses, S'appliquant pour la plupart à des travaux publics,
elles satisfont de grands intérêts industriels et commerciaux, ce qui leur
assure un accueil généralement favorable. Aussi sont-elles réclamées
sans trêve ni mesure.
» Couvertes au moyen de Temprunt, elles s'élèvent rapidement, sans
que la plupart de ceux qui les décrètent aperçoivent, au moment même
où ils les votent, l'étendue de l'aggravation de charges qui en résultera
pour la nation. Pour mettre de l'ordre dans ces dépenses, pour les
régler avec méthode et leur assigner une limite nécessaire, il faut que la
Législature, secondant les vues du gouvernement, s'impose à elle-même
un contrôle attentif et périodique. »
( 423 )
Le budget de 1884 comprit, en conséquence, un titre U,
consacré aux dépenses sur ressources extraordinaires et qui
présentait l'aspect suivant :
TITRE IL
§ 1. — DÉPENSES SUR RESSOURCES EXTRAORDINAIRES.
« Art. 3. — Il est ouvert aux départements ministériels poui* les
dépenses sur ressources extraordinaires de rexercice 1884, des crédits
s'élevant à la somme de 56,154,154 francs.
» Ces crédits sont répartis, conformément au tableau XIV ci-annexé,
de la manière indiquée ci -après :
I. Ministère de la justice 1,500,000 francs.
IL — des affaires étrangères ... »
m. - derintérieur 31,068,434 —
IV. — de rinstruction publique . . 5,396,270 —
V . — des travaux publics .... 10,939,450 —
VI. — de la guerre 7,050,000 -
VU. — des finances 500,000 -
§ 2. — Ressources extraordinaires.
» Art. 4. — U sera pourvu à ces dépenses, au moyen :
1» Du produit des biens domaniaux fr. 1,800,000
^ Des quole-parts des états maritimes dans le rachat du
péage de TEscaut 170,584
3» Des fonds d'amortissement restés sans emploi .... 4,312,000
49 De la délivrance des titres de la dette publique dont
rémission est autorisée pour le règlement du prix de con-
struction des chemins de fer (lois du 27 mai 1876, du 19 dé-
cembre 1876, du 26 juin 1877) 11,565,000
5<» Des sommes povenant de tous remboursements d'a-
vances faites sur ressources extraordinaires 1,500,000
fr. 19,437,584
( 124 )
» Néanmoins, les fonds d'amortissement demeurés sans emploi pour-
ront être aflFectés à couvrir Tinsuffisance des ressources ordinaires dans
la mesure où cette insuffisance résulterait de la réalisation du compte de
prévision de l'exploitation du chemin de fer de l'État, pour 1884, établi
au tableau XVII.
» Art. 6. — Les dépenses sur ressources extraordinaires seront
couvertes, pour le surplus, au moyen d'un emprunt. Elles pourront l'être
provisoirement par des bons du trésor, dont l'échéance ne dépassera pas
cinq ans.
§ 3. — Reliquats de crédits.
» Art. 6. — La partie des crédits alloués par l'article 3, qui ne sera
point grevée à la date du 31 décembre 1884 de droits au profit de créan-
ciers de l'État, du chef de services faits et acceptés, ne pourra être
reportée à l'année suivante que par la loi. »
Le régime des crédits spéciaux et extraordinaires était ainsi
bouleversé de fond en comble. Du premier coup et sans transi-
tion, M. Graux réalisait la réforme la plus complète que l'on
eût pu souhaiter, en assimilant absolument, au point de vue
de leur forme budgétaire, les crédits extraordinaires et les
crédits ordinaires.
Les crédits extraordinaires seront dorénavant l'objet de pré-
visions d'ensemble, soumises à la Chambre en même temps
que celles relatives aux crédits ordinaires. Jusque-là épars,
isolés, sans aucun lien entre eux, M. Graux les réunit dans un
même cadre budgétaire, il les organise, il crée le budget
extraordinaire.
Cette assimilation des deux espèces de crédits se marque
encore et surtout par l'identité du régime de la validité de ces
crédits. Le crédit extraordinaire, comme le crédit ordinaire,
n'est plus valable, en principe, que pour un an; et s'il existe,
en fin d'année, des reliquats, ces reliquats ne pourront plus
( 12S )
être reportés à Tannée suivante qu'en vertu d'une loi, à moins
toutefois qu'ils ne soient grevés, au profit des créanciers de
rÉtat, du chef de services faits et acceptés (art. 6).
Et Texposé des motifs du budget de 1884 détermine expres-
sément le sens de cette exception en disant : « 11 ne sufiira
donc pas, pour que l'emploi (des reliquats) en puisse être fait
l'année suivante sans autorisation nouvelle de la Législature,
qu'il existe un contrat d'entreprise ou un engagement d'une
autre nature. 11 faudra, pour légitimer ce transfert, des travaux
ou des services faits et acceptés. Le texte de l'article 6 est formel
à cet égard. »
La loi budgétaire de 1884 applique donc strictement aux
crédits extraordinaires comme aux crédits ordinaires, l'arti-
cle 30 de la loi sur la comptabilité et- rompt décidément avec
l'interprétation erronée de l'article 31.
C. — Le budget extraordinaire organisé par M. Beemaert.
Lorsque M. Beemaert abandonna en 1885 le système du
budget unique, il conserva, non sans quelques hésitations
toutefois, le budget extraordinaire créé par M. Graux, tout en
introduisant dans le régime du nouveau budget certaines
modifications assez importantes pour améliorer dans une cer-
taine mesure l'oeuvre de son prédécesseur.
M. Beemaert reconnaissait assurément les avantages de
l'innovation opérée par M. Graux, mais elle présentait, selon
lui, de sérieux inconvénients. Il en signalait deux principaux,
auxquels il s'efforça de porter remède :
l*" II n'est guère possible, disait-il, de fixer le chiffre des
crédits extraordinaires dix mois d'avance, avec exactitude et
d'une manière complète. Par conséquent, il ne faut pas pré-
senter le budget extraordinaire à la même époque et en même
temps que le budget ordinaire, a Le gouvernement dressera
donc un budget, mais à une époque où la saison plus avancée
permettra de mieux apprécier les besoins de l'exercice 1886 et
( 126 )
rimportance des crédits votés qui demeureront disponibles à
la fin de l'exercice actuel 4... »
Cette règle a été suivie depuis, et bien que l'article 1 de la
loi de 1846 ait été modifié en ce sens que le budget n'est plus
présenté dix mois mais seulement deux mois avant le com-
mencement de l'exercice (loi du 24 juillet 1900), le gouverne-
ment a coutume actuellement de ne déposer le budget extraor-
dinaire que longtemps après le budget ordinaire, en cours de
session et souvent vers la fin.
2<» « D'autre part, pour des crédits extraordinaires, le terme
de un an est absolument trop court. Il n'est guère de travaux
qui puissent être terminés dans cet intervalle, et il en résulte-
rait que les Chambres devraient voter à plusieurs reprises les
mêmes crédits 3. »
M. Beernaert n'approuvait donc pas l'assimilation, au point
de vue de la durée de leur validité, des crédits extraordinaires
et des crédits ordinaires. Il paraissait même regretter, à ce
point du vue, le système, pratiqué antérieurement à la réforme
^ Exposé général du budget de 1886. (Gh. des Représ., sess. de 1885-
iS86, Doc. parL, no 84.)
« Ibid. — Le rapport de la section centrale sur le budget extraordinaire
pour 1885 développait en ces termes les idées de M. Beernaert : « Sile
maintien des crédits pour un terme trop long peut engendrer des abus,
une nouvelle discussion des travaux déjà décrétés par les Chambres ne
peut qu'entraver leur exécution. » De plus « il ne sera pas contesté que
le vote annuel n'entrai ne de grandes difficultés et ne soit de nature à
paralyser Texécution des travaux les plus utiles. En effet, il arrivera
souvent que Tintervalle entre le vote des crédits et Tépoque rapprochée
de leur prescription aura à peine suffi pour préparer les plans, dresser
les devis définitifs et élaborer le cahier des charges de l'adjudication.
» Ne faudra-t-il pas attendre, pour donner suite à l'exécution, que les
Chambres aient confirmé les crédits, à la veille d'être périmés?
» Comme nos budgets ne sont généralement votés que vers le milieu
de l'année, n'arrivera-t-il pas souvent que l'on perdra un temps précieux
pour obtenir les conditions favorables d'adjudication? » (A cause de la
grande concurrence entre les entrepreneurs au début de la saison des
travaux.) (Ch. des Représ., sess. de 1884-1885, Doc, parL, n® 96.)
( 127 )
de M. Graux et autorisé, d'après lui, par l'article 31 de la loi
sur la comptabilité.
c< La loi de 1846, disait-il en 1884, avait établi pour les cré-
dits spéciaux ou dépenses extraordinaires, un régime très
simple et très logique.
» Les fonds disponibles sur ces crédits, à la clôture d'un
exercice, étaient reportés à lexercice suivant avec l'interven-
tion de la Cour des comptes et y conservaient l'affectation qui
leur avait été donnée par la loi.
» Ce mode a été pratiqué sans difficultés, abus ni inconvé-
nients quelconques pendant trente-six ans. Il n'en résultait
pas, comme on a paru le croire, que les Chambres ignoraient
les dépenses faites ou à faire en vertu de leurs votes. Chaque
année, les imputations sur chaque crédit spécial leur étaient
signalées, ainsi que le solde disponible. Il n'en résultait pas
non plus que, sans prévenir le ministre des finances, les autres
ministres pouvaient, en quelques mois, disposer de tous les
crédits alloués...
» Le régime de la loi de comptabilité était clair, pratique et
laissait à l'administration la liberté nécessaire; il n'obligeait
pas les Chambres, après avoir ouvert un crédit à dépenser en
dix ans, à voter en outre chaque année une seconde fois une
partie de ce crédit et un report de la partie disponible d'après
les votes antérieurs.
» Nous proposons de remettre en vigueur F article 31 delà loi
de comptabilité et même de l'appliquer aux crédits spéciaux
compris dans le budget de l'exercice courant, qui seraient tous
annulés de plein droit le 31 décembre prochain (1884) s'il
n'y était pourvu par la loi.
» L'ordre, la régularité et la facilité des mouvements seront
ainsi rétablis dans ce service ^. y>
Cette citation trahit les hésitations dont nous parlions plus
haut. Cependant, les préférences que M. Beernaert marquait
* Budget des recettes et dépenses extraordinaires pour 488S (amendé).
Note préliminaire. (Ch. des Représ., sess. de 1884-1885, Doc. parL, n^S.)
( 128 )
ainsi pour l'ancien régime et l'application de Tarticle 31 ne
furent que passagères. M. Beernaert ne donna pas suite aux
idées qu'il exprimait en 1884; il ne consacra pas d'autre
part la réforme de M. Graux, qui appliquait intégralement
l'article 30 à tous les crédits sans distinction de nature. Il
admit un moyen terme en proposant aux Chambres de donner
effet pour trois années au vote des crédits qui sont portés au
budget extraordinaire ^ .
C'est le régime en vigueur depuis 188().
Le budget extraordinaire créé par M. Graux et réorganisé
par M. Beernaert offre donc aujourd'hui les particularités sui-
vantes :
1^ 11 n'est pas présenté à la Chambre en même temps que
le budget ordinaire, mais à une époque variable, généralement
vers la fin de la session.
Le budget ordinaire de 1902, par exemple, a été soumis à
la Chambre, avant le 31 octobre 1901, selon la prescription de
la loi du 24 juillet 1900. Les différents projets de loi qui le
composent portent la date du 9 octobre.
Le budget des recettes et des dépenses extraordinaires pour 1902
— c'est le titre officiel — porte la date du 12 avril 1902 et a été
présenté le 15 avril 1902 ^, soit moins de quatre semaines
avant la fin de la session.
2<^ Les crédits portés au budget extraordinaire ne s'annulent
pas en fin d'exercice, mais sont valables pour trois ans. Les
excédents disponibles à la fin de chaque exercice sont reportés
à l'année suivante et l'article 32 de la loi de comptabilité est
applicable à ces reports.
Le gouvernement est autorisé à rattacher par un arrêté
royal les crédits extraordinaires reportés des exercices anté-
rieurs aux crédits alloués par la loi nouvelle et à réunir les
crédits concernant un même objet.
Ces dispositions sont reproduites chaque année dans la loi
4 Ch. des Représ., sess. de 4885-1886. Doc. pari,, m 84.
« Idem, sess. de 490M902, Doc. pari., no 423.
( 129 )
du budget extraordinaire. Elles figurent, par exemple, à
Tarticle 7 de la loi de 1902, conçu en ces termes : « Le gouver-
nement est autorisé à rattacher, par arrêté royal, les crédits
extraordinaires reportés à l'exercice 1902 par application de
l'article S de la loi du 10 mai 1900 et de l'article 5 de la loi du
24 août 1901, aux crédits alloués par les articles 1 et 2 de la
présente loi, et à réunir les crédits concernant un même
objet.
» Il pourra être fait des imputations pendant trois ans, à
compter du !«' janvier 1902, sur les crédits ouverts par les
articles 1 et 2 de la présente loi. Les excédents disponibles à
la fin de chaque exercice seront reportés à l'année suivante;
l'article 32 de la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de
l'État est applicable à ces reports ^. »
3^ Cependant, les Chambres sont renseignées annuellement
sur l'emploi de ces crédits alloués pour trois ans par la
Situation générale du trésor public, qui leur est soumise chaque
année par le ministre des finances.
Cet exposé annuel renferme l'indication des opérations en
recettes et en dépenses efffectuées sur le service extraordinaire,
ainsi que la situation de la dette publique au 31 décembre.
Voici, à titre d'exemple, comment se présente le compte
des dépenses sur ressources extraordinaires rattachées à
l'exercice 1901 2.
Il fournit d'abord, article par article, le détail des dépenses
extraordinaires efi^ectuées par chaque département ministériel,
puis la récapitulation globale, avec indication des crédits
alloués, des dépenses liquidées à charge des crédits, des
* Loi du 15 mai 1846, article 32 : « Les reports mentionnés dans les
articles qui précèdent (30 et 31) sont l'objet de dispositions spéciales
dans la loi de règlement des comptes, et l'emploi des fonds par les
ministres respectifs peut avoir lieu dès Touverture de Texercice, en
observant les règles établies par la loi. »
* Cf. Situation générale du trésor public au 4^ janvier i90S, déposée
par M. le Ministre des finances et des travaux publics. (Ch. des Représ.,
séance du 6 mars 1902, Doc. parLy n» 73.)
Tome LXVL 9
( 130)
sommes disponibles au 1^ janvier 1903 sur les crédits, des
sommes annulées définitivement en vertu de l'article 5 de la
loi du 14 septembre 1899.
Le tableau ainsi dressé donne tous les renseignements dési-
rables sur remploi des crédits extraordinaires, laissés pendant
trois années à la disposition du gouvernement.
I.
Crédits alloués par les lois du 24 août 1904 fr. 95,668,406 64
Crédits reportés de rexercice 1900 84,624,338 13
Crédits reportés de Pexercice 1899 14,532,470 42
ToTAi fr. 494,825,245 19
II.
Dépenses liquidées à charge des crédits :
alloués par les lois du 24 août 1904 fr. 37,365,243 42
reportés de l'exercice 4900 58,289,344 66
reportés de Texercice 4899 9,264,849 90
Total. . . .fr. 104,919,434 88
m.
Sommes disponibles au 4" janvier 1902 sur les crédits :
alloués par les lois du 24 août 1904 fr. 58,303,463 22
reportés de l'exercice 1900 26,334,996 57
Total. . . .fr. 84,638459 79
IV.
Sommes annulées définitivement en vertu de l'article 6 de la loi du
14 septembre 4899 fr. 5,267,620 52
D. — La distinction des dépenses exceptionnelles et des
dépenses extraordinaires, inaugurée en 1895.
L'organisation actuelle du budget extraordinaire réalise
certainement un progrès considérable sur le régime pratiqué
( 131 )
avant 1884, bien qu'elle prête encore le flanc à certaines cri-
tiques, que nous examinerons plus loin ^.
Mais ce n'est pas seulement la forme du budget extraordi-
naire qu'il convient d'étudier, il faut aussi s'arrêter à Texamen
de sa constitution et se demander quelles dépenses y peuvent
figurer et quelles dépenses doivent en être exclues.
Cette question fut l'objet de controverses remarquables, qui
préparèrent la réforme réalisée, dans cet ordre d'idées, depuis
1895, par M. de Smet de Naeyer.
On dit généralement et avec raison : Il faut porter au budget
ordinaire toutes les dépenses ordinaires et réserver le budget
extraordinaire aux seules dépenses extraordinaires.
Mais à quels signes reconnaîtra-t-on une dépense ordinaire
d'une dépense extraordinaire? Quand dira-t^on qu'une dépense
est extraordinaire ou qu'elle ne Test pas? Cette question pré-
sente une sérieuse importance pratique, car elle aboutit à
celle-ci : quelles sont les dépenses que l'on peut payer sur
l'emprunt, quelles sont celles qu'il faut payer au moyen de
l'impôt, puisqu'il est admis que le budget extraordinaire est
alimenté principalement par l'emprunt.
 cette question, on répond en disant : Sont ordinaires
toutes les dépenses permanentes qui concernent les services
publics nécessaires, réguliers, normaux. Ces dépenses doivent
être portées au budget ordinaire et payées par l'impôt.
Sur ce point, il n'y a guère de contestation. Mais l'accord
cesse relativement aux autres dépenses, qui n'ont pas ce carac-
tère de régularité, de fixité, et qui sont exceptionnelles et non
périodiques.
Celles-ci, peut-on les considérer toutes comme extraordi*
naires, les faire figurer toutes indistinctement au budget
extraordinaire et par conséquent les payer principalement sur
l'emprunt?
Tous les ministres des finances avaient, en Belgique, jusqu'en
* Cf. infra, § 5.
( 132 )
ces derniers temps, répondu affirmativeraent à cette question
et ils avaient dressé leurs budgets en conséquence.
Cette pratique fut cependant, à diverses reprises, l'objet de
sérieuses critiques au cours des discussions et des travaux
parlementaires.
La controverse qui s'éleva à ce sujet se résume parfaitement
dans les discours échangés à la Chambre par MM. Graux et
Beernaert les 4 et 5 février 1891.
M. Graux, attaquant la gestion de son successeur, dénonçait
énergiquement la constitution vicieuse du budget extraordi-
naire. Il fallait, selon lui, distinguer, parmi les dépenses
exceptionnelles et non périodiques :
i^ Les dépenses qui contribuent à perfectionner l'outillage
économique de la nation ou à augmenter son patrimoine. Ces
dépenses productives peuvent figurer à l'extraordinaire et être
payées par l'emprunt : il est juste que les générations futures
en supportent une partie ;
2<> Quant aux dépenses exceptionnelles, non productives,
l'État doit les payer sur ses revenus ordinaires ou sur les bonis
budgétaires. Elles doivent figurer au budget ordinaire.
C'était donc un abus, un vice ruineux de gestion financière
que de porter à l'extraordinaire et de payer par l'emprunt
toutes les dépenses exceptionnelles sans distinction.
a A côté du budget ordinaire, disait M. Graux, se trouve le
budget extraordinaire. Ce n'est rien d'avoir un budget ordinaire
se clôturant par des excédents de recettes, quand, à côté de ce
budget, il s'en trouve un autre qu'on appelle extraordinaire et
qui sert de déversoir à toutes les dépenses que l'on veut y
mettre...
» Si le budget extraordinaire n'était, en réalité, qu'un budget
de capital et de capital productif; si l'État n'empruntait réelle-
ment que pour acheter des fermes, selon la comparaison de
l'honorable M. Jacobs, le budget extraordinaire serait utile...
» Il est certain que lorsque la Belgique a construit ou
racheté le réseau de ses chemins de fer, qui vaut aujourd'hui
au moins un milliard, on ne pouvait pas demander au budget
( 133 )
ordinaire le paiement de cette dépense, il fallait recourir à
l'extraordinaire, à l'emprunt. Dans ce but, l'emprunt est légi-
time, nécessaire...
» Mais est-ce à cela que se borne le budget extraordinaire?
Le budget de 1889 (ordinaire) se solde par 18 millions d'excé^
dents de recettes. Mais, à côté de lui, se trouve un budget
extraordinaire qu'alimente l'emprunt, où Ton voit, tout d'abord,
que l'on a emprunté 20 millions pour des fortifications! »
Est-ce un placement productif? Les dépenses de guerre sont
les plus improductives des dépenses. On emprunte aussi, conti-
nuait M. Graux, pour armer la garde civique, on emprunte
pour acheter des livres de bibliothèques publiques, pour
l'acquisition de tapisseries, de manuscrits, etc.... Faut-il
construire un plancher en fer à la Bibliothèque royale? on
emprunte; faut-il payer des architectes? on emprunte. De
même pour subsidier des industriels belges exposant à Paris.
De même pour payer les frais de réception du Shah de Perse.
« Vous ne sortirez pas de ce dilemme, concluait l'orateur :
si ces dépenses ne doivent pas être payées au moyen de
l'emprunt, si ce n'est pas là acheter des fermes, comme l'a dit
l'honorable M. Jacobs, et il ne le fera croire à personne, il faut
les déduire des bonis budgétaires ^. »
A ces critiques, M. Beernaert répondait qu'il continuait à
faire ce que ses prédécesseurs avaient tous fait, ce que M. Graux
lui-même avait fait, et d'ailleurs, remarquait-il, toutes les
dépenses exceptionnelles, extraordinaires, ne sont pas payées
uniquement par l'emprunt, mais aussi sur les excédents budgé-
taires. « L'erreur de M. Graux consiste à confondre la dépense
extraordinaire avec l'emprunt 2. »
ce On ne se borne pas, disait- il à la Chambre, à inscrire à
l'extraordinaire les dépenses productives; on y porte toutes
* Ch. des Représ., séance du 4 février 1891, Ann, pari, p. 319.
* Et, précisant sa pensée, l'orateur ajoutait : « Assurément il ne serait
pas correct de payer sur l'emprunt les frais d'une cérémonie d'apparat;
mais quoi de plus rationnel que de les payer à l'extraordinaire sur les
excédents des budgets? »
(134)
celles qui n'ont pas un caractère périodique, toutes celles qui,
à un d^;ré quelconque, peuvent être considérées comme de
capital, celles qui sont destinées non seulement à procurer
des recettes à l'État, mais à augmenter son capital intellectuel
et moral sous quelque forme que ce soit, ou à améliorer son
outillage économique. C'est là ce qu'on a toujours fait et c'est
cependant ce que M. Graux critique en termes amers ^. »
M. Beernaert rejetait donc la distinction établie par M. Graux
et restait fidèle à la pratique traditionnelle.
Il n'est pas douteux cependant que cette distinction ne
soit fondée et que la théorie de payer par l'emprunt les seules
dépenses productives soit financièrement très juste et con-
forme à une saine doctrine.
Si l'on adopte cette théorie, il faut, pour mettre de l'ordre et
de la clarté dans les budgets, réserver pour le budget extra-
ordinaire les seules dépenses extraordinaires à payer par
l'emprunt. Il faut faire du budget extraordinaire, exclusivement
un budget sur emprunt et refouler toutes les autres dépenser
exceptionnelles, qui ne sont pas productives, dans le budget
ordinaire, de manière à les payer sur les ressources ordinaires
ou sur les bonis budgétaires.
C*est ce qu'a compris l'honorable ministre qui se trouve
aujourd'hui à la tête du département des finances.
En prenant la succession de M. Beernaert, M. de Smet de
Naeyer a réalisé la réforme voulue théoriquement par
M. Graux, et voici comment il en exposait l'économie dans
l'Exposé général du budget de 1895 2.
« Dans la pensée du gouvernement, le budget extraordi-
naire, qui doit s'équilibrer par l'emprunt, ne peut comprendre,
en principe, que des dépenses ayant pour objet d'accroître le
capital économique de la nation. La règle doit être de porter
aux budgets ordinaires toutes les dépenses qui n'ont pas ce
caractère.
* Ch. des Représ., séance du 5 février 1891, Ann, pari,, p. 334.
« Idem, séance du 16 novembre 1894, sess. de 1^4-1895, Doc. pari.,
n«3.
(138)
» Cette règle, qui a été maintes fois recommandée dans les
discussions des Chambres législatives, et au principe de
laquelle tous les ministres des finances qui se sont succédé ont
rendu hommage, le gouvernement croit devoir en faire appli-
*cation dès aujourd'hui aux budgets de la justice, des affaires
étrangères, de Tintérieur et de l'instruction publique et des
finances, en attendant qu'il puisse généraliser la mesure. D'une
manière générale, à partir de 1895, il ne sera plus porté au
budget extraordinaire aucun crédit pour des dépenses à faire
pour compte de ces quatre départements.
» Mais afin d'éviter toute confusion entre des dépenses
d'ordre différent portées aux budgets ordinaires et en vue de
faciliter la comparaison avec les exercices antérieurs, chacun
de ces budgets sera désormais divisé en deux sections : l'une
réunissant, sous la rubrique « Service ordinaire », toutes les
dépenses annuelles et permanentes; l'autre, sous la rubrique
« Dépenses exceptionnelles », toutes les dépenses qui n'ont
pas ce double caractère d'être annuelles et permanentes.
» Par une application immédiate du même principe, le
département des chemins de fer, postes et télégraphes ne
portera plus au budget extraordinaire que les dépenses ayant
pour objet une augmentation du capital de premier établisse-
ment.
» En ce qui concerne Jes départements de l'agriculture, de
l'industrie, du travail et des travaux publics et de la guerre, les
dépenses non productives autres que les dépenses annuelles et
permanentes continueront — provisoirement — à être portées
au budget extraordinaire; mais au fur et à mesure que des
ressourc/es deviendront disponibles, il entre dans les intentions
du gouvernement d'introduire toutes les dépenses improduc-
tives dans les budgets ordinaires, de manière à arriver petit à
petit à ne plus avoir au budget extraordinaire que les dépenses
qu'exigent le perfectionnement et le développement de 1 outil-
lage économique du pays. »
La portée de la réforme introduite par M. de Smet de Naeyer
est donc celle-ci.
(136)
Avant 1895, on incorporait au budget extraordinaire et l'on
pouvait faire payer par Temprunt toutes les dépenses extra-
ordinaires sans distinction, et notamment celles dont ne
devaient nullement profiter les générations à venir.
Dorénavant, on établit une distinction aussi nette que*
possible entre trois catégories de dépenses :
i^ Les dépenses ordinaires, qui présentent le double
caractère d'être annuelles et permanentes. Elles figurent dans
les budgets ordinaires sous la rubrique « Service ordinaire » et
sont payées sur les ressources normales et régulières, provenant
principalement de Timpôt ;
^ Les dépenses exceptionnelles, qui ne sont ni annuelles ni
permanentes : en quoi elles diffèrent des premières. Elles
sont d'autre part improductives, elles n'ont pas pour objet
« d'accroître le capital économique de la nation » et sont, pour
ce motif, portées dans les budgets ordinaires, sous la rubrique
c< Dépenses exceptionnelles ». De plus, les crédits votés pour
subvenir à ces dépenses suivent désormais le régime des
crédits ordinaires, c'est-à-dire qu'il ne pourra y être fait
d'imputation que pendant un an, au lieu de trois, durée des
crédits extraordinaires ^ ;
3^ Les dépenses sur ressources extraordinaires, qui, elles,
sont productives et nécessitées par le perfectionnement et le
développement de l'outillage économique du pays.
Aujourd'hui, cette dernière catégorie de dépenses figure
seule, en principe, au budget extraordinaire.
Ce transfert des dépenses dites exceptionnelles du budget
extraordinaire dans les budgets ordinaires ne s'est pas effectué
en une fois, mais petit à petit et progressivement à partir
de 1895. Dans les budgets ordinaires de 1895, on incorpora
seulement pour 3,250,534 francs de ces dépenses, tandis
que les derniers budgets de 1902 en renfermaient pour
fr. 13,475,404.80.
Le Ministre des finances affirmait récemment ^ que,
Cf. Exposé général du budget de 1895, loc. cit.
Ch. des Représ., séance du matin du 7 mai 1902.
(137 )
actuellement, près de 95 Vo de Tensemble de nos dépenses
extraordinaires sont directement productives et que l'intérêt
de notre dette est plus que couvert par le revenu du domaine
de TEtat.
La réforme n'est donc pas encore complète, et certains
travaux non productifs continuent à figurer au budget extra-
ordinaire.
Tel notamment le projet gigantesque dit « le Mont des Arts »,
et qui consiste d'une part à « dégager les locaux du Musée
des Beaux-Arts, de la Bibliothèque royale et des Archives
nationales, afin de les mieux protéger contre l'incendie et de
leur donner les développeinents nécessaires », et d'autre part
à a créer sur un point particulièrement privilégié sous le
rapport du site, un ensemble monumental appelé à réaliser,
avec le Palais de Justice d'un côté, THôtei de ville et la
Grand'Place de l'autre, une trilogie architecturale digne des
plus grandes cités ».
Ce travail important est évalué à M millions de francs
environ, il sera payé sur le budget extraordinaire, et 5 millions
ont été inscrits à cet effet dans le budget de 1903 ^.
On peut se demander cependant si les dépenses qu'il entraî-
nera ont pour objet « d'accroître le capital économique de la
nation », et l'on peut certes douter qu'il s'agisse là de dépenses
productives, bien que M. le Ministre des finances ait informé
la Chambre ^ que plus de la moitié (14 millions) de la
dépense totale sera absorbée par les expropriations, d*où
résultera un accroissement proportionnel du domaine de
l'État.
Mais la question est de savoir si ce domaine accru sera ou
non un domaine productif!
De plus, la formule qui sert de base à la distinction entre
dépenses exceptionnelles et dépenses extraordinaires : amé-
liorer et développer l'outillage économique du pays, accroître le
* Ch. des Représ., sess. de 1901-1902, Doc. pari., n» 123.
* Cf. Ch. des Représ., séance du matin du 7 mai 1902.
(138)
capital économique de la nation, manque quelque peu de pré*
cision ^. Elle se prête à des interprétations assez élastiques pour
ouvrir éventuellement les portes du budget extraordinaire à des
dépenses d'une productivité douteuse.
Or, l'idéal serait de proscrire complètement du budget
extraordinaire les dépenses dont les produits ne seraient pas
suffisants pour couvrir les intérêts des emprunts contractés
pour y faire face.
Malgré ces réserves, il y aurait mauvaise grâce à contester
l'importance et la haute portée de la réforme de M. de Smet de
Naeyer. Elle constitue un effort énergique dans le sens de
l'idéal que nous venons d'indiquer, elle réalise plus de clarté
et de netteté dans notre organisation budgétaire, elle tend
enfin à circonscrire dans ses limites normales l'accroissement
de la dette publique.
§ S. — Appréciation critique de cette organisation.
Ainsi que nous l'indiquions dans l'intitulé de ce chapitre, le
budget belge se distingue par son absence d*unité.
Qu'est-ce donc que l'unité budgétaire?
ce Le budget, disent MM. Boucard et Jèze ^, doit être dressé
de telle façon qu'il suffise de foire deux additions pour avoir
le total des dépenses et celui des recettes et une soustraction
de ces deux totaux pour savoir s'il est en équilibre, en excé-
dent de recettes ou en déficit. Cest la théorie de l'unité budgé-
taire. »
« L'unité, d'après M. Stourm, tend à réunir dans un total
* M. Stourm en fait la remarque : « L'intention, dit-il, est louable,
sans doute, mais la formule n'en demeure pas moins encore très
vague. .. EUe risque, en effet, de mener très loin les préparateurs du
budget; car les travaux susceptibles d'améliorer l'outillage économique
suscitent bien des appétits. » (Cf. Le budget, 4« édition, p. iSS et note 1.)
' Max Boucarjo et Gaston Jèze. Éléments de la science des finances et
de la léffislation financière française, 2« édition, 1. 1, p. 107. Paris, Giard
et Brière. 4905.
( 139 )
unique, toutes les recettes d'une part et toutes les dépenses de
l'autre : il est nécessaire, dit H. Léon Say, d'enfermer le
budget dans un monument dont on puisse apprécier aisément
l'ordonnance et saisir d'un coup d'œil les grandes lignes. De
là, le principe de l'unité ^. »
Les auteurs s'accordent généralement à considérer l'unité
comme une qualité essentielle d'une bonne organisation bud-
gétaire. Le budget est d'abord un état contenant les proposi-
tions et les évaluations des recettes et des dépenses pour un
exercice déterminé. Mais c'est aussi un acte portant approba-
tion de ces recettes et de ces dépenses. Les propositions et les
évaluations émanent du gouvernement; l'approbation, du Par-
lement. Or, pour que ce dernier soit complètement éclairé, il
est préférable de lui présenter le budget en un total unique
plutôt que de le morceler en des documents séparés et isolés 2.
Dans la pratique, Tunité budgétaire peut être compromise
de plusieurs manières. « Les principales causes du morcelle-
ment sont, soit la constitution de budgets extraordinaires, soit
l'existence de budgets annexes, soit l'ouverture de services
spéciaux du trésor, soit la présentation dans des documents
séparés des divers éléments du budget général 3. »
Dans le budget belge, elle est compromise :
1« Par la distinction tranchée qui est faite entre le budget
ordinaire et le budget extraordinaire. Ces deux budgets sont
* Stourm, loc, dt., p. 143, note 1.
* a Nous savions tous, disait M. Thiers en 1868, à propos des budgets
de l'Empire, nous savions tous, il y a vingt ou trente ans, notre situation :
il n'y avait qu'à regarder la première page du budget pour connaître
toutes les dépenses, même extraordinaires, et toutes les recettes. Les
gens les plus ignorants et les moins attentifs savaient ce qu'était la
situation. £h bien! depuis qu'on a divisé notre budget en plusieurs
autres, il devient très difficile de s'y reconnaître . . Une seule chose est
sincère, utile et profitable, c'est d'avoir dans un seul tableau, toutes les
dépenses, même extraordinaires, de l'État; dans un seul autre, toutes
les recettes : alors, on sait la situation ...» (Discours de M. Thiers au
Corps l^slalif, 3 juillet 4868, cité par M. Stourm, loc, cit., p. 222.)
5 BoucARD et Jèze, loc. cit., pp. 407-108.
(140)
isolés l'un de l'autre, chacun possède son total propre; ils sont
contenus dans deux projets distincts, présentés à des époques
différentes, et les crédits qui les composent ont une durée de
validité qui est d'un an pour les crédits ordinaires et de trois
pour les crédits extraordinaires;
S*" Au lieu d'être présenté en un document unique, le budget
ordinaire est réparti en treize projets de loi distincts, examinés
par treize sections centrales et votés en treize lois séparées.
Comment apprécier cette organisation?
Nous examinerons successivement la question des budgets
distincts et celle du budget extraordinaire.
Remarquons d'abord qu'aucun article de la Constitution ou
des lois et règlements de comptabilité ne détermine le mode
de présentation du budget. Ce mode est laissé à l'appréciation
du ministre des finances ^.
Dans un discours à la Chambre, M. Frère-Orban avait, il
est vrai, insinué un jour que la forme de la loi unique sem-
blait avoir les préférences de la Constitution. « En France, en
Angleterre, en Italie, disait-il, c'est un budget que l'on discute
et non pas des budgets séparés et divisés; suivant les termes
mêmes de notre Constitution, il semblerait qu'il en dût être
de même chez nous 2. »
L'orateur faisait allusion sans aucun doute à larticle 115 de
la Constitution : «Chaque année, les Chambres ... votent le
budget ... toutes les recettes et dépenses ... doivent être portées
au budget. » Mais si l'on parcourt les textes de la loi de 1846
et du règlement de 1868, on constate que le législateur emploie
indifféremment les termes de « le ou les budgets » — « la loi
annuelle des finances » ou c< les lois annuelles de finances j), et
il est difficile dès lors d'argumenter de ces textes en faveur de
l'un ou de l'autre mode de présentation du budget.
Quoi qu'il en soit, la forme des projets de loi multiples et
* Cf. Discours de M. Graux. (Ch. des Représ., séance du 28 février 1883.)
* Ch. des Représ., séance du 16 décembre 1884, Ann. pari., p. 252.
( 141 )
séparés a toujours eu la préférence de tous les gouvernements
qui se sont succédés au pouvoir en Belgique, sauf pour la seule
année 1884, lorsque M. Graux concentra tous les budgets en
une loi unique.
Ce dernier système présente, selon nous, de très sérieux
avantages, parce qu'il permet au Parlement d'envisager dans
son ensemble la situation financière de TÉtat et de procéder à
un examen général du budget par l'intermédiaire d'une seule
section centrale, avant de passer au vote définitif.
Il résulte, indiscutablement à notre avis, de cette organisa-
tion, une plus grande clarté, et le Parlement mieux informé est
plus capable de donner son vote en connaissance de cause.
Le « vote éparpillé » des budgets, qui est la conséquence du
régime actuel, présente des inconvénients très grands à ce
point de vue. Dans un récent rapport au Sénat ^, M. le cheva-
lier Descamps- David les exposait d'une manière saisissante en
ces termes : ce Le membre de la Législature qui essaie de se
rendre compte de la manière dont il procède à cet acte capital
de la vie parlementaire — le vote du budget — ne laisse pas,
présentement, d'éprouver quelque embarras. D'abord, il ne
vote pas, à proprement parler, dans sou unité lumineuse, le
budget des dépenses et des recettes de l'État. Il se borne à voter
des budgets isolés contenant des ressources et des dépenses
publiques.
ce L'ordre dans lequel il accomplit cette tâche — si tant est
qu'on puisse l'appeler un ordre — est, à coup sûr, peu satis-
faisant.
D'abord, il détermine les moyens de faire face aux
dépenses ordinaires de l'État, avant d'avoir fixé les éléments
et le quantum de ces dépenses.
» En ce qui concerne ces dernières, il commence à octroyer
des crédits provisoires pour tous les budgets. Ce blanc-seing
accordé, il vote, au hasard des rapports faits les premiers ou
* Rapport sur le projet de budget des voies et moyens pour 1898,
(Sénat, sess. de 4897-1898, Doc. pari,, no 12.)
( 142)
de contingences parlementaires plus aléatoires encore, douze
budgets séparés, que leur isolement livre plus facilement en
proie à des assauts variés. Puis, en cours d'exercice, — et sou-
vent plus tard, — il pourvoit à des allocations additionnelles
ordinairement accompagnées de transferts. Enfin, après avoir
adopté dans ces conditions ce que Ton appelle le budget ordi-
naire, il vote en fin d'année parlementaire une série de
dépenses comprises dans un budget nouveau appelé le budget
des dépenses extraordinaires, également isolées des premières,
et dont la contre-partie est en quelque sorte demandée exclu-
sivement à l'emprunt.
» Il n'est pas facile d'indiquer, dans une telle procédure, le
moment oU Von pourrait s'occuper en toute lumière de la grave
question de l'équilibre financier et des problèmes qui s'y rat-
tachent,
» // est même presque inévitable que ton ne perde de vue, dans
une certaine mesure, les nécessités de cet équilibre. Un exemple
récent nous en fournit la preuve. Les Chambres ont voté le
budget de 1896 en déficit de plus de 1,200,000 francs. Les
membres du Parlement se sont-ils aperçus de ce fait au
moment de leur vote? C'est plus que douteux : car si on l'eût
remarqué, le devoir strict était de proposer et de voter les voies
et moyens correspondant à l'excédent des dépenses. Cela seul
est correct et de bon exemple pour les autres administrations
du pays. »
M. Cooreman, en sa qualité de rapporteur au Sénat de la
Commission spéciale du budget extraordinaire pour 1896,
résumait, de son côté, en une phrase caractéristique, les cri-
tiques que soulève le système actuel : « Le rapprochement, la
comparaison de tous les crédits est indispensable, disait-il,
pour que le vote de la Législature puisse être émis avec une
compréhension nette de la synthèse budgétaire et avec une
consciente appréciation de l'équilibre du budget général. »
Plus tard, reprenant la même idée, l'honorable sénateur
faisait au Sénat la déclaration suivante : « En principe, je tiens
que le gouvernement doit présenter en même temps les prévi-
(443)
sions de dépenses et les prévisions de recettes et aussi que la
Législature devrait voter en même temps le budget des voies
et moyens et le budget général des dépenses... Je dis, Mes-
sieurs, que le budget des recettes et le budget des dépenses
devraient être présentés en même temps et votés en même
temps. Je parle des budgets ordinaires ^. »
Ces paroles, ainsi que le constatait M. Dupont, furent sou-
lignées par l'approbation de l'assemblée entière.
Une partie notable du Parlement s'associe donc aux critiques
que soulève le régime actuel et ses préférences semblent aller
au système qu'avait tenté d'introduire H. Graux.
Il est équitable cependant de remarquer qu'au point de vue
où nous nous sommes placé, la pratique belge des projets
de loi distincts et séparés atténue dans une certaine mesure
les inconvénients théoriques du système.
Les treize projets de loi qui composent le budget ordinaire
ne sont pas présentés aux Chambres séparément, à des époques
différentes, mais le même jour et réunis dans un seul docu-
ment parlementaire. Ils sont, de plus, précédés d'un exposé
général, qui résume la situation d'ensemble.
C'est là, certes, une circonstance largement atténuante.
M. Paul Leroy- Beau lieu le constate lorsqu'il apprécie l'orga-
nisation budgétaire qui existait en France sous le Second
Empire, alors que cinq budgets distincts étaient présentés à la
fois et dans le même document. <( Il était donc facile, dit-il,
de se reporter de l'un aux autres, de les comparer entre eux et
de se faire avec quelques recherches une idée complète de la
situation de chaque service ainsi que de l'ensemble des
dépenses du pays. Cette réunion dans un même volume de
ces documents divers diminuait beaucoup l'inconvénient de
ces comptes multiples 2. »
C'est aussi dans ce sens qu'il faut entendre le mot de
H. Beernaert que nous citons plus haut : c< Nous avons en
* Sénat, séance du 23 décembre 1897, Ann. pari., p. 49.
* P. Leroy-Beauueu, Traité de la science des finances, 6« édit., t. II,
p. 25. Paris, Guillaumin, 1899.
( 144 )
Belgique le budget unique, mais il est voté par fragments ^ ».
Hais c'est précisément ce vote fragmentaire que l'on
condamne parce qu'il fait perdre de vue Tensemble de la
situation financière et l'équilibre final du budget.
À aucun moment, les Chambres n'ont le moyen d'étudier et
d'examiner à fond cet équilibre. Les treize projets de loi sont
soumis à l'examen de treize sections centrales indépendantes.
Ce qu'il faudrait tout au moins, c'est une seule section centrale
ou commission budgétaire, étudiant tous les budgets à la fois,
les rapprochant les uns des autres, les comparant et les
combinant entre eux, de manière à extraire de cette étude et à
présenter le plus clairement possible au Parlement la situation
réelle des finances du pays.
D'autre part, — et nous l'avons déjà remarqué : c'était une
illusion de ses promoteurs, — le budget unique n'a pas pour
vertu de hâter les discussions et d'assurer le vote du budget en
temps utile. Il ne peut produire ce résultat, pas plus d'ailleurs
que le système des projets de loi multiples. Le vote du budget
avant le commencement de l'exercice dépend, en effet, ainsi
que nous le dirons, non pas du mode de présentation choisi
par le gouvernement, mais d'autres circonstances : telles que,
par exemple, une discipline plus sévère imposée aux discus-
sions parlementaires, le dépôt des budgets plusieurs mois
avant le début de l'exercice, etc...
Or, tant que subsistera cette pratique vicieuse du vote
retardé des budgets, le système des projets de loi multiples
aura du moins pour effet d'assurer le vote de quelques budgets
avant le commencement de l'exercice.
C'est là un léger avantage du système, mais qui ne compense
pas suffisamment ses grands inconvénients.
De ce qui précède, nous concluons :
l"" 11 faut préférer, pour la présentation du budget, le projet
de loi unique aux projets de loi distincts correspondant aux
divers services ou départements ministériels;
* Cf. supra, p. 112.
( 148 )
2" Même dans le système des projets de loi multiples, il
conviendrait de soumettre l'ensemble de ces projets à une seule
commission du budget ou section centrale. La Chambre et le
Sénat possèdent déjà, d'après leurs règlements respectifs, le
droit d'instituer cette procédure. En y recourant, le Parlement
réaliserait, à notre avis, un progrès réel.
Le projet de loi unique et la commission unique sont,
d'ailleurs, de pratique constante et générale dans la plupart
des pays.
On ne pourrait guère citer à titre d'exception importante à
cette règle que l'exemple de Tllalie.
Dans ce pays, on distingue le budget de première prévision
du budget de prévision définitive (di definitiva previsione) ou
rectificatif.
Le budget de première prévision est déposé par le ministre
des finances dans le courant de novembre pour l'exercice
suivant (1^^ juillet au 30 juin). 11 se divise en douze projets de
loi distincts : onze projels de dépenses et un projet de recettes,
qui comprend aussi un état récapitulatif des dépenses.
Tous ces projets sont renvoyés à l'examen d'une seule com-
mission permanente composée de trente membres et nommée
par la Chambre au scrutin secret.
• « Tous les budgets de première prévision sont discutés et
volés par les deux Chambres avant l'ouverture de l'année
financière. Mais au mois de novembre, alors que l'exercice est
déjà en cours depuis plusieurs mois, le ministre des finances
présente à la Chambre un projet de loi poriant rectification
du budget primitif. // n'y a plus alors douze projets distincts,
mais un seul projet renfermant Vélat des chapitres à modifier et
la récapitulation des recettes et des dépenses telles qu'elles
résultent du budget rectificatif ^ ».
En France, un seul projet de loi général comprend l'en-
semble des propositions budgétaires, mais le Parlement se
* Cf. DuPRiEZ, Les ministres dans les principaux pays d^Europe et
S Amérique, 1. 1, pp. 316-317. Paris,. Rothschild, 1892.
Tome LXVI. 10
(146)
voit obligé de détacher du projet général et de voter, dès le
mois de juillet, une loi spéciale : la loi des contributions
directes. Une notable partie des recettes est ainsi votée avant
qu'on ait même examiné aucune dépense. « Cette disjonction,'
remarque M. Stourm, a l'inconvénient de couper en deux le»
budgets et de rompre l'unité. » Mais c'est la conséquence forcée
du mode actuel de travail financier des Chambres et de la
persistance des retards dans le vote des budgets.
« Un délai de quatre ou cinq mois est, en effet, indispen-
sable d*abord aux conseils généraux et d'arrondissement pour
répartir et sous-répartir les contingents, puis aux agents des
contributions directes pour confectionner les rôles. »
Les contributions directes sont d'ailleurs rattachées expres-
sément au budget général par un article de leur loi spéciale,
mats on s'accorde, en France, à regretter la nécessité où l'on
est de recourir à cette pratique peu conforme au principe de
l'unité budgétaire <.
La question du budget unique a toujours été envisagée, dans
notre pays, au seul point de vue que nous venons de discuter :
la présentation du budget en un projet de loi unique ou en
projets de loi séparés et distincts.
Mais ce n'est là qu'un aspect du problème de Tunité budgé-
taire et ce n'est pas le plus important, à notre sens.
11 existe, en eifet, dans notre organisation budgétaire, une
autre infraction à la règle de l'unité, plus grave et plus grosse
de conséquences : c'est le budget extraordinaire.
c< Le budget extraordinaire, dit M. Stourm, pourvoit, en
dehors des cadres du budget ordinaire, aux dépenses excep-
tionnelles de l'État. » Et précisant cette définition, il décrit de
la manière suivante les deux caractères distinctifs du budget
extraordinaire. C'est d'abord : « la création de ressources
exceptionnelles. Mais le fait que les ressources sont exception-
nelles ne sufiit pas à donner naissance au budget extraordi-
* Cf. Stourm, loc. cit., pp. 206-207.
(147)
naire, tant que ses opérations demeurent confondues ou
englobées dans le total même du budget général. Le budget
extraordinaire ne mérile réellement son nom que lorsqu'il est
isolé du budget général. Cest son isolement, c'est sa totalisa-
tion séparée qui lui confère réellement son titre ^ ».
Cette définition s'adapte parfaitement au budget extraordi-
naire belge, dont nous avons décrit en détail les caractères.
Ce budget constitue, à la lettre, une individualité, une person-
nalité comptable, nettement distincte du budget ordinaire.
11 mérite d'être appelé par M. Stourm « le type le plus complet
de budget extraordinaire ^ ».
C'est lui qui rompt surtout l'unité du budget belge. Quelles
sont donc les critiques que Ton peut faire à cette organisation,
quels en sont les inconvénients?
L'existence d'un budget extraordinaire, distinct du budget
général, est pour un gouvernement une tentation permanente
d'y incorporer des dépenses qui normalement devraient appar-
tenir au budget ordinaire. La délimitation entre dépenses ordi-
naires et dépenses extraordinaires est malaisée à établir, et il
n'existe pas de définition précise des unes et des autres. Ce
qui faisait dire à M. Léon Say : « Les dépenses sont ordinaires
quand la commission du budget déclare qu'elles le sont; elles
deviennent extraordinaires quand la commission du budget
les juge telles. C'est une question d'arbitraire 3 ».
a De cette absence de frontières, remarque M. Stourm,
résulte forcément l'abus, qui consiste invariablement à
reporter l'ordinaire sur l'extraordinaire. Celui-ci, en effet,
alimenté par l'emprunt, a des allures beaucoup plus hospita-
lières que son collègue alimenté par Timpôt. L'extraordinaire
accueille tous ceux qui s'adressent à lui : il n'oppose de fin de
non-recevoir à personne, puisqu'il est extensible à volonté.
1 iWrf., pp. 224et217.
. « Ibid,, p. 238.
3 Chambre des députés, 27 juillet 4882. — Cité par M. Stourm, loc. cit. y
p. 228.
.(148)
pès lors, la foule l'assiège et des introductions abusives se
produisent incessamment dans son sein... Les budgets extra-
ordinaires désorganisent donc le budget ordinaire par l'attrac-
tion qu'ils exercent sur lui ; l'emprunt et l'impôt paient alors
corrélativement des services que l'impôt devrait seul acquitter,
et les principes d'économie disparaissent dans cette confu-
sion *. »
Celte première 'critique s'applique pleinement au budget
extraordinaire considéré d'une manière absolue. Elle pouvait
s'adresser aussi au budget extraordinaire belge tel qu'il était
constitué avant 1895. Mais il faut reconnaître que la distinc-
tion entre dépenses exceptionnelles et dépenses extraordi-
naires, introduite à partir de cette époque par M. de Smet
de Naeyer, a corrigé dans une large mesure cette attraction
abusive exercée par le budget extraordinaire sur le budget
ordinaire et dissipé la confusion qui s'établissait trop facile-
ment entre les deux.
Si cette réforme a heureusement amélioré le régime du
budget extraordinaire, elle laisse subsister cependant la tenta-
tion d'en abuser et n'écarte qu'incomplètement le danger que
le budget extraordinaire présente pour les finances publiques,
livrées aux mains d'un gouvernement peu économe et peu
soucieux de l'intérêt général.
De plus, on ne peut guère approuver ni le mode de présen-
tation, ni le mode de discussion du budget extraordinaire
belge.
Il est déposé à la Chambre très tard, au cours de la session
et le plus souvent en fin de session. Celui de 1902 a été
déposé le 15 avril, la Chambre s'est séparée le 7 mai et le
Sénat le 20.
En moins de trois semaines, ce budget a dû être examiné
par les sections, rapporté, discuté et voté. Le Parlement ne
dispose pas du temps matériellement nécessaire pour étudier
d'une manière sérieuse ce budget, l'un des plus importants
« Stourm, loc. cit., pp. 228-230.
( 149 )
cependant et qui engage profondément les finances du pays ^.
Aussi tes discussions sont-elles écourtées et ëlranglées, les
orateurs se contentent de présenter quelques considérations
* Une récente discussion (3, 10, 22 mai 1901) sur le projet d'une gare
centrale à Bruxelles et la jonction Nord-Midi a mis, une fois de plus, en
relief les vices du système suivi en matière de vote de travaux publics
importants, prévus par le budget extraordinaire. M. Woeste les caracté*
risait très exactement en ces termes : « Messieurs, il s'est passé et il
se passe à l'occasion de la gare centrale ce qui s'est passé déjà dans
maintes occasions et ce qui a donné lieu à de très graves abus : à la fin
d'une session, on annonce un grand travail au milieu de la distraction
générale; les Chambres ne savent pas au juste ce que coûtera ce travail ;
elles votent d'abord un léger crédit, sans en calculer les conséquences.
Puis, quand il s'agit de continuer le travail, arrivent les demandes de
millions; les millions s'accumulent sur les millions, l'anxiété nait et
Ton s'écrie : il est trop lard. Vous avez voté le principe : il faut voter
tous les raillions que nous réclamons ! Voilà le système. Ce système est
mauvais. » (Séance du S mai,)
Les forts de la Meuse, dont le coût avait été évalué à 34 raillions et qui
ont coûté finalement 70 raillions, le Palais de justice de Bruxelles, etc.,
sont des exemples classiques de cette manière de procéder.
Le 10 mai, M. Renkin appuyait les critiques de M. Woeste : « Je recon-
nais bien volontiers, disait-il, que l'an dernier, les crédits du budget
extraordinaire, destinés à la construction de lignes nouvelles, compren-
nent des sommes destinées à l'exécution d'un plan déterminé de jonction
Nord-Midi avec gare centrale. Cela n'est pas sérieusement contestable,
mais il n'en est pas moins vrai que la question n'a pas été soumise à
l'étude approfondie qu'elle mérite et que les Chambres ont vraiment vote
à la vapeur parce qu'elles y étaient obligées. C'est un peu la carte
forcée. Il faut bien le reconnaître, dans les critiques formulées par
M. Woeste contre le système suivi depuis toujours en matière de travaux
publics, il y a beaucoup de vrai. Le système qui consiste à voter par
tranches les crédits pour les grands travaux sans jamais procéder à un
examen et à un vote d'ensemble aboutit tout simplement à supprimer le
contrôle des Chambres, car après le vote de deux ou trois crédits, les
Chambres sont souvent obligées, par les faits accomplis, à consacrer des
prodigalités consécutives, mais devenues inévitables. Cela s'est produit
en diverses affaires rappelées par M. Woeste, et plus récemment encor
pour la gare d'Anvers, qui coûtera 23,500,000 francs : si on avait d
prime abord soumis à la Chambre des projets comportant une telle
dépense, je doute fort qu'on les eût adoptés. » ^
( 150 )
générales, ils n'ont visiblement !pas eu le loisir d'examiner à
fond les propositions gouvernementales, et le Parlement vote
de confiance un budget qu'il connaît peu ou prou. U est temps
vraiment que l'on modifie celte procédure fantaisiste et
funeste, en présentant tout au moins le budget extraordinaire
en temps utile et en même temps que les budgets ordinaires.
Enfin, le budget extraordinaire ne fait pas apparaître claire-
ment la situation financière réelle; il tend facilement à la
masquer et à la dissimuler. Nous n'irons pas jusqu'à formuler
sur le budget extraordinaire belge l'appréciation sévère que
porte M. Stourm sur le budget extraordinaire constitué
sous l'Empire par une loi du 2 juillet 1862 : « Le gouverne-
ment désirait surtout alors dissimuler l'augmentation des
dépenses publiques en divisant leur total. Tel est toujours^ en
réalité, le but secret de la disjonction des budgets extraordinaires :
on espère faire illusion au pays L »
Nous ne croyons pas qu'aucun de nos gouvernements en
maintenant le budget extraordinaire ait poursuivi consciem-
ment le but de tromper le pays et de dissimuler l'état réel des
finances.
Cet état réel apparaît d'ailleurs toujours dans les comptes
établis sincèrement et loyalement, avec le concours de la
Cour des comptes. Mais il faudrait aussi que les prévisions
exposassent d'une manière plus complète et plus claire
l'ensemble de la situation, et cela se réaliserait si nos budgets
étaient présentés en un seul total au lieu de deux, l'un pour
l'ordinaire, l'autre pour l'extraordinaire.
Expliquons notre pensée par un exemple. Le budget ordi-
naire se clôt généralement en Belgique, depuis nombre
d'années, par un excédent de recettes ou boni. Le budget
extraordinaire se clôture, lui, d'une manière variable, tantôt
par un boni, tantôt par un déficit, et il en est de même lors-
qu'on réunit les totaux des deux budgets.
Mais cette situation n'apparaît que dans le compte définitif
du règlement général du budget d'une année.
* Stourm, lac. cit., pp. 220-221.
( ISI )
Ainsi, le résultat général du budget de l'exercice de 1899
est le suivant :
Sertnces ordinaires, — Excédent de recettes 17,601,156 44
Services extraordinaires, — Excédent de dépenses, .ir. 104,771,735 47
Services ordinaires et extraordinaires i Recettes . . . 483,271,531 65
réunis. \ Dépenses. . . 570,442,110 68
- Par conséquent, les dépenses dépassent les recettes de
fr. 87,170,579 03, et comme l'exercice 1898 présentait égale-
ment un mali de fr. 599,732 30, l'exercice 1899 se clôture
finalement par un excédent de dépenses de fr. 87,770,311 33 1.
Si on avait présenté en un seul budget l'ensemble des
recettes et l'ensemble des dépenses tant ordinaires qu'extraor-
dinaires, le Parlement eût été éclairé beaucoup mieux sur la
situation réelle, avant de donner son vote. Tandis qu'avec le
système actuel, il vote le budget ordinaire en boni ; ce boni est
le plus souvent compromis par le budget extraordinaire et il
xie connaît le résultat d'ensemble qu'après clôture d'exercice,
au lieu d'en être informé, au moins approximativement, dès
le vote du budget de l'exercice.
C'est ainsi que le Parlement et le pays avec lui vit dans une
jcertaine illusion, que le total unique du budgel général contri-
buerait à dissiper sans aucun doute.
Aussi les auteurs s'accordent-ils généralement à condamner
le budget extraordinaire distinct et isolé du budget ordi-
naire 2. Us ne l'admettent guère que dans des circonstances
* Cf. Ch. des Représ., sess. de 4901-1902, Doc. pari,, n» 27.
« Cf. Stourm, loc. cit., pp. 224 et suiv.; Boucard et Jèze, loc, cit,, 1. 1,
p. 109; P. Lkroy-Beaulieu, loc. cit., U II, pp. 24 et suiv. Ce dernier
auteur résume très clairement son opinion lorsqu'il dit : « Un des
-points les plus importants et les plus discutés en ce qui concerne la
préparation du budget, c'est celui de savoir s'il faut rassembler tous les
comptes de recettes et de dépenses du pays en un seul état, un seul
budget, ou si, au contraire, on peut sans inconvénient dresser suivant
le caractère ordinaire ou extraordinaire de ces dépenses ou de ces
(1»2)
exceptionnelles et passagères, comme par exemple pour la
liquidation des dépenses d'une guerre. Tel le compte de liqui-
dation, constitué en France, en 1872, pour les dépenses de la
guerre franco-allemande.
Ces circonstances ne se rencontrant pas dans notre pays, où
le budget extraordinaire comprend surtout des dépenses
facultatives de travaux publics, le maintien de cette distinction
entre les deux espèces de budgets ne se justifie pas.
Il conviendrait donc de faire rentrer le budget extraordi-
naire dans le budget général, qui aboutirait ainsi à une seule
totalisation de l'ensemble des recettes et dépenses de l'État.
La pratique étrangère se conforme d'ailleurs à cette procé-
dure. En Angleterre, en Allemagne, en Prusse, en Autriche-
Hongrie, en Italie, il n'existe pas de budget extraordinaire ^ ;
en France, il n'en existe plus depuis 1891. Cependant, l'unité
budgétaire n'y est pas encore complètement réalisée, à cause
notamment des budgets-annexes et des services spéciaux du
trésor 2.
En réunissant, en Belgique, le budget extraordinaire dans
un budget général unique, il ne serait pas impossible cepen-
dant de maintenir pour les crédits extraordinaires la durée de
validité de trois ans. Les raisons que l'on donne en faveur de
cette règle sont sérieuses 3, bien qu'elle occasionne certaines
complications de comptabilité et qu'elle ne s'accorde peut-être
recettes, plusieurs états différents que Ton ne relie pas entre eux et
qu'on ne résume pas dans un seul total. Il y a des arguments en faveur
de l'une et de l'autre solution : c'est moins une question de méthode
qu'une question de bonne foi et d'appréciation des circonstances. Autant
les budgets multiples sont condamnables dans des temps ordinaires, parce
qu'alors ils ne sont propres qu'à produire la confusion dans l'esprit du
législateur, autant ils peuvent être admis, recommandés même, dans des
circonstances exceptionnelles, quand il se rencontre des besoins' passa-
gers auxquels on ne peut faire face qu'avec des ressources extraordi-
naires » (loc. cil, y p. 24).
* Cf. Stourm, lac. cit., pp. 232 et suiv.
« Ibid., p. 269.
3 Cf. supra, p. 426.
(1»3)
pas parfaitement avec la prescription constitutionnelle du vote
annuel du budget.
11 nous reste enfin à envisager brièvement l'éventualité de la
création d'un* budget spécial des chemins de fer, dont il a été
question à diverses reprises et que préconisait encore récem-
ment H. Kenkin, rapporteur du budget des chemins de fer
pour 1902 ^. a Dans le régime budgétaire actuel, disait-il, la
comptabilité vraie du chemin de fer est distribuée entre les
budgets des voies et moyens, de la dette publique, des
finances, des recettes et dépenses extraordinaires, des chemins
de fer, postes et télégraphes.
» Il suit de là que la situation financière du chemin de fer ne
peut aujourd'hui s'établir avec exactitude et correction qu'en
extrayant de ces divers budgets, pour les rassembler ensuite,
toutes les sommes qui concernent le chemin de fer.
» C'est un état de choses qui ne doit pas être maintenu.
Plusieurs fois la section centrale a exprimé cette idée, en
demandant la création d'un budget spécial des chemins de
fer, qui contiendrait toutes les recettes et toutes les dépenses
ordinaires et extraordinaires qui concernent les chemins de
fer. C'est le budget industriel, recommandé par Thonorable
M. Hubert dans son rapport sur le budget de 1899. Le pro-
grès ainsi réalisé serait déjà notable, bien que de pure
forme. »
S'agit-il âe constituer un troisième budget, à côté du bud-
get ordinaire et du budget extraordinaire, c'est consacrer une
nouvelle infraction au principe de l'unité budgétaire et aux
règles du bon ordre financier.
S'agit-ii, au contraire, simplement de grouper, dans les
cadres du budget ordinaire, en un chapitre spécial toutes les
^ Budget du ministère des chemins de fer, postes et télégraphes pour
l'exercice 1902. Rapport fait, au nom de la section centrale, par
M. Renkin. (Gh. des Représ., séance du 12 mars 1902, sess. de 190M902,
Doc. parL, no 78, pp. 438, 439.)
( 184)
dépenses relatives au chemin de fer et distribuées aujoiird'hui
entre divers autres budgets, laissant d'ailleurs subsister Les
recettes du chemin de fer au budget des voies et moyens, cette
modification de pure forme ne serait nullement incompatible
avec la règle de Tunité et nous paraît de nature à satis£aire les
partisans du budget spécial, en réalisant plus de clarté
dans Texposé des prévisions budgétaires relatives au chemin
défera.
CHAPITRE II.
La procédure belge en matiôre de préparation du
budget. — Le comité permanent du budget.
Dans tous les pays, c'est le Pouvoir exécutif qui prépare le
.budget.
c( Lui seul^ remarque M. Stourm, peut et doit remplir ce
rôle. Placé au centre du pays, pénétrant journellement, par
la hiérarchie de ses fonctionnaires locaux, jusqu'au sein des
moindres villages, il se trouve mieux que personne apte à
ressentir d'abord l'impression des besoins et des vœux publics,
puis à en apprécier le mérite comparatif, par conséquent à
chiffrer budgétairement la juste satisfaction que chacun de
ces besoins et de ces vœux comporte... D'ailleurs, devant être
chargé plus tard de l'exécution du budget, dès maintenant le
*- Dans sa réunion du 5 avril 1899, la Société d'économie politique de
Paris a diseuté la question : « de Vunité budgétaire considérée dans ses
rapports avec les services industriels de VÊtat ». H. Georges Michel a
rendu compte de cette discussion dans V Économiste français du
22 avril 1899. On lira avec intérêt ce compte rendu, où Ton trouvera
notamment un exposé très clair du système des budgets extraordinaires
pratiqué en Russie et en Prusse, — pays où les services industriels de
rÉtat sont très développés — par M. A. Raffalovich. On^ trouvera aussi
ua résumé des opinions diverses qui ont cours sur cette question contro-
versée de Tunité budgétaire.
( 188 )
souci de sa responsabilité future l'engage à préparer dans les
meilleures conditions possible le projet dont l'application lui
sera réservée ^. »
Chaque ministre prépare donc le budget qui le concerne,
aidé de ses collaborateurs. Parmi ces derniers interviennent
d'abord les fonctionnaires locaux. Ceux-ci transmettent chaque
année à leurs chefs hiérarchiques leurs propositions de
dépenses pour l'exercice suivant. Remontant d'échelon en
échelon l'échelle administrative, ces propositions parviennent
aux administrations centrales : ponts et chaussées, agriculture,
enseignement, beaux- arts, etc.. Celles-ci récapitulent les pro-
positions des agents locaux. Puis le tout est envoyé au chef du
département, qui procède, avec ses fonctionnaires, à un tra-
vail semblable.
Le projet de chaque département étant arrêté, chaque
ministre l'envoie au ministre des finances. C'est ce dernier
qui centralise donc, en dernière analyse, l'ensemble des pro-
positions de dépenses. Il les examine et les discute avec ses
collègues intéressés. Le ministre des finances n'a certes, en
Belgique, aucune supériorité hiérarchique sur ceux-ci, mais
il peut leur adresser ses observations au sujet des dépenses
proposées, et si un ministre refuse de se rendre à ces obser-
vations, le cas est discuté en Conseil des ministres.
Le projet des dépenses étant arrêté, d'accord avec chacun
des intéressés, le ministre des finances s'occupe de la prépa-
ration du budget des voies et moyens. Il dépose enfin sur
le bureau de la Chambre l'ensemble des budgets, qu'il fait
précéder d'un exposé général, qui est son œuvre.
La présentation du budget à la Chambre devant se faire,
d'après la loi du 24 juillet 1900, le 31 octobre au plus tard, le
budget est préparé aujourd'hui dans le courant de l'été.
' Au mois de juillet, le ministre des finances adresse ordi-
nairement à tous ses collègues des autres départements minis-
tériels une circulaire les invitant à lui feire parvenir pour le
* Stourm, /oc. ci/., pp. 63, 54. -
( 156 )
!•' ou le 15 août au plus tard leurs propositions pour Tannée
suivante. Il leur recommande en même temps la plus stricte
économie dans l'élaboration de ces propositions et le plus
grand soin dans rétablissement des évaluations, de manière
à éviter dans la suite le recours aux crédits supplémentaires.
C'est donc dans le courant des mois d'août et de septembre
que le ministre des finances doit étudier le projet des dépenses
et préparer les voies et moyens, de manière que l'ensemble du
budget puisse être imprimé et distribué aux membres du Par*
lement le 31 octobre au plus tard.
Le ministère des finances assume la besogne principale dans
la préparation du budget, et il existe, dans ses cadres, un
service spécialement chargé de ce travail préparatoire. C'est le
service spécial du budget, institué par un arrêté royal d\x
26 mai 1883 ^, au moment où H. Graux étudiait le nouveau
mode de présentation du budget et qui a été conservé depuis»
. Ce service est dirigé, sous Fautorité immédiate du ministre,
par un comité désigné sous le titre de Comité peimanent du
budget.
D'après l'arrêté organique, ce comité est composé : du secré-
taire général du ministère des finances, président, et de quatre
fonctionnaires supérieurs appartenant aux diverses adminis-
trations centrales du même ministère, dont l'un remplit les
fonctions de secrétaire.
Les membres de ce comité sont nommés par le ministre des
finances qui désigne également les autres agents chargés de
coopérer au travail du service du budget.
Le comité permanent a dans ses attributions la préparation
des avant- projets de loi de budget et de toutes les lois de
crédit qui le modifient ou s'y rattachent. Il réunit, à cet effet,
et coordonne les évaluations, propositions et développements
justificatifs qui sont fournis par les divers départements minis-
tériels.
Les préparateurs du budget doivent, dans l'accomplissement
* Moniteur dn dO m2l '
( 157 )
de leur tâche, observer certaines règles et certaines prescrip-
tions, notamment la règle de l'universalité et les prescriptions
coutumières relatives à l'évaluation des recettes et des dépenses.
CHAPITRE m.
La règle de runiversalité.
§ 1. — L'article H5, alinéa 2 de la Constitution.
La règle de l'universalité est comme le corollaire de celle de
l'unité. Le budget ne doit pas seulement aboutir à un total
unique, tant en recette qu'en dépense; il doit aussi décrire
in extenso toutes les opérations de recette et de dépense, sans
confusion ni atténuation ^.
£t cela, afin que la représentation nationale, qui a mission
de donner son approbation aux prévisions établies par le gou-
vernement, soit éclairée complètement sur l'ensemble de la
situation budgétaire et qu'aucune recette ou dépense de l'État
n'échappe à son examen et à son contrôle ^.
C'est pourquoi la Constitution énonce la règle de l'universa-
lité dans le même article qui décrète le vote annuel des budgets
et des comptes : Toutes les recettes et dépenses de VÉtat, dit
l'article lie, alinéa 2, doivent être portées au budget et dans les
comptes.
Cette prescription constitutionnelle est absolue, elle n'admet
pas d'exception, et l'on peut dire que l'universalité est très
strictement observée dans le budget belge.
* Stodrm, lac. ail. y p. 143.
* « Du moment que toutes les recettes et toutes les dépenses publiques,
sans exception, doivent recevoir la sanction des représentants du pays,
il faut que chacune d'elles soit inscrite au budget, afin de prendre nomi-
nativement sa part de cette nécessaire sanction. » (Stoujim, lac. cit^
p. 144.)
( 186 )
!•' ou le 15 août au plus tard leurs propositions pour l'année
suivante. Il leur recommande en même temps la plus stricte
économie dans l'élaboration de ces propositions et le plus
grand soin dans l'établissement des évaluations, de manière
à éviter dans la suite le recours aux crédits supplémentaires.
C'est donc dans le courant des mois d'août et de septembre
que le ministre des finances doit étudier le projet des dépenses
et préparer les voies et moyens, de manière que l'ensemble du
budget puisse être imprimé et distribué aux membres du Par-
lement le 31 octobre au plus tard.
Le ministère des finances assume la besogne principale dans
la préparation du budget, et il existe, dans ses cadres, un
service spécialement chargé de ce travail préparatoire. C'est le
service spécial du budget, institué par un arrêté royal du
26 mai 1883 ^, au moment oii H. Graux étudiait le nouveau
mode de présentation du budget et qui a été conservé depuis.
. Ce service est dirigé, sous l'autorité immédiate du ministre,
par un comité désigné sous le titre de Comité pet^manent du
budget.
D'après l'arrêté organique, ce comité est composé : du secré-
taire général du ministère des finances, président, et de quatre
fonctionnaires supérieurs appartenant aux diverses adminis-
trations centrales du même ministère, dont l'un remplit les
fonctions de secrétaire.
Les membres de ce comité sont nommés par le ministre des
finances qui désigne également les autres agents chargés de
coopérer au travail du service du budget.
Le comité permanent a dans ses attributions la préparation
des avant- projets de loi de budget et de toutes les lois de
crédit qui le modifient ou s'y rattachent. Il réunit, à cet effet,
et coordonne les évaluations, propositions et développements
justificatifs qui sont fournis par les divers départements minis-
tériels.
Les préparateurs du budget doivent, dans l'accomplissement
* Moniteur du 30 mai. '
( 187 )
de leur tâche, observer certaines règles et certaines prescrip-
tions, notamment la règle de Tuniversalité et les prescriptions
coutumières relatives à l'évaluation des recettes et des dépenses.
CHAPITRE m.
La règle de runiversalité.
§ 1. — L'article H5, alinéa 2 de la Constitution.
La règle de l'universalité est comme le corollaire de celle de
l'unité. Le budget ne doit pas seulement aboutir à un total
unique, tant en recelte qu'en dépense; il doit aussi décrire
in extenso toutes les opérations do recette et de dépense, sans
confusion ni atténuation ^.
£t cela, afin que la représentation nationale, qui a mission
de donner son approbation aux prévisions établies par le gou-
vernement, soit éclairée complètement sur l'ensemble de la
situation budgétaire et qu'aucune recette ou dépense de l'État
n'échappe à son examen et à son contrôle 2.
C'est pourquoi la Constitution énonce la règle de l'universa-
lité dans le même article qui décrète le vote annuel des budgets
et des comptes : Toutes les recettes et dépenses de l'État, dit
l'article 115, alinéa 2, doivent être portées au budget et dans les
comptes.
Cette prescription constitutionnelle est absolue, elle n'admet
pas d'exception, et l'on peut dire que l'universalité est très
strictement observée dans le budget belge.
* Stourm, toc. cit., p. 143.
* « Du moment que toutes les recettes et toutes les dépenses publiques,
sans exception, doivent recevoir la sanction des représentants du pays,
il faut que chacune d'elles soit inscrite au budget, afin de prendre nomi-
nativement sa part de cette nécessaire sanction. » (Stou|lm, lac. cit^f
p. 144.)
(188)
Cependant, afin de mieux se rendre compte de la portée de
la règle, il ne sera pas inutile de considérer certains cas d'ap-
plication.
§ 2. — Étendue d'application.
A. — Le budget belge est un budget brut.
On peut concevoir, en effet, deux manières de dresser un
budget.
Ou bien, on se contente d'inscrire au budget les recettes,
déduction faite des frais de perception qu'elles occasionnent
et des différentes charges qui les grèvent et les services des
dépenses, diminués des produits plus ou moins importants
qu'ils fournissent à l'État.
On dresse alors un budget net. Le budget net eut histori-
quement les préférences des préparateurs du budget. On le
rencontre partout à l'origine des institutions budgétaires et
aujourd'hui encore dans certains États allemands, comme la
Saxe, le Wurtemberg, le Grand-Duché de Hesse. il a été usité
en Franco jusqu'en 1818, en Angleterre jusqu'en 1858, en
Bavière jusqu'en 1868 ^.
Le budget de l'Empire d'Allemagne est actuellement, en
grande partie, dressé sous cette forme. Le produit des postes
et télégraphes, qui s'élevait à 4o0 millions, n'était inscrit que
pour 60 millions au budget de 1899-1900. Les droits de douane
et de timbre, les impôts sur le sel, le sucre, le tabac, l'alcool,
la bière ne sont versés au trésor impérial par chacun des États
fédérés que pour leur produit net "^.
Ou bien, on inscrit au budget, parmi les recettes, tous les
revenus bruts de l'État, tandis que les dépenses renseignent
* QL D' Max von Heckel, Dos Budget, Leipzig, Verlag von C. L. Hirsch-
feld, 1898. (Collection K. Frankenstein), pp. 36 et suiv.; Stourm, loc, dt,,
chapitre VI, et spécialement pp. 160 et suiv. ; Boucârd et Jèze, loc. cit.^
pip. 90 et suiv.
* Stourm, loc. cit., p. 161.
( 189 )
les charges et les frais qui grèvent ces revenus. De même, on
inscrit parmi les dépenses les dépenses brutes, alors que Ton
rencontre parmi les recettes les produits qui diminuent éven-
tuellement d'autant ces dépenses.
Le budget brut est aujourd'hui d'un usage général dans la
plupart des pays, et notamment en France, en Prusse, en
Autriche-Hongrie, en Italie. Toutes les recettes et dépenses
sont inscrites dans ces budgets pour leur produit brut, sauf
certaines exceptions de minime importance.
Il en est de même en Belgique, bien qu'aucune près-
cription légale n'impose cette procédure, mais elle découle
implicitement de la règle constitutionnelle de l'article 115,
alinéa 2.
Car à supposer que l'on n'inscrive au budget des voies et
moyens les recettes de l'État que déduction faite préalable-
ment de leurs frais de perception, ces frais de perception qui
sont, en réalité, des dépenses de l'Etat, ne figureraient pas au
budget, échapperaient dès lors au contrôle du Parlement, et
la règle de l'universalité serait violée.
Aussi, tous les impôts directs et indirects figurent au budget
des voies et moyens pour leur produit brut, les frais de per-
ception étant renseignés au budget des finances.
Les recettes des chemins de fer sont évaluées à S04 millions
370,000 francs dans le budget des voies et moyens de 190:2,
celles des télégraphes et téléphones à 10,000,000 de francs et
les dépenses correspondantes à ces services sont inscrites dans
le budget des chemins de fer, postes et télégraphes.
Les recettes des postes et des douanes ne figurent pas en
entier, il est vrai, dans le budget des voies et moyens, telles
qu'elles entrent dans les caisses de l'État. Une partie seulement
y est renseignée, non pas, parce qu'on en a déduit les frais de
perception ou des dépenses corrélatives, mais parce qu'en vertu
de la loi du 18 juillet 1860, une notable partie de ces recettes
sont attribuées au fonds communal, qui est un fonds de tiers
renseigné au budget des recettes et dépenses pour ordre.
Quant aux services des dépenses, ils figurent aussi pour
( 160 )
leur import total dans les budgets de dépenses, sans dëduo
lion des menus produits qu'ils pourraient donner. Ceux-ci
figurent au budget des voies et moyens. Pour ne citer qu'un
exemple, les dépenses nécessitées par les établissements de bien-
faisance de rÊtat sont inscrites, dans leur intégralité, au
budget de la justice, tandis que les produits des établissements
de bienfaisance de TÉtat figurent parmi les capitaux et revenus
au budget des voies et moyens de 19012, pour 125,000 francs
(art. 39).
B. — Loi du 45 mai 4846 sur la comptabilité : article 46.
L'article 16 de la loi sur la comptabilité de l'Etat contient
dans son alinéa 2 une nouvelle application de la règle de
l'universalité :
« Les ministres, y est-il dit, ne peuvent accroître par aucune
ressource particulière le montant des crédits affectés aux dépenses
de leurs services respectifs ^. »
Le crédit ouvert à chaque ministre constitue en efi'et pour
lui une limite infranchissable, tracée par la Législature, aux
dépenses de son administration. C'est le [H*incipe que pro-
clame l'alinéa 1 du même article : a Les ministres ne peuvent
faire aucune dépense au delà des crédits ouverts à chacun
d'eux. »
Et la règle de l'alinéa 2 ne fait qu'assurer l'application de ce
principe. Car s'il était permis aux ministres de se créer des
ressources particulières en dehors des crédits législatifs, il leur
serait facile de faire des dépenses illégales et de rendre illu-
soire le contrôle de leur administration.
* Ce texte est littéralement emprunté à l'article 3 de Tordonnance de
M. de Villèle du 14 septembre 1822, devenu depuis Tarticle 43 du décret
du 31 mai 1862. Après avoir, par la loi du 15 mai 1818, fait prévaloir le
principe d'universalité à l'égard des recettes, en prescrivant de dresser
en France le budget brut, M. de Villèle avait organisé ce même principe
à l'égard des dépenses. (Stourm, loc. cit., p. 149.)
( 161 )
Il fallait donc, afin d'assurer ce contrôle, ainsi que le bon
ordre et la régularité dans les finances, faire figurer au budget
toutes ces ressources accessoires et particulières, qui naissent
constamment au cours des opérations administratives ^.
C'est la raison d'être de l'article 16.
Les alinéas 3 et 4 de cet article indiquent deux applications
spéciales de la règle générale formulée à l'alinéa 2.
La première concerne les objets mobiliers ou immobiliers
à la disposition des ministres, qui peuvent être remployés et
sont susceptibles d'être vendus (alinéa 3.)
La loi détermine l'autorité qui fera ces ventes — l'admi-
nistration des domaines — et les formes à observer. Ces formes
sont les formes générales prescrites en matière d'aliénation par
l'État : publicité et concurrence. Elle prescrit aussi que le
produit de ces ventes soit porté en recette au budget de
l'exercice courant 2,
^ « Les ministres, dit M. Stourm, à l'occasion des services de leurs
départements, se trouvent, en effet, presque tous, soit accidentellement,
soit d'une manière permanente, titulaires de certaines recettes, lesquelles,
bien qu'étant nées dans le sein de leur administration, ne leur appar-
tiennent pas. Us ne peuvent se les approprier; ils n'ont pas le droit de
s'en faire une ressource; ils doivent verser intégralement leur montant
brut au budget des recettes. De même que la loi de 1818 interdit de
cacher une dépense derrière une recette, de même l'ordonnance de 1822
défend d'abriter une recette derrière une dépense. De part et d'autre, la
description doit être complète : toutes les dépenses sont portées sur
la page qui leur est réservée, toutes les recettes figurent sur une autre
page. » (Stourm, loc, cit., p. 149.)
* Article 16, alinéa 3 : « Lorsque quelques-uns des objets mobiliers
ou immobiliers à leur disposition peuvent être réemployés, et sont
susceptibles d'être vendus, la vente doit en être faite avec le concours
des préposés des domaines et dans les formes prescrites. Le produit de
ces ventes est porté en recette au budget de l'exercice courant. »
L'article 226 du règlement général sur la comptabilité de l'État du
10 décembre 1868 reproduit ce même texte dans ses deux premiers
alinéas, puis il ajoute : « La remise aux agents du domaine des objets
mobiliers destinés à être vendus est constatée par procès-verbal. Une
expédition en est annexée au compte à rendre par le fonctionnaire
Tome LXVI. H
{ 162 )
« L'État, lisons-nous dans un cahier d'observations de la
Cour des comptes, possédant des objets mobiliers et immobi-
liers pour des sommes considérables, la Législature n'a pas
voulu que les ministres puissent trouver dans l'aliénation de
ces biens des ressources occultes qui seraient venues augmen-
ter en fait les crédits alloués à chacun d'eux.
» Tel est le motif du § 2 de l'article 16 de la loi de 1846.
» Cette disposition est d'autant plus sage qu'elle désinté-
resse les administrations dépositaires dans le produit de la
vente, ce qui enlève toute crainte de voir devancer l'heure de
l'aliénation; elle renferme ensuite un principe économique
auquel il est peut-être prudent de ne toucher qu'avec la plus
grande réserve, c'est celui qui concerne l'intervention des
préposés des domaines avec l'obligation de vendre dans les
formes prescrites, c'est-à-dire avec publicité et concur-
rence ^. »
L'alinéa 4 de l'article 16 envisage un autre cas d'application
de la règle de l'alinéa 2, c'est celui de la restitution au trésor
des sommes qui auraient été payées indûment ou par erreur,
sur les ordonnances ministérielles. H sera également fait
recette de ces sommes sur l'exercice courant et il en sera ainsi,
ajoute la même disposition, d'une manière générale, de tous
les fonds qui proviendraient d'une source étrangère aux
crédits législatifs.
Ces différents produits doivent donc être portés en recette
au budget, lis figurent au budget des voies et moyens, dans le
chargé de la conservation ou de remploi de ces objets. Les agents du
domaine joignent également aux comptes qu'ils sont appelés à rendre
une expédition du procès- verbal de la vente des objets dont la remise
leur a été faite.
L'article 227 du même règlement général prévoit le cas de remploi
des matériaux, effets et meubles hors d'usage, qui peuvent, sous Tappro-
bation du ministre, être transformés ou convertis en objets de même
nature, pourvu qu'ils demeurent affectés au service même d'où ils
proviennent.
^ Observations de la Cour des comptes. Session de 1879-1880, p. 3«
(163)
chapitre III : Capitaux et revenus, et dans le chapitre IV :
Remboursements ^.
Cependant, par exception, certains produits échappent à la
règle et alimentent directement la caisse de l'administration
intéressée, sans passer par le budget.
Une première exception est relative aux ventes du fumier
dans les corps de troupes à cheval, des objets d'habillement
et d'équipement hors de service dans les corps des diverses
armes et des approvisionnements sans destination par suite de
mouvements inopinés de troupes sur le pied de guerre 2.
Le produit de ces ventes n'est pas porté en recelte au budget
des voies et moyens ; il est versé directement dans la caisse des
régiments intéressés.
* Cependant, les fonds de remploi, créés dans les conditions prévues
par Tarticle 227 du règlement de 1868 que nous venons de citer, figurent
au budget des recettes et dépenses pour ordre, titre II, chapitre II (voir
plus loin, p. 168).
* Article 16, alinéa 4 : « Il est également fait recette sur Texercice
courant de la restitution au trésor des sommes qui auraient été payées
indûment ou par erreur, sur les ordonnances ministérielles, et généra-
lement de tous les fonds qui proviendraient d'une source étrangère aux
crédits législatifs, sauf les exceptions déterminées par les règlements sur
Tadministration de Tarmée et relatives aux ventes du fumier dans les
corps de troupes à cheval, des objets d'habillement et d'équipement hors
de service dans les corps des diverses armes et des approvisionnements
sans destination par suite de mouvements inopinés de troupes sur le
pied de guerre. »
Cette exception a été introduite dans la loi, en seconde lecture, à la
séance de la Chambre du 11 mars 1846, à la suite d'une observation
présentée à la séance du 3 mars, par M. Desmet : « Est-ce que, disait
» l'honorable membre, le fumier des régiments de cavalerie, les effets
» dégradés de l'infanterie seront considérés comme des objets apparte-
» nant à l'État et devront être vendus conformément à l'article en
» discussion (article 16)? Je pense qu'aujourd'hui ces objets ne sont pas
» vendus dans la forme que prescrit l'article, et que le produit de la
» vente ne figure pas aux recettes de l'État. Ne serait-il pas nécessaire
» de faire, pour ces objets, une exception analogue ii celle qui se trouve
dedans le règlement français? »
(164)
La même exception est applicable aux fonds versés dans les
caisses des régiments de l'armée pour compte des remplaçants,
ainsi qu'à Tadministration de la masse des recettes et dépenses
extraordinaires et imprévues des corps.
Toutefois, la partie des fonds versés pour les remplaçants
qui, dans les temps ordinaires, n'est pas indispensable à la
marche régulière des services des corps, sera déposée dans les
caisses de l'État, jusqu'à concurrence de la moitié, au maxi-
mum, des versements.
En outre, les comptes des fonds des remplaçants et de la
masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues
sont soumis annuellement à la Cour des comptes (article 16,
alinéas 5, 6, 7) i.
Enfin, une dernière exception résulte de la disposition qui
est reproduite chaque année dans l'article 2 du budget de la
guerre et qui est formulée comme il suit :
« Dans les localités où les services des vivres, des fourrages
et du couchage sont assurés par la voie de la régie directe, les
objets mis hors de service, ainsi que les déchets, issues et
sous-produits, seront vendus par les soins de l'administration
de la guerre, ^ les sommes perçues de ce chef seront déduites
du montant des achats de denrées, de bétail, de literies et de
matériel d'exploitation. »
A part ces exceptions, qui intéressent le seul département
* Les alinéas 5, 6 et 7 de Tarticle 46 ont été introduits dans la loi sur
la comptabilité par une loi spéciale du 8 avril 1857. (Moniteur du 14.) —
L'Exposé des motifs de cette loi (Ch. des Représ., séance du 28 mars 4857,
Doc. pari., n° 459) explique cette ajoute en disant : « Les dispositions
» du règlement du 4" février 4819 sur l'administration militaire concer-
» nant la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues,
» et celles de Tarticle 5 de la loi du 28 mars 4835 relatives au versement
» de la somme de 450 francs à efiectuer dans les caisses des régiments
» de l'armée pour chaque remplaçant incorporé, ont paru en contra-
» diction avec le quatrième paragraphe de l'article 46 de la loi de 4846.
» D'autre part, on a généralement reconnu qu'il serait plus régulier de
» déposer dans les caisses de l'État la partie des versements faits pour
» les remplaçants qui n'est pas indispensable à la marche des affairées. »
( 165 )
de la guerre, toutes les ressources particulières et accessoires
provenant d'une source étrangère aux crédits législatifs doivent
donc figurer au budget.
C. — Le budget des recettes et dépenses pour ordre.
Ce budget occupe une place spéciale dans notre organisa-
tion budgétaire. Il n'est pas à proprement parler un budget
de l'Etat. Il ne contient ni recettes ni dépenses pour compte de
l'Etat ^, mais des recettes et des dépenses nombreuses opérées
par l'État pour compte de tiers : particuliers, établissements
publics, provinces, communes. L'État agit donc en qualité
de caissier d'autrui ; les opérations qu'il fait ainsi pour ordre
sont provisoires et temporaires. Les recettes et les dépenses
pour ordre ne font que traverser les caisses publiques pour
une destination ultérieure.
Cependant la loi exige qu'elles soient renseignées dans les
budgets et dans les comptes. Elle consacre par là une nouvelle
et rigoureuse application de la règle de l'universalité, que
l'article 25 de la loi de 1846 formule de la manière suivante :
Tous payements ou restitutions à faire en dehors des alloca-
tions pour les dépenses générales de l'État ont lieu sur les fonds
spéciaux et particuliers instituées pour les services qu'ils con-
cernent, jusqu'à concurrence des recouvrements effectués à leur
profit; les recettes et les dépenses de cette catégorie sont rensei-
gnées pour ordre dans les budgets et dans les comptes; elles se
régularisent dans la comptabilité de la trésorerie sous le contrôle
de la Cour des comptes.
Les articles 9, 18, 185 et suivants du règlement général
de 1868 organisent cette disposition légale.
L'article 18 définit les recettes et dépenses pour ordre en
disant :
i( Les recettes opérées par les comptables du trésor pour
(e compte des provinces, des communes, d'établissements
* Sauf toutefois le titre II du budfi[et, dont nous parlerons plus loin,
pp. 172 et suiv.
(166)
publics, et généralement pour le compte de services étrangers
à l'État, constituent des recettes pour ordre.
» Les payements ou remboursements effectués et imputables
sur ces recettes sont des dépenses pour ordre.
» Ces recettes et ces dépenses prennent, dans la compta-
bilité, la dénomination de fonds de tiers. »
Les articles 185 à 188 organisent la comptabilité spéciale
de ces fonds de tiers 4.
L'article 9 institue un budget spécial destiné à les recevoir :
c( Les recettes et les dépenses de cette catégorie sont rensei-
gnées dans le budget pour ordre. » Les évaluations qui le
concernent doivent être transmises au ministre des finances
par les ministres compétents, en même temps que les éva-
luations relatives aux services normaux et réguliers de l'État.
Ce budget spécial des recettes et dépenses pour ordre
n'existe cependant que depuis 1853.
Jusqu'en 1846, les recettes pour ordre formaient une
annexe au budget des voies et moyens et les dépenses pour
ordre une annexe au budget des finances.
De 1847 à 1853 les dépenses pour ordre furent détachées du
budget des finances pour faire Tobjet d'une loi séparée.
Depuis 1866, on a rattaché, pour des motifs divers, aux
fonds de tiers et inséré au budget pour ordre une série de
fonds spéciaux appartenant à l'État et alimentés à d'autres
sources que celles que renseigne le budget des voies et
moyens, ainsi que les dépenses auxquelles ils pourvoient 3.
Ces fonds spéciaux et les dépenses correspondantes ne sont
donc pas des fonds de tiers, mais des fonds de TEtat. Ils
figurent cependant dans le budget pour ordre. Primitivement
ils en constituaient le chapitre III ; aujourd'hui ils sont grou-
* Cf. pp. 171-172.
* Cf. Rapport de M. Demeur sur le budget des recettes et dépenses
pour ordre de l'exercice 18^. (Gh. des Représ., sess. de 1860-1881,
Doc, pari., n» 88.)
Rapport de M. Jottrand sur le même budget pour 1889. (Gh. des
Représ., sess. de 1882-1883, Doc. parU, no 48.)
(167)
pés dans le titre II, intitulé : Dépenses sur ressources spéciales,
soumises au visa préalable de la Cour des comptes.
Actuellement le budget des recettes et dépenses pour ordre
présente la physionomie suivante ^.
TITRE I.
Fonds de tiers.
Chapitre I. — Fonds de tiers déposés au trésor et .dont le rembourse-
ment a lieu avec rintervention du ministre des finances et des travaux
publics.
Un trouve, sous cette rubrique, notamment : les cautionne-
ments des comptables, entrepreneurs, etc., les fonds provin-
ciaux, le fonds communal (1860), le fonds spécial des communes
(1889-1896), les dépôts effectués chez les percepteurs des
postes pour le compte de la Caisse générale d'épargne et de
retraite, les fonds des Caisses des veuves et orphelins des diffé-
rents départements ministériels, Tenc^aissement et le paiement
des effets de commerce par la poste, le fonds spécial des
dotations pour la constitution des pensions de vieillesse (loi
de 1900), etc., soit un total de 1,012,370,824 francs.
Chapitre IL — Fonds de tiers déposés au trésor et dont le rembour-
sement a lieu directement par les comptables qui en ont opéré la recette.
Ces fonds sont classés dans le budget par départements
ministériels et répartis entre les administrations qui en font le
service.
Les impôts et produits recouvrés au profit des communes
(2S millions) dépendent, par exemple, de Tadministration des
contributions directes, douanes et accises ; de Fadmînîstratîon
des chemins de fer : rencaissement et le paiement, pour le
eompte de tiers, du transport de marchandises (déboursés et
remboursements) : 75 millions; de l'administration des postes :
reMaissement et le paiement de quittances pour compte de
* Budget de 1902. (Ch. des Représ., sess.de 1901-1902, Doc. paf/.,no 4.
(^68)
tiers : 290 millions de francs; les fonds confiés à la poste et
rendus payables sur mandats et bons de poste : 210 millions
de francs, etc. Soit un total de 624,350,000 francs.
TITRE lU
Dépenses sur ressources spéciales, soumises au visa préalable
de la Cour dès comptes.
Chapitre I. — Subsides : parts contributives de tiers dans la dépense
de travaux publics. Total : fr. 4,053,926 61. -
Exemples : Subsides offerts à l'État pour construction de
routes : 75,000 francs; pour entretien et amélioration des
canaux et rivières : 550,000 francs ; intervention de tiers dans
les travaux de premier établissement, extension ou parachève-
ment de chemins de fer : 1 million.
Chapitre II. — Fonds de remploi : vente ou cession de vieux maté-
riaux et objets hors d'usage; vente d*objets divers; remboursement
d'avances budgétaires ; taxes, redevances et droits divers.
Ces fonds sont également classés par départements et
administrations intéressés. Ils sont très nombreux et de
nature très différente. Leur total ne dépasse ôependant pas la
somme de fr. 4,115,470 56.
Chapitre III. — Services divers.
Us comprennent : cautionnements des entrepreneurs défoil-
lants (10,000 francs)'; remboursement de prêts aux provinces
et aux communes pour construction et ameublement de mai-
sons d'école (fr. 1,335 84); création d'une école de bienfai-
sance de l'Etat à Ypres (legs Godtschalk) (400,000 francs);
création d'un établissement d'études médicales, sous la déno-
mination d' « Institut Rommelaere » (fondation Arthur Renier)
(630,000 francs); remboursement des avances faites, pour
compte des provinces et des communes, dans le paiement des
traitements de disponibilité, pour cause de suppression
d'emploi des instituteurs communaux (120,000 francs). Total :
fr. 1,161,335 84.
(169)
Chapitre^IV. — Fonds spéciaux constitués au moyen de crédits
inscrits au budget ordinaire.
Fonds spécial et temporaire de 10 millions pour des travaux
extraordinaires de voirie, institué par la loi du 28 juin 1896 :
310,000 francs.
Fonds spécial et temporaire de 20 millions pour la construc-
tion, l'amélioration et Tameublement des casernes, des hôpi-
taux militaires et de l'École militaire, institué pat* la loi du
9 août 1897 : 700,000 francs.
Au moment de sa fondation en 1853, le budget des recettes
et dépenses pour ordre s'élevait à 19,693,000 francs seule-
ment; il atteignait en 1881 : 396,108,500 francs et en 1902 :
fr. 1,64.7,061,557 01, soit plus du triple du budget ordinaire
de rÉtat.
Il nous faut maintenant caractériser chacune des deux
grandes subdivisions du budget et expliquer notamment le
rattachement au budget pour ordre du titre IL
I. — Fotids de tiers.
Nous les avons définis plus haut. Nous n'avons pas à reve-
nir sur cette définition, mais à caractériser brièvement le
régime particulier du budget qui les contient.
A la différence, en efifet, des autres budgets, dans le budget
pour ordre, les prévisions de recettes égalent nécessairement
les prévisions de dépenses, et il en est ainsi non seulement
pour le budget pris dans son ensemble, mais pour tous les
articles qui le composent et dont chacun correspond à un
service distinct.
c( En cette matière, les prévisions de dépenses ne peuvent
être inférieures aux prévisions de recettes. En effet, l'Etat qui
reçoit les fonds, non pour son compte, mais pour compte
de tiers, doit nécessairement les tenir à la disposition de
ceux-ci.
» Par la même raison, les prévisions de dépenses ne peuvent
(170)
être supérieures aux prévisions de recettes. L'État, en effet, ne
doit jamais se trouver à découvert : il ne doit que ce qu'il a
reçu ; il ne doit donc payer que jusqu'à concurrence des recou-
vrements qu'il a effectués ^. »
De plus, dans le budget pour ordre, « les évaluations
annuelles des dépenses n'ont pas pouc but de limiter les fonds
dont le gouvernement pourra disposer pendant le cours de
l'exercice et qu'il ne peut dépasser sans demander des crédits
supplémentaires. Les évaluations n'ont rien de limitatif; dans
aucun cas, des crédits supplémentaires ne doivent être
demandés pour les services dépendant du budget des recettes
et dépenses pour ordre, et même, s'il arrive que des recettes
et dépenses pour ordre n'ont pas été, pour une cause quel-
conque, portées au budget, l'administration se borne à les
mentionner dans les comptes, dans des articles ou chapitres
additionnels, ainsi que le prescrit l'article 42 de la loi sur la
comptabilité ^.
» Ces règles spéciales découlent de la nature même de ce
budget : puisque ce ne sont pas les fonds de l'État qui y sont
portés, il n'y a aucune raison pour limiter annuellement le
montant des sommes que les agents de l'État sont autorisés à
payer. La dépense n'a ici d'autre limite que le montant des
sommes qui ont été reçues, qui sont dues et qui doivent être
payées dans les conditions où elles sont dues.
» Cette limite est la seule, mais elle ne peut être dépassée.
S'il en était autrement, si des payements étaient eflfectués par
les agents de l'État au delà des sommes reçues pour le compte
de tiers, ce ne pourrait être qu'au moyen de fonds qui ne sont
pas affectés à ces services particuliers, ce ne pourrait être
qu'en contravention à la loi du 15 mai 1846, dont l'article S4
* Rapport Demeur cité. (Ch. des Représ., sess. de 1880-18ÉH[, Doc,
pari., n» 88.)
* Loi de 1846, article 42, alinéa 2 : « Les comptes de chaque exerciee
» doivent toujours être établis d'une manière uniforme, avec les mêmes
» distributions que le budget du dit exercice, sauf les dépenses pour
» ordre qui n'y auraient pas été mentionnées, et pour lesquelles il est
» fait des articles ou chapitres additionnels et séparés. »
( ITl )
dispose que les payements dont il s'agit ici ont lieu jusqu'à
concurrence des recouvrements effectues ^. »
Il arrive cependant que les recettes et les dépenses réelles
dépassent, et parfois notablement, les recettes et les dépenses
prévues au budget pour ordre. L'État se trouve ainsi à décou-
vert et créancier vis-à-vis des services dirigés par ses agents
pour compte de tiers. C'est là une anomalie et une violation
de l'article 34.
La section centrale du budget de 1881 le constatait et con-
cluait : (c II va de soi que l'État ne peut se faire le banquier
des services dirigés par ses agents et qui sont compris dans ce
budget. La section centrale ne peut donc qu'approuver l'invi-
tation donnée par H. le Ministre des finances aux agents des
services intéressés, de mesurer à l'avenir leurs dépenses aux
ressources dont ils disposent ^. »
Enfin, la comptabilité spéciale des fonds de tiers est orga-
nisée par les articles 185 et suivants du règlement de 1868 ^ :
Article 185 : « Les fonds de tiers, recouvrés par les comp-
tables des administrations des recettes, sont constatés par
nature de service dans la comptabilité centrale du département
des finances.
» Les versements effectués directement entre les mains du
caissier de l'État, comme fonds de tiers, y sont également
constatés à un titre spécial.
Article 186, alinéa 1 : « Sauf dam les cas prévus par
Farticle 22 (centimes additionnels communaux, produits des
amendes, etc.) et sauf F exception établie dans Palinéa suivant
(subsides pour travaux publics, fonds de remploi), ces fonds
sont mis à la disposition des autorités chargées d*en appliquer
* Rapport Demeur, lac. cit.
* Ibidem.
» Ces renseignements trouveraient plus logiquement leur place au
chapitre de rexécution et du contrôle du budget, où nous exposerons la
théorie de la comptabilité publique, mais nous avons préféré grouper
en ce chapitre tout ce qui concerne le budget spécial des recettes et
dépenses pour ordre.
( 172)
le produit conformément aux lois et règlements, soit au moyen de
crédits ouverts, soit au moyen de mandats directs sur le trésor. »
Article 187 : « Après avoir établi la balance du grand-livre,
le département des finances reporte à l'année suivante les
sommes restées disponibles, sur les fonds de tiers, au 31 dé-
cembre de l'année précédente. »
Article 188 : « // est justifié des fonds de tiers, tant en
recette qu'en dépense, dans le compte général de l'État ^ . »
II. — Dépenses sur ressources spéciales, soumises au visa
préalable de la Cour des comptes.
Pourquoi fait-on figurer ces fonds particuliers dans le bud-
get des recettes et dépenses pour ordre?
Ils ne constituent pas, en effet, des fonds de tiers. Ce sont
des fonds appartenant à l'Etat et destinés à subvenir à des ser-
vices de l'Etat. II semblerait, dès lors, que l'on dût les
inscrire en recette au budget des voies et moyens, et, en
dépense, au budget du département qu'ils concernent.
Cependant, à les examiner de près, on constate que ces
fonds, bien qu'appartenant à l'Etat, ne sont pas alimentés par
des crédits inscrits au budget ordinaire. Us sont, de plus,
affectés d'une manière directe et spéciale à un service déter-
miné, qu'ils défrayent exclusivement et qui souvent leur
donne naissance (fonds de remploi). Ici aussi, la recette et la
dépense sont corrélatives et exactement dépendantes l'une de
l'autre. Les dépenses ne s'effectuent que jusqu'à concurrence
des recettes.
Ces fonds se rapprochent donc, par ces caractères, des
fonds de tiers, et c'est pourquoi ils sont rattachés à ceux-ci
dans le titre II du budget pour ordre.
D'autre part, puisqu'ils appartiennent à l'Etat, ces fonds
sont soumis au visa préalable de la Cour des comptes, en
^ Cf. aussi : article 31 de la loi sur la comptabilité du 15 mai 1846.
(Cf. supra, pp. 117 et suiv.)
à.
( 173 )
vertu de l'article 186, alinéa 2 du règlement général de 1868 :
c< Quant aux sommes versées pour l'exécution de travaux
» publics ou pour être appliquées, à titre de remploi, à des
» services particuliers, il ne peut en être disposé que par des
» ordonnances visées préalablement par la Cour des comptes. »
Parmi ces dépenses sur ressources spéciales, sont inscrits
les fonds de remploi.
Ces fonds, ou bien sont produits par certains services de
l'Étal et remployés à des dépenses de ces services [exemples :
produits du tir national, des ventes de moulages provenant du
Musée d'histoire naturelle ou du Musée des échanges, produits
des taxes d'expertises des viandes, des droits de contrôle du
service sanitaire des animaux domestiques importés, etc...) ou
bien ils représentent ]es aliénations d'objets hors d'usage ou
de vieux matériaux, à charge pour l'acquéreur de les rem-
placer par une valeur correspondante de matériel neuf,
comme, par exemple, le remploi des billes, rails et acces-
soires, matériel fixe de l'administration des chemins de fer.
Ce dernier mode de remploi est autorisé par l'article 227 du
règlement de 1868 i.
A certaines époques, en 1881 et 1883 notamment, les fonds
de remploi provenant de cette dernière source ont été assez
élevés pour provoquer les observations du Parlement, qui
redoutait un abus et une violation de l'article 16, alinéa 2 de
la loi de 1846.
Le rapporteur du budget pour ordre de 1883, M. Jottrand,
disait dans son rapport : « Ce chapitre spécial, qui au budget
de 1866 (année de sa création) ne comportait que 290,000 francs,
atteignait en 1873 : 2,350,000 francs et en 1883 : 7 millions
693,000 francs.
ce L'accroissement de ces chiffres provient surtout du déve-
loppement que prend dans l'administration des chemins de
fer, postes et télégraphes, la pratique de l'aliénation du maté-
riel hors d'usage, à la charge pour l'acquéreur de le remplacer
par une valeur correspondante de matériel neuf.
* Cf. swjpra, p. 162, note.
( 174 )
: » Si cet état de choses se perpétue, il y aura lieu d'examiner
s'il n'est pas plus conforme à l'esprit de notre loi de compta-
bilité de porter au budget des voies et moyens le produit du
matériel hors d'usage et au budget annuel de nos chemins de
fer toutes les dépenses sans exception faites pour achat de
matériel neuf ^. »
Aujourd'hui, ces fonds de remploi ont subi une diminution
notable dans le budget pour ordre. Us s'élèvent pour 1902
— fonds de remploi de toute nature — à fr. 4,115,470 56 seu-
lement.
Enfin, dans cette même catégorie (titre II) figurent encore,
au chapitre IV, des fonds spéciaux constitués au moyen de
crédits inscrits au budget ordinaire, dont la présence au
budget pour ordre demande quelques explications.
Les fonds dont il s'agit sont : le fonds spécial et temporaire
de 10 millions pour des travaux extraordinaires de voirie,
institué par la loi du 28 juin 1896 et le fonds spécial et tempo-
raire de 20 millions pour la construction, l'amélioration et
Tameublement des casernes, des hôpitaux militaires et de
l'École militaire, institué par la loi du 9 août 1897 3.
Ce qui les distingue des autres fonds inscrits au titre II
du budget, c'est qu'il ne sont pas alimentés par des ressources
spéciales, mais constitués au moyen xle crédits, couverts par les
* Ch. des Représ., sess. de 1882-1883, Doc, parL, no 48.
* La loi du 28 juillet 1902 modifiant la législation relative à la fabri-
cation et à l'importation des alcools {Moniteur des 28 et 29) a institué,
dans ses articles 4 et 5, un nouveau fonds spécial et temporaire rattaché
au budget pour ordre.
« Art. 4. — Il est institué un fonds spécial et temporaire sur lequel
seront prélevées les indemnités allouées aux distillateurs agricoles par
application des dispositions de l'article 2 de la présente loi.
» Le fonds sera constitué au moyen d'avances sur les ressources
extraordinaires du trésor à rembourser en cinq ans, à partir de l'exer-
cice 1903, par prélèvements annuels sur le produit des droits d'accise
afférents aux eaux-de-vie. Les avances seront versées au budget des
recettes et des dépenses pour ordre et mises ainsi à la disposition du
ministre des finances.
» Art. 5. — Il est ouvert au ministère des finances et des travaux
(178)
ressources ordinaires de l'État et inscrits au budget des
travaux publics et à celui de la guerre.
Si, néanmoins, ces fonds se trouvent rattachés aux dépenses
sur ressources spéciales dans le budget pour ordre, c'est pour
en faciliter la comptabilité.
Les ministres intéressés sont autorisés, en effet, h faire des
imputations sur ces fonds pendant plusieurs années ^y tandis
que les crédits inscrits aux budgets ordinaires sont annuels.
Rattacher ces fonds à ces budgets, c'était donc en compli-
quer la comptabilité ; c'est pourquoi on les a inscrits parmi
les recettes et dépenses pour ordre ^.
§ 3. — La spécialisation.
L'universalité budgétaire est aujourd'hui très généralement
pratiquée, de la manière définie par M. Léon Say : c< Il n'y a
unité de budget que si on a réussi à faire entrer toutes les
recettes dans une seule caisse et à faire sortir l'argent de toutes
les dépenses du même et unique grand fonds commun. Il n'y
a d'unité budgétaire que si on a pu traiter tous les crédits
ouverts par les Chambres dans les mêmes conditions de justifi-
cation, d'annulation et de report 3 ».
D'après ce système, toutes les recettes figurent donc d'un
côté du budget, toutes les dépenses, d'un autre côté, sans
confusion ni atténuation. 11 y a unité, il y a un seul fonds
commun alimentant toutes les dépenses de l'État.
publics un crédit de 8 millions de francs à rattacher au budget des
recettes et dépenses extraordinaires pour 1902, sous un libellé ainsi
conçu : « Avances destinées à indemniser les distillateurs agricoles par
» application des dispositions de l'article 2 de la loi modifiant la légîs-
» lation relative à la fabrication et à Timportation des alcools. » (Crédit
non limitatif.)
* Le délai est de huit ans pour le fonds de voirie; il était de trois ans
pour le fonds de 20 millions et a été prolongé à cinq ans par l'article 1^'
de la loi budgétaire de 1902.
2 Cf. loi du 28 juin 1896, art. 2, al. 2.
5 Journal des débats, 7 octobre 1890, cité par Stourm, Uk. ciL, p. 165.
(176)
Au contraire, le système inverse de la spécialisation « con-
siste à isoler chaque service en distrayant de la masse les
recettes et les dépenses qui lui sont propres ^ ».
Chaque service de l'État constitue alors comme une person-
nalité distincte de la voisine, vivant de sa vie propre et devant
se suffire à elle-même. « Avec la spécialisation, chaque service
dégage les résultats de sa propre exploitation et fait ressortir
individuellement ses bénéfices ou ses déficits ^. »
Cette méthode de comptabilité aboutit nécessairement au
budget net. Le bénéfice éventuel de chaque exploitation est
versé à la caisse centrale, le déficit est couvert par celle-ci.
La spécialisation, nous l'avons déjà remarqué, était le
système préféré sous l'ancien régime et destiné à contre-
balancer l'absence de contrôle en matière d'administration
financière 3.
Le prince de Starhemberg, rappelons-le, en vantait les
mérites en disant : ce C'est un grand principe en matière de
finances, lorsqu'on veut y établir l'ordre et la clarté, que
chaque branche de revenu doit supporter ses charges et que
ces charges ne doivent jamais être assignées sur une autre
branche ou une autre caisse. Si l'on n'établit pas rigoureuse-
ment ce principe, on ne pourra jamais trouver le montant des
dépenses inhérentes à chaque branche de revenu et son revenu
net eflféctif ^. »
De nos jours encore, la spécialisation a ses partisans. « Grâce
à ce procédé, disent-ils, les éléments analogues sont juxtaposés
rationnellement et industriellement, ce qui développe chez les
administrations un sentiment de responsabilité, seul capable
d'encourager leurs efforts; les pouvoirs publics, en outre,
apprécient par ce moyen les résultats obtenus dans le sein de
chaque service, toutes choses que le système inverse exclut
absolument...
* Stourm, loc. cit,, p. 165.
* Id. Ibidem*
' Cf. supra, pp. 39 et 40,
* Cf. supra, p. 37.
(177)
« Il est certainement désirable, répond H. Stourm, que
tout service puisse rassembler en un seul faisceau ses recettes
et ses dépenses particulières, de manière à mettre en relief le
solde qui le concerne...
» Hais à qui incombe le soin de fournir de tels renseigne-
ments? Est-ce au budget? Évidemment non... L'idée de budget
est incompatible avec la spécialisation. C*est donc en dehors
du budget qu'il faut rechercher ses avantages. Pour cela, il
suffit de demander à chaque administration de publier annuel-
lement le compte rendu raisonné de sa gestion, compte rendu
nécessaire d'ailleurs à tous les points de vue^. »
C'est ce qui existe, par exemple, d'une manière très déve-
loppée en Angleterre et en Prusse. Dans ce dernier pays, « le
volume du budget, après avoir d'abord présenté distinctement
l'universalité des recettes et Tuniversalité des dépenses dans le
projet de loi lui-même, reprend, dans une seconde partie, sur
laquelle aucun vote ne portera plus, uniquement à titre
d'éclaircissement, la spécialisation de chacune des administra-
tions industrielles précédemmeqt développées. Là réside la
spécialisation rationnelle, à bon droit réclamée... Mais sa place,
nous le répétons, n'est pas dans le budget général de l'État ^ ».
Nous nous associons à ces conclusions du savant auteur.
C'est dans la mesure indiquée que la spécialisation est prati-
quée en Belgique, notamment en ce qui concerne notre prin-
cipal service industriel, par le compte annuel de l'administra-
tion des chemins de fer.
Ce compte annuel a suscité depuis quelque temps de
sérieuses critiques et semble exiger des réformes radicales, si
Ton veut faire un exposé sincère de la situation financière
réelle de nos chemins de fer 3.
* Stourm, loc, cit., p. 166.
* ID., loc. cit., p. 167.
' Cf. Rapports de M. Renkin, au nom de la section centrale, sur les
budgets des chemins de fer de 1901 et 1902.
Tome LXIV. 12
(178)
CHAPITRE IV.
L*évaluation des recettes et des dépenses. Les crédits
supplémentaires et les crédits complémentaires
Le budget est un amas de chiffres. C'est le chiffre qui tout
d'abord frappe la vue de celui qui ouvre le volume du budget,
c'est le chiffre aussi qui, pour beaucoup, en rend l'accès
malaisé et difficile.
Le budget étant essentiellement un état de prévision des
recettes et des dépenses pendant un exercice déterminé, ceux
qui ont mission de le préparer doivent prévoir non seulement
la nature et l'objet de la recette ou de la dépense, mais son
taux et son import. C'est pourquoi tout poste du budget, tant
en recette qu'en dépense, est suivi d'une évaluation.
Cette évaluation ne peut être faite au hasard. Le chiffre qui
suit le libellé de l'article du budget n'est pas un chiffre en
l'air. Il ne doit pas non plus être combiné et torturé, pour les
besoins de la cause, de manière à amener sur le papier l'équi-
libre final de la recette et de la dépense.
L'évaluation qui incombe aux préparateurs doit donc être
une juste évaluation ^, appréciant aussi exactement que le
permettent les circonstances le produit futur des recettes et
l'importance des dépenses à venir.
A cet effet, deux grandes qualités sont requises des prépa-
rateurs : la sagadté, qui les rend perspicaces et les aide à
prévoir exactement, la sincérité qui leur fait décrire loyalement,
sans réticence ni exagération, ce qu'ils ont prévu et discerné.
La sagacité est une qualité personnelle du préparateur.
Espèce de don prophétique, de « flair » subtil et particulier,
souvent inné et aiguisé par Texpérience des affaires, elle
échappe à toute règle précise. On la possède ou On ne la
* Cf. Stourm, loc. cit,, chap. VIL
( 179 )
possède pas, mais aucun règlement ne peut Tinculquer. La
sincérité, elle aussi, se montre rebelle à toute réglementation.
Il n'existe donc pas dans les codes de comptabilité des dispo-
sitions capables d'assurer la justesse des évaluations. C'est ce
qui fait dire à M. Stourm : a L'évaluation des recettes, aussi
bien que celle des dépenses, constitue, en définitive^ une
affaire de tact, d'expérience, de perspicacité et surtout de
sincérité ^ ».
Cependant une certaine procédure traditionnelle est suivie,
dans tous les pays, en matière d*évaIuations budgétaires.
En ce qui concerne les recettes, on applique en France ce que
H. Stourm appelle le système automatique ou de la pénultième
année, c'est-à-dire, « on se borne purement et simplement à
inscrire, comme produits probables de l'exercice futur, les
résultats effectifs du dernier exercice connu ».
Lorsqu'on prépare le budget de 1902, par exemple, le
dernier exercice connu est celui de 1900. On inscrira donc
au budget de 1902, parmi les recettes, le chiffre connu des
recettes effectuées en 1900. De même, on inscrira pour 1903
les chiffres de 1901, pour 1904, ceux de 1902, etc.
C'est la règle suivie généralement : règle de défiance envers
les préparateurs, qui ne demande pas grands efforts à leur
sagacité et ne met pas à une trop rude épreuve leur sincérité.
Elle opère machinalement, automatiquement.
Dans les autres pays 2, et particulièrement en Belgique, on
procède différemment. Les faits connus du dernier exercice
servent certes de point de départ, mais on se garde de les
porter servilement au budget de l'exercice futur. On tâche, au
contraire, de s'entourer de tous les indices et renseignements
possibles, afin de discerner les fluctuations probables des
chiffres, d'après la nature spéciale de chaque espèce de
produits, d'après les multiples circonstances qui peuvent
influencer les rendements.
* Stourm, loc, ciL, p. 196.
« Ihid,, p. 181.
(180)
C'est la méthode de l'appréciation directe, plus vivante,
moins rigide et qui met en relief la perspicacité des prépa-
rateurs.
M. Halou l'exposait, dès 1847, en présentant à la Chambre
le budget de 1848 i.
« En présentant, disait-il, le budget des voies et moyens,
selon le vœu de la loi de comptabilité, assez longtemps avant
l'ouverture de l'exercice, il est devenu nécessaire d'établir les
prévisions sur des bases nouvelles. On consultait d'ordinaire
les faits constatés pendant les huit premiers mois de l'année
qui précédait l'exercice, et pendant les quatre derniers mois de
l'année antérieure à celle-ci. A l'avenir, les recettes devront
être évaluées d'après des faits moins récents et offrant par
cela même une moindre probabilité. L'année 1846 servira
nécessairement de point de dépiu*t pour 1848, 1847 pour 1849
et ainsi de suite. S'il résulte de là de plus grandes chances de
mécomptes en plus ou en moins, il sera possible de les
atténuer en s'attachant, dans le doute, à n'admettre que les
évaluations les plus modérées. Cette pensée m'a guindé dans la
formation du budget de 1848...
» Si, en général, les faits réalisés en 1846 ont servi de base
pour établir les prévisions de 4848, comme ils ont servi pour
4847, je m'en suis néanmoins quelquefois écarté, soit en admet-
tant, au lieu de temps calamiteux, des circonstances normales,
soit par des considérations spéciales et motivées. »
C'est par application de cette méthode qu'on utilise, pour
l'évaluation des produits des contributions directes, les
moyennes quinquennales. Voici, à titre d'exemple, l'évaluation
du rendement de la contribution personnelle pour 1902.
La note préliminaire du budget présente, en un tableau,
pour chacune des années 1896 à 1900, le produit de la contri-
bution personnelle et l'augmentation constatée annuellement.
Ce tableau contient aussi le produit présumé pour 1901.
a D'après les résultats connus à ce jour, continue la note, la
1 Ch. des Représ., sess. de 1846-1847, Doc, pari, no 287.
( 181 )
contribution personnelle de 1901 produira vraisemblable-
ment 21,300,000 francs, somme supérieure de 11,000 francs à
l'évaluation inscrite au budget de 1901 .
» L'évaluation de 1902 peut être basée sur l'augmentation
moyenne constatée pendant les cinq dernières années, soit
329,000 francs. En ajoutant cette moyenne au rendement pré-
sumé de 1901, l'évaluation à porter au budget s'élève à 21 mil-
lions 629,000 francs (fr. 21,300,000 4- 329,000), soit une plus-
value de 340,000 francs par rapport aux prévisions adoptées
pour 1901 . »
D'autres sources de produits donnent des rendements moins
stables, plus sujets à des fluctuations, et il est difficile, dès
lors, de se baser sur la moyenne des derniers rendements pour
établir les prévisions. Pour les chemins de fer, on constate,
par exemple, dans la note préliminaire du budget de 1902,
que a les recettes pour les premiers mois de 1901 ne répondent
pas entièrement aux prévisions ; mais, dès à présent, se mani-
festent des indices d'une très sérieuse amélioration. Le gou-:
vernement a jugé prudent de faire abstraction, pour 1902, de
la progression normale du trafic, et il a adopté comme évalua-
tion le montant de la recette réalisée en 1900, soit en chifi^re
rond 204,370,000 francs; ce chiffre est inférieur de 1 mil-
lion 630,000 francs à l'évaluation de 1901 ».
De même, pour les produits de la poste : « Les produits de
la poste pour 1901 seront d'environ 25,700,000 francs, ceux
de l'année précédente étant de 25,240,000 francs, l'augmen-
tation pour 1901 s'élèverait, à 460,000 francs.
» Ce résultat est peu favorable comparativement à l'accrois-
sement moyen d'environ 1,100,000 francs obtenu pendant la
dernière période quinquennale; pour éviter tout mécompte,
il y a lieu de ne prévoir, pour 1902, qu'une augmentation
de 500,000 francs. Le produit global de 1902 est ainsi évalué
à 26,200,000 francs. »
Le Chiffre d'évaluation a cependant moins d'importance en
matière de recette qu'en matière de dépense.
En matière de recette, il constitue une simple indication, un
( 182 )
simple renseignement, car si les produits donnent un rende-
ment supérieur aux chiffres inscrits au budget, rien n'empêche
l'État d'encaisser le surplus ^.
Au contraire, en matière de dépense, le chiffre inscrit au
budget représente une limite infranchissable. D'après l'arti-
cle 16, alinéa l^ de la loi de 1846, « les ministres ne peuvent
faire aucune dépense au delà des crédits ouverts à chacun
d'eux ».
Les dépenses figurent au budget sous forme de crédits 3, et
ces crédits, affectés par le Parlement à un service déterminé,
ne peuvent être dépassés.
C'est du moins le principe et la règle générale. Car, à côté
des crédits strictement limitatifs, il existe des crédits non
limitatifs, prévus par l'article S de l'arrêté royal du 19 fé-
vrier 1848, et pour lesquels aucune limite n'est fixée au
budget.
Pour les crédits, dit cet article, à l'égard desquels aucune
limite n'est fixée au budget, les dépenses faites en sus de l'allo-
cation seront admises en liquidation, sauf régularisation par des
crédits supplémentaires (complémentaires) à proposer dans la loi
des comptes.
Il ne sera demandé aux Chambres d'user de cette faculté
que pour des dépenses urgentes qui ne sont pas créées par nos
ministres ou par leurs délégués, mais qui résultent uniquement
de l'exécution nécessaire et inévitable des lois et règlements, par
simple application des tarifs ou bases de liquidatiofi existants.
Tels sofit les crédits compris au budget des remboursements et
non-valeurs, les remises dues aux greffiers en vertu de la loi du
* Cf. les différences entre les évaluations de recettes et les recouvre-
ments réels. Les tableaux en sont publiés périodiquement dans le Moniteur
par le ministre des finances et des travaux publics; ceux relatifs aux
années 1900 et 1901 ont paru dans le Moniteur du 19 février 1902,
pp. 699 et suiv.
* « Le crédit consiste dans l'inscription au budget d*un service de
dépense et de Tallocation affectée à son exécution. » (Stocrm, toc, cit.,
p. 188^
( 183 )
21 ventôse an VI 1^ les remises proportionnelles sur les recettes
effectuées par les receveurs , les frais de justice en matière
criminelle, correctionnelle et de simple police, dus en vertu du
décret du 48 juin 4841 (remplacé par V arrêté royal du 18 juin
1855), etc. ^
Or, il y a une tendance naturelle chez les préparateurs de
budgets, hantés par la recherche de l'équilibre final, à évaluer
très haut les crédits limitatifs, puisqu'ils ne pourront les
dépasser, et très bas les crédits non limitatifs, qui peuvent être
dépassés régulièrement.
C'est cette tendance qu'il faut combattre. En France, la
commission du budget efiectue l'opération contraire dans la
revision des évaluations ministérielles 2. En Belgique, les
sections de la Chambre se bornent généralement à les
enregistrer.
Il n'est d'ailleurs pas possible de tracer des règles aux
évaluations de dépenses. Tout dépend ici de l'honnêteté des
ministres, de leur esprit d'économie et aussi de leur fermeté,
qualité particulièrement appréciée chez un ministre des
finances. La préparation du budget doit être essentiellement
une œuvre loyale et sincère.
A cette question de l'évaluation, nous rattachons l'étude de
deux espèces particulières de crédits : les crédits supplémen-
taires et les crédits complémentaires.
Nous connaissons déjà les crédits ordinaires et les crédits
extraordinaires, nous apprendrons à connaître les crédits
provisoires 3. L'étude des crédits supplémentaires et des
crédits complémentaires devrait figurer plus logiquement
peut-être dans le chapitre de l'exécution du budget, puisque
ces crédits sont demandés au cours de l'exécution du budget ou
^ La distinction entre crédits limitatifs et crédits non limitatifs a été
très clairement indiquée par M. de Smet de Naeyer, ministre des
finances, à la séance de la Chambre des Représentants du 5 juin 1901.
(Ann. part,, p. 1329.)
* Stourm, lac. cit., pp. 191 et suiv.
' Cf. infra, 2« partie, chapitre IX.
(184)
après sa clôture/ Mais, comme la raison d'être de ces crédits
se trouve en définitive dans des erreurs d'évaluation, nous
les examinerons dès maintenant.
Ils constituent deux variétés d'une même espèce de crédits :
les crédits additionnels, destinés à combler, en cours d'exer-
cice, les insuflSsances constatées des crédits primitivement
accordés.
Les crédits supplémentaires se distinguent des crédits com-
plémentaires d'après la nature des crédits primitifs auxquels ils
s'appliquent et d'après le régime particulier qu'ils suivent.
Nous les étudierons donc successivement.
§ 1. — Crédits supplémentaires.
D'après l'article 15 de la loi de comptabilité, la loi annuelle
des finances ouvre les crédits nécessaires aux dépenses présumées
de chaque exercice et, d'autre part, Tarlicle IIS de la Consti-
tution prescrit que toutes les dépenses et recettes figurent au
budget.
11 semblerait donc que strictement il n'y eût pas place dans
notre organisation budgétaire pour des crédits accordés hors
budget.
Néanmoins, la nécessité des crédits additionnels ou supplé-
mentaires est indiscutable. Il existe, en efibt, des dépenses que
le gouvernement n'a pu prévoir ni porter au budget et qui
s'imposent cependant; il y en a aussi dont les évaluations
sont restées au-dessous de la réalité et pour lesquelles, par
conséquent, les crédits budgétaires sont insufiisants.
L'inexistence ou l'insufiisance des crédits dans le budget
explique donc et justifie la demande de crédits supplémen-
taires.
Mais, ces crédits sont et doivent rester exceptionnels, et c'est
ce caractère exceptionnel qui détermine essentiellement le
régime qui leur est applicable.
Il faut tout d'abord porter aii budget les crédits réellement
(185)
nécessaires aux dépenses présumées de chaque exercice d'après
la prescription de Tarticle 15, et Ton ne peut laisser inten-
tionnellement hors budget des dépenses à couvrir ensuite par
des crédits supplémentaires.
Dès 1883, la section centrale protestait contre cette pratique
et concluait : « Il est donc permis d'espérer que désormais
les crédits supplémentaires seront strictement limités aux
dépenses qui n'ont pu être prévues lors du vote du budget, et
qu'ils n'excéderont pas les annulations de crédit ^ ».
C'est pourquoi aussi, au moment de la préparation du
budget, le ministre des finances a coutume de rappeler à ses
collaborateurs la nécessité d'effectuer avec soin les évalua-
tions, de manière à éviter le mieux possible les crédits supplé-
mentaires, qui se concilient mal avec une bonne gestion
financière.
Le crédit supplémentaire, s'il est nécessaire dans certains
cas, doit donc rester strictement exceptionnel.
De plus, lorsque les crédits inscrits au budget sont reconnus
insuffisants, les crédits supplémentaires doivent être demandés
avant que la dépense à couvrir soit faite.
Cette règle n'est qu'une application de l'article 16, alinéa 1«'
de la loi de comptabilité, qui défend aux ministres de faire
aucune dépense au delà des crédits qui leur sont ouverts.
Or, dans la pratique, cette règle est facilement violée, et il
arrive fréquemment que les crédits supplémentaires ne sont
demandés qu'après exécution de la dépense que ces crédits
sont appelés à couvrir 2.
* Cf. Rapport Demeur, au nom de la section centrale, sur le budget
général pour 1884. (Ch. des Repr., sess. de 1883-1884, Doc, pari,, n» 26,
1) 40.)
* Le total des crédits supplémentaires demandés à la séance de la
Chambre du 9 avril 1902 (session de 1901-1902, Doc, pari., no 110)
s'élevait à fr. 10,758,10247. Sur ce total, fr. 9,092,052 73 se rapportaient
à des dépenses de l'exercice 1901 ; fr. 1,666,049 74 se rapportaient à des
dépenses des exercices 1900 et antérieurs.
En règle générale, ces crédits supplémentaires sont nécessités par
(186)
Cet abus doit être évité dans la mesure du possible ^. Car,
nous en . convenons, des circonstances pressantes ne per-
mettent pas toujours au gouvernement de se conformer abso-
lument à la règle, et il peut être parfois nécessaire de faire
certaines dépenses avant le vote régulier des crédits supplé-
mentaires. La ratification ultérieure remplace, dans ce cas,
l'autorisation préalable. Mais on conçoit que cette procédure
ne peut être normale et régulière.
Ce régime, applicable aux crédits supplémentaires, si on le
suit strictement, présente, selon la remarque de M. Demeur,
non seulement un intérêt constitutionnel et théorique, mais
un intérêt pratique très sensible ^.
« Il ne viendra, dit-il, à la pensée de personne de prendre
au sérieux le vote d'un budget après qu'il est dépensé. En
est-il autrement pour cette portion du budget qui comprend
les crédits destinés à couvrir les insuffisances du budget pri-
mitif?
» A quoi sert l'intervention de la Législature lorsqu'elle se
produit après que la dépense est faite? L'ouverture d'un crédit
n'est alors qu'un entérinement.
» Au contraire, la nécessité de demander le crédit pour une
dépense à faire provoque chez ceux qui doivent le demander
un examen plus attentif des intérêts de l'État. Obligés de justi-
fier leur demande non par des faits accomplis, mais par des
faits qu'ils sont tenus de prévoir, ils doivent se livrer à Tétude
de ces faits et par cela même rechercher si la dépense est
rexploitation des chemins de fer. Sur le total que nous venons de citer :
fr. 5,643,333 20 — soit plus de la moitié — sont demandés par le budget
des chemins de fer, postes et télégraphes, dont 4,197,179 francs se
rapportent à des dépenses de Texercice 1901 et fr. 1,446,254 20 à des
dépenses des exercices 1900 et antérieurs.
* On a notamment signalé cet abus dans la construction de la nouvelle
gare d'Anvers, dont une notable partie des travaux ont été exécutés à
découvert, c'est-à-dire sans crédits préalablement votés par le Parlement.
* Cf. Rapport, au nom de la section centrale, sur un projet de crédits
supplémentaires. (Ch. des Repr., sess. de 1882-1883, Doc. pari., n» 198.)
(487)
nécessaire, si des économies ne sont pas possibles. En même
temps, ceux qui sont appelés à autoriser le crédit sont mis à
même d'apprécier son utilité et en les tenant au courant non
pas des actes accomplis par l'administration, mais de ses
projets, la demande de crédit leur permet d'exercer un con-
trôle salutaire. »
§ 2. — Crédits complémentaires K
Ils se distinguent des crédits supplémentaires :
i<» Par la nature particulière des crédits auxquels ils
s'appliquent exclusivement : les crédits non limitatifs. Ceux-ci,
d'après la définition que nous en donnions plus haut (ar^. 5
de l'arrêté du 49 février 4848) 2, ne peuvent faire l'objet d'une
évaluation précise. Leur taux dépend, en effet, de certaines
éventualités qui défient les prévisions exactes. Les greffiers,
par exemple, ont droit, en vertu de la loi du 21 ventôse
an VII, à certaines remises qu'il faut prévoir, en dépenses, au
budget. Mais comme le total de ces remises dépendra du
nombre d'actes auxquels elles s'appliquent — nombre impos-
sible à déterminer d'avance, — on ne peut porter au budget
qu'un chiffre approximatif, un crédit non limitatif. Il en est
de même pour les non-valeurs, les remboursements, les frais
de justice en matière criminelle, correctionnelle et de simple
police, les remises proportionnelles aux receveurs, etc..
2<* Il suit de là, aussi, que le gouvernement ne peut, comme
pour les crédits supplémentaires, demander ces crédits com-
plémentaires au Parlement avant d'avoir opéré les dépenses
auxquelles ils sont destinés. Ce n'est qu'après la clôture de
l'exercice qu'il est possible de se rendre compte de l'excédent
de la dépense sur le crédit primitivement fixé au budget.
Aussi le gouvernement sollicite-t-il l'allocation des crédits
* Cf. Rapport Demeur. (Ch. des Représ., sess. de 1879-1880, Doc.
pari., no 133.)
« Cf. p. 182.
(188)
complémentaires dans le même projet de loi qui contient le
règlement définitif d'un budget 4.
On peut, par conséquent, définir les crédits complémen-
taires : « des crédits additionnels, ouverts par la loi de règle-
ment, pour régulariser, après coup, des excédents de dépenses
se rapportant à des crédits non limitatifs ^ ».
* Le projet de loi contenant le règlement définitif du budget de l'exer-
cice 1898 a été déposé le 10 décembre 1901. (Ch. des Représ., sess. de
1901-1902, Doc. pari., n* 28.)
Son article 2 porte : « 11 est alloué un crédit complémentaire de
fr. 4,377,013 01 pour couvrir les dépenses des services ordinaires de
Texercice 1898, effectuées au delà des crédits ouverts par les lois des
29 décembre 1897, 4, 14 et 31 mars, 22 et 24 avril, 9, 18, 19 et 20 mai
et 30 décembre 1898, et 7 octobre 1899.
» Ces dépenses se subdivisent comme il suit :
Dette publique, — Chapitre II, article 24 : Rémunération
en matière de milice .fr. 153,50349
Ministère de la justice. — Chapitre IV, article 19 : Frais
de justice 889,26661
Ministère de Vintérieur et de ^instruction pvJblique. —
Chapitre V : Affaires électorales, article 27 : Confection et
distribution du papier électoral..., jetons de présence et
indemnités 3,21563
Ministère des chemins de fer, postes et télégraphes. —
Chapitre V : Marine, article 49 : Remises 509,789 04
Ministère des finances. — Chapitre III, article 16 :
Remises proportionnelles et indemnités 14,986 38
Chapitre IV, article 29 (Enregistrement). Remises des
receveurs. Frais de perception 70,04089
Non-Valeurs et remboursements. — Chapitre I, article 3 :
Non-valeurs sur le droit de patente 2,452,954 07
Chapitre II, article 6 : Restitution de droits perçus abu-
sivement et remboursements de fonds reconnus appar-
tenir à des tiers 235,96893
Article 7 : Id., en matière d'enregistrement et domaines 47,287 94
Le tableau D, annexé au projet de loi, établît la comparaison des
dépenses sur crédits non limitatifs effectuées en 1898 avec celles de
l'exercice 1897, et donne Texplication des différences constatées en 1898.
* Stourm, loc. cit., p. 365.
(189)
L'existence de ces crédits constitue donc une exception for-
melle à la règle de l'article 16, alinéa 1*'. Cette exception doit
rester rigoureusement circonscrite aux crédits non limitatifs
et ne serait pas tolérée pour des crédits d'une autre espèce.
Il dépend, d'ailleurs, des préparateurs du budget de dimi-
nuer d'une manière sensible l'importance de ces allocations
complémentaires, en s'appliquant à rendre leurs évaluations
aussi exactes que le permet la nature particulière des crédits
non limitatifs.
Pour ne citer qu'un exemple : depuis 1893, les frais de
justice en matière criminelle, correctionnelle et de police ont
régulièrement dépassé- 2 millions de francs, et cependant les
crédits primitifs inscrits au budget restaient invariablement
fixés à 1,800,000 francs. En 1899, ils atteignaient 2 millions
300,000 francs. Aussi le ministre de la justice, afin de mettre
le montant de ce crédit en rapport avec les dépenses réelles
des dernières années, n'hésita-t-il pas à adopter ce dernier
chiffre pour le budget de 1900. « L'augmentation est propo-
sée, dit-il, en vue d'éviter la demande d'un crédit complé-
mentaire important ^ . »
C'est là un excellent exemple. 11 est désirable que les pré-
parateurs portent chaque année au budget une somme en
rapport réel avec les besoins du service 3. Ils éviteront ainsi
autant qu'il est possible le recours aux crédits additionnels,
supplémentaires ou complémentaires, qui ne doivent appa-
raître qu'à titre exceptionnel dans une organisation budgé-
taire régulière et bien ordonnée.
* Budget de la justice pour 1900. Note préliminaire, art. 18. (Ch. des
Représ., sess. de 1899-1900, Doc, pari., n<» 6, p. 140.)
* M. le Ministre des finances le reconnaissait récemment à la Chambre,
lorsqu'il disait : « Nonobstant réiasticilé des crédits de ce genre (non
limitatifs), le devoir du gouvernement est d'inscrire au budget, aussi bien
que pour les crédits ordinaires (limitatifs), les chifires qui, d'après les
prévisions basées sur les éléments connus, se rapprochent autant que
possible des nécessités. » (o juin 1901, Ann, parL, p. 1329.)
( 190)
CHAPITRE V.
Époque de la présentation du budget à la Ctianilnre.
(Loi du 15 mai 1846, art. 1. — Loi du 24 juillet 1900.)
Le budget étant préparé, le gouvernement le dépose sur le
bureau de la Chambre.
A quelle époque ce dépôt doit-il être effectué?
La loi de 1846 sur la comptabilité de l'État (article i"^
alinéa 2) disposait : « Le budget est présenté au moins dix mois
avant l'ouverture de l'exercice ».
Le but de cette règle était d'éviter le vote des crédits provi-
soires, en assurant le vote du budget en temps utile.
Après avoir déploré la pratique, déjà ancienne alors, des
crédits provisoires, H. Roger, au cours de la discussion de la
loi de 1846 i, s'exprimait en ces termes : « Cet état de choses
présente de graves inconvénients. On a cherché les moyens d'y
porter remède, mais les propositions qui ont été faites ont été
ajournées jusqu'au moment où l'on discuterait la loi sur la
comptabilité.
» Le moment me semble venu de prendre une mesure qui
fasse sortir la Chambre de ces inconvénients qui -se repré-
sentent annuellement. Je demanderai à H. le Ministre des
finances s'il aurait des objections à faire à l'adoption d'une
proposition, d'après laquelle les budgets des recettes et des
dépenses devraient être présentés six mois au moins avant
l'ouverture de l'exercice auquel ils se rapportent.
» En France, le budget est voté près d'un an avant l'ouver-
ture de l'exercice. En ce moment, ce n'est pas le budget de
1846 que l'on discute, il est voté depuis près d'une année
déjà ; aujourd'hui on s'occupe en France du budget de 1847.
* Ch. des Représ., séance du 26 février 1846.
(191 )
» Il y aurait avantage à ce que le budget de 1847 fût pré-
senté avant le mois de juillet, et il faudrait que la Chambre fût
animée de bien peu de zèle pour ne pas le voter avant le
31 décembre 1846... Au moyen de la disposition que j'indique,
si la loi passe cette année, nous aurions Tassurance que le
budget de 1847 serait présenté avant la fin de la session. Nous
aurions fait cesser ainsi une grande irrégularité, nous aurions
mis un terme à ces crédits provisoires que nous sommes
obligés de voter d'année en année, comme si nous étions à
Tétat permanent de révolution. Cet état de choses donne au
pays, aux Chambres, au gouvernement une attitude que nous
devons avoir à cœur de faire cesser. H faut de la stabilité
dans l'administration, de la régularité dans les travaux de
la Chambre. A moins donc que M. le Ministre des finances
ne présente des objections qui me fassent changer d'avis,
je déposerai une disposition additionnelle qui serait ainsi
conçue : Le budget des recettes et des dépenses sera présenté
aux Chambres six mois au moins avant l'ouverture de l'exer-
cice auquel il se rapporte. »
Plusieurs membres, dont M. Devaux, appuyèrent cet amen-
dement. Ce dernier proposa même de substituer le délai de
dix mois à celui de six mois, fixé par M. Roger. « Je pense,
disait-il, que pour arriver à un état de choses normal, il ne
sufSt pas que le budget soit présenté au mois de juin. Ce n'est
pas pour le voir pendant les vacances que nous le demandons;
sans doute, nous aurions le loisir de l'examiner, mais cela ne
dispenserait pas de devoir voler des crédits provisoires, car cela
ne ferait pas non plus que le Sénat aurait plus de temps de
discuter les budgets avant la fin de l'année, quand par hasard
nous pouvons le faire. C'est au mois de mars qu'il faudrait que
les budgets fussent présentés, pour pouvoir être discutés et
votés avant la fin de la session... Je pense donc qu'il faut écrire
dans la loi que le budget des dépenses doit, à l'avenir, être pré-
senté dix mois avant l'ouverture de l'exercice, sauf disposition
transitoire. »
( 192)
Ce système fut appuyé par le gouvernement et voté défini-
tivement par la Chambre le 11 mars 1846, dans les termes de
Falinéa 2 de l'article i^ de la loi du 15 mai 1846.
Toutefois, le but que poursuivait le législateur de 1846, en
établissant la règle des dix mois, ne fut pas atteint, et les
budgets continuèrent après comme avant à n'être votés
qu'après l'ouverture de l'exercice.
C'est que si la règle des dix mois était théoriquement de
nature à assurer le vote régulier du budget, elle amenait
d'autre part dans la pratique des inconvénients sérieux au
point de vue de la bonne préparation du budget.
Ces inconvénients avaient été signalés déjà, lors de la dis-
cussion de la loi sur la comptabilité, par MM. de Mérode et
Desmet. M. de Mérode, notamment, disait à la séance du 26 fé-
vrier 1846 : « Je ne suis pas favorable aux crédits provisoires,
tels que vous êtes obligés de les voter tous les ans. Mais, d'un
autre côté, si Ton vote un budget aussi longtemps à l'avance,
on ne saura pas quelles dépenses il faudra faire; on votera
sans connaissance de cause suffisante. Ainsi, cette année nous
avons été obligés de voter un crédit particulier, par suite de
la maladie des pommes de terre. Mais cette calamité n'est
arrivée qu'à une époque très rapprochée de la présentation du
budget de l'année 1846; on n'a pas pu le prévoir; c'est une
circonstance tout à fait spéciale; or, souvent, lorsqu'une
année entière s'écoulera entre le vote d'un budget et l'applica-
tion de ce budget, il surviendra bien d'autres événements qui
dérouteront toutes les prévisions. » Et M. Desmet ajoutait, le
jour suivant : « il voudrait (M. Roger) qu'on présentât les bud-
gets dix mois avant l'ouverture de l'exercice; mais alors,
comme on ne connaît pas exactement quels pourront être les
besoins, on est obligé d'avoir recours ensuite aux crédits sup-
plémentaires et complémentaires, c'est-à-dire d'avoir deux
budgets».
Les prévisions budgétaires doivent être, en effet, rappro-
chées autant que possible de la réalité ou de l'exécution du
budget, si l'on veut qu'elles soient sérieuses et justes.
{ 193 )
Certes, il y a des recettes et des dépenses dont l'évaluation
peut être aisément établie longtemps d'avance : ce sont celles
qui se renouvellent uniformément chaque année ou dont les
modifications sont peu sensibles ou demeurent constantes.
Mais il en est aussi qui varient chaque année et qui ne
peuvent être évaluées d'une manière suffisamment exacte
dix mois avant l'ouverture de l'exercice.
De là, la nécessité de rectifier et d'amender les évaluations
du budget primitif.
La règle des dix mois aboutissait ainsi presque fatalement à
la situation suivante.
Le ministre des finances, en quelque sorte par acquit de
conscience et par respect pour la légalité, déposait le budget
sur le bureau de la Chambre au plus tard à la dernière
séance de février.
Mais il ne se hâtait pas de faire imprimer et distribuer ses
propositions budgétaires. Il modifiait ses premières évalua-
tions au fur et à mesure des nouveaux renseignements qui lui
parvenaient. Généralement, le budget n'était imprimé qu'en
juin ou juillet et distribué aux députés quand ils entraient en
vacances.
L'examen du budget, déposé pour la forme en février, se
trouvait ainsi ajourné à la session nouvelle, qui commence de
plein droit le second mardi de novembre.
Les ministres présentaient alors une série d'amendements
aux propositions de février. C'est ce qu'on appelait le budget
amendé.
Ces amendements constituaient souvent des changements
notables et des innovations apportées aux budgets votés pour
les exercices antérieurs et au projet primitif; ils étaient basés
sur l'expérience et sur les renseignements recueillis de février
à octobre.
Dans la pratique, on arrivait donc à corriger les inconvé-
nients de la règle des dix mois au point de vue de la prépara-
tion du budget, et à rapprocher autant que possible la prévi-
ToME LXVL 13
(194)
sion de la réalité, la préparation du budget de son exécution.
Mais, par contre, le but poursuivi par la règle des dix mois
était manqué et la discussion du budget, commencée dans la
seconde quinzaine de novembre seulement, n'était jamais ter-
minée pour le 31 décembre. Les crédits provisoires restaient
donc indispensables ^.
Aussi vit-on à diverses reprises se manifester l'idée de
modifier l'article 1*' de la loi de 1846, dont l'utilité paraissait
de plus en plus contestable.
La section centrale du budget des voies et moyens pour
1879 posa formellement au gouvernement la question de
savoir « s'il ne conviendrait pas de modifier l'article 1^ de la
loi sur la comptabilité, en tant qu'il ordonne la présentation
du budget au moins dix mois avant l'ouverture de Texercice, ^
et de manière à permettre au gouvernement de présenter en
une fois le projet définitif ^ ».
Mais, contre toute attente, le ministre des finances de
* M. de Smet de Naeyer, ministre des finances, exposait très clairement
cette situation dans une circulaire adressée à ses collaborateurs, en
décembre 1897, lorsqu'il disait : « Au mois de février, le gouvernement
ne connaît pas encore les résultats de l'exercice qui vient de finir —
puisque aux termes de l'article 2 de la dite loi, les opérations de cet
exercice se prolongent jusqu'au 31 octobre suivant — et il n'est pas en
mesure d'escompter les résultats de l'exercice commencé. Le gouver-
nement ne peut donc s'inspirer de faits constants pour former, avec une
suffisante exactitude, les prévisions des recettes et des dépenses. Il en
résulte que les projets de budget déposés au mois de février ne serrent
pas d'assez près la réalité des faits, qu'ils revêtent un caractère tout
provisoire et doivent invariablement subir dans la suite des remanie-
ments importants.
» Cet état de choses est la cause principale du retard que subit le vote
des divers budgets : la Chambre ne peut, en efifet, en aborder utilement
l'examen qu'au moment où le gouvernement se trouve en mesure de la
saisir de projets définitifs, basés sur les résultats assurés ou probables
des deux derniers exercices financiers. De sorte que c'est dans la loi de
1846 elle-même que git l'obstacle à la réalisation du vœu de ses auteurs. »
(Discours du ministre au Sénat, le 24 décembre 1897.)
« Ch. des Représ., sess. de 1878-1879, Doc. pari., n« 26.
( 198 )
Tëpoque, M. Graux, répondit que le gouvernement ne se
trouvait pas embarrassé de satisfaire à l'obligation qui lui était
imposée, a II est généralement en mesure, disait le ministre,
d'évaluer avec assez de précision ses voies et moyens et ses
besoins dès le mois de février qui précède Texercice.
» S'il lui arrive parfois d'avoir à proposer certaines modifi-
cations, d'ailleurs peu importantes, à un petit nombre d'articles,
ces modifications ne touchent pas à l'économie générale du
budget et n'obligent pas au renouvellement d'études déjà
faites. La nécessité de modifier, sous ce rapport, la loi sur la
comptabilité est donc très discutable ^. »
Cependant, quelques années plus tard, après avoir quitté le
ministère, M. Graux se chargeait lui-même de réfuter cette
affirmation, lorsqu'il déclarait à la Chambre : « Je considère
comme véritablement surannée, comme n'ayant plus aucune
espèce d'utilité, la prescription légale qui ordonne le dépôt des
budgets dix mois avant l'ouverture de l'exercice, à une
époque où il est impossible de prévoir avec quelque précision
quels seront les faits et les nécessités de Vexerdce prochain 2 ».
. Partageant cette manière de voir, le ministre des finances
actuel, M. de Smet de Naeyer, esquissait devant le Sénat le
projet de réforme suivant ^^ : « Il y a, selon moi, deux mesures
à prendre pour remédier à la situation : c'est d'abord de
réduire à dix-huit mois au lieu de vingt-deux la durée des
opérations de l'exercice financier, de substituer la date du
30 juin à celle du 31 octobre 4, de façon que, à l'expiration
du premier semestre de la seconde année, on soit fixé sur
les résultats de l'exercice ; c'est, en second lieu, de n'obliger
le gouvernement à déposer le projet de budget que quatre
ou cinq mois avant le commencement de l'exercice... Ma
conclusion est que la Chambre devrait se séparer à la fin
* Ibidem,
* Séance du 4 février 1891, Ann. parL, p. 318.
5 Sénat, séance du 24 décembre 1897, Ann, pari., pp. 71-72.
* Modification à l'article 2 de la loi de 1846.
(196)
d'avril au plus tard. Le budget, préparé avec toute l'attention
nécessaire et sur des bases plus certaines, serait déposé en
juillet et les sections de la Chambre l'examineraient dans le
cours du mois d'août ou de septembre. Les rapports seraient
déposés et distribués avant le 1^ novembre et le budget géné-
ral pourrait être discuté et voté dans son ensemble avant la
fin de décembre, c'est-à-dire avant le commencement de
l'exercice. »
Dans cet ordre d'idées, vers la même époque, l'honorable
ministre des finances adressa à ses collègues des autres dépar-
tements ministériels une lettre-circulaire les priant « de faire
examiner d'urgence, chacun pour son département respectif,
s'il n'y aurait pas d'inconvénient sérieux à clôturer les opéra-
tions d'un exercice dès le 30 juin qui suit l'année donnant son
nom à cet exercice, et de bien vouloir lui faire connaître les
raisons qui, éventuellement, s'opposeraient à ce que certaines
catégories de recettes ou de dépenses fussent encaissées ou
liquidées avant le 30 juin ».
. Il faut supposer que cette consultation n'a pas abouti à des
conclusions favorables au projet du ministre des finances.
Car, dans le projet de loi déposé par celui-ci au Sénat,
en séance du 6 juillet 1900 4, il n'est plus question de modi-
fier l'article 2 de la loi de 1846 et de reporter la clôture de
l'exercice du 31 octobre au 30 juin.
Le projet demande simplement de modifier comme il suit
l'article 1, alinéa â de la loi du 15 mai 1846 :
Le projet de budget est imprimé et diMribué aux membres
des Chambres législatives y par les soins du département des
finances et des travaux: publics, au plus tard le 31 octobre de
Vannée qui précède Couverture de P exercice.
C'est dans ces termes qu'il fut voté à l'unanimité par les deux
Chambres et devint la loi du 24 juillet 1900, qui règle actuel-
lement l'époque de la présentation du budget à la Chambre.
L'Exposé des motifs de cette loi attribuait un double avan-
* Sénat, sess. extraord. de 1900, Doc. part,, n» 3.
(197 )
tage à la réforme : « Premièrement, la revision des projets
étant supprimée, le travail incombant aux divers départements
ministériels et particulièrement au département des finances
et des travaux publies, serait notablement simplifié. Cette
simplification s'étendrait aux écritures et aux travaux d'impres-
sion et se traduirait par une économie notable de temps et
d'argent. En second Heu, lors de la réunion de la Chambre en
session ordinaire, le second mardi de novembre, les projets
de budget pourraient être soumis sans aucun retard à l'examen
des sections; on gagnerait ainsi tout le temps consacré
aujourd'hui à l'impression et à la distribution des projets de
budget amendés. »
Assurément, le régime inauguré en 1900 améliore la situa-
tion du gouvernement dans l'œuvre de la préparation du bud-
get et lui épargne la peine de recourir à des subterfuges pour
rapprocher ses prévisions de la réalité.
D'autre part, malgré le dépôt du budget avant la date
extrême du 31 octobre et malgré le temps gagné sur l'impres-
sion et la distribution des projets de budget amendés, la
Chambre et le Sénat ne disposent, après comme avant, que de
six semaines au plus pour étudier, discuter et voter tous les
budgets.
En fait, on ne voit pas que la loi du â4 juillet 1900 ait hâté
en quoi que ce soit le vote des budgets avant l'ouverture de
l'exercice. Les budgets continuent à être votés avec de grands
retards, les crédits provisoires fleurissent plus que jamais. La
question reste donc entière. Nous aurons l'occasion d'y reve-
nir dans la suite de cette étude ^.
* Cf. iw/ra, 2« partie, chap. IX.
deuxiMe partie
LE BUDGET DEVANT LE PARLEMENT
SOMMAIRE :
Chapitre I. — Le vote annuel du budget.
Chapitre II. — Êtvde préalable du budget par les Chambres.
Chapitre III. — La discussion des budgets.
Chapitre IV. — Le vote article par article, — La spécialité budgétaire»
— Les transferts.
Chapitre V. — L'initiative parlementaire en matière budgétaire.
Chapitre VI. — Delà modification d'une loi organique par voie budgé-
taire.
Chapitre VU. — L'initiative du Sénat en matière de lois de finances.
(Article 27, alinéa 2 de la Constitution.)
Chapitre VIII. — Du droit pour le gouvernement de retirer devant le
Sénat un projet de budget voté par la Chambre.
Chapitre IX. — Du retard dans le vote des budgets. — Les crédits
provisoires. — Le changement de la date d'ouverture
de Vannée financière.
Chapitre X. — Dm refus du budget.
( 199 )
CHAPITRE I.
Le vote annuel du budget.
« Chaque année, dit l'article 115 de la Constitution, les
Chambres arrêtent la loi des comptes et votent le budget. »
L'annualité du budget se trouve ainsi solennellement pro-
clamée par notre pacte fondamental. On comprend sans peine
que les Constituants, bien que les discussions du Congrès
national ne portent pas trace de ces préoccupations, aient tenu
à inscrire soigneusement ce principe dans leur œuvre législa-
tive, au sortir d'un régime politique qui pratiquait le budget
décennal.
Nous avons suffisamment caractérisé cette institution ^, pour
nous dispenser d'y revenir. Elle aboutissait, en somme, à
exiger du Parlement l'aliénation de ses prérogatives et de son
droit de contrôle sur les affaires financières, pour une période
de dix années.
Pendant dix ans, le gouvernement avait les coudées
franches et la faculté de gérer les finances à sa guise et sans
contrôle.
L'article 115 de la Constitution, en imposant au gouverne-
ment le devoir de soumettre chaque année son plan financier
à l'autorisation des Chambres, consacre donc une garantie
sérieuse des droits de la souveraineté nationale 2.
* Cf. supra, pp. 51 et suiv.
* Ce sentiment est resté très ancré dans le Parlement. Au moment de
l'élaboration de la dernière revision de la Constitution, on avait émis
ridée, afin d'éviter le retard actuel dans le vote des budgets, de re viser
l'article 115 et d'établir le budget biennaL M. Begerem, rapporteur du
budget des voies et moyens pour 1892, avait signalé cette solution, sans
d'ailleurs la faire sienne. Aussitôt s'élevèrent à la Chambre des protes-
tations unanimes. Voir notamment les discours de MM. Woeste, Tack,
Houzeau de Lehaie, etc.. (Ch. des Repr., séance du 23 décembre 1891,
Ann, parL, pp. 320 et suiv.)
( 200 )
L'annualité du budget se rencontre d'ailleurs dans la plupart
des pays, soit qu'elle soit expressément inscrite dans la loi
constitutionnelle, soit qu'elle résulte implicitement des règles
posées par les codes de comptabilité (France).
Par exception cependant, dans quelques petits États alle-
mands, le budget est voté pour une période plus longue que
Tannée. En Hesse, Jl est triennal, de même que dans les
duchés de Saxe-Weimar, Saxe-Jfeiningen et Saxe-Altenbourg.
Il est biennal en Bavière, après avoir été quinquennal autre-
fois. Â diverses reprises, en 1880, 1882 et 1883, M. de Bis-
marck tenta d'imposer le budget biennal au Reichstag alle-
mand, dans le but inavoué de s'assurer « un blanc-seing pro-
longé, une période de liberté plus étendue ». 11 ne réussit pas
et le Reichstag conserve le droit de voter annuellement le bud-
get de l'Empire ^.
11 arrive aussi que certaines portions de budgets échappent
au vote annuel du Parlement.
Tel est le cas, pour la Belgique et d'autres pays, de la liste
civile. La liste civile est fixée par la loi pour chaque règne 2.
Elle est donc établie par une loi spéciale, pour un nombre
d'années indéterminé, en dehors de la loi de budget. Chaque
année cependant, la dépense figure au budget des dotations,
mais le vote du Parlement ne porte ni sur le principe de cette
dépense ni sur son taux : il constitue une pure formalité.
De même encore peut-on citer, comme une exception au
vote annuel, le vote des crédits extraordinaires qui valent pour
trois ans. Cette exception est confirmée chaque année par la
loi qui fixe le budget extraordinaire.
Dans l'organisation budgétaire de l'Empire allemand, le
septennat militaire et le sexennat naval peuvent être consi-
dérés aussi comme des portions de budgets soustraites à la
* Stourm, loc, cit. y p. 304.
' Pour la durée du règne de Léopold II, la loi du 25 décembre 1866 a
fixé la liste civile à 3,300,000 francs, en vertu de rarticle 77 de la Con-
stitution.
( 201 )
discussion annuelle r— sinon au vote annuel — du Reichstag,
bien qu'au fond cependant il ne s'agisse là que d*un pro-
gramme de dépenses militaires ou navales à effectuer en plu-
sieurs années ^, d'une nature analogue à celle de nos fonds
spéciaux.
L'exemple classique le plus complet d'une exception impor-
tante à la règle de l'annualité, est le fonds consolidé anglais 2.
On distingue, en Angleterre, deux catégories de dépenses :
1** les Consolidated fund services : dépenses permanentes, qui
échappent à la règle de l'autorisation annuelle; S"» les supply
services ou dépenses votées chaque année.
De même, on distingue les taxes annuelles et les taxes per-
manentes, qui sont « celles dont la perception a été autorisée
une fois pour toutes par un Act du Parlement et qui subsistent
tant qu'un nouveau statute n'intervient pas pour en modifier
l'assiette, le taux ou les conditions de perception 3 ».
Les dépenses permanentes et les taxes permanentes consti-
tuent le fonds consolidé. D'après la remarque de M. Stourm,
a elles ne sont pas juxtaposées en vue de former un budget
spécial. Le mot consolidé exprime un caractère attribué à cer-
taines dépenses et à certaines recettes, et nullement Fidée d^un
budget constitué en recettes et en dépenses corrélatives j en dehors
du budget ordinaire * ».
L'origine de cette institution remonte très haut dans le
moyen âge. Elle se développa concurremment avec les institu-
tions parlementaires, au gré des circonstances et des épisodes
de la lutte entre la Couronne et le Parlement ^.
Dans sa physionomie moderne, le fonds consolidé date du
1 Cf. Stourm, lac. dt., pp. 308-309.
* Id., lac. cil,, pp. 365 et suiv.; Boucard et Jèze, I, pp. 193 et suiv.;
VON Heckel, bas Budget, pp. 53-54.
3 Boucârd et Jèze, I, p. 194.
* Stourm, toc, cit., p. 306.
« Cf. Sur Vhistoire du fonds consolidé : Boucard et Jèze, I, pp. 194-
195; VON Heckel, loc. cit,, p. 53.
( 202 )
Consolidated Fund Act de 1787 (27 Geo. III, c. 13). Un acte
de 1816 (S6 Geo. III, c. 98) réunit le fonds consolidé pour
l'Irlande au fonds anglais. La législation actuellement en
vigueur date des Acts de 1854 (17 et 18 Vict., c. 94) et de
1856 (19 et 20 Vict., c. 59) i.
Le fonds consolidé comprend aujourd'hui :
l*" D'une part, en dépenses : la liste civile, fixée pour la
durée du règne, les intérêts de la dette publique, diverses
grandes pensions civiles et militaires, la dotation du speaker
des communes, les traitements de la haute magistrature, les
services diplomatiques, etc. ;
2® D'autre part, en recettes : les impôts dont la nécessité et
l'assiette ne sont pas contestées et qui subsistent tant qu'une
loi spéciale n'en modifie pas ou n'en suspend pas la percep-
tion. Tels sont notamment : les douanes (customs), V excise^
les droits de timbre (stamps) et, d'une manière générale, tous
les impôts à l'exception de Vincome tax et des droits sur le thé.
En résumé, le tiers environ des dépenses et les quatre
cinquièmes des recettes sont consolidés et dispensés du vote
annuel du Parlement.
Les dépenses consolidées ne figurent même pas dans les
estimâtes ou dans le budget annuel : elles sont autorisées une
fois pour toutes, sans qu'il soit nécessaire de demander
chaque année l'autorisation spéciale de la Législature.
Et quant aux recettes consolidées, comme leur produit
dépasse notablement le service des dépenses consolidées, le
Parlement affecte ce surplus au paiement des dépenses qui
doivent être votées annuellement. Il s'ensuit que, déduction
faite des dépenses consolidées, près de la moitié des dépenses
annuelles sont couvertes au moyen des recettes du fonds
consolidé, et il ne reste, en définitive, qu'un septième environ
du budget des dépenses à payer par des recettes soumises au
vote annuel du Parlement 2.
* VON Heckel, ibid.
* Cf. VON Heckel, loc. cit,, p. 54. ,
( 203 )
L'institution du fonds consolidé fonctionne normalement en
Angleterre, sans heurt ni inconvénients, et il ne s'élève pas
dans ce pays, dont les communes sont si jalouses de leurs
prérogatives financières, les récriminations et les protestations
que susciteraient ailleurs des restrictions semblables apportées
au droit de voter annuellement toutes les recettes et toutes les
dépenses de l'État ^.
Quand on analyse, en effet, la composition du fonds conso-
lidé, on y trouve d'abord une série de dépenses d'un caractère
permanent et obligatoire, qui s'imposent en quelque sorte
nécessairement et dont le refus ne se concevrait guère.
Les intérêts de la dette publique ne doivent-ils pas être
payés, à moins de déclarer la banqueroute de l'État? Et l'accord
intervenu, au début de chaque règne, entre la Couronne et le
Parlement, pour la fixation de la liste civile, ne doit-il pas
être respecté? Comment refuser ces dépenses qui ne sont que
l'exécution de contrats et d'arrangements auxquels on ne peut
manquer?
Le vote du Parlement, en ce qui les concerne, serait donc
de pure forme. Pourquoi, dès lors, les mettre en discussion
chaque année?
Et de même pour les recettes : aussi longtemps que la
nécessité, l'assiette et le taux d'un impôt sont incontestés, il
paraît inutile de le soumettre au vote annuel. Si Vincome tax
n'est pas consolidé, c'est que cet impôt conserve, dès son
origine, un caractère essentiellement provisoire, au moins en
théorie.
Les autres impôts sont permanents, dans les conditions
prévues par leur loi organique, et d'ailleurs ils doivent pour-
voir à des dépenses nécessaires et obligatoires.
* Ibid, — Aux États-Unis, on distingue également les crédits perma-
nents {the permanent appropriation) et les crédits annuels. « Les premiers
ne sont pas soumis au vote du Congrès, mais leur montant est placé
sous les yeux des Chambres dans la « lettre du secrétaire du Trésor. »
(Cf. BoucARD et Jèze, I, pp. 196-197.)
( 204 )
L'introduction du fonds consolidé dans la pratique budgé-
taire a été recommandée parfois dans les pays du continent.
En France, M. LaflStte avait fait en 1827 une proposition for-
melle en ce sens^ mais sans succès ^.
En Belgique aussi on a vanté le fonds consolidé comme un
moyen de hâter la discussion et le vote du budget, en évitant
au Parlement le soin fastidieux de s'occuper chaque année
d'une série de dépenses qu'il lui serait moralement impossible
de ne pas autoriser.
c( Il ne faudrait pas, répondrons-nous avec M. Stourm,
exagérer la portée de la réforme, dont l'unique avantage, en
somme, consiste à épargner un peu de travail aux députés : le
président de la Chambre aurait moins de textes à lire; les
représentants auraient moins de votes par assis et levé à
émettre. Mais comme il s'agit d'opérations inévitables par leur
essence même, sur l'adoption desquelles aucune discussion
sérieuse ne s'élève en général, leur élimination du budget ne
constituera jamais qu'un allégement matériel sans grande
importance 2. »
A part le peu d'intérêt que présenterait cette réforme, il ne
faut pas perdre de vue que la Constitution belge a pris soin de
maintenir intacte la règle de l'annualité du budget et d'empê-
cher la formation d'un fonds consolidé. Le budget décennal
n'était-il pas une espèce de fonds consolidé? Et nos Constituants
n'ont-ils pas insisté particulièrement sur le vote annuel du
budget, en haine de la pratique imposée par la loi fondamen-
tale?
L'article IH de la Constitution 3, en conférant aux impôts
un caractère essentiellement temporaire et provisoire, s'oppose
formellement à leur incorporation dans un fonds consolidé.
* Stourm, loc cit., p. 307.
' Itridem.
' Article 111 : « Les impôts au profit de TËtat sont votés annuellement
i> Les lois qui les établissent n'ont de force que pour un an, si elles
ne sont renouvelées. »
( 205 )
Et^ en ce qui concerne les autres recettes et les dépenses,
l'article liS ne nous paraît pas pouvoir être interprété diffé-
remment, puisque, d'après cet article, « toutes les recettes et
dépenses de l'État doivent être portées au budget » et que,
d'autre part (alinéa 1), le budget doit être voté, chaque année,
par les Chambres.
L'introduction du fonds consolidé dans notre organisation
budgétaire se heurterait donc à un obstacle constitutionnel.
La régie de l'annualité du budget est absolue et n'admet pas
d'exception.
CHAPITRE IL
Étude préalable du budget par les Gbambres.
Le budget est soumis dans tous les Parlements à une
période d'élaboration et d'étude qui précède sa discussion et
son vote en séance publique.
Ce travail préparatoire n'est pas organisé, en Belgique,
différemment pour l'étude du budget que pour l'étude des
autres projets de loi ^.
Chacun des quinze projets de budgets est examiné, à la
Chambre, par les six sections, qui sont composées et renou-
velées chaque mois par la voie du tirage au sort.
Chaque section nomme* un président, un vice-président et
un secrétaire. Après avoir examiné le budget qui lui est sou-
mis, elle nomme un rapporteur à la majorité absolue.
Les six rapporteurs se réunissent ensuite, sous la présidence
du président de la Chambre ou de l'un des vice-présidents, en
une section centrale, qui nomme, également à la majorité
absolue, un de ses membres pour faire rapport à l'assemblée
plénière de la Chambre.
Au Sénat, l'organisation est quelque peu différente.
* Cf. Règlement de la Chambre, chapitre V : Des sections et des com-
missions, articles 51 et suiv... Règlement du Sénat, chapitre V : Des
commissions, articles 50 et suiv.
( 206 )
Lorsque les budgets sont présentés sous la forme de projets
de loi distincts — et c'est la règle, — ils sont renvoyés chacun
séparément à l'examen des commissions compétentes formées
comme il est dit à l'article 50, alinéas 1, 2, 4 et 5 du règlement
de la Haute Assemblée.
(c A l'ouverture de chaque session et après la formation du
bureau, le Sénat se divise en autant de commissions qu'il y a
de départements ministériels.
» Chaque commission se compose d'un nombre égal de
membres; s'il y a un excédent, il est attribué dans l'ordre
suivant...
» Les membres des commissions sont désignés au scrutin
secret par bulletin de liste et à la pluralité relative des suf-
frages.
» En cas de parité, le plus âgé est nommé. »
Chaque commission nomme, pour toute la durée de la
session, un président et un vice-président. Elle choisit son
rapporteur pour chaque affaire (art. 52).
En cas de présentation des budgets sous la forme d'un
projet de loi unique contenant le budget général de l'État, une
commission spéciale est chargée de l'examen de ce projet de
loi (art. 50, al. 2).
Cette commission est composée alors de deux membres
délégués par chacune des commissions ordinaires, nommées,
comme nous venons de le dire, pour toute la durée de la
session (art. 52, al. 2). Le président du Sénat est président de
droit de la commission spéciale du budget (art. 52, al. 3).
La commission du budget général de l'État nomme, à la
majorité absolue, un ou plusieurs de ses membres pour faire
rapport sur Tensemble et sur les diverses parties de ce budget
(art. 52, al. 4).
Le règlement de la Chambre (art. 58) prévoit, lui aussi, la
composition d'une section centrale unique de vingt et un
membres, dans le cas de la présentation des budgets sous
forme d'un projet de loi unique *.
1 Cf. supra, p. 103.
( 207 )
Cette fqrme de présentation n'a été adoptée qu'une seule
fois, pour le budget de 1884. Nous avons longuement discuté
la réforme tentée par M. Graux et nous avons fait ressortir les
avantages qu'elle paraissait présenter.
Nous avons ajouté aussi que, même dans l'hypothèse de
projets de budgets distincts, il semblait utile de soumettre
Tensemble de ces projets à Texamen d'une seule section cen-
trale ou commission, dont la composition est d'ailleurs prévue
par les règlements de la Chambre et du Sénat, mais seulement
en cas de budget unique ^. Pourquoi ne pas appliquer la même
procédure au cas des. projets distincts? Outre les avantages
que présenterait une étude d'ensemble du budget, il y aurait
quelque chance de confier de la sorte l'examen préalable du
projet gouvernemental aux membres du Parlement les plus
autorisés et les mieux qualifiés en matière financière.
La représentation des minorités serait aussi mieux assurée
dans une section plus nombreuse que ne le sont les sections
centrales actuelles.
Les réunions des sections de la Chambre ou des commis-
sions du Sénat ne sont pas publiques. Non seulement le public
proprement dit en est naturellement exclu, mais les députés
ou sénateurs non-membres ne peuvent y assister, fût-ce en
qualité de simples auditeurs. Les ministres seuls sont admis
à donner les renseignements qui leur sont demandés.
Cette espèce de clandestinité des comités d'étude du budget
se rencontre dans tous les pays, sauf en Autriche, « où tous
• les membres assistent, s'ils le désirent, aux séances du comité
des finances ^ » et en Angleterre, dont les communes s'orga-
nisent, pour la discussion des budgets, d'une manière toute
spéciale, sous la forme de Committees of the whole home ou
Comités de la Chambre entière.
c( Tous les membres qui possèdent une aptitude, un goût
spécial, une compétence particulière pour les questions finan-
* Cf. supra, p. 145.
« Stourm, loc. ciY., p. 278.
( 208 )
cières font spontanément partie de ce Comité ^... Pour le
constituer un simple jeu de procédure parlementaire, une
simple motion suffit, motion ainsi conçue : a que le Président
quitte maintenant le fauteuil ^ ». Après avis conforme de la
Chambre, le speaker quitte, en effet, le fauteuil, la masse est
placée sous la table, et un autre président, désigné par ses
collègues, dirige les débats sûus le nom de chairman. La
séance continue sans autre interruption; seulement, les
membres présents sont devenus moins nombreux, la discus-
sion revêt un ton moins solennel, plus pratique; chacun
s'exprime sans phrases, en homme d'affaires, prenant et repre-
nant la parole à plusieurs reprises, ce qui est interdit dans les
séances générales. Une fois les conclusions adoptées, le chair-
man les résume en un rapport verbal, devant l'assemblée
réunie de nouveau sous la présidence du speaker 3. »
M. Pirmez avait proposé un jour d'introduire la publicité
des travaux des sections centrales d'après le système anglais
des comités de la Chambre entière, et une commission avait été
nommée pour modifier le règlement de la Chambre en ce sens,
 part un beau rapport de Fauteur de la proposition ^, rien
n'est resté de cette tentative de réforme, qui échoua devant
l'hostilité de la grande majorité de la Chambre.
Cependant, en même temps qu'elle assurait à la minorité
une représentation très équitable, la proposition Pirmez per-
mettait à tous les députés travailleurs et de bonne volonté de
procéder à un examen sérieux du plan financier.
* Ou plutôt de ces Comités, car on distingue le Committee ofsupply
pour les dépenses et le Committee ofways and means pour l'application
des recettes aux dépenses.
' « M. Speaker do now leave the Chair. »
* STOimM, loc. dt., p. 278. — Cf. aussi : Bougard et Jèze, I, pp. 275 et
suiv. ; VON Heckel, Das Budget, pp. 96 et suiv. ; comte de Franqueville,
Le Gouvernement et le Parlement britanniques^ t. III ; ërskine May,
Parliamenlary Practice ; Anson, Law and Custom of the Constitution,
part I : Parliament.
* Ch. des Représ., sess. de 1887-1888, Doe. pari., n« 148.
( 209 )
En attendant, l'organisation actuelle laisse à désirer sous
plus d'un rapport. Comme on l'a très justement remarqué^,
a les travaux des sections centrales se ressentent des habitudes
itinérantes des représentants. Ces voyages quotidiens abrègent
forcément leurs délibérations et prennent aux membres un«
partie du temps qu'il pourraient consacrer à l'étude person-
nelle des propositions. Il arrive trop souvent que chacun se
repose sur le rapporteur d'en faire un examen approfondi ».
Ce n'est pas, en tout cas, aux sections centrales belges que
l'on pourrait adresser les reproches mérités, par exemple, par
la commission du budget en France.
Celte commission présente les caractères suivants ^ :
1<> elle est temporaire, c'est-à-dire annuelle et renouvelée
pour chaque budget ;
2*" elle est composée par la Chambre elle-même : chacun
des onze bureaux désigne trois de ses membres ; elle se com-
pose donc de trente-trois membres;
* L. DupRiEZ, Le gouvernement parlementaire en Belgique. Rapport au
Congrus iniernational de droit comparé, Paris, 1900. (Bulletin de la
Société de législation comparée, t. XXIX, p. 611.)
* Cf. BoucARD et Jèze, I. p. 2«5; Stourm, loc. cit., pp. 275 et suiv.;
Henri Labbé, De la préparation des lois dans les commissions parlemen-
taires (inèsa), Paris, Larose, 1901, pp. 77 et suiv.
Aux États-Unis, les comités du budget sont au nombre de deux
principaux : le Committee of appropriation, pour les dépenses, et le
Commiltce of Ways and Means, pour les recettes.
Ces comités : 1® sont permanents, nommés pour toute la durée du
Congrès (deux ans) ; 2° les comités de la Chambre sont composés par le
speaker et non par l'assemblée elle-même, ceux du Sénat sont nommés
par le Sénat; 3° enfin, ces comités n'ont pas pour mission de contrôler
le travail de l'Exécutif et d'en faire rapport à leur assemblée ; ils ont à
préparer le tableau des dépenses et le tableau des recettes. Ils ont Tini-
tiative budgétaire. (Boucard et Jèze, I, pp. 281 et suiv...)
Le travail proprement dit de l'étude préalable du budget par la
Chambre est fait, comme en Angleterre, par le comité de la Chambre
entière.
Les comités financiers ariiéricains sont donc moins des organes d'étude
que des organes de préparation du budget.
Tome LXVI. 14
( 210 )
3<» elle a une compétence générale en matière financière et
n'est pas seulement et exclusivement chargée de l'examen de
la loi des recettes et des dépenses (art. 22 du règlement de la
Chambre) ;
4"^ elle n'a qu'une mission d'étude préparatoire des propo-
sitions du gouvernement, elle n'a pas de pouvoir de décision.
c( D'une part, elle n'a pas à se substituer au gouvernement;
d'autre part, elle n'a point à se substituer à l'assemblée qui Fa
nommée. En fait, cette ligne de conduite est difiScilement
observée. »
Et le principal reproche que mérite la commission du bud-
get française, c'est sa tendance très accentuée à se mettre en
lieu et place du gouvernement et de refaire la préparation du
budget, au lieu de se borner à étudier, examiner et critiquer
les propositions gouvernementales.
M. Léon Say a qualifié très sévèrement cette tendance,
lorsqu'il écrivait : « La commission du budget se croit chargée
de préparer le budget, comme si elle était le ministre, et
cpmme si les rapporteurs qui composent son Cabinet devaient
s'asseoir, chacun pour faire un intérim, pendant le temps de
la session, sur les- fauteuils appartenant aux ministres réels.
Le ministère occulte, quoique fort visible, formé au sein de la
commission, prépare donc à nouveau le budget, en se servant
ou en ne se servant pas de la préparation administrative, faite
sous la direction des ministres nominaux. La commission se
croit un gouvernement et les rapporteurs sont ses ministres.
Il n'est que trop vrai de dire que, s'il y a en France une pré-
paration du budget, cette préparation est sortie des attribu-
tions des ministres, et qu'elle est devenue l'attribution essen-
tielle des commissions du budget du Parlement. C'est un mal
qui sera sans remède, tant que l'esprit des représentants de la
nation ne sera pas guéri de cette maladie qui leur fait con-
fondre, toujours, dans toutes les affaires publiques, le contrôle
et l'action ^. »
* LÉON Say, Les Finances. Paris, 1896, pp. 24 et suiv. (Bibliothèque
de la Politique et de la Science sociale, sous la direction de MM. Charles
Benoist et André Liesse.)
(211 )
Les sections centrales belges ne tombent certes pas dans ce
travers. Elles ne dépassent pas les limites de leur mission
d'étude préalable pour empiéter sur le terrain de la prépara-
tion du budget. Au contraire, on peut leur reprocher, d'une
manière générale et surtout pour certains budgets importants,
de ne pas scruter d'une manière assez approfondie les propo-
sitions ministérielles et de se contenter trop facilement de les
entériner purement et simplement. Leurs travaux sont généra-
lement trop sommaires et trop superficiels.
Quoi qu'il en soit, ils aboutissent toujours à la rédaction
d'un rapport qui est l'œuvre du rapporteur nommé spéciale-
ment à cet effet.
Ce rapport contient, outre l'analyse des délibérations des
sections et de la section centrale, des conclusions motivées. Il
est imprimé et distribué au moins deux jours avant la discus-
sion en assemblée générale, sauf les cas où la Chambre en
décide autrement {art, 57 du règlement de la Chambre) ^.
La valeur de ces rapports est évidemment très relative et
dépend de la valeur des rapporteurs eux-mêmes. Ceux-ci se
bornent le plus souvent, selon le vœu du règlement, à analy-
ser les délibérations, à résumer les opinions échangées et à
motiver très sobrement les conclusions. Certains budgets four-
nissent, en règle générale, matière à plus de développements.
 l'occasion du budget des voies et moyens, par exemple, le
rapporteur a l'habitude d'apprécier dans son ensemble la
situation financière du pays.
Parfois ces limites étroites sont largement dépassées : les
rapports s'étendent, se développent, au point de devenir, selon
l'expression de M. Woeste 2 « de véritables traités, de véritables
^ Article 51 du règlement du Sénat : « Les rapports des commissions
contiennent, outre Tanalyse des délibérations, des conclusions motivées.
Us sont déposés sur le bureau, imprimés et distribués la veille de la
discussion générale, à moins que le Sénat n*en décide autrement. Le
Sénat peut en ordonner la lecture en séance publique.
, Ch. de^ Représ., séance du 5 mai 1902.
( 212 )
livres avec lable des matières. La Chambre, ajoutait-il, devrait
rentrer dans la tradition parlementaire et n'admettre que des
rapports courts et substantiels, reflétant les observations pré-
sentées par la section centrale ».
D'autre part, M. Renkin disait très justement aussi : « Le
devoir des sections centrales et des rapporteurs est d'examiner
sérieusement et consciencieusement, suivant leur importance,
les budgets qui leur sont soumis... 11 est impossible de borner
les rapports au résumé des débats en sections. Â raison de
notre méthode de travail en sections» aucune idée générale ne
s'y fait jour, et si on ne poussait pas plus à fond l'étude du
budget, le contrôle parlementaire deviendrait illusoire ^. »
Il n'est pas possible assurément de tracer des règles à la
rédaction des rapports. Le plus ou moins de développements
à leur donner dépendra surtout de l'importance des intérêts
en cause et des problèmes à l'ordre du jour.
Un rapport peut être « court et substantiel » sans se ravaler
pour cela au rang de procès-verbal incolore et impersonnel.
Il peut, d'autre part, s élever à des idées générales, à des vues
d'ensemble, sans devenir pour cela prolixe, diffus et volumi-
neux.
C'est une question de mesure et de juste milieu que la
compétence, le talent et le tact du rapporteur tranchera dans
chaque cas particulier.
CHAPITRE III.
La disoussion des budgets.
Le règlement de la Chambre organise cette discussion, pour
les budgets comme pour tous les autres projets ou propositions
de loi, de la manière suivante 2 :
Article 39 : a La discussion qui suivra le rapport de la
* Cf. Ch. des Représ., séance du matin du 7 mai 1902.
* Cf. les articles correspondants du règlement du Sénat : art. 39 et 40.
(213)
section centrale ou de la commission est divisée en deux débats :
la discussion générale et celle des articles.
Article 40 : « La discussion générale portera sur le principe et
Èur r ensemble de la proposition. Outre la discussion générale et
la discussion des articles, la Chambre pourra ordonner une
discussion sur fensemble de chacune des divisions d'une propo-
sition. »
Article 41 : « La discussion des articles s'ouvrira successive-
ment sur chaque article, suivant son ordre, et sur les amen-
déments qui s'y rapportent. »
La discussion des articles, sauf le cas d'amendement, cas
relativement rare en Belgique, s'efface généralement devant la
discussion générale.
Celle-ci se renouvelle pour chaque projet de loi distinct,
dont la réunion constitue le budget. Elle porte fréquemment
— en ce qui concerne les principaux budgets — sur la poli-
tique générale suivie par le gouvernement ou sur les mesures
particulières prises par le ministre en cause, et Ton comprend
qu'il en soit ainsi, puisque le budget ne fait en somme que
traduire en chiffres l'orientation donnée au gouvernement du
pays.
La politique financière proprement dite est plus négligée;
elle est plus spécialement discutée à propos du budget des
voies et moyens, du budget de la dette publique ou du budget
extraordinaire, mais il est rare que cette discussion revête en
Belgique l'ampleur qu'elle a souvent en d'autres pays.
Le fractionnement du budget en une série de projets de loi
séparés explique sans doute cette situation et aussi peut-être
— à part quelques exceptions — le manque d'hommes spécia-
lement versés dans la connaissance développée des questions
financières.
Parlant du Parlement français, M. Stourm décrit en termes
pittoresques la physionomie d'une discussion de budget ^ :
« Trois classes d'orateurs, dit-il, se distinguent toujours dans
* Stourm, lac. cit., pp. 288-289. ,
( 214 )
ces grands débats budgétaires. D'abord l'orateur de l'opposi-.
tion, attaquant sans merci Tensemble de la politique financière,
déclarant que l'on court à la ruine, que Ton dilapide les deniers
publics, ou bien inversement, que Ton se complaît dans une.
inertie fatale, que le char s'embourbe, le tout suivant qu'il
siège à l'extrême droite ou à Textréme gauche ; puis l'orateur
modéré, partisan, sans doute, du système gouvernemental et
défenseur des lois intangibles, mais croyant de son devoir de
ne pas ménager les avertissements; sous ce couvert, il reprend,
avec plus d'autorité et quelques correctifs, les critiques de ses
prédécesseurs et provoque les applaudissements unanimes des
centres; enfin, l'orateur officiel, ministre, commissaire du
gouvernement, ou rapporteur général, qui monte au Capitole.
» En tous cas, les esprits généralisateurs abordent seuls
alors la tribune ; les défenseurs des intérêts de clocher, les
députés en quête de subventions pour leur arrondissement se
réservent pour la discussion des articles. »
Cette fine description s'applique sans doute, mutatis mutan-
dis, à la plupart des Parlements; elle s'adapte en tout cas au
Parlement belge, où l'on voit dans les discussions budgétaires
apparaître les mêmes personnages, mais où l'on retrouve sur-
tout ce que M. Frère-Orban appelait un jour : le défilé des men-
diants.
« La manière, disait-il le 16 décembre 1884 ^, dont on a
coutume de procéder, dans cette Chambre, à la discussion du
budget contribue à ce qu'il en soit ainsi (retard considérable
dans le vote)... Je veux parler de ces discussions interminables
qui ont lieu, en réalité, à côté du budget plutôt que sur le
budget lui-même; il en est ainsi surtout à propos du budget
du chemin de fer, des budgets de l'intérieur et des travaux
publics. Nous assistons alors à ce que l'on a appelé dans un
langage qui n'est peut-être pas tout à fait parlementaire, le
défilé des mendiants»
, » Nous entendons des discours qui sont, en réalité, des;
« Gh. des Représ,, sess. de 1884-1885, Ann^parL, p. ^2.
( 218' y
adresses aux électeurs, pour ne point dire des réclames élec-
torales; leur but est d'indiquer que les membres de la
Chambre s'occupent spécialement des intérêts locaux des
arrondissements qu'ils représentent. »
La situation ne s'est pas améliorée depuis que ces paroles
ont été prononcées. Bien au contraire, et il est facile de s'en
assurer en ouvrant les Annales parlementaires de ces dernières
années.
Dans l'étude que nous avons déjà citée, M. Dupriez ^ expose
d'une manière très exacte le mode vicieux des discussions
budgétaires actuelles en une page qui peut se passer de com-r
inentaire.
ce En- Belgique, les discussions sur les budgets sont intermi-
nables, c'est là une vieille pratique que les Chambres censi-
taires avaient inaugurée et que les Chambres élues par le
suffrage universel ont encore développée. Â côté de quelques
orateurs. qui entreprennent la critique de l'administration ou
attaquent la politique du gouvernement, on voit se succéder
l'innombrable série des députés qui viennent solliciter des
travaux ou des faveurs quelconques pour leurs arrondisse-
ments. L'accumulation de ces réclames électorales n'a nulle-
ment diminué avec le nouveau régime. Les députés ont mêmt
pris l'habitude, à propos de chaque budget, de critiquer les
lois, de réclamer des projets nouveaux relativement à ce qui
de près ou de loin se rattache à la mission du département en
cause.
» S'agit-il d'un projet qui intéresse une classe nombreuse
d'électeurs, comme les agriculteurs, dix ou quinze orateurs se
succéderont à la tribune pour réclamer la mém.e réforme.
» Le S4 janvier 1895, M. Begerem, ministre de la justice,
constatait que cinquante et un orateurs venaient de prononcer
cinquante-huit discours dans la discussion générale du bud-
* Le gouvernement parlementaire en Belgique. (Bulletin de la Société
DE LÉGISLATION COMPARÉE, t. XXIX, 1899-1900, pp. 619^20.)
(216)
get, qui n^était pas close 4, et que, s'il voulait accéder aux
demandes qui lui étaient adressées il devrait déposer vingt-six
projets de loi et augmenter les dépenses annuelles de près de
3 millions et demi. Si le ministre de l'agriculture ou celui des
chemins de fer s'étaient livrés au même travail de statistique,
ils seraient arrivés à des résultats encore plus étonnants.
* Un autre exemple, pris au hasard. En séance du 24 mai 1901, au
début de la discussion du budget de Tagriculture et des beaux-arts, le
président croit devoir faire connaître à l'assemblée que 6S orateurs sont
déjà inscrits pour cette discussion. Et il y avait alors iô3 députés !
. n arrive aussi que certains députés distraits, pressés d*écouler leur
stock de réclamations et de doléances, les distribuent à tort et à travers,
sans s'assurer qu'elles s'adressent vraiment au ministre en cause.
.Témoin ce dialogue que nous trouvons dans cette même discussion du
budget de l'agriculture. (Chambre, 29 mai 4901, Ann. pari., p. 4255.)
M. le Président. — M. Giroul, je vous prie d'abréger, voire temps de
parole étant expiré.
M. Giroul. — Je vais déférer à votre désir, M. le Président... Dans le
pays wallon, il y a beaucoup de routes macadamisées. Quand on les
recharge, la circulation devient impossible. Je demanderai au gouver-
nement de faire l'acquisition de rouleaux compresseurs à vapeur...
Des réclamations doivent être parvenues à M. le Ministre de l'agricul-
ture et je lui recommande chaleureusement la pétition qu'il a dû recevoir
dli Molo-Club.
M, le Ministre de V agriculture, — Cela ne me regarde pas ; vous vous
trompez d'adresse.
M. GirouL — C'est possible. Monsieur le Ministre, mais avec votre
amabilité habituelle, j'ai la persuasion que vous transmettrez la récla-
mation dont il s'agit à votre collègue que la chose concerne. . . J'appelle
maintenant l'attention de l'honorable ministre sur le retard apporté à la
construction de divers chemins de fer vicinaux déjà décrétés dans mon
arrondissement...
M, le Ministre. — Cela concerne les chemins de fer! (Hilarité.)
M. GirouL — Enfin, Messieurs, je termine par une demande relative
à l'exportation en France de nos eaux minérales et à l'importation des
eaux minérales françaises.
M. De Bruyn. — Cette question-là est de la compétence du ministre
des finances.
M. GirouL — Je signale donc au gouvernement, puisqu'il parait que ce
n'est pas le ministre de l'agriculture qui est compétent, cette situation...
(217)
» Le mal est devenu si grave que la Chambre a dû prendre
des mesures pour y parer; en 1899, elle a ajouté une disposi-
tion nouvelle à son règlement, aux termes de laquelle, pendant
la discussion des budgets, les séances s'ouvrent à 1 heure et se
prolongent jusque 6 heures; mais, comme il convient de ne
point troubler les députés dans leurs habitudes de voyage,
aucun vote ne peut avoir lieu avant 2 heures, ni après 5 heures.
Aussi, l'orateur qui parle durant la première ou la dernière
heure n*a généralement pour auditeurs que le président, le
secrétaire, le ministre intéressé et deux ou trois collègues qui
attendent leur tour de parole. Qu'importe d'ailleurs? Les dis-
cours sont faits pour l'électeur, ils sont imprimes aux Annales
et les journaux en donnent le compte rendu : ils ont atteint
leur but. Pour gagner du temps et éviter la multiplication des
discours inutiles*, la Chambre a même pris un singulier expé-
dient : elle décidait de joindre à la discussion de tel ou tel
budget, la délibération sur un projet de loi réclamé avec
insistance par un groupe parlementaire. »
Non seulement les discussions du budget sont intermi*
nables et remplies de hors-d'œuvre , quand elles ont lieu, mais
il arrive par contre, en ces derniers temps surtout — la
Chambre ayant mis la même prolixité dans Fexpédition des
autres affaires qui l'occupent, — que ces discussions sont
étranglées, en fin de session, ou même supprimées complète-
ment.
a 11 est d'ailleurs arrivé à plusieurs reprises, dans ces der-
nières années, continue Af. Dupriez ^, que la Chambre s'est
trouvée dans la nécessité absolue d'abréger ses délibérations
sur une partie des budgets. Elle était arrivée aux dernières
limites de la session et plusieurs budgets restaient à discuter.
L'assemblée commençait par limiter à trente, à quinze, à
dix minutes même, le temps laissé à chaque orateur. Cela ne
suffisait pas encore; les orateurs se multipliaient au furet à
mesure qu'on écourtait les discours. Finalement, il fallait
voter sans aucune discussion l'un ou l'autre budget : c'est ce
* Loc.cit., p. 620. • • ^ - •
( 218 )
qui est arrivé notamment pour les deux premiers budgets du
nouveau ministère de l'industrie et du travail. En 1895, le
gouvernement s'était mis d'accord avec les chefs de l'opposi-
tion pour faire mettre à l'ordre du jour chaque budget pour
Texercice 1896, immédiatement après le projet correspondant
pour 189S; le second projet était naturellement voté sans
aucun débat, ^expédient ne fut toutefois appliqué alors
qu'aux budgets de trois départements, et, depuis cetle époque,
il ne fut plus question de le renouveler. »
En 1902, la Chambre a voté sans discussion les trois der-
niers jours de la session (5, 6, 7 mai), outre divers projets de
loi rattachés, sept budgets importants, parmi lesquels celui des
chemins de fer, dont la gestion financière venait de subir de
très sérieuses critiques en section centrale, et le budget extra-
ordinaire, dont les crédits s'élevaient à plus de 140 millions.
La session devant se clôturer le mercredi 7 mai, à cause des
élections du 23, M. le Ministre des finances et des travaux
publics fit à la Chambre, le 5 mai, la motion suivante : ce II
est évident que la Chambre ne peut prétendre discuter les
budgets comme il convient, d'ici à mercredi soir. Je propose
donc de les voter sans discussion, étant entendu que les
observations consignées dans les divers rapports feraient de
plein droit l'objet de la discussion des budgets de 1903, en
novembre prochain. »
Cette proposition fut acceptée par la Chambre, après que
les leaders des divers partis eussent naturellement décliné
toute responsabilité dans cet état de choses anormal.
La discussion du budget au Parlement belge peut actuelle-
ment, en définitive, être caractérisée de la manière suivante :
Ou bien la Chambre ne discute que superficiellement ou
pas du tout : elle s'est attardée à d'autres discussions souvent
oiseuses et se trouve empêchée, en fin de session, de donner
tous ses soins à Télaboration du budget ^, qui constitue
* Le dépôt tardif du budget par le gouvernement en est parfois cause
aussi. C'est le cas en particulier pour le budget extraordinaire. (Cf.
supra, p. 148.)
( 219 )
cependant l'oeuvre capitale du Parlement en tous pays. Cette
situation se présente surtout les années de renouvellement
partiel des Chambres, soit tous les deux ans.
Ou bien la Chambre discute à perte de vue, sans mesure et
plutôt, comme le disait Frère-Orban, à côté du budget quç sur
le budget. Cela se passe généralement les années où il n'y a
pas d'élection. La Chambre peut alors étendre démesurément
la session et les députés en profilent pour donner libre cours
à ce que Ton est convenu d'appeler « l'éloquence parlemen-
taire ». Ces années-là , les derniers budgets ne sont votés
qu'en juillet, en août ou môme en septembre.
Quant au Sénat, il est très empêché dans les deux hypo-
thèses de remplir sa mission et les discussions du budget y
sont fatalement très écourtées.
11 serait hardi de prétendre que ces mœurs contribuent
à relever le prestige, trop ébranlé déjà, du régime parlemen-
taire.
Nous n'avons pas à rechercher ici les causes profondes ou
prochaines de cette situation. Une chose est certaine, c'est que
personne ne peut s'en déclarer satisfait.
IL faut donc moditier ces pratiques vicieuses et il n'y a de
remède que dans le Parlement lui-même. Il est le maître de
ses destinées, c'est à lui de régler l'ordre de ses travaux, c'est à
lui aussi de s'imposer la discipline indispensable à sa dignité
et à son bon renom.
On a indiqué diverses réformes possibles. On a proposé
notamment, afin de diminuer l'aiflux des orateurs, qui trop
souvent se répètent les uns les autres, d'introduire une cou-
tume déjà usitée dans certains Parlements, et en particulier au
Reichstag allemand, et de confier à des porte-paroles désignés
par chaque parti le soin de mener la discussion au point de
vue des idées, des aspirations et du programme du parti qu'ils
représentent.
De même, si l'on ne veut pas traiter exclusivement dans les
cabinets des ministres l'innombrable série des petites réclama*
tions d'intérêt local, pourquoi ne pas en confier l'exposé au
Parlement à un seul délégué de groupe ou d'arrondissement
( 220 )
qui centraliserait toutes les demandes et doléances de ses
collègues?
II faudrait pour cela que chaque parti représenté au Parle-
ment s'imposât une discipline salutaire et l'entente des partis
ftur ce point amènerait facilement les modifications nécessaires
dans le règlement de la Chambre.
Mais n'est-ce pas augurer trop favorablement de l'abnéga-
tion des mandataires de la nation et leur demander un sacri-
fice peut-être au-dessus de leurs forces?
Si cependant semblable procédure pervenait à triompher,
non seulement dans l'élaboration du budget, mais dans toutes
les discussions législatives, ne produirait-elle pas un soulage-
ment favorable au fonctionnement plus régulier et plus nor-
mal du travail parlementaire, sans diminuer en rien le
contrôle nécessaire et légitime du Pouvoir législatif?
CHAPITRE IV.
Le vote article par article. ^ La spécialité budgé-
taire. — Les transferts.
Chaque budget, nous l'avons dit, est divisé en un certain
nombre de chapitres et subdivisé en un nombre variable
d'articles, dont chacun comprend des dépenses d'une même
nature et relatives à un même service. 11 «est interdit de con-
fondre dans un même article les dépenses du personnel et les
dépenses du matériel {arr. royal du 49 février 4848, art. 4).
Lorsque la discussion générale du budget est close, chacun
des articles est successivement mis en discussion par le prési-
dent et fait l'objet d'un vote spécial de la Chambre.
L'article H de la Constitution ^ prescrit formellement cette
* Article 41 : « Un projet de loi ne peut être adopté par Tune des
Chambres qu'après avoir été voté article par article. »
Le mot « article » n*a pas rigoureusement la même signification
dans un budget que dans un projet de loi ordinaire. Mais, pratiquement,
les articles successifs d*un budget sont discutés et votés comme les
articles successifs d'un projet de loi quelconque.
( 221 )
procédure pour toutes les lois sans distinction, donc aussi
pour les lois budgétaires.
La Chambre peut ainsi exercer le droit d'amendement qui
lui est expressément reconnu par l'article 42 i.
Par cette procédure aussi, la spécialité budgétaire est assurée,
puisque chaque article du budget ne concerne qu'un groupe de
recettes ou de dépenses d'une nature déterminée, et qu'il est
interdit aux exécuteurs du budget d'opérer des transferts, c'est-
à-dire de faire servir à une dépense les sommes votées pour
une autre dépense. « Chaque chapitre s, dit H. Stourm, sanc-
* « Les. Chambres ont le droit d'amender et de diviser les articles et
les amendements proposés. »
« En France, les lois de comptabilité ont organisé la spécialité par
chapitre, tandis que la Belgique possède la spécialité par article.
Mais il n*y a là qu'une dififérence de terminologie et on n*en peut
conclure que la spécialité soit plus étendue chez nous que chez nos
voisins.
Le budget français de 1900 contenait 1087 chapitres, soumis chacun à
un vote spécial des Chambres. (Stourm, loc. cit., p. 298.)
Le budget belge de 1902 comprenait 763 articles, répartis comme il
suit:
Budget de la dette publique 40 articles.
— des dotations 10 —
— de la justice 63 —
— des afiFaires étrangères . . 23 —
— de rintérieur et de Tinstruction publique. 121 —
— de Tagriculture 73 —
— de rindustrie et du travail 42 —
— des chemins de fer 58 —
— de la guerre 44 —
— de la gendarmerie 3 —
— des finances 61 —
— des non-valeurs .* 11 —
— des recettes et dépenses pour ordre ... 120 —
669 articles.
Budget extraordinaire 33 —
— des voies et moyens 61 —
763 articles.
( 222 )
tionné individuellement par un vote particulier, devient une
personnalité pourvue d'une dotatioo distincte, dont le Pou-
voir exécutif devra strictement respecter les limites » (loc. cit..
p. 49).
La Cour des comptes est spécialement chargée par Tar-
ticle 116, alinéa 2 de la Constitution, de veiller à ce que la
spécialité budgétaire soit respectée par le Pouvoir exécutif,
elle en contrôle la stricte application.
Sous le régime hollandais, la spécialité budgétaire, nous
l'avons dit i, n'existait que pour la forme, malgré l'article 127
de la loi fondamentale qui prescrivait la spécialité par minis-
tères et interdisait d'opérer des transferts de l'un à l'autre,
sans le concours des États-Généraux. Hais le règlement de la
seconde Chambre des États-Généraux obligeait les députés à
voter ou à rejeter le budget en bloc et n'admettait ni vote par
articles ni amendement.
Le système de la spécialité par articles, consacré par notre
Constitution, met au contraire les Chambres belges en pleine
possession du contrôle parlementaire. Car il ne suffit pas à un
Parlement d'avoir le droit de voter l'impôt, il ne lui suffit pas
d'avoir le droit de voter la dépense, il doit aussi pouvoir
s'assurer que les crédits qu'il a votés ne sont pas détournés de
l'objet auquel ce vote les avait spécialement destinés.
En votant les budgets article par article, nos Chambres
déterminent cet objet pour chaque cas particulier, et lorsque
le budget sera eh voie d'exécution, elles pourront, grâce au
contrôle journalier de la Cour des comptes, suivre chaque
dépense et veiller à ce que son imputation soit régulière et
conforme au vote émis.
Le transfert des crédits d'un article du budget à un autre
article est donc interdit aux ministres.
En pratique, il peut cependant se présenter des cas où les
crédits affectés à telle dépense par tel article du budget soient
* Cf. supra, pp. 49, 50, 63, 64, 84.
( 223 )
supérieurs aux besoins, tandis que les crédits affectés à une
autre dépense par un autre article ne suffisent pas au service
en question.
Le ministre intéressé ne pourra-t-il donc pas imputer ce qui
manque à ce dernier sur le surplus du premier article?
De sa propre autorité, non.
Avec l'assentiment du Parlement, oui.
Cest pourquoi, chaque année, en même temps qu'il solli-
cite les crédits supplémentaires nécessaires, le gouvernement
demande aux Chambres l'autorisation d'opérer certains trans-
ferts.
Les crédits supplémentaires, les transferts et les régularisa*
tions font généralement l'objet d'un seul et même projet de loi.
Dans le dernier projet de loi déposé sur cet objet *, l'article !•*
concerne les crédits supplémentaires et l'article 2 les trans-
ferts.
Article 2 : « Sont autorisés, à concurrence cFune somme de
fr. 696,^55 90, les transferts à des budgets de V exercice 1901
détaillés au tableau B annexé à la présente loi et répartis par
budget ainsi qu'il suit :
Pour le budget de la justice fr. 476,100 »
— de rintérieur et de rinstruction publique. . 24,29160
— de rindustrie et du travail 3,000 »
— des chemins de fer, postes et télégraphes. . 87,560 »
— de la guerre • 105,283 30
fr. 696,234 90
Le tableau B indique pour chacun des budgets intéressés et
* Projet de loi allouant des crédits supplémentaires et autorisant des
transferts et des régularisations à des budgets de Texercice 1901. (Ch. des
Représ., séance du. 9 avril 1902, Doc. parL, n9 110.)
( 224 )
par article « le montant des transferts dont les crédits budgé-
taires doivent être diminués ou augmentés ^ ».
On voit, par Texemple que nous donnons en note, que le
total des augmentations autorisées sur certains articles d'un
budget est compensé exactement par le total des diminutions
opérées sur d'autres articles, et il doit toujours en être ainsi.
Les transferts consistent simplement en des mutations de
crédits entre articles d'un même budget, dans les limites des
crédits accordés pour ce budget. Ils n'aboutissent jamais à des
* Par exemple pour le budget de la justice :
MONTANT DES TRANSFERTS bONT LES
CRÉDITS BUDGÉTAIRES DOIVENT ÊTRE
DIMINUÉS.
AUGMENTÉS.
Articles
du budget
Sommes.
Articles
du budget
Sommes.
2
4.200
3
4.000
6
3,000
4
3,800
8
30,500
5
1,300
10
43,000
9
3,300
21
'61,000 ■
12
1,200
23
60,000
14
500
32
87,000
22
7,500
38
10,000
41
175,000
46
6,100
43
500
56
21,100
45
80,500
60
50,300
49
13,750
63
400,000
50
3,250
.
51
4,700
52
21,900
54
2,200
58
1,700
69
700
61
I50,:^oo
Total.
. . 476,100
Total.
. . 476,100
( 225 )
augmentations de crédits. Celles-ci sont Tobjet des crédits
additionnels, supplémentaires ou complémentaires.
Les augmentations demandées pour certains articles des
budgets aux dépens d'autres articles sont d'ailleurs justifiées
pour chaque article par la note annexée au projet de loi.
Quant aux régularisations qui font l'objet des articles 3 à 6
du projet, elles sont relatives à des créances dûment établies,
afférentes aux exercices 1900 et antérieurs, qui n'ont pu être
liquidées entemps opportun par suite de circonstances excep-
tionnelles, et que la situation des crédits permet de liquider
sur les budgets de 1901.
Ces créances dûment établies, mais non liquidées et affé-
rentes à des exercices clos, sont rattachées à des articles déter-
minés des budgets de 1901 des ministères intéressés, articles
dont les crédits ne sont pas épuisés.
Par exemple, le ministre de l'intérieur et de l'instruction
publique est autorisé (art. 4) à imputer sur le budget de son
département pour 1901 : à charge de l'article 3 (fournitures
de bureau, etc.), deux créances se rapportant à l'exercice
1900, l'une d'une somme de 4o francs due à un fournisseur,
l'autre d'une somme de fr. 6 70 restant due à l'administration
des chemins de fer pour transports effectués pour compte du
département.
CHAPITRE V.
L'initiative parlementaire en matière budgétaire.
On entend par initiative, en matière législative, le droit
pour chacun des organes du Pouvoir législatif de faire une
proposition de loi ou de déposer un amendement à une pro-
position déjà faite. Le droit d'amendement est un corollaire
du droit d'exercer l'initiative en ordre principal, en faisant
Tome LXVI. 15
( 226 J
une proposition de loi. Il constitue, selon l'expression d'un
auteur, ce une initiative incidente ^ ».
D'après l'article 26 de la Constitution, le Pouvoir législatif
s'exerce collectivement par le Roi, la Chambre des repré-
sentants et le Sénat, et l'initiative, aux termes de l'article 27,
alinéa 1^, appartient à chacune de ces trois branches du Pou-
voir législatif.
L'initiative est gouvernementale ou parlementaire, selon
qu'elle s'exerce par le Roi ou par les membres de l'une des
deux Chambres. Ces deux espèces d'initiative sont consacrées
au même titre par la Constitution. Le gouvernement et les
Chambres peuvent l'exercer en toute matière législative, sans
distinction : donc aussi en matière financière et budgétaire,
sauf l'exception inscrite à l'article 27, alinéa 2, et relative au
Sénat, dont nous nous occuperons plus loin.
Le droit d'initiative des membres de la Chambre des repré-
sentants en matière budgétaire comme en toute autre est
donc formellement proclamé par la Constitution belge et ne
subit aucune restriction. La plupart des constitutions étran-
gères adoptent le même principe.
Cependant les abus de Texercice de ce droit par les
membres du Parlement ont fait naître, spécialement en
France, des doutes sur l'utilité et même sur la légitimité de
l'intervention des députés dans là fixation des recettes et des
dépenses de l'État â.
* Le droit d'amendement est expressément garanti par Tarticle 42 de
la Constitution : « Les Chambres ont le droit d'amender et de diviser les
articles et les amendements proposés ».
Il est organisé par les articles 42 à 45 du Règlement de la Chambre et
par les articles 42 à 44 du Règlement du Sénat.
* Cf. à ce sujet : Louis Michon, L'initiative parlementaire et la réferme
du travail législatif. Paris, Chevalier-Marescq, 1898 ; Idem, L'initiative
parlementaire en matière financière, (Revue du droit public et de la
SCIENCE POLITIQUE, septcmbre-octobre 1898); Emile Larcher, ^initiative
parlementaire en France. (Étude de droit constitutionnel, Prix Rossi,
1896). Paris, A. Rousseau, 1896.
( 227 )
Cette intervention ne s*exerce pas par voie d'initiative prin-
cipale. Il n'appartient pas au Parlement ni à aucun de ses
membres de proposer la loi budgétaire. Il est naturel et néces-
saire que la préparation du budget et par conséquent sa pré-
sentation aux Chambres, émane exclusivement du Pouvoir
exécutif.
C'est donc par voie d'amendement aux propositions du gou-
vernement que peut seule s'exercer l'initiative parlementaire
en matière budgétaire.
Or, l'expérience montre que les amendements le plus
fréquemment introduits par les députés tendent surtout à
l'augmentation des dépenses et à la réduction des impôts.
En exerçant de la sorte leur droit d'initiative, les députés
sacrifient trop facilement l'intérêt général à certains intérêts
particuliers, qui sont le plus souvent des intérêts électo-
raux.
Demander sans discernement d'une part des augmentations
de dépenses et de l'autre des réductions de recettes, c'est vou-
loir imposer au gouvernement la solution de la quadrature du
cercle. On comprend que celui-ci regimbe. Beaucoup de ces
amendements ne trouvent d'ailleurs pas un appui suffisant au
sein du Parlement, mais un trop grand nombre parvient encore
à s'infiltrer dans les lois budgétaires, surtout à l'approche des
échéances électorales.
Là est l'abus de l'initiative parlementaire, qui aboutit, en
certains pays, à un accroissement inquiétant des charges
publiques et à une perturbation chronique de l'équilibre
budgétaire.
En multipliant ces amendements tendant à l'augmentation
des dépenses, le Parlement sort de son rôle traditionnel et
historique, qui est d'être essentiellement, en matière budgé-
taire, un organe de contrôle de l'administration des deniers
publics, et de mettre un frein aux dépenses et par conséquent
aux charges qui grèvent les contribuables.
M. de Smet de Naeyer, avec beaucoup d'à-propos, rappelait
( 228 )
récemment à la Chambre ^ ces vrais principes du régime
parlementaire : « Messieurs, disait-il, puisque j'ai la parole,
permettez-moi d'exprimer l'opinion que la Chambre semble
faire bon marché des véritables traditions du régime parle-
mentaire.
» A l'origine, dans tous les pays constitutionnels, on consi-
dérait Fintervention du Parlement en matière de dépenses
publiques comme ayant pour but principal de contrôler la
gestion financière du gouvernement, notamment d'empêcher
celui-ci de faire des dépenses excédant les facultés des contri-
buables.
» De nos jours, au contraire, il semble qu'au droit de con-
trôle, on veuille substituer le droit d'imposer des dépenses
exagérées.
» Je ne crains pas de le proclamer, nous avons tout fait, et
non sans succès, pour consolider de plus en plus les finances
du pays. Que si maintenant le Parlement lui-même entre dans
une voie qui conduit au résultat contraire, c'est lui qui portera
la responsabilité devant le pays.
» M, Cavrot. — La caisse est vide!
» M. le Ministre des finances. — Ce qui est vrai, c'est que
vous vous ingéniez de toute façon à la vider! »
Un publiciste distingué, M. Ed. Van der Smissen, profes-
seur à l'Université de Liège, écrivait dans le même sens 2 :
c( Nous disons que proposer des dépenses nouvelles est un
usage contraire non seulement à la fonction historique des
parlements, mais aux principes rationnels du droit public
moderne.
» Cette thèse pourra paraître singulière à première vue, car
nous voyons le vote des budgets — qu'il s'agisse du budget
des voies et moyens ou des budgets des dépenses — affecter la
forme de la loi, être l'une des opérations normales du Pouvoir
* 5 juin 1901. Ann. parL, p. 1329.
* La Réparation des pouvoirs et les budgets. (Moniteur des intérêts
MATÉRIELS, 20 août 1899.)
( 229 )
législatif. Dès lors, le droit d'initiative et d'amendement qui
appartient, d'une manière générale, en matière de lois, à
chacun des membres du Parlement, semble pouvoir s'exercer
en matière de finances.
» Mais qu'est-ce que la fonction législative?
» Elle consiste à donner à la nation ces directions générales
qui doivent garantir la liberté des citoyens et la bonne admi-
nistration de l'État. Elle ne s'étend pas rationnellement au
delà.
» Au delà, c'est l'exécutif qui entre en scène. C'est lui qui
exécute les lois, c'est-à-dire qui pourvoit à leur mise en
œuvre, notamment par l'organisation des pouvoirs publics.
Cette organisation comporte normalement la fixation des
dépenses d'administration et le recours aux voies et moyens
d'y pourvoir, par la levée d'impôts ou autrement.
» Sans doute, cette séparation exacte des deux fonctions
n'est pas réalisée en tous points dans notre droit positif,
comme on vient de le voir. En effet, la préoccupation constante
du Congrès, à qui nous devons la Constitution belge, a été
— par réaction contre les abus du régime de réunion aux
Pays-Bas — de maintenir le Pouvoir exécutif dans une sphère
d'action étroitement limitée. On retrouve des traces de ce souci
dans le titre des finances : la Constitution veut que le Parle-
ment approuve les recettes et aussi les dépenses, parce que ce
sont choses corrélatives. Elle veut méine que le vote relatif à
cet objet soit annuel, pour assurer le contrôle permanent qui
doit garantir une gestion économe.
» Le rôle du Parlement, l'approbation des recettes et des
dépenses, apparaît nettement, d'après ce qui précède, comme
une mesure de contrôle. Le Parlement sort de ce rôle quand
ses membres invitent l'exécutif à faire certaines dépenses,
quand il va jusqu'à les lui imposer... Le Parlement accomplit
sa fonction essentielle lorsqu'il donne des lois au peuple.
Lorsqu'il approuve les initiatives financières de l'exécutif, il est
l'organe de l'assentiment du peuple à l'impôt, en même temps
qu'un frein aux dépenses.
( 230 )
» Ce rôle est méconnu par la pratique qui s'introduit.
» Notre critique est tout à fait indépendante de la nature
des dépenses dont le Parlement prendrait l'initiative. Si utile
que telle ou telle de ces dépenses puisse être, le vrai moyen
de déterminer le gouvernement à la faire est différent. Il faut
ou bien recourir à la voie de l'interpellation, ou bien proposer
une loi organique. Il ne faut pas ajouter un centime de
dépenses aux budgets.
» Qu'on y songe bien. Il s'agit d'une question de principe.
Le maintien de l'équilibre budgétaire et, par contre coup, le
crédit même du pays sont ici en jeu. »
Cest en s'inspirant de ces idées et pour mettre fin aux abus
constatés que certaines constitutions européennes ont expres-
sément restreint, par des textes formels, l'initiative parlemen-
taire en matière financière.
En Grèce, bien que Tinitiative appartienne au Roi et à la
Chambre, l'article 24 de la Constitution du 16-28 novembre
1864 déclare cependant : a Aucune disposition relative à
l'augmentation des dépenses publiques, pour l'établissement
de traitements ou de pensions, ou en général pour un intérêt
personnel, ne peut émaner de l'initiative de la Chambre * ».
L'initiative de la Chambre grecque subsiste donc en matière
de recettes, elle subsiste aussi en matière de dépenses relatives
au matériel, elle n'est restreinte que pour les dépenses concer-
nant le personnel.
La Constitution du royaume de Wurtemberg va beaucoup
plus loin : elle interdit aux Chambres toute initiative en ma-
tière financière, aussi bien pour les recettes que pour les
dépenses.
L'article 172, § 1«' de la Charte du 25 septembre 1819,
modifié en ce sens par la loi constitutionnelle du 23 juin 1874,
porte en effet : « Les projets de loi relatifs à la création d'un
impôt, à l'adoption d'un emprunt, à la fixation du budget ou
* Dareste, Les constitutions modernes, 2* édit., 1891, i. II, p. 283. —
Cf. MiCHON, loc, cit., p. 286.i
( 231 )
à des dépenses non prévues au budget ne peuvent émaner
que de l'initiative du Roi seul. Aucun article de dépenses ne
peut être élevé au delà de l'évaluation faite par le gouverne-
ment i. »
Dans d'autres pays, bien que la Constitution ne renseigne
en aucune façon l'initiative financière du Parlement, celui-ci
s'est imposé à lui-même une discipline plus ou moins sévère.
L'exemple le plus connu est celui de la Chambre des Com-
munes du Royaume-Uni.
Voici, d'après un passage de Sir Erskine May (Parliamentary
practice^)^ la pratique suivie par le Parlement anglais.
La Couronne, agissant selon l'avis de ses ministres respon-
sables, est le Pouvoir exécutif; elle est chargée du maniement
de tous les revenus de l'État, et de tous les payements pour le .
service public. Par conséquent la Couronne, avant tout, fait
connaître à la Chambre des Communes ses besoins pécuniaires
et la Chambre vote les aides et subsides propres à satisfaire à
ces demandes. Ainsi la Couronne demande de Vargent, la
Chambre des Communes l'accorde^ et les Lords y donnent leur
consentement.
Mais la Chambre des Communes ne vote pas de crédits s'ils
ne sont pas demandés par la Couronne ; elle n'impose et n'aug-
mente de contributions qu'à moins qu'elles ne soient néces-
saires pour faire face aux dépenses qu'elle a autorisées ou
qu'elle est sur le point d'accorder, ou pour combler un déficit
dans les recettes.
Le principe consistant à attendre la demande de la Couronne
pour voter les dépenses publiques n'est pas limité aux besoins
annuels. Selon un Standing order du 20 mars 1866 : « La
Chambre des Communes ne recevra aucune demande d'argent
* Dareste, toc. cil,, t, I, p. 277. — Cf. Michon, lac. cit., p. 287.
* Nous citons la traduction qu'en a faite M. F.-C. Dreyfus dans son
livre sur les Budgets de VEurope et des États-Unis (correspondance du
Cabden-Club). Paris, Marpon et Flammarion, 4882, pp. 124 et suiv.
( 232 )
ayant rapport au service public et n'acceptera aucune proposUion
concernant un subside ou une charge sur le revenu public, payable
soit sur le fonds consolidé ou sur des sommes fournies par Je
Parlement^ si elles ne sont pas faites par la Couronne. »
L'usage conforme de la Chambre des Communes a étendu cette
règle à toute proposition qui, n'aboutissant même pas directe-
ment à un subside ou à une charge sur le revenu public, implique
néanmoins une dépense du Trésor.
Ce principe a été si strictement observé, que la Chambre a
même refusé de recevoir un rapport d'une commission spéciale
qui proposa une avance d'argent, parce que la Couronne ne
l'avait pas recommandée.
A propos de cette règle, qui consiste à imposer des restric-
tions aux demandes d'argent et à modérer la libéralité du
Parlement, il existe un règlement du 25 mars 1715, dont voici
la teneur :
c( La Chambre des Communes ne recevra aucune demande
pour entrer en composition, pour aucune somme due à la
Couronne, dans une branche quelconque du revenu, sans un
certificat du fonctionnaire ou des fonctionnaires à ce destinés,
annexé à la dite demande; ce certificat constatant le montant
de la dette, les poursuites qui ont été faites pour son recou-
vrement, et en exposant combien le pétitionnaire et ses garants
sont en mesure de payer ».
Outre la nécessité d'une recommandation de la Couronne,
préliminaire à toute votation d'argent, la Chambre a mis un
autre obstacle aux votes hâtifs et inconsidérés qui impliquent
des dépenses du trésor public.
Un Standing order du 20 mars 1866 dit :
<c Si une proposition quelconque est faite dans la Chambre
des Communes pour obtenir des aides ou subsides, ou pour
établir des charges sur le revenu public, payables soit sur les
fonds consolidés, soit sur les sommes à voter par le Parle-
ment, toute motion ayant pour effet d'imposer le peuple ne
sera pas prise en considération ni discutée immédiatement;
( 233 )
mais elle sera ajournée jusqu'au jour que la Chambre jugera
convenable de fixer, et alors elle sera renvoyée à un comité de
toute la Chambre avant d'en délibérer ou de la voter. »
Une règle semblable fut érigée en standing order le 29 mars
1707:
c( La Chambre des Communes ne prendra en délibération
aucune pétition, proposition ou bill pour accorder de Targent
ou pour faire remise d'une somme d'argent due à la Couronne,
ou pour entrer en composition avec lui, excepté dans le comité
de toute la Chambre ».
Cet ordre fut renouvelé le 17 avril 4707, le 7 février 1708 et
le 20 novembre 1710, et il a été constamment observé par la
Chambre.
Il résulte de tout ceci que les Communes anglaises, le proto-
type de toutes les assemblées parlementaires et la plus puis-
sante de toutes, n'ont pas cru déroger à leurs prérogatives en
laissant à la Couronne seule le droit de prendre l'initiative
en matière de dépenses publiques.
« Ainsi, remarque M. Stourm, la Chambre des Communes
qui peut tout, ne peut cependant pas, parce qu'elle ne le veut
pas, proposer d'augmentation de dépenses ni de réduction de
recettes. L'initiative du cabinet ministériel anglais, en tant que
préparateur du budget, demeure dès lors entière. Le rôle du
gouvernement consiste à proposer, celui du parlement à
accorder, selon la formule d'un premier lord de la tréso-
rerie. Sans l'assentiment du Parlement, le pouvoir exécutif ne
lève aucun impôt, n'effectue aucune dépense. Mais, inverse-,
ment, sans une proposition du cabinet, te Parlement anglais
ne vote aucune augmentation de dépenses, aucune diminution
de recettes "1. »
Cependant, de nombreux indices attestent que l'autorité de
cette règle faiblit; son principe reçoit de sérieuses atteintes
par des moyens détournés; elle ne constitue, depuis plusieurs
* Stourm, loc. cit., p. 55.
( 334 )
années, qu'une digue affaiblie contre le flot montant des
dépenses publiques ^.
Aussi M. Stourm peut-il conclure ^ : « La contrainte que
s'imposait la Chambre des Communes a donc été efficace, tant
que l'opinion publique a condamné le gouvernement à l'éco-
nomie et qu'elle a tenu en respect « ces larrons cachés dans
les broussailles parlementaires », dont parlait Gladstone.
Aujourd'hui qu'une fièvre d'armement et d'impérialisme
s'empare du pays, les freins deviennent impuissants. Mais on
doit espérer que la crise passera ».
En France aussi, vu les termes généraux de la loi constitu-
tionnelle du 25 février 1875 3, l'initiative appartient de la
manière la plus large aux membres des deux Chambres, en
toutes matières législatives sans distinction; elle peut s'appli-
quer notamment à toutes les lois de finances, sauf, en ce qui
concerne le Sénat, la restriction de l'article 8, analogue à celle
de l'article 27, alinéa 2, de la Constitution belge ^.
La Chambre des députés a largement fait usage de son droit
constitutionnel. Son exercice a dégénéré en un véritable abus,
auquel on attribue, non sans raison, une part importante dans
la progression démesurée des dépenses et dans l'équilibre très
instable des budgets français.
Le mal n'a pu être enrayé par les efforts méritoires de
certaines commissions du budget, et il ne se passe pas de
session que des voix autorisées n'élèvent leurs protestations au
Parlement et dans la presse.
Les auteurs spéciaux dénoncent sévèrement l'abus, ils
* Cf. les intéressants témoignages recueillis en ce sens par M. Stouam,
loc. cit., pp. 56-58.
« Ibid,, p. 58.
3 Article 3 : « Le Président de la République a l'initiative des lois
concurremment avec les membres des deux Chambres ».
* Article 8 : « Les lois de finances doivent être en premier lieu pré-
sentées à la Chambre et votées par elle. » Cf. Michon, loc. cit., pp. 173
et suiv., et 180-181.
( 235 )
dressent un réquisitoire concluant contre cette initiative finan-
cière excessive et mal comprise, telle que la pratique le Parle-
ment français^.
M. Paul Leroy-Beaulieu, qui voudrait que le droit de pro-
poser des augmentations de crédits fût absolument enlevé à
l'initiative parlementaire ^, dépeint la situation de la manière
suivante :
(( Notre organisation sociale, notre centralisation admi-
nistrative et le suffrage universel font que les députés se consi-
dèrent comme intéressés à obtenir pour une foule d'agents,
surtout pour les petits, des augmentations de traitement. Les
juges de paix, les facteurs des postes, les maîtres d'écoles sont
d'excellents instruments électoraux; chaque député veut se
concilier leurs bonnes grâces en devançant, pour Taméliora-
tion de leur sort, les propositions du gouvernement. Aussi
les amendements pleuvent de tous côtés pour provoquer des
dépenses nouvelles ^. » Et ailleurs, le même auteur affirme
que Cl le développement de nos dépenses publique a en grande
partie pour cause, non pas des nécessités politiques ou sociales,
mais de simples prodigalités. La Chambre a la main ouverte.
Le public ne s'en aperçoit guère en temps ordinaire, parce
que les augmentations de crédits se font à la sourdine ; elles
ne se précipitent pas toutes à la fois et avec cynisme, comme
à cette fin de législature 4; il n'en est pas moins vrai que le
mal est chronique, que notre situation financière, économique,
* Cf. notamment : Stourm, loc, cit., p. 58; P. Leroy-^aulieu, Traité
de la science des finances, 6« édit.^ t. II, pp. iiO et suiv.; Boucard et Jèze,
t. I, pp. 46 et suiv.; Mighon, loc. cit.^ pp. 221 et suiv.; E. L archer, loc,
cit. y pp. 215 et suiv. Cf. aussi : Gabriel Ferry, Notes historiques sur
Vabus de Vinitiative parlementaire chez les députés. (Revue politique et
PARLEMENTAIRE, 10 avhl 1902.)
* Loc. cit., p. 116.
» Loc. cit., p. 110.
* En quelques semaines, la Chambre venait d'élever les dépenses de
plus de 35 millions.
( 236 )
politique même en est affaiblie et que le pays en souffre pro-
fondément ^ ».
L'Académie française elle-même, peu coutumière de ces
sortes de préoccupations, a entendu un jour cette éloquente
protestation :
(( Les courtisans ne sont plus à Versailles... Ils pullulent
dans nos villes, dans nos campagnes, dans nos plus humbles
chefs-lieux d'arrondissement et de canton, partout où le
suffrage universel dispose d'un mandat et peut conférer une
parcelle de puissance. Avec eux ils apportent l'annonce de
libéralités ruineuses, la création d'emplois superflus, le déve-
loppement inconsidéré des travaux et des services publics,
moyens de popularité facile et de surenchère électorale. Au
Parlement, ils se font les dispensateurs des largesses promises,
s'occupent à doter leur circonscription aux dépens de l'équi-
libre budgétaire; c'est le triomphe de l'étroite compétition
locale sur l'intérêt d'État, la victoire de l'arrondissement sur
la France... Avec le pouvoir s'est déplacée la source des
dépenses, l'excitation au gaspillage : elle réside maintenant
dans les Chambres; et le Parlement, appelé naguère à con-
trôler l'exécutif, doit avant tout, aujourd'hui, se contrôler
lui-même, sous peine de compromettre le crédit et la parole
de la France 2 ».
Enfin, l'opinion publique s'est émue à son tour. Diverses
associations, telles que VUnion libérale républicaine, la Ligue
des contribuables, présidée par M. Jules Roche, menèrent
campagne pour la restriction du droit d'initiative en matière
budgétaire, et c'est en partie grâce à leurs efforts qu'en
mars 1900 la question se posa devant la Chambre.
Sur la proposition de MM. Rouvier et André Berthelot, à la
suite d'une vive discussion, la Chambre apporta, le 16 mars
* Économiste français du 5 mars 1898.
2 Discours de M. Albert Vandal à rAcadémie française, le 24 décem-
bre 1897. Cité par Michon, toc. cit., p. 227.
( 237 )
1900, une double modification à son règlement d'ordre inté-
rieur.
L'article 51 fut complété par la disposition suivante ;
ce En ce qui touche la loi du budget, aucun amendement
ou article additionnel tendant à augmenter les dépenses ne
peut être déposé après les trois séances qui suivent la distri-
bution du rapport dans lequel figure le chapitre visé. »
Article 51"*'' : « Aucune proposition tendant soit à des aug-
mentations de traitements, d'indemnités et de pensions, soit à
des créations de services, d'emplois, de pensions, ou à leur
extension en dehors des limites prévues par les lois en vigueur,
ne peut être faite sous forme d'amendement ou d'article addi-
tionnel au budget. »
De la combinaison de ces deux articles il résulte :
1*» Les députés conservent, en principe, le droit de présenter
des amendements à la loi du budget, en vue d'augmenter les
dépenses, à la condition d'exercer leur droit dans les trois
séances qui suivent la distribution du rapport dans lequel
figure le chapitre visé ;
^^ Exceptionnellement, en ce qui concerne les augmentations
de traitements, d'indemnités, etc., les députés perdent, d'une
manière absolue, le droit de les proposer, sous forme d'amen-
dement au budget; même s'ils sont déposés dans les trois
jours, ces amendements ne peuvent être mis en discussion ;
3^ Les députés conservent intact leur droit d'initiative, sans
condition ni restriction, si, pour les augmentations de dépenses,
ils procèdent par voie de proposition de lois spéciales et non
par voie d'amendement à la loi du budget t.
Ces restrictions concernent donc uniquement les augmen-
tations de dépenses et non les réductions de recettes, et encore,
quant aux dépenses, elles s'appliquent surtout aux dépenses
relatives au personnel 2.
La Chambre des députés a fait un premier pas, mais elle n'a
* Cf. BoucARD et JÉZE, 1. 1, p. 58.
« Cf. Stourm, p. 60.
( 238 )
pu se décider encore à aller aussi loin que la Chambre des
Communes dans la voie du sacrifice.
Au cours de la dernière campagne électorale qui a précédé
les élections des 27 avril et 11 mai 1902, de nombreux candi-
dats ont vivement recommandé, comme le meilleur moyen
de combattre l'accroissement des charges publiques, des
restrictions ultérieures à Tinitiative budgétaire des députés.
La Ligue des contribuables a publié un manifeste conseillant
aux électeurs d'exiger de tout candidat un engagement en ce
sens.
Le 19 juin 1902, M. Jules Roche, au nom d'un grand
nombre de ses collègues, appartenant presque exclusivement
au parti républicain progressiste, a déposé une proposition de
résolution tendant à modifier l'article 51"', adopté en 1900.
L'exposé des motifs rappelle le texte de la pétition que, au
cours de l'année précédente, plusieurs centaines de milliers
d'électeurs avaient adressée à la Chambre pour obtenir la dimi-
nution des dépensés du budget. Il constate que depuis cette
pétition, la situation financière n'a fait que s'aggraver, et il
examine les éléments principaux qui la caractérisent, à savoir :
l'augmentation des dépenses (depuis 1894 : 524 millions), les
déficits (de 1898 à 1902 : 936 millions), l'augmentation de la
dette (depuis 1882 : 8 milliards 494 millions), les dépenses
nouvelles proposées par la Chambre précédente (1 milliard).
La proposition est libellée comme il suit : « Remplacer
l'article 51''" du règlement par le suivant : aucune proposition
ou motion tendant à l'ouverture d'un crédit ou impliquant
une dépense à imputer sur les budgets de l'État, des départe-
ments ou des communes ne peut être admise en dehors des
demandes formulées par le gouvernement ^ ».
Cette proposition tend, on le voit, sauf quelques différences
de détail, à doter la Chambre française de la procédure appli-
quée aux Communes anglaises.
Ainsi que le remarque le Journal des Débats (21 juin 1902),
* Cf. Journal des Débals du 20 juin 1902.
( 239 )
les innovations introduites en 1900 étaient excellentes : « Elles
ont déjà rendu quelques services, mais elles ne suffisent pas.
Elles ne s'appliquent qu*à la discussion de la loi de finances.
La digue qu'elles ont établie ne fonctionne que pendant
quelques semaines par an. Durant tout le reste de l'année,
rien n'arrête le flot des propositions de loi, des motions, des
amendements ayant pour objet direct ou pour conséquence
détournée une augmentation des dépenses de l'État, des
départements et des communes. La mesure réclamée par
M. Jules Roche, M. Aynard et leurs collègues serait bien
autrement efficace que celles qui ont été prises en 1900 ».
La nouvelle Chambre n'a pas encore eu le temps de la
prendre en considération, mais on peut prévoir qu'elle don-
nera lieu à une vive et ardente discussion.
Si le Parlement belge a pendant longtemps résisté avec plus
de vigueur aux entraînements des amendements budgétaires
inconsidérés, c'est qu'une discipline plus sévère, une cohésion
plus étroite régnaient au sein des deux grands partis qui se
partageaient les préférences du pays et dont les chefs compo-
saient alternativement les ministères, au gré des majorités élec-
torales.
En 1892 encore, dans son bel ouvrage sur les ministres dans
les principaux pays d'Europe et d'Amérique, M. Dupriez pou-
vait écrire avec raison, à propos des discussions budgétaires à
la Chambre belge ^ : ce Toutes ces demandes et toutes ces
critiques ne se traduisent presque jamais en amendements et
les budgets proposés par le gouvernement sont votés sans
modifications sérieuses. Le ministre est généralement celui
qui rectifie le plus son propre budget. Il est peut-être inutile
de remarquer que les amendements introduits dans les projets
ministériels comportent le plus souvent des augmentations
de crédits. Le gouvernement reste donc le véritable maître de
la politique financière. Cela dépend évidemment avant tout de
* Tome I, pp. 254-252.
t 240 )
la discipline et de la cohésion des partis ; la majorité reçoit
sans défiance les budgets déposés par les hommes qu'elle
reconnaît pour ses véritables chefs. Le ministère trouve dans
les rapporteurs des divers budgets des aides dévoués, des par-
tisans fidèles et non point des adversaires plus ou moins
cachés, escomptant sa chute. »
Mais, en 1900, le même auteur était amené à constater une
situation déjà bien différente ^ : a Les Chambres élues par le
suffrage restreint n'abusaient pas de leur droit d'amendement
en matière budgétaire; les mœurs ont changé sur ce point
depuis l'introduction du suffrage universel. Les députés se
constituent aujourd'hui les défenseurs de tous les petits fonc
tionnaires des administrations publiques et réclament à l'envi
des augmentations de traitement en leur faveur. Les socialistes
se distinguent dans ces assauts dirigés contre le trésor public;
le gouvernement n'a généralement pas de peine à faire rejeter
leur propositions exagérées. Mais des amendements plus mo-
dérés sont présentés et défendus avec acharnement par des
dé]|!»utés de la majorité et les ministres doivent céder et les
accepter, au moins en partie, quoi qu'ils en pensent. Parfois
même, lorsqu'ils se décident à résister, la Chambre écoute
avec impatience leurs conseils; lorsque l'échéance électorale
approche, ils risquent de voir leurs efforts impuissants à
empêcher les augmentations de crédits proposées ».
Certes, le mal que l'on signale ne s'est pas encore développé
au point de soulever l'opinion publique dans le pays. Cepen-
dant les indices de ses progrès sont nombreux. On peut les
suivre à la lecture attentive des délibérations des Chambres, le
gouvernement prend soin de les signaler à toute occasion, et
au Parlement même, les esprits clairvoyants ne se font pas
faute de dénoncer le danger â.
Si l'abus n'est pas invétéré, n'est-ce donc pas une raison de
* Bulletin de la Société <U légûlation comparée, t. XXIX (1899-4900),
loc. cit., p, (i!iîl.
* o Je ne saurais U'op insister sur les conséquences que pourrait
entraîner, au point de vue de réquilibre budgétaire, toute proposition
(241 )
plus de le combattre et de l'enrayer, avant qu'il ait causé des
ravages irréparables?
Assurément, il ne s'agit pas de contester aux membres du
Parlement le droit qu'ils tiennent de la Constitution. Mais
doit-on, parce que Ton possède un droit, en user sans mesure
jusqu'à l'abus, et n'est-ce pas le cas de répéter le vieil adage :
« Summum jus, summa injuria »?
Ainsi que le remarque très justement M. Van der Smissen t :
a Le droit d'amendement des membres du Parlement, droit
qui s'étend aux matières de finances, ne doit pas être exercé
habituellement. C'est avant tout un avertissement perpétuel
ayant pour objet des dégrèvements d'impôts ou des augmentations de
dépenses. » (Exposé général du budget de 4896,)
Chambre, 7 mai i903, séance du malin (discussion du budget extra-
ordinaire) :
M, Renkin. — On s'imagine volontiers que TÉtai dispose de ressources
inépuisables. Le programme financier de l'électeur se réduit à deux
points : exiger toujours de nouvelles dépenses et protester dès qu'on lui
demande des ressources.
M, le Ministre des finances. — C'est vrai !
M. Renkin. — Développer toujours les dépenses sans avoir de nou-
velles sources de revenus, telle est l'énigme qui se pose pour tous les
ministres des finances. S'ils ne la résolvent pas, ils sont condamnés
sans pitié ! La discussion du budget extraordinaire se passe à démontrer
au gouvernement qu'il ne dépense pas assez pour satisfaire les popula-
tions, à lui reprocher de ne pas dépenser assez. Après quoi, il arrive
parfois que les mêmes orateurs protestent contre l'accroissement de la
dette publique et reprochent au gouvernement de dépenser trop : contra-
diction étonnante, mais courante...
M. le Ministre des finances, — C'est avec raison que M. Renkin fait
observer que chacun réclame des dépenses et critique en même temps
l'ensemble de celles qu'on effectue. C'est un cercle vicieux au plus haut
point. L'une des fonctions essentielles du régime parlementaire est de
mettre un frein à ce qu'on appelait autrefois les dépenses du prince, aux
dépenses publiques. Or, aujourd'hui cette notion est absolument faussée !
Au lieu de restreindre les dépenses, les parlements actuellement y
poussent. Et si l'on dépense trop, c'est bien plus la faute des députés
que des ministres.
* Moniteur des intérêts matériels, 20 août 4899, loc. cit., in fine.
Tome LXVI. 16
( 243 )
adressé à Texécutif. Hais l'usage fréquent en est par lui-même
abusif, si justifié que chaque amendement puisse paraître si
on le considère isolément. Son exercice doit rester très excep-
tionnel, comme celui de tant d'autres droits de la Couronne
et du Parlement que consacrent des textes formels. »
Il importe, pensons-nous, que, s'inspirant de ces sages
conseils, les membres du Parlement reviennent à la saine
notion de leurs droits et de leurs devoirs. C'est, qu'on nous
permette l'expression, une éducation à refaire.
Nous concédons volontiers qu'en pratique il ne leur soit pas
toujours possible de se soustraire complètement aux mille
sollicitations qui les guettent. Sous un régime développé de
suffrage universel, l'électeur, très simpliste en ses conceptions
financières qui ne s'élèvent guère au-dessus de la sphère
étroite des intérêts particuliers, exerce plus facilement une
pression, souvent malsaine, sur le député; celui-ci pèse, à son
tour, sur le ministre et l'action de ces influences combinées
tourne en définitive au détriment de l'intérêt général du pays
et d'une bonne gestion financière.
Il faut donc aussi travailler à la réforme de l'esprit public
par l'action personnelle des députés, par la presse, par l'asso-
ciation, par tous les moyens, en un mot, qui sont au service
de la propagande moderne. Il faut organiser le suffrage uni-
versel sous ce rapport comme sous beaucoup d'autres et lui
apprendre à « considérer comme ses ennemis tous ceux qui
contribuent à augmenter d'une manière inutile ou prématurée
les charges du budget < ».
Une opinion publique sévèrement orientée de la sorte serait
sans nul doute la meilleure garantie d'une politique d'écono-
mies stable et durable.
En attendant cette réforme lointaine, le Parlement pourrait
très utilement, à l'exemple de TAngleterre et de la France,
limiter lui-même, dans son règlement, son droit d'initiative
budgétaire.
* Le Temps, cité par le Journal des Débats, 25 juin 1902.
(243)
S'il ne faut pas avoir une foi aveugle dans les règlements et
leur attribuer des vertus souveraines qui leur manquent néces-
sairement lorsqu'ils ne trouvent pas un appui solide dans les
mœurs, on ne peut toutefois leur dénier certains effets salu-
taires, dont témoigne, en l'espèce, l'expérience de nos voisins.
Aussi souscrivons -nous pleinement à l'opinion exprimée
par M. Stourm, qui s'applique aussi exactement à la Belgique
qu'à la France ^ :
« Cette suppression (de l'initiative) n'agira jamais comme
» un remède souverain ; elle ne contient pas de panacée contre
» l'augmentation des dépenses. Du moment qu'elle n'a pas
» cette vertu en Angleterre, ce serait trop s'illusionner que dé
» la lui attribuer en France. La .pression parlementaire conti-
» nuera à s'exercer librement en dehors des séances, dans les
» couloirs, dans les cabinets ministériels : c'est là qu'elle
30 commet déjà ses principaux méfaits.
» Cependant, ce règlement possédera quand même d'incon-
» testables avantages. Il affirmera la volonté du Parlement de
» maintenir l'équilibre budgétaire; il inspirera un certain
» sentiment de retenue aux solliciteurs; il fournira aux
» ministres de précieuses armes de résistance; enfin, quand
» arrivera le moment si désirable où le vent de l'économie
» commencera à souffler, tout installé, prêt à produire immé-
» diatement son effet, il hâtera le rétablissement du bon Drdre
» financier. »
CHAPITRE VI.
De la modifieation d'une loi organique par vole
budgétaire.
Il est un point spécial qui relève aussi de la question de
l'initiative parlementaire et que nous avons à traiter séparé-
ment. ^
• Stourm, loc.cit., p. 61.
(244)
Il s*agit de savoir si, et dans quelle mesure, il est permis
d'introduire des modifications à une loi organique à roccasion
d'un budget. Le gouvernement ou bien un membre du Parle-
ment, usant de l'initiative que lui reconnaît l'article 27 de la
Constitution, peut- il proposer au cours de la discussion d'un
budget, des amendements ou des modifications à une loi
organique?
A celte question, M. Auguste Couvreur, répondant au ques-
tionnaire adressé en 1875 par le « Cobden-Club » à des
membres autorisés de la plupart des parlements, indiquait la
solution suivante, qui reproduisait, selon lui, la pratique
admise au Parlement belge : « Le droit de proposer des amen-
dements est illimité, méme^dans les cas réglés par une loi
organique, comme lorsqu'il s'agit de l'état de l'armée. Il est
cependant très rare que la Chambre modifie ces lois par un
changement dans le budget. On pourrait, toutefois, opposer
avec raison la question préalable à un amendement de cette
nature si le cas se présentait^ ».
Nous pensons que la réponse de M. Couvreur est conçue en
termes beaucoup trop généraux. La solution que comporte ce
problème de droit parlementaire n*est pas aussi simple qu'il
semblerait d'après cette réponse. Elle variera, au contraire,
d'après les différentes hypothèses qu'il convient de distin-
guer.
Rappelons d'abord que le droit d'amendement appartient
intégralement et sans restriction aucune, constitutionnelle ou
légale, en toute matière législative, à tout membre du Parle-
ment comme au gouvernement. Il peut* donc s'exercer sur
toute proposition ou tout projet de loi soumis au Parlement.
Il peut s'exercer aussi sur tout projet de budget, bien que nous
* Cf. F.-C. Dreyfus, Les budgets de VEurope et des États-Unis (corres-
pondance du Cobderi'Club), Paris, Marpon et Flammarion, 1882, pp. 17-
18. — Cette correspondance a été publiée par Probyn, J. W., Correspon-
dence relative to thé budgets of various œuntries. Londres, 1875.
( 248 )
ayons reconnu qu'il serait désirable de modérer, par des
mesures réglementaires, certains amendements budgétaires.
Hais est-il permis, à propos de la discussion d'un budget,
de changer une loi organique soit par un amendement au
libellé d'un article du budget, soit par une modification de
chiffre proposée à un article du budget, soit par une proposi-
tion spéciale introduite dans le dispositif de la loi budgétaire,
soit de toute autre manière?
Voilà la question. Aucun texte constitutionnel ou autre ne
s'oppose à cette pratique. Mais si le droit d'amendement est
illimité, en fait, il est organisé soit par les règlements, soit par
les usages parlementaires.
C'est donc d'une question de procédure parlementaire qu'il
s'agit ici et les questions de cet ordre ont une importance que
l'on ne peut pas méconnaître ^.
Afin de résoudre celle-ci, il convient de distinguer soigneu-
sement deux hypothèses :
1*» celle d'une modification à une loi de dépenses, à l'occa-
sion de la discussion d'un budget de dépenses ;
2» celle d'une modification à une loi d'impôt, à l'occasion
de la discussion du budget des voies et moyens.
I. — D'après une règle de droit parlementaire, proclamée
bien souvent et rigoureusement observée jusqu'en ces dernières
années, il était admis que l'on ne pouvait apporter des modi-
fications à une loi organique, ayant une force permanente, par
une loi budgétaire, essentiellement annuelle de sa nature. Et
* « Les questions de procédure, ici, ne sont ni plus ni moins que les
principes suivants lesquels la Chambre exerce sa puissance législative.
Importante par elle-même, protégeant les droits de chacun de nous, cette
, question de procédure a une importance particulière pour la minorité.
C'est pour elle qu'il est indispensable qu'une loi, dont l'autorité s'impose
1 à tous, la prêtée contre l'arbitraire ou les violences de la majorité.
Jamais on n'a pu se départir de ces règles tutélaires que par des coups
I de parti. » (De Lantsheere, Ch. des Représ., séance du 19 juin 1896.
Ann. pari., p. 1906.)
( 246 )
Tusage voulait, lorsqu'une proposition de l'espèce se faisait
jour, que l'on pût lui opposer avec succès la question préa-
lable.
Cette tradition subsiste, bien qu'affaiblie, atténuée et oubliée
parfois. Il ne sera pas inutile, dès lors, d*en expliquer les
motifs et d'en montrer le bien fondé.
La loi budgétaire a pour but de mettre à la disposition du
gouvernement les ressources nécessaires aux services de l'État;
elle énumère les services, elle met en regard les sommes
que le Parlement entend y affecter. Tel est son rôle et son
objet.
Au contraire, « créer des services, les organiser, indiquer
au gouvernement comment il exercera ses attributions et pour-
voira à l'exécution des lois, ce n'est pas œuvre de budget », c'est
le but et l'objet des lois spéciales ^.
Par conséquent, lorsque par une loi budgétaire on prétend
modifier une loi spéciale ou organique, on méconnaît la nature
de la loi du budget, on la fait sortir de son rôle, tel qu'il est
défini par les articles 1 et IS de la loi sur la comptabilité
du 15 mai 1846, et H. De Lantsheere disait même un jour que
l'on commettait ainsi une violation de celte loi 2.
Dans la discussion d'un amendement budgétaire qui avait
pour but de faire inscrire la clause du minimum de salaire
dans le cahier des charges des adjudications publiques, le
distingué parlementaire exposait clairement ce point de vue en
ces termes 3 :
« Vous reconnaissez donc que vous avez prétendu, par un
amendement à une loi de budget, faire consacrer un principe
nouveau et non mettre à la disposition du gouvernement le
crédit nécessaire à la marche régulière d'un service public.
' y> Or, c'est en cela précisément que consiste la violation de
la loi sur la comptabilité de l'État que je signale.
* De Lantsheere, discours cité.
* Ibidem, . ,
' Ibidem,
{ 247 ■)
» Je ne dis pas qu'il ne soit jamai$ arrivé, depuis que la
Belgique existe, que des majorités aient entrepris de déroger
aux lois organiques à l'aide de dispositions budgétaires, on y a
quelquefois réussi. Mais jamais cela ne s'est fait sans les plus
vives protestations; et semblables votes seront toujours et
justement considérés comme des coups de parti.
» Croyez-vous qu'il serait légitime de décréter par une loi
de budget, que tel tribunal se composera d'une chambre de
moins, tel autre d'une chambre de plus? Personne ne le sou-
tiendra! Prétendriez-vous qu'il serait légitime de décréter par
le vote du budget que les traitements des juges d'instruction
seront réduits ou augmentés; que des dispositions nouvelles
régleront les pensions; que les lois organiques des cultes
seront modifiées? Passez en revue toutes les sphères de l'admi-
nistration, tous les services publics, toutes les lois organiques
et vous reconnaîtrez toujours qu'il est impossible de légiférer
à leur sujet par voie de simples amendements aux budgets.
» C'est cette vérité de bon sens politique que consacre pré-
cisément la loi sur la comptabilité. Cette disposition a été
perdue de vue dans les premiers moments, lors de la discus-
sion de l'amendement. C'est ainsi que je m'explique qu'un
certain nombre de nos collègues se soient laissés aller à
repousser la question préalable qui a été proposée. »
A cette raison de principe, qui s'oppose à ce qu'on établisse
dans les discussions parlementaires une confusion entre des
lois de nature différente, s'en ajoute une autre, tirée du bon
ordre nécessaire dans les travaux du Parlement.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on se plaint « de la confec-
tion vicieuse des lois ». Nul ne prétendra que l'on ait atteint
dans notre pays la perfection en matière de travail législatif.
Si donc on voulait mêler sans discernement à la discussion
d'une loi budgétaire, la discussion et le vote d'une autre loi ou
d'une modification à une autre loi, qui n'a avec le budget que
des rapports indirects, on s'exposerait à faire un plus mauvais
travail encore, à adopter des décisions mal étudiées, inconsi-
( 248 )
dérées ou trop hâtives, dans un cas ou dans l'aulre ou même
dans les deux à la fois.
Enfin, ces discussions qui se greffent sur celle des lois bud-
gétaires et s'enchevêtrent les unes dans les autres ont aussi
pour effet de retarder le vote des budgets et d'aggraver ainsi un
mal auquel on s'efforce vainement jusqu'ici de porter remède*.
Pour ces divers motifs, la tradition parlementaire que nous
signalons se justifie donc pleinement. Il nous paraît légitime
dès lors d'opposer la question préalable à une loi de dépenses
proposée à l'occasion d'un budget de dépenses.
La liberté du député ou du sénateur et leur droit d'initiative
ou d'amendement n'est d'ailleurs nullement compromise par
cette simple question de forme, puisqu'ils conservent pleine et
entière faculté de présenter les modifications qu'ils désirent
par voie de proposition spéciale et distincte.
Ce que Ton évite, en se montrant rigoureux sur ce point de
procédure, ce sont les votes de surprise, les solutions mal
venues et peu refléchies, et aussi dans certains cas les coups
départi.
A l'appui de ce que nous venons de dire, nous voudrions, à
titre d'exemple, citer certains cas d'application.
Depuis que le parti socialiste est représenté au Parlement,
le budget des dotations est, chaque année, l'objet d'une discus-
sion que l'extrême-gauche dirige surtout contre la dotation
de S. A. R. le comte de Flandre, portée à ce budget pour
200,000 francs.
Cette manifestation traditionnelle a peut-être quelque valeur,
en tant qu'expression des sentiments anti-dynastiques du
* « Une des causes qui font que les discussions des budgets se prolon-
gent outre mesure, c'est que, sous prétexte de discuter ceux-ci, on discute
des modifications aux lois organiques les plus diverses, dont les budgets
ne sont que l'application.
M. le comte de Kerkhove de Denterghem, — C'est très exact! — Au lieu
de discuter un budget seulement, on discute bien souvent en même temps
une ou deux lois. » (M. De Lantsheere, Sénat, séance du 28 décem-
bre 19Q1J
( 249 )
parti socialiste, mais elle n'en possède aucune, quand elle
poursuit, par voie d'amendement budgétaire, la suppression
ou seulement la réduction des 200,000 francs affectés à cette
dotation.
C'est, en effet, une loi du 14 mars 1856, modifiée par une
loi du 10 mars 1867, qui en a fixé le principe et le taux, et si
le chiffre de 200,000 francs figure annuellement au budget des
dotations, c'est en vertu de l'article 115 de la Constitution.
Il y a donc un engagement pris par la nation et qui subsiste
tant qu'une loi nouvelle n'y a pas mis fin, et cette loi nouvelle
ne peut être votée sous forme d'amendement ou de disposition
additionnelle au budget, parce qu'une loi annuelle ne peut
modifier une loi permanente.
C'est donc à bon droit que M. Schollaert, ministre de Tinté-
rieur, pouvait dire à l'extrême-gauche : « Il ne peut s'agir
d'en discuter le principe ni le montant... Vous ne pouvez pas
modifier, par une loi de budget, l'obligation ainsi contractée,
pas plus que vous ne pouvez, par un amendement au budget,
diminuer les traitements des magistrats ou de toute autre
catégorie de fonctionnaires... Si donc vous vouliez discuter
sérieusement la question, il ne s'agirait pas de venir soutenir
annuellement la même chose, il faudrait recourir à un
moyen pratique et déposer un projet de loi qui pourrait être
discuté 1. »
Au budget de l'agriculture et des travaux publics pour
l'exercice 1896, une disposition additionnelle avait été intro-
duite en ces termes :
Article 50 : « Réimpression du cahier général des charges
de l'État y avec insertion de clames destinées à garantir aux
ouvriers des entreprises de travaux publics un salaire mini-
mum : bOO francs, »
Le gouvernement posa la question préalable. Elle fut
repoussée par la Chambre et l'amendement fut adopté. Mais le
Sénat refusa de se rallier au vote de la Chambre, qui, en
* Ch. des Représ., séance du 23 décembre 1897, Ann. pari., p. 331.
( 250 )
dernière analyse, renonça, elle aussi, à amender le budget en
ce sens^.
La question préalable eût dû être votée sans aucun doute.
Car, quelque sympathie que l'on pût avoir pour l'inscription
de là clause du minimum de salaire dans le cahier général
des charges de l'État, clause qui figure déjà dans les cahiers
des charges de plusieurs provinces et communes, ce n'est pas
par voie d'amendement ou de disposition budgétaire que l'on
pouvait procéder. Il ne s'agissait pas seulement, dans l'espèce,
d'une modification à une loi organique existante, mais de
l'introduction d'un principe absolument nouveau dans la
pratique administrative, et cette innovation méritait à tous
égards les honneurs d*une proposition de loi spéciale.
il. — La seconde hypothèse, dont nous abordons Texamen,
réclame, pensons-nous, une solution difi'érente de celle que
nous avons formulée pour la première.
Car amender ou modifier une loi d'impôt par la loi du
budget des voies et moyens, ce n'est pas amender ou modi-
fier une loi permanente par une loi annuelle, ce n'est pas faire
sortir la loi du budget du rôle qui lui est assigné.
En eflet, l'article 111 de la Constitution dispose : « Les
impôts au profit de l'Etat sont votés annuellement. Les lois
qui les établissent n'ont de force que pour un an, si elles ne
sont renouvelées. »
Les lois d^impôt sont donc soumises par la Constitution à
une revision annuelle, et cette revision se fait par le budget des
voies et moyens.
Avec sa lucidité et sa précision habituelle, H. Graux a donné
à la Chambre ^ la définition suivante du budget des voies et
moyens :
« Le budget des voies et moyens, disait-il, n'est pas autre
* Cf. les discussions parlementaires : Gb. des Représ., séance da
9 juin 1896, Ann, parL, pp. 1655...; id., 18 et 19 juin, id., p. 1889. —
Sénat, séance du 18 juin 1896, Ann. pari., pp. 5^...
« Séance du 16 décembre 1891, Ann, parL, p. 259.
( 281 )
chose qu'une loi annuelle ayant pour but de faire voler chaque
fois à nouveau toutes les lois d'impôts, de taxes et de péages...
Il n'y a pas une seule disposition de ce budget qui ne soit la
reproduction d'une loi de taxe, d'impôt ou de péage, et le
vote de la Chambre est indispensable pour que le ministère
soit autorisé à en continuer la perception pendant un an
encore. »
Il ajoutait : « Comme je le disais à l'honorable M. Woeste,
vingt fois on a introduit, à l'occasion du budget des voies et
moyens, des amendements aux lois de finances. C'est le but de
la discussion de ce budget. On vote pour un an les ressources
dont l'État a besoin pour subvenir à ses dépenses. Rien de
plus, rien de moins! » Et il concluait : « On a répété à plu-
sieurs reprises que les lois organiques ayant une force perma-
nente, elles conservent leur puissance exécutoire jusqu'à ce
qu'elles aient été formellement modifiées. La loi du budget,
dit-on. est annuelle; on ne peut pas incidemment, dans une
loi de budget, apporter des modifications à des lois ayant un
caractère permanent et définitif!
» Rigoureusement, cela est exact pour tous les budgets,
sauf le budget des voies et moyens. Rigoureusement, c'est
exact aussi pour toutes les lois, à l'exception d'une seule
catégorie de lois : les lois de finances ou les lois d'impôts.
» // y a, pour qu'il en soit aitisi, une raison absolument déci-
sive^ c'est qu^ les loi^ d'impôts ne sont pas des lois permanentes,
ayant un caractère définitif et produisant leurs effets jusqu'à
révocation; elles sont annuelles, elles meurent d'elles-mêmes à
Fexpiration de chaque année. »
Au cours de cette même séance, M. Frère-Orban donnait à
plusieurs reprises son assentiment à cette théorie défendue par
M. Graux, et M. Woeste, bien qu'en désaccord avec MM. Graux
et Frère-Orban sur le cas d'application qui était alors soumis
à la Chambre, l'approuvait aussi, implicitement du moins,
lorsqu'il disait : « Je reconnais que le vote des impôts est
annuel, qu'il appartient aux Chambres de rejeter tous les ans
( 252 )
les impôts, même ceux qui sont établis par une loi orga^-
nique ^ ».
Le cas d'application auquel nous venons de faire allusion
mérite de retenir quelque peu notre attention, parce que son
examen nous permettra de préciser notre pensée.
Le 16 décembre 1891, la Chambre discutait un amendement
proposé par MM. Casse et consorts à l'article 21 du budget des
voies et moyens pour 1892 et qui disposait : « Les encaisse-
ments pour abonnements aux journaux remis à la poste par
paquets et sans bande ni adresse cesseront, à partir du
!•' janvier 1892, d'être soumis à la taxe de S Vo sur le prix de
Tabonnement encaissé par l'État. La quittance d'abonnement
sera soumise à la taxe ordinaire établie par les règlements
postaux. »
Cet amendement tendait à modifier la loi du 30 mai 1879
dont l'article 38 établissait le principe suivant : a Le gouverne^
ment est autorisé à régler les taxes ou droits à percevoir au
profit du trésor et les autres conditions à observer en ce qui
concerne : 1«...; 2"...; 3* l'abonnement par la poste des jour^
naux et ouvrages périodiques ».
Les articles 92 et suivants de l'arrêté royal du 12 octo-
bre 1879, pris en vertu de la loi du 30 mai, avaient fixé les
taxes en question.
Or, la question à résoudre par la Chambre était celle-ci : La
loi du 30 mai 1879 est-elle une loi d'impôt ou non? Et par
conséquent Tamendement Casse est-il recevable ou non?
M. Graux défendait l'affirmative, et il disait à la Chambre :
(c Au 31 décembre de la présente annnée, la loi de 1879 qui
autorise la perception de certaines taxes aura cessé d'exister,
de même que toutes les lois d'impôts, si, par une loi, appelée
le buget des voies et moyens, vous ne lui rendiez une vie nou-
velle ». Fidèle h sa théorie, il concluait donc à la recevabilité
de l'amendement.
* Ch. des Représ., séance du 16 décembre 1891, Ann, parL, p. 260.
( 283 )
M. Woeste, au contraire, engageait les signataires de l'amen-
dement à ne pas insister pour le moment, à déposer \xne
proposition de loi distincte du budget, parce qu'il ne pouvait
admettre que, par une disposition additionnelle au budget, on
vienne modifier une loi organique. Il n'admettait pas, en effet,
que la loi de 1879 fût, à proprement parier, une loi d'impôt :
(( Par l'amendement, on veut, disait-il, enlever au gouverne-
ment un droit, un pouvoir que lui a donné la loi de 1879. Si
cette loi avait dit, dans son article 38, que la taxe des abonne-
ments de journaux serait perçue, comme le fait aujourd'hui
l'honorable ministre des chemins de fer, nous aurions le droit
par la loi du budget de ne pas renouveler cette taxe... Hais ce
que fait l'article 38, ce n'est pas établir directement une taxe,
c'est donner au gouvernement un droit, un pouvoir... Ce n'est
donc pas un impôt que détermine cet article, ce n'est pas une
taxe qu'il fixe, c'est une attribution de principe qu'il accorde
au gouvernement... Pour que le gouvernement n'ait plus cette
attribution, il faut que nous commencions par modifier la loi
organique dont il s'agit. »
Cette argumentation de H. Woeste nous semble concluante.
Il nous paraît que, dans l'espèce, M. Graux faisait une appli-
cation malheureuse de la théorie qu'il défendait en termes si
précis et à laquelle nous nous rallions complètement.
Cette théorie a d'ailleurs été appliquée de nombreuses fois,
sans susciter de protestations. L'histoire parlementaire rapporte
de fréquents exemples de lois d'impôts modifiées par la loi du
budget des voies et moyens ^.
Nous admettons donc que, par application du même prin-
cipe, qui nous a fait rejeter la recevabilité d'une modification
à une loi organique, par une loi fixant un budget de dépenses,
rien ne s'oppose à une modification d'une loi d'impôt par le
budget des voies et moyens.
* Cf. les précédents consignés par M. De Sadeleer dans son rapport
sur le budget des voies et moyens pour 1897. (Ch. des Représ., sess. de
1896-1897, Doc. pari,, no 45.)
( 254 )
Il nous semble toutefois que l'usage de cette faculté soit
pa^ le gouvernement, soit par les membres du Parlement, doit
sniûr certaines restrictions» certains tempéraments. Le prin-
cipe que nous admettons ne peut, penaons-nous, être appliqué
intégralement et d'une manière absoiue.
Il convient, en effet, pour les raisons de bonne ordonnuitt
du travail législatif que nous avons signalées plus haut, de ne
pas surcharger les discussions budgétaires et d'éviter d'y mêler
des propositions ou des amendements dont le but est d'intro-
duire des modifications radicales et essentielles au régime
organique d*un impôt.
Ces propositions, qu'elles émanent du gouvernement ou de
l'initiative d'un membre du Parlement, doivent donc se borner
à des modifications de détail et en quelque sorte à de simples
corrections.
L'honorable ministre des finances, M. de Smet deNaeyer,
qui, plus peut-être qu'aucun de ses prédécesseurs, use large-
ment de la faculté d'accompagner ses propositions de recettes
de modifications à des lois d'impôt et qui revendique
hautement cette faculté, reconnaît cependant la nécessité des
restrictions que nous signalons.
c( Je n'ai jamais songé à insérer dans une loi budgétaire le
régime fiscal des alcools, par exemple, et je ne songerai jamais
à y introduire la refonte complète de la contribution foncière
ou de la contribution personnelle. Hais il est un droit que je
revendique dans l'intérêt du pays, c'est celui d'introduire dans
la loi de finances des dispositions isolées, d'ordre secondaire
si Ton veut, destinées à corriger les imperfections que j'ai
l'occasion de relever pendant le cours de l'année, dans telle
ou telle de nos lois fiscales et plus spécialement dans les lois
de douane et d'accise^. »
Et, développant sa pensée au Sénat, à l'occasion de la même
discussion, l'honorable ministre continuait : ce Si nous ne
pouvions apporter de modifications aux lois de douane et
* Ch. des Représ., séance du 16 décembre 1897, Ann. pari., p. 281«
( 255)
d'accise, par exemple, qu'à l'occasion d'une réforme organique,
pendant combien d'années toutes ces améliorations que suggère
périodiquement la pratique ne resteraient- elles pas à l'état de
desiderata ?
» Je prends pour exemple les articles 2 et 4 du projet. Nous
avons, par la loi du 12 juillet 1895, maintenu la libre entrée
des bois d'une longueur déterminée, destinés à la fabrication
des pâtes à papier et des fibres de bois. Quelque temps après
la mise en application de cette loi, j'ai dû reconnaître que la
longueur maxima imposée était insuflSsante et qu'il en résultait
pour les fabricants une véritable vexation sans profit pour
personne.
» J'avais aussi des réclamations des fabricants de tabacs
contre certaines dispositions de la loi du 17 avril 1896, qui
restreignaient aux seuls tabacs indigènes la décharge accordée
du chef de la perte de poids par la dessiccation en entrepôt
particulier. On sollicitait l'application du principe aux tabacs
étrangers et le bien fondé de cette demande n*était point dou-
teux. Fallait-il, pour des motifs de pure théorie, condamner
les fabricants de pâtes à papier et les fabricants de tabacs à
attendre pendant des années des réformes aussi simples, aussi
peu importantes au point de vue législatif^? »
Cette pratique, qui consiste à modifier les lois d'impôts par
le budget des voies et moyens, mais en se limitant à des
réformes de détail, est pleinement approuvée par des auteurs
de valeur et notamment par MM. Léon Say et Stourm.
a On ne peut dire, ainsi s'exprime M. Léon Say, qu'il ne
faut décider en principe ni qu'on ne devra faire de réformes
que par voie budgétaire, ni qu'on ne pourra en réaliser que
par lois spéciales. C'est une question de mesure et de sagacité
politique.
» Les modifications qtii ressemblent à des corrections de .
certaines lois, dites organiques, en matière de finances,
peuvent très aisément être introduites dans la législation par
* Sénat, séance du 24 décembre 1897, Ann. pari., p. 71.
(256 )
voie budgétaire. Il en est de môme de certaines réformes secon-
daires qui sont la suite nécessaire de réformes déjà réalisées,
surtout quand il s'agit de choses pour ainsi dire convenues,
c'est-à-dire lorsque la réforme à compléter est, en quelque
sorte, passée à l'état de fait accompli et souverainement jugé 4. »
Et H. Stourm, après avoir analysé le projet de budget des
recettes français et son contenu habituel, ajoute : « En plus
des dispositions précédentes, qui constituent le cadre essentiel
et permanent du budget des recettes, de nombreux articles s'y
trouvent souvent encore intercalés pour proposer soit des
modifications d'impôts, soit même des créations d'impôts.
» Nous n'avons pas à analyser ici ces sortes de propositions
variant chaque année et possédant un caractère exceptionnel.
Demandons-nous seulement si elles sont bien à leur place au
sein des budgets. Évidemment, l'insertion dans la loi de
finances de certaines rectifications fiscales d'ordre administra^
tif ne saurait soulever d'objections. Hais les réformes fonda-
mentales, les créations de toutes pièces de systèmes nouveaux
mériteraient de se voir appliquer les stricts principes, d'après
lesquels la loi du budget a pour mission exclusive d'autoriser
la perception des revenus de l'exercice futur, et d'évaluer leur
rendement. Son autorisation de percevoir pendant l'année qui
va s'ouvrir s'appuie sur les lois organiques préexistantes, dont
elle rappelle nommément la date dans ses états annexes. Dès
lors, c'est à ces lois organiques qu'il appartient d'installer dans
les codes des remaniements ou créations d'impôts, le budget
n'ayant plus, une fois qu'elles sont rendues, qu'à leur donner
Vexequatur annuel. En un mot, par son essence, la loi de
finances est une loi d'année qui ne devrait pas stipuler au delà.
» Des raisons subsidiaires, d'ailleurs, rendent désirable la
stricte application de cette règle, raisons tirées de l'ordre même
de travail du Parlement et de la nécessité de voter le budget
sans retard 2. »
* Cité par M. de Smet de Naeyer. (Chambre, séance du 16 décem-
bre 1897.)
« Stourm, loc. cit., p. 161. — Cf. aussi Boucard et Jèze, I, pp. 31-34-
(287)
Lors donc que le gouvernement propose dans le budget des
▼oies et moyens des rectifications à certaines lois d'impôts,
comme par exemple à l'accise sur les vins (budget de 1897), à
certaines lois de douane ou d'accise (budget de 1898), à l'accise
sur la bière (budget de 1901), à la loi des patentes (budget
de 1902), etc., il reste parfaitement dans les limites indiquées.
Il accomplit ainsi un acte de bonne administration i.
Mais il n'a pas toujours agi de la sorte, et l'on a pu très légi-
timement critiquer certaines mesures proposées par lui dans
cet ordre d'idées.
Nous faisons allusion, par exemple, aux modifications
apportées à la loi du 18 juillet 1860, organique du fonds
communal, par le budget des voies et moyens pour 1897.
La loi budgétaire du 30 décembre 1896 a substitué, en efl^et,
au mode de répartition du fonds communal établi par la loi
organique de 1860, un mode de répartition difi'érent. Elle
a introduit dans la matière un système nouveau, et ce n'était
pas, à proprement parler, une simple modification à une loi
organique d'impôt que cette loi budgétaire consacrait. De là,
à la Chambre et au Sénat, des discussions assez vives qui
portèrent à la fois sur le fond et sur la forme de la proposi-
tion gouvernementale.
A ce dernier point de vue, M. Dupont exposa très nettement
au Sénat la véritable tradition parlementaire. « Il est très
* « Si Ton s'en tenait rigoureusement au principe que Thonorable
M. Denis défend si énergiquement, on ne procéderait jamais à des
réformes d'ordre fiscal que par des lois organiques.
» Ce serait fort commode pour le ministre des finances ; il pourrait se
croiser les bras, et il se bornerait à répondre aux membres du Parle-
ment qui lui dénonceraient Timperfection, Fabsurdité même, de telle ou
telle disposition : vous avez parfaitement raison, mais la Législature ne
procède pas par mesures isolées, elle ne veut que des mesures d'en-
semble, et il faut attendre le moment où Ton pourra refondre la loi
organique... En attendant, que diraient les contribuables, que diraient
le commerce et l'industrie? » (de Smet de Naeyer, Ch. des Représ.,
séance du 46 décembre 4897.)
ToMK LXVI. 17
( 268 )
naturel, disait Thonorable sénateur^, qu'à l'occasion de la
discussion du budget des voies et moyens, le gouvernement
soumette aux Chambres des projets de modifications relatifs
aux impôts; et s'il ne s'agit pas d'une question de principe,
s'il ne s*agit pas de substituer à l'improviste un impôt à un
autre, d'une nature différente, d'apporter des modifications
essentielles à l'assietle des impôts, il est très naturel, dis-je,
qu'à l'occasion du budget dont nous nous occupons le gou-
vernement puisse proposer les changements qu'il juge utiles
dans cet ordre d'idées.
» ... Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit dans l'espèce... Il ne
s'agit pas, en effet, d'une loi d'impôt, il ne s'agit pas d'autoriser
de^ modifications aux impôts qui sont l'objet du budget des
voies et moyens, mais il s'agit de modifier la base de réparti-
tion du fonds communal, ce qui n'a aucune espèce de rapport
avec les impôts dont le produit est inscrit au budget. Que Ton
maintienne la base actuelle ou que l'on adopte la base nou-
velle proposée par l'honorable ministre des finances, les
impôts ne seront nullement changés... J'estime que le système
qu'a inauguré l'honorable ministre des finances constitue un
précédent des plus fâcheux. »
En d'autres termes, si la proposition dont il s'agît avait
émané de l'initiative parlementaire et avait été présentée dans
les mêmes conditions, le gouvernement n'eût pas manqué, à
juste titre, de poser la question préalable. Pourquoi donc
adopter une procédure qu'il aurait éventuellement condamnée
chez d'autres 2?
* Sénat, séance du 30 décembre 1896, Ann. parl.y p. 179.
* On peut critiquer aussi une autre procédure, qui, depuis quelques
années, semble avoir les préférences du gouvernement. Elle consiste à
rattacher à la discussion d'un budget celle de l'un ou l'autre projet de
loi. qui n'a avec le budget que des rapports indirects.
C'est ainsi, pour ne citer qu'un exemple, que le projet de loi sur les
sucres (à la suite de la Conférence de Bruxelles) fut rattaché au budget
des voies et moyens pour 1902.
Le 27 décembre 1901 {Ann. parL^ p. 81), M. le Ministre des finances
( 289 )
Nous avons montré qu'il était conforme aux principes et à
la tradition parlementaire de modifier une loi d'impôt par le
budget des voies et moyens.
L'usage de cette faculté, tant par le gouvernement que par
le Parlement, subit toutefois une première restriction en ce
que les modifications introduites par voie budgétaire ne
peuvent être des modifications essentielles et radicales à une
loi d'impôt, mais seulement des corrections de détail.
Il en subit une seconde que nous pouvons formuler en ces
termes : les modifications introduites dans une loi d'impôt, à
l'occasion du budget des voies et moyens, doivent être propo-
sées dans la forme réglementaire des propositions de loi et
non par voie d'amendement.
Cette règle se déduit des dispositions mêmes du règlement
de la Chambre, ainsi que Ta fait remarquer avec autorité
fit au Sénat la motion suivante : « J'ai Thonneur de proposer au Sénat
de joindre, comme Ta fait la Chambre, la discussion du projet de loi sur
les sucres à celle du budget des voies et moyens : il y a entre ces deux
objets une connexité qui rend la jonction parfaitement rationnelle et
opportune... »
If. le chevalier Descamps combattit cetle motion : « Je crois que le
procédé employé à la Chambre est absolument vicieux. En efiet, il con-
siste à discuter des projets complets de lois permanentes eh connexion
avee la.Ioi annuelle du budget. Je considère cette manière d'agir comme
antiparlementaire au plus haut degré. Je propose de décider qu'une
discussion générale aura lieu sur le projet de loi sur les sucres et une
autre sur le budget des voies et moyens. Il est plus que temps que nous
rentrions dans le système parlementaire régulier. En ce qui me concerne,
il m'est impossible de me rallier à la (Nroposition faite par Thonorablc
ministre des finances h.
Le Sénat décida que le projet sur les sucres ferait l'objet d'une discus-
sion spéciale. M. de Lantsheere, appuyant la protestation du chevalier
Descamps, caractérisait très justement cette procédure en disant : « C'est
ainsi que les discussions, qui ne sont plus de simples discussions budgé*
taires, traînent indéfiniment, et c'est aussi pour cette raison que les
budgets arrivent toujours trop tard au Sénat. » (Sénat, séance du 28 dé-
cembre 1901, p. 106.)
{ 260 ) '
H. de Lantsheere, ancien président de cette assemblée ^ :
ce Votre règlement renferme deux séries de dispositions. Les
unes sont relatives au mode suivant lequel on est tenu de pro-
céder lorsque Ton entend introduire une proposition nouvelle.
Les autres tracent le mode suivant lequel on est tenu de pro-
céder lorsque Ton entend introduire un simple amendement.
» Or, lorsque dans un budget vous changez un chiffre ou
que vous modifiez le libellé d'un article, sans d'ailleurs intro-
duire aucune innovation de principe, vous faites ce qui
constitue, au vrai sens du mot, un amendement au budget;
mais lorsque vous proposez d'y inscrire un principe nouveau
qui déroge à quelque loi organique, ce n'est plus seulement le
budget que vous amendez : votre proposition a une bien autre
portée, elle amende du même coup et virtuellement la loi
organique dont le budget, chiffre et libellé, n'est que l'appli-
cation et la conséquence. 11 arrive ainsi, par une complète
interversion de l'ordre normal des choses, que la loi orga-
nique, au lieu de trouver son expression, par voie de réper-
cussion, dans le budget, est transformée elle-même en une
simple expression de la loi budgétaire, dont elle n'est plus
qu'un écho. Mais toujours est-il que, par ce mode de procéder,
la loi organique, qui n'est pas en discussion, se trouve parfois
expressément, toujours au moins virtuellement modifiée.
» Or, semblables modifications sont d'après notre règlement
soumises aux règles propres aux propositions. Elles doivent
donc passer en sections, être prises en considération, retour-
ner aux sections, faire l'objet d'un rapport et être spécialement
discutées. Ce n'est que si, après avoir passé par ces diverses
épreuves, elles obtiennent les votes de la Législature qu'elles
acquièrent enfin la puissance de modifier la loi organique, et
ce n'est qu'alors que, par cette répercussion dont je parlais,
elles réagissent elles-mêmes sur le budget et en changent soit
le chiffre, soit le libellé, soit l'un et l'autre.
* Ch. des Repr., séance du 49 juin 1896.
( 261 )
» Tel est bien notre règlement; il suffit de se mettre en
présence des faits pour voir combien le mode de procéder que
Ton a eu tort de suivre s'en éloigne et l'enfreint. » (Question du
minimum de salaire.)
M. de Smet de Naeyer, ministre des finances, a par diverses
déclarations confirmé celte interprétation du règlement. « Il
est clair, disait-il à la Chambre i, qu'un membre de la
(Chambre, pas plus d'ailleurs que le gouvernement lui-même,
ne serait recevable à faire insérer dans la loi du budget, par
voie d'amendement, des dispositions modifiant une loi orga-
nique, modifications qui seraient ainsi soustraites à la filière
ordinaire de la procédure parlementaire. » Et au Sénat ^ :
ce J'ai reconnu que le gouvernement lui-même n'a pas le droit
de proposer une modification à une loi organique par un
amendement au projet de loi contenant le budget. J'ai rappelé
cette notion à l'occasion d'une proposition d'un membre de la
Chambre tendant à appliquer la décharge de l'accise aux sucres
employés dans la fabrication du lait condensé; tout en me
déclarant disposé à me rallier à cette proposition, j'ai fait
remarquer que je ne pouvais moi-même la traduire en amen-
dement que du consentement unanime de la Chambre. Sans
cette condition, une proposition de ce genre ne serait pas
recevable, faute d'avoir été soumise à la procédure parlemen-
taire, qui constitue la sauvegarde des droits de tous ».
Cette règle nous paraît donc bien établie 3. Elle se justifie
* Ch. des Représ , séance du 46 décembre 1897, Awn. pari., p. 284.
« Sénat, séance du 24 décembre 4897, Ann. pari., p. 74.
^ Elle est d'ailleurs conforme à la notion théorique du droit d'amen-
dement. « Le droit d'amendement, on Ta dit avec raison, est un dimi-
nutif du droit d'initiative. 11 s'en distingue essentiellement en ce qu'il
n'a pas, comme ce dernier, Je pouvoir de faire naître une question nou-
velle, d'appeler l'attention de la Chambre et l'étude des commissions sur
certaine matière ; un amendement apparaît comme une modification à
apporter à une proposition ou à un projet de loi dont la Chambre se
trouve déjà saisie ; c'est ce qu'indique son nom même. » (E. Larcher^
loc. cit., p. 86.)
( 26S )
parfaitement, parce qu'elle permet à la Chambre d'examiner et
d'étudier sérieusement, avant de les voter, les modifications
proposées à des lois organiques par voie budgétaire. Elle évite
ainsi des votes de surprise.
Le gouvernement observe toujours cette règle dans les modi-
fications qu'il introduit; il n'en est généralement pas de même
des députés et des sénateurs, qui se contentent le plus souvent
de recourir à la procédure d'amendement.
Lorsque, par exemple, H. Denis proposait au budget des
voies et moyens pour 1901 des amendements tendant : 1** à
l'abolition des droits de douane sur les cafés ; S"" à des modiû-
cations diverses aux articles 8, 17, 32 de la loi du 2S décembre
1851 sur les droits de succession , on eût pu repousser sa
proposition par la question préalable i.
Elle était doublement critiquable : d'abord parce qu'elle
dépassait les limites d'une simple correction ou modification
accessoire à une loi d'impôt, et ensuite parce qu'en la déposant,
son auteur ne suivait pas la filière établie par le règlement
pour les propositions de loi.
Le gouvernement renonça à opposer la question préalable,
et la Chambre, se prononçant sur le fond, repoussa l'amende-
ment Denis 2.
Nous formulerons donc les conclusions qui se dégagent de
l'étude de la question exposée dans le présent chapitre, en
disant :
1° Bien que le droit constitutionnel n'établisse aucune
restriction formelle à l'exercice du dr<)it d'initiative, — sauf en
ce qui concerne le Sénat, article 27, alinéa 2, — les traditions
* Ch. des Représ., séance du 49 décembre 1900, Ann, pari,, p. 264.
* En motivant son abstention, M. Devigne caractérisait très exactement
le cas soumis à la Chambre : « Je me suis abstenu parce que je ne puis
admettre qu'on invite la Chambre à se prononcer par un vote sur une
réforme financière aussi importante, qui n'a pas été examinée préala-
blement et qui eût dû être écartée par la question préalable. » (Ch. des
Représ., séance du 19 décembre 4900, Ann, pari,, p. 267.)
( 263 )
parlementaires s'opposent cependant à des modifications aux
lois organiques par voie budgétaire ;
•i^ Elles n'autorisent pas, en effet, une loi budgétaire, qui est
annuelle, à introduire des changements dans une loi orga-
nique, qui est de nature permanente;
S"" Par application de ce principe, les règles parlementaires
repoussent absolument les modifications apportées à des lois
de dépenses, à l'occasion d'un budget de dépenses, mais elles
admettent que l'initiative gouvernementale ou parlementaire
propose des modifications à des lois d'impôts dans le budget
des voies et moyens;
4® Ces modifications ne peuvent toutefois dépasser certaines
limites restreintes et aboutir à des changements essentiels des
lois d'impôts. La démarcation entre la simple correction de
détail et la réforme organique de la loi ne peut être tracée
d'une manière absolue. C'est, selon l'expression de Léon Say,
une question de mesure et de sagacité politique ;
5** En tout cas, les modifications de l'espèce ne sont pas
recevables sous la forme d'amendements. Elles doivent faire
l'objet de propositions de loi, dont elles suivront la procé-
dure spéciale indiquée par les règlements d'ordre intérieur.
CHAPITRE VIL
L'initiative du Sénat en matière de lois de finances.
(Art. 27, alinéa 2 de la Constitution.)
Nous envisagerons, dans ce chapitre, la question de l'initia-
tive parlementaire sous un nouvel aspect : celui de l'interpré-
tation à donner à l'article 27, alinéa 2, de la Constitution,
relatif au rôle du Sénat en matière financière.
Après avoir, dans son alinéa 1, proclamé que l'initiative
appartient à chacune des trois branches du Pouvoir législatif,
l'article 27 ajoute : Néafimoins, toute loi relative aux recettes
(264)
et aux dépenses de F État, ou au contingent de V armée, dmt
d'abord être votée par la Chambre des Représentants,
Cette disposition est inscrite, d'ailleurs, en termes ana-
logues dans les lois constitutionnelles de la plupart des pays
à institutions parlementaires, où le Pouvoir législatif est confié
à deux assemblées représentatives ^ .
Elle tire son origine de la Constitution anglaise, d'où elle a
passé dans les constitutions des autres pays.
Les Communes anglaises possèdent, en effet, des préroga-
tives étendues en cette matière, et un droit de priorité établi
de longue date au détriment de la Chambre des Lords 2.
Dès le règne de Richard II, elles avaient aflSrmé et reven-
diqué ce droit de priorité; elles le défendirent avec énergie
sous les Stuarts, et en tirèrent à cette époque les conséquences
les plus rigoureuses.
ce C'était, selon la remarque de MM. Boucard et Jèze, le
moment où l'aristocratie s'unissait à la royauté contre le
peuple et où l'existence même des Communes était compro-
mise. On pouvait craindre que le roi, qui ne pouvait tenir ses
subsides que du Parlement, se contentât d'un vote de la
Chambre des Lords et ne convoquât plus les Communes. Ce
danger n'était plus à redouter si le roi était tenu de saisir en
premier lieu la Chambre des Communes de ses demandes de
* En Autriche, Hongrie, Finlande, dans l'Empire allemand, en Suisse,
en Suède et dans la plupart des États qui composent l'Union américaine,
il n'est fait aucune différence entre les deux Chambres au point de vue
de leurs droits d'initiative financière. (Boucard et Jèze, t. I, p. 220,
note 4)
*"* Cf. sur l'historique du droit de priorité des communes :
Boucard et Jèze, Op. cit., t. T, pp. 223-224; Morizot-Thibault, Des
droits des Chambres Hautes ou Sénats en matière de lois de finances. —
Étude de législation comparée. Paris, Rousseau, 4891, chapitre II :
Naissance du droit de priorité en Angleterre, pp. 49-59.
A consulter aussi : Favre, Les droits respectifs des deux Chambres en
matière de lois de finances, étudiés dans les constitutions de V Angleterre,
des États-Unis et de la France, Nancy, 4880.
( 26S )
subsides. Le droit de priorité assurait donc la convocation
périodique des Comniunes. Il rétablissait ainsi l'équilibre
entre les deux Chambres du Parlement. Jusqu'ici, seule la
Chambre Haute permanente, à raison de sa composition héré-
ditaire, avait été sûre du lendemain. Désormais, grâce au
droit de priorité, la Chambre populaire aurait une garantie
sérieuse de sa convocation. Ceci explique l'insistance que
mirent les Communes, sous les Stuart, à affirmer leur droit
de priorité ^. »
En une résolution célèbre du 3 juillet 1678, elles résumèrent
en termes catégoriques leurs prétentions rigoureuses : « Tous
aides et subsides accordés à Sa Majesté en Parlement sont le
don exclusif (the sole gift) des Communes. Tous bills ayant
pour objet d'accorder des aides ou subsides doivent commen-
cer dans la Chambre des Communes {ought to begin with the
Gommons), et c'est le privilège incontestable et exclusif des
Communes de diriger, limiter et ordonner, dans ces bills,
les fins, objets, considérations, conditions, limitations et
qualifications de ces subsides, lesquels ne doivent être ni
changés ni modifiés par la Chambre des Lords [which ought
not to be changea or cUtered by the Home of Lords) 2 ».
Bien que les circonstances aient changé depuis et que la
Révolution de 1688 ait consacré la suprématie du Parlement,
en garantissant aussi les Communes contre les empiétements de
la Couronne, a les Communes ont maintenu leurs préten-
tions. C'est une arme inutile pour le moment, mais qu'elles
conservent avec soin pour les jours de danger 3 ».
Le droit de priorité des Communes n'est donc pas issu d'une
conception purement théorique; il est, comme beaucoup
d'autres institutions anglaises, un produit historique, un
résultat des luttes pour la prééminence dans l'Etat entre la
Chambre populaire et la Couronne, appuyée sur la Chambre
« BoucARD et Jèze, 1. 1, p. 225.
« Ibid, p. 227.
3 Ilnd.
( 266 )
Haute héréditaire. II garantit aux Communes leur convocation
régulière et dresse un obstacle infranchissable aux velléités
qu'aurait pu avoir la Couronne de se passer du concours de la
Chambre populaire. Par son droit de priorité en matière
financière, celle-ci détient de la manière la plus effective les
cordons de la bourse. La Couronne doit compter avec elle, il
lui est impossible de gouverner sans elle.
Telle est ki signification historique de la prérogative des
Communes en ce qui concerne les lois de finances.
Cette prérogative implique rigoureusement trois choses :
1® le droit pour les Communes d'être saisies d'une loi de
finances avant la Chambre des Lords ;
i^ interdiction pour celle-ci d'amender ou de modifier une
loi de finances ;
3<* interdiction pour les Lords de rejeter une loi de finances.
Ce dernier point est toutefois contesté.
Cependant, la prérogative des Communes ne s'exerce pas
également dans toute sa rigueur pour toutes lois de finances.
11 faut, en efi'et, à ce point de vue, distinguer trois aortes de
lois de finances ^ :
a) les lois des finances annuelles (tax bills, bills of subsidy,
aet of appropriation);
b) celles qui ont pour objet de modifier la composition du
fonds consolidé ;
c) celles qui n'ont qu'accessoirement un but financier, qui
ne touchent qu^incidemment aux finances.
En ce qui concerne la première catégorie, les lois annuelles,
le droit de priorité s'applique de la manière la plus complète.
La prééminence des Communes est absolue. Les Lords n'ont
aucun droit d^amendement et <( il est même très contestable
que les Communes permettraient à la Chambre Haute l'exer-
cice du droit de rejet 2 ».
Quant aux modifications au fonds consolidé, la situation
1 BouCARD et Jèze, 1. 1, p. 228.
-^ Ibid., p. 228.
( 267 )
est la même, sauf que les Communes reconnaissent aux Lords
le droit de rejet.
Enfin, pour les lois qui ne touchent qu'incidemment aux
finances, les Communes n'ont pu maintenir leur prérogative
dans toute sa rigueur. Elle n'existe guère que pour la forme, et
cela par la force même des choses, car ces bills sont très
nombreux, « la Chambre des Communes s'est trouvée sur-
chargée de besogne; devant cette situation, et pressée par la
nécessité, elle a dû atténuer ses prétentions ^ ».
En réalité, pour cette catégorie de bills, l'initiative est par-
tagée entre les deux Chambres; les Lords ont incontestable-
ment le droit de rejet, et quant au droit d'amendement, ils
l'ont aussi, « à la condition toutefois de ne pas modifier
les dispositions financières, de ne pas augmenter ni diminuer
les charges votées par les Communes, de ne pas modifier leur
durée, leur assiette, leur mode de perceplipn, d'administration
ou de contrôle, ni les limites de perception ^ ».
11 faut remarquer enfin, pour achever de caractériser le
droit de priorité financière des Communes, que ce droit n'est
pas aussi absolu qu'il le paraît. Il reçoit, en etfet, dans la pra-
tique budgétaire anglaise, de sérieux tempéraments. D'abord,
parce que l'initiative financière appartient exclusivement à la
Couronne ; ensuite, parce que, d'après un usage bien établi, les
Communes ne modifient que très peu et rarement les proposi-
tions budgétaires, et enfin l'existence du fonds consolidé limite,
lui aussi, le droit exclusif des Communes en matière finan-
cière 'K
Si les restrictions au droit d'initiative de la Chambre Haute
au profit de la Chambre populaire s*expiiquent, ainsi que nous
l'avonsdit, dans la Constitution anglaise, elles s'expliquent aussi
pour des raisons analogues dans tous les pays où les Chambres
* Cf. pour les détails : Ibid., p. 232...
* Erskine May, Pari. Practice, 8« édil., pp. 597 et suiv.
3 BouCARD et Jèze, t. 1, p. 2-29.
( 268)
Hautes sont héréditaires ou noniniées directement en tout ou
en partie par le roi.
a Dans les pays, au contraire, où la Chambre Haute est
entièrement élective, le droit de priorité des députés ne se
justifie plus rationnellement. On ne peut plus dire, en effet,
qu'il assure aux députés leur convocation périodique et pré-
vient une coalition de TExécutif et de la Chambre Haute; on
ne peut pas dire non plus que la Haute Assemblée ne repré-
sente pas les contribuables. Qu'importe qu'elle soit élue direc-
tement ou à deux ou plusieurs degrés, qu'il y ait pour elle un
cens d'électorat ou d'éligibilité? Elle n'en est pas moins l'élue
de la nation; on peut même soutenir, en s'appuyant sur les
faits, que la Haute Assemblée, recrutée par voie de sélections
successives, est mieux composée que la Chambre Basse.
» Non seulement il n'y a, dans ces pays, aucune raison
pour ne pas reconnaître aux deux Chambres égalité de pou-
voirs, mais encore il y en a d'excellentes pour ne pas affaiblir
le contrôle financier de la Chambre Haute. C'est une vérité
d'expérience que les Chambres populaires sont d'autant plus
gaspilleuses que leur base est plus démocratique. Il faut des
obstacles solides qui s*opposent à ces pratiques désastreuses
pour les finances de l'État. Le premier de ces obstacles doit
consister à refuser au Parlement l'initiative en matière finan-
cière. Le deuxième frein à l'esprit de prodigalité de la Chambre
populaire, c'est l'existence d'une Chambre Haute. Le rôle
modérateur de la Haute Assemblée, si désirable en matière
législative ordinaire, l'est encore plus en matière financière.
Il est absolument indispensable dans les pays où les membres
de la Chambre populaire ont l'initiative financière ^ ».
Si l'on souscrit à ces observations, qui nous paraissent très
fondées, particulièrement pour notre pays, on se demandera
comment on peut expliquer dans la Constitution belge, qui
consacre l'institution d'un Sénat électif, l'existence de l'arti-
cle 27, alinéa 2.
^ BoucARD et Jèze, 1. 1, p. 245.
(269 )
Les travaux préparatoires sont très sobres sur ce point. Ils
constatent simplement les faits suivants.
Le projet de Constitution, élaboré par la commission
nommée par le gouvernement provisoire, proposait un
article 39 ainsi conçu :
« L'initiative appartient aux trois branches du Pouvoir
législatif. Néanmoins, toute loi relative aux recettes ou
dépenses de l'État ou au contingent de l'armée doit d'abord
être votée par la Chambre élective ^. »
11 était, en effet, incertain à ce moment s'il y aurait deux
Chambres électives et même si l'on ne se contenterait pas
d'une seule Chambre s. Certains penchaient pour une Chambre
élective et une Chambre nommée par le Roi. On comprend dès
lors, dans cette hypothèse, le deuxième alinéa de l'article 39.
Mais puisque la question a été tranchée par le vote du
17 décembre 1830, qui consacre, le principe de l'élection des
deux Chambres (article 53 de la Constitution), on ne s'explique
plus que les Constituants aient maintenu ce texte. Ils le firrnt
cependant, par le vote du 3 janvier 1831, en se contentant
simplement de remplacer dans le texte du projet de l'article 39
les termes Chambre élective par ceux de Chambre des Repré-
sentants.
Cette décision fut prise sans discussion, et l'on reste indécis
sur les motifs qui ont pu inspirer les auteurs de la Constitu-
tion. Aussi peut-on souscrire à l'opinion défendue par
M. Arntz en tant qu'elle concerne la Belgique. « 11 nous
paraît, dit-il 3, que les auteurs des diverses constitutions conti-
nentales ont accepté cette disposition (de la Constitution
anglaise) sans contrôle, sans examen, sur la foi de son impor-
* Cf. HuYTTENS, Discussions du Congrès national,,., t. IV, p. 43. —
Pièces justificatives, n» 45.
2 Cf. projet Forgeur, etc., du 23 novembre 1830, ibid,, p. 50. — Pièces
justificatives, n® 47.
' Arntz, De Vorigine, des motifs et de la portée de l'article 27, alinéa 2,
de la Constitution belge. Lecture faite à l'Académie royale. Bulletins,
50e année, 3« série, t. II, 1881 (pp. 576-601), p. 581.
(270)
tance et par respect pour l'autorité du droit constitutionnel
anglais, plutôt que sous l'empire d'une conviction raisonnée
de sa nécessité ou de son utilité politique. » Et il ajoute encore,
précisant la même idée : « Les auteurs de la Constitution, plus
préoccupés du souci de créer une œuvre pratique et viable que
dominés par le désir de se livrer à des discussions théoriques,
ont puisé dans les législations étrangères des dispositions
consacrées par le temps {time honoured), comme disent les
Anglais, qui leur offraient par cela même une garantie d'uti-
lité et de sagesse. Mais des raisons théoriques, pratiques ou
politiques et inhérentes au mécanisme de nos institutions
constitutionnelles font entièrement défaut, et, nous n'en dou-
tons pas, si le Congrès s'était livré à une discussion appro-
fondie de cet article, il l'aurait rejeté comme inutile ^. »
L'article 27, alinéa 2, constitue donc en quelque sorte un
hors-d'œuvre et comme une anomalie dans notre système
constitutionnnel.
Les raisons qu'en ont données, pour le justifier, certains
commentateurs et notamment HM. Thimus, Van Hoorebeke,
Thonissen, ne paraissent guère décisives ^.
Aussi peut-on regretter que l'on n'ait pas saisi l'occasion
fournie en 1892, par la revision de la Constitution, pour
rayer cette disposition de notre pacte fondamental. La propo-
sition en avait été faite par le Sénat, elle fut rejetée par la
Chambre.
Le texte restrictif de l'article 27 subsiste donc, et puisqu'il
existe, il faut l'observer et l'appliquer. Mais l'exposé que nous
venons de faire indique clairement, nous paraît-il, quelle est
la portée de cet article et de quelle manière il convient de
l'interpréter.
* Arntz, Ibid, p. 269.
« Thimus, Traité de droit public, t. II, p. 129. Liège, Dessain, 1844 ;
Van Hoorebeke, Manuel du droit public interne de la Belgique, pp. 41-42,
Gand, Hoste, 1848; Thonissen, Constitution belge annotée, n» 137;
Cf. Arntz, lac. dt., pp. 591-594. .
( 271 )
L'interprétation doit en être aussi restrictive que possible et
cela pour deux motifs :
i*» la disposition est exceptionnelle;
2« cette exception elle-mêrae n'a pas de raison d'être dans
l'ensemble de nos institutions parlementaires.
Dès lors, le texte : toute loi relative aux recettes ou dépenses
de l'Élal, doit être entendu dans son sens le plus étroit. Il ne
peut s'agir de toute loi quelconque, ayant incidemment un
caractère financier, mais seulement, ainsi que l'observe Tho-
nissen, des lois « dont le but principal, sinon exclusif, est le
vote des recettes ou des dépenses, tels que les emprunts, les
budgets, la création ou la modification d'un impôt ^ ».
De plus, le Sénat belge n'en est pas réduit au simple droit
d'adopter ou de rejeter en bloc une loi de finances. Il possède
dans sa plénitude le droit d'amendement.
La preuve en est d'abord, nous semble-t-il, dans le texte
même de l'article 27, alinéa 2, qui exige que toute loi de finances
soit d'abord votée par la Chambre. Lorsque celle-ci a voté la loi
en question, avant le Sénat, le vœu constitutionnel est rempli.
Et quand le Sénat, à son tour, est saisi du projet après le
vote de la Chambre, la discussion et le vote auxquels il se
livre ne sont plus soumis à aucune restriction. Le Sénat peut
donc amender le projet qui lui est soumis, par application
d*ailleurs des articles 41 et 42 de la Constitution, qui recon-
naissent aux deux Chambres le droit d'amendement.
On peut aussi invoquer en faveur de cette interprétation
l'avis formel de la section centrale du Congrès national, qui
s'est prononcée par neuf voix contre cinq pour le droit d'amen-
dement du Sénat en matière de lois de finances 2.
Si le Sénat conserve son droit d'amendement, il peut donc,
par exemple, rétablir un crédit supprimé dans le budget par
* Constitution belge annotée, 3® édit., n» 163. —M. Thonissen ajoute :
« Admettre un système contraire, ce serait réduire à des cas extrêmement
rares le droit d'initiative que Tarticle 27 accorde, en termes généraux,
aux trois branches du Pouvoir législatif ».
« Cf. IJUYTTENS, t. IV, p. 70.
( 272 )
la Chambre et supprimer un crédit voté par celle-ci. Hais a-t-il
le droit d'introduire dans le projet voté par la Chambre, une
disposition nouvelle?
La question est délicate. M. Thonissen penche pour la néga-
tive lorsqu'il dit : « Tout ce qu'on peut exiger en droit et en
équité, c'est que le Sénat, sous prétexte d'amender, ne s'écarte
pas du principe, de la base même du projet; car, dans ce
dernier cas, il voterait en réalité une loi nouvelle et commet-
trait, au moins virtuellement, une violation de l'article 27 de
la Constitution ^ ».
Nous nous rallierons cependant de préférence à l'opinion
de M. Arntz, qui pense que, dans le doute, il faut toujours se
décider en faveur du droit du Sénat de prendre l'initiative et
de faire des amendements.
Cette opinion, M. Arntz la formule en ces termes, qui
résument sa savante étude et qui peuvent également servir de
conclusion à ce chapitre : « La disposition de l'article 27,
alinéa 2, est exceptionnelle et dérogatoire au principe que
l'initiative appartient à chacune des trois branches du Pouvoir
législatif. Nous croyons avoir démontré qu'elle n'a pas de
raison d'être en Belgique. Toutefois, puisqu'elle existe, il faut
la respecter, mais il faut l'interpréter et l'appliquer, comme
toutes les lois d'exception, de la manière la plus restrictive
possible, c'est-à-dire, dans le doute, toujours en faveur du droit
du Sénat de prendre l'initiative et de faire des amendements 2».
Cette interprétation restrictive est généralement admise par
la pratique parlementaire. Mais, en l'absence d'une solution
législative, des difficultés s'élèvent encore assez fréquemment
sur l'attitude à prendre par le Sénat dans certains cas parti-
culiers 3.
* Loc. cit.,
* Loc. cit., p. 600.
5 Pour les précédents : consulter le rapport de M. Surmont de
Volsberghe, au nom de la Commission spéciale chargée d'examiner la
question de savoir si le Sénat peut, dans les limites de sa compétence,
établir un droit de licence sur les cercles de jeux, avant que la Chambre
ait voté ce droit. (Sénat, sess. de 1896-1897,- Doc. parL, n» 24.)
( 27S )
L'histoire paHementaire belge relate d'ailleurs très peu de
conflits entre le Sénat et la Chambre au sujet de la prérogative
financière de celle-ci.
La Chambre se contente de la part très large que lui a
ménagée la Constitution, même interprétée restrictivement^,
sans chercher à l'augmenter encore par une interprétation
extensive parfois tracassière, comme le fait la Chambre des
députés en France ^.
En matière budgétaire, le droit de priorité de la Chambre est
d'ailleurs plus effectif encore et plus étendu, à cause de la pra-
tique vicieuse qui sévit en Belgique pour le vote des budgets.
Les discussions traînant en longueur à la Chambre, les bud-
gets n'arrivent que très tard au Sénat; celui-ci doit les discuter
à la hâte et souvent lorsque la Chambre est déjà licenciée. Il
en résulte que ses droits d'amendement et de contrôle n'ont
plus guère de valeur pratique.
Aussi ne se passe-t-il pas de session sans que le Sénat pro-
teste contre cette situation amoindrie et contraire à son véri-
table rôle constitutionnel. Il revendique hautement et très
légitimement ses droits et les défend énergiquement contre
toute restriction abusive.
CHAPITRE VIII.
Du droit, pour le gouvernement, de retirer devant le
Sénat un projet de budget voté par la Chambre.
Dans les trois derniers chapitres, nous avons examiné à
divers points de vue l'initiative parlementaire, dans ses
* « Investie exclusivement du droit de priorité, la Chambre des députés
obtient un avantage considérable sur le Sénat, car c'est elle qui fait et
vote la première le budget au nom du peuple. Or, la pratique démontre
que, lorsque le.budget a été établi par Tune des Assemblées, l'autre n'a
plus sur lui qu'un pouvoir de contrôle, amendant l'œuvre opérée sans la
composer; ce qui &it de la Chambre basse la maîtresse de la loi finan-
cière. » (Mokizot-Thibault, op, dt.y p. 332.)
* Cf. Morizot-Thibault, op. dt,, ■— Boucard et Jè»e, t. I, pp. 254. i-
Tome LXVI. 18
( 274 )
rapports avec le vote des lois de budget. Cette fois, nous
étudierons l'initiative gouvernementale, à propos d une ques-
tion qui a occupé le Parlement au cours de l'une des dernières
sessions, et qui soulève un intéressant problème d'interpréta-
tion de l'article 27 de la Constitution.
Le 20 décembre 1901 ^, la Chambre des représentants avait
discuté et voté le budget des dotations pour 1902, déposé par
le gouvernement le 9 octobre, en même temps que les autres
projets de budgets.
A l'article 4 de ce budget figure la dotation de la Chambre
des représentants.
Il est d'usage que chacune des deux Chambres discute en
comité secret son propre budget. Ce comité secret, constitué
au cours de la séance du 20 décembre, adopta, par 54 voix
contre 52, le principe du libre parcours gratuit et général des
députés sur les chemins de fer du royaume. En conséquence,
le littéra I de l'article 4 avait été majoré de 143,640 francs et
porté à 151,640 francs. Le budget de la Chambre s'élevait
ainsi à fr. 1,200,453 60. 11 fut voté et fixé à ce chiffre, en
séance publique, par 54 voix contre 5 et 40 abstentions.
Les abstentionnistes motivèrent leur vote, pour la plupart,
par l'inconstitutionnalité de l'inscription au budget d'un crédit
destiné à couvrir la dépense résultant du libre parcours
général.
En effet, l'article 52 de la Constitution dispose : ce Chaque
membre de la Chambre des représentants jouit d'une indemnité
annuelle de 4,000 francs. Il a droit, en outre, au libre parcours
sur les lignes des chemins de fer de FÉtat et au parcours gratuU
sur les lignes des chemins de fer concédés du lieu de sa résidence
à la ville où se tient la session. »
Dans sa rédaction actuelle, cet article est issu de la dernière
revision constitutionnelle; il a été promulgué par la loi du
7 septembre 1893. L'ancien article 52 se bornait à allouer aux
députés une indemnité mensuelle de 200 florins, pendant
toute la durée de la session.
* Ann. parl.f pp, 365 et suiv.
(278 )
La disposition nouvelle, outre l'indemnité annuelle de
4,000 francs, donne donc au député le droit au libre parcours
sur les chemins de fer de l'État et au parcours gratuit sur les
chemins de fer concédés, du lieu de sa résidence à la ville où
se tient la session.
Comment faut-il interpréter cette dernière partie du texte?
Les auteurs de la proposition du libre parcours général
faite au comité secret de la Chambre ont pensé que l'article 52
n'était pas limitatif et qu'il permettait d'étendre le privilège
accordé aux députés. Ce fut l'avis aussi de la majorité de la
Chambre et en particulier du président et des deux vice-
présidents.
Il nous paraît toutefois que l'opinion de la minorité était
plus fondée. On ne peut, pensons-nous, hésiter sur le sens de
l'article 52. Le texte lui-môme semble consacrer formellement
la limitation du libre parcours.
Et si l'on consulte les travaux préparatoires de la revision
de l'article 52, on constate qu'une proposition tendant à doter
les députés du libre parcours général et gratuit sur l'ensemble
du réseau avait été rejelée et que le texte actuel avait été voté
à titre transactionnel, puisque, avant 1893, les députés ne
jouissaient d'aucune espèce de transport gratuit t.
* En séance du 18 juillet 1893 (Ann, pari., p. 1930), la Cliambre avait
décidé de se réunir en comité secret pour délibérer sur la question de
l'indemnité parlementaire.
Le lendemain, 19 juillet 1893, M. Schollaert donna lecture du rapport
sur la résolution prise par la Chambre en comité secret : « La majorité,
disait-il, a pensé avec votre commission qu'il fallait inscrire dans le texte
de Tarticie 52 les conditions de libre parcours sur les lignes de chemins
de fer que Ton croirait devoir accorder aux députés, et qu'il ne fallait
pas laisser à la loi le soin de régler ce point. Elle a cru qu'il serait bon
d'accorder à tous les députés le libre parcours sur toutes les lignes de
chemin de fer de l'État, afin de faciliter leur mission de contrôle. Il s'en-
suivrait, que cette franchise devrait être accordée, non seulement durant
la session, mais pendant toute l'année. La liberté de parcours étant ainsi
généralisée sur les lignes de chemin de fer de l'État, il a paru équitable
( 2T6 )
Par conséquent, la disposition de l'article 52 établit une
limite maximum, et la décision de la Chambre en franchissant
cette limite était inconstitutionnelle.
Ce fut Tavis du gouvernement. Mis en présence de cette
situation créée par le vote du budget des dotations par la
Chambre, que pouvait-il faire?
d'assurer au moins le parcours gratuit depuis le lieu de leur résidence
jusqu'à la ville où se tient la session, aux députés habitant des localités
desservies par des lignes de chemins de fer concédés ». En conséquence,
l'article 52 recevait la rédaction suivante : « Chaque membre de la
Chambre des Représentants jouit d'une indemnité de 4,000 francs. 11 a
droit, en outre, au libre -parcours sur toutes les lignes de chemins de fer
de l'État, et au parcours gratuit sur les lignes de chemins de fer concédés
du lieu de sa résidence à la ville où se tient la session ».
Après discussion de différents amendements, l'alinéa 1'^ fut adopté à
l'unanimité des voix, et l'alinéa 2, par 80 voix contre 36. L'ensemble de
l'article fut voté dans le texte proposé par 112 voix contre 1 (19 juil-
let 1893, Ann. pari., pp. 1938-1941).
L'article 52 fut discuté au Sénat le 3 août 1893 {Ann, parL, pp. 501-
506.) L'alinéa 1^ reçut l'adhésion unanime des sénateurs, mais l'alinéa 2
fut rejeté par 59 voix contre 8 et 3 abstentions.
Le 17 août 1893, l'article 52 reparut à l'ordre du jour de la Chambre.
Deux propositions reladves au libre parcours furent soumises au vote.
La première, soutenue par MM. Berge et De Malander, reprend le texte
voté la première fois par la Chambre et accorde le libre parcours sur
toutes les lignes de chemin de fer de l'État, sans restriction.
Elle est rejetée par 70 voix contre 56 et 1 abstention.
La seconde est faite par M Snoy et ainsi conçue : « Il a droit, en
outre, au libre parcours sur les lignes des chemins de fer de l'État et au
parcours gratuit sur les lignes des chemins de fer concédés, du lieu de
sa résidence à la ville où se tient la session ».
Cette proposition est adoptée par 87 voix contre 32 et 4 abstentions.
(Ann. pari., p. 2170.) Dans sa séance du 28 août 1893, le Sénat ratifia
cette rédaction à l'unanimité des votants. (Ann. parL, p. 614.) (Cf.
Beltjens, Constitution belge revisée. Exposé historique, n®» 162 à 190.)
Il ne parait pas douteux, d'après ces discussions, que le dernier
membre de l'article : «du lieu de sa résidence... la session », ne se
rapporte aussi bien au libre parcours sur les chemins de fer de l'État
qu'au parcours gratuit sur les chemins de fer concédés.
( »T7 )
Il pouvait^ a-t-on dit, laisser suivre la filière habituelle au
projet voté par la Chambre, le combattre au Sénat, et si celui-ci
se ralliait, malgré son opposition, à l'opinion de la Chambre,
obtenir du Roi un refus de sanction.
Cette procédure eût certes été très régulière, mais elle se
heurtait, dans l'espèce, à diverses difficultés.
Le désaccord entre la majorité de la Chambre et le gouver-
nement portait, en effet, sur le vote de l'article 4, c'est-à-dire
sur le budget même de la Chambre.
Or, l'usage parlementaire veut que chaque Chambre soit
maîtresse de son propre budget ; l'autre Chambre se contente
d'entériner invariablement le vote de sa voisine, sans y rien
changer. C'est une question de courtoisie. Il eût été peu
correct, dès lors, de la part du gouvernement, de rompre cette
tradition en demandant au Sénat de refuser d'approuver les
dispositions prises par la Chambre pour son propre budget,
d'autant plus que, en ce qui concerne la question du parcours
gratuit sur les chemins de fer, le privilège que s'est octroyé le
Sénat n'est peut-être pas tout à fait à l'abri du reproche
d'inconstitutionnalité !
Mais du moins, dit-on, si le Sénat se rangeait à l'avis de la
Chambre, il restait au gouvernement le moyen d'obtenir du
Roi le refus de sanction du budget des dotations et, en toute
hypothèse, la dissolution des Chambres et l'appel au pays.
On comprendrait difficilement que le Roi refusât de sanc-
tionner un budget et surtout le budget des dotations, et l'on
comprend aussi que le gouvernement ait hésité à recourir
éventuellement aux moyens extrêmes de la dissolution et de
l'appel au pays, lorsqu'il lui était loisible de retirer le projet
de loi en litige.
Le 24 décembre 1901, le Roi, sur la proposition du ministre
des finances et de l'avis du conseil dôs ministres, prit donc
un arrêté royal ainsi' libellé : « Nous avons arrêté et arrêtons :
» Notre Ministre des finances et des travaux publics est
» chargé de retirer en Notre nom le projet de loi contenant le
» budget des dotations pour T exercice 4902 qui a été présenté
( 278 )
» atu: Chambres législatives en vertu de Notre arrêté du 9 octo-
» bre 1901. »
Cet arrêté fut communiqué au Sénat le 26 décembre et à la
Chambre le 14 janvier 1902, en même temps que le ministre
des finances présentait à cette dernière assemblée un nouveau
projet de budget des dotations.
Aussitôt des protestations s'élevèrent au sein du Parlement,
suivies d'une longue discussion, — très vive et souvent pas-
sionnée à la Chambre, — sur la constitutionnalité de la mesure
prise par le gouvernement ^.
Nous ferons ici abstraction de toute considération étrangère
pour n'envisager que la question de droit constitutionnel que
l'on peut formuler en ces termes : Le gouvernement a-t-il le
droit de retirer devant le Sénat un projet de budget voté par la
Chambre?
La thèse affirmative du gouvernement était basée sur une
interprétation de l'article 27.
Le Roi, comme chacune des deux autres branches du Pou-
voir législatif, possède le droit d'initiative. Or, ce droit d'initia-
* Cf. Sénat, séance du 26 décembre 1901, Ann.paW., pp. 73 et suiv. —
Chambre, interpellaiion de M. Neujean au sujet de rinconstitutionnalité
du retrait, par le gouvernement, du budget des dotations pour 1902 :
Chambre, 14 janvier 1902, Ann, pari., pp. 368 et suiv.
Id. 15 — - 377 —
Id. 16 — — 395 —
Id. 17 - - 411 —
Sénat, 15 mai — — 389 —
A consulter surtout, pour la thèse du gouvernement : les discours de
MM. de Smet de Naeyer et Van den Heuvel, et du côté de l'opposition
les discours de MM. Neujean, Huysmans et Janson, à la Chambre, de
MM. Dupont et Gobiet d'Alvielia, au Sénat.
A consulter encore, contre la thèse du Gouvernement : deux articles
de M* Léon Hennebicq, Journal des Tribunaux du 26 janvier 1902
(pp. 98-101); 13 mars 1902 (pp. 306-310).
Pour la thèse du gouvernement : un article de M« A. Nerincx, Journal
des Tribunaux du 23 février 1902 (pp. 226-230).
( 279 )
tive en comprend logiquement plusieurs, qui s'enchaînent les
uns aux autres.
Il suppose d'abord le droit de déposer des projets de loi
devant les Chambres, devant Tune ou devant l'autre, sauf la
restriction de l'alinéa 2; il entraîne ensuite le droit de modi-
fier, soit devant la Chambre, soit devant le Sénat les projets
déposés; il comprend, enfin, le droit de retirer les projets
déposés pendant tout le cours du travail législatif i.
Déposer, modifier, retirer les projets de loi, tels sont les
différents pouvoirs que renferme le droit d'initiative.
On ne nie pas que le droit de retrait découle du droit
d'initiative. Personne non plus n'a songé ù contester sérieuse-
ment au gouvernement le droit de retirer un projet de loi
avant qu'il soit voté par l'une des deux Chambres. De même,
on sera facilement d'accord pour dire qu'une fois le projet
voté par les deux Chambres, il ne peut plus être question
d'exercer le droit de retrait : le projet voté n'attend plus alors
pour devenir loi que la sanction royale, il ne peut plus être
ni amendé ni retiré, le droit d'initiative est complètement
épuisé et le seul droit que conserve le Roi est celui de ne pas
sanctionner le vote des deux Chambres.
Mais, et c'est là le point en discussion, si l'on se place dans
la phase intermédiaire du travail législatif, au moment où
le projet déposé par le gouvernement a été voté par l'une des
deux Chambres, le gouvernement peut-il encore, à ce moment-
là, exercer son droit de retrait?
Non, dit-on, car à la suite du vote de l'une des deux
Chambres, le projet n'est plus le projet du gouvernement, et,
par conséquent, celui-ci ne peut plus le retirer^.
* Cf. Discours Van den Heuvel. (Gh. des Représ., séance du 15 jan-
vier 1902, Ann. pari., p. 383.)
* « Vous pouviez, avant le vote, faire deux choses pour résister à la
Chambre : vous pouviez refuser de porter le crédit nécessaire au budget
et maintenir votre projet primitif de budget ; vous pouviez aussi retirer
le projet. Mais, du moment où vous l'aviez laissé soumettre au vote de la
Chambre, tel que vous l'aviez modifié avec la majoration de crédit, et
( 280 )
En effet, l'article 27 place, au point de vue de Tiniliative, les
trois branches du Pouvoir législatif sur la même ligne. Le
gouvernement n'a pas plus de droits que chacune des Cham-
bres.
Or, supposons, disait M. Huysmans, une proposition émanée
de l'initiative parlementaire : « Ce projet est voté par la
Chambre et, après ce vote, le président a déclaré, conformé-
ment à la Constitution, que le projet est transmis au Sénat. Les
membres qui ont présenté ce projet peuvent-ils encore le
retirer? La Chambre elle-même peut-elle encore le retirer?
Non ! Ce projet appartient au Sénat, le Sénat en est saisi, et
c'est le Sénat seul qui peut statuer.
» C'est ici qu'apparaît votre erreur.».. Vous voulez, vous,
que le pouvoir gouvernemental prime le droit des deux autres
branches du pouvoir. Vous soutenez qu'alors que la Chambre,
ne pourrait plus retirer un projet dû à son initiative, qu'elle
a renvoyé au Sénat, le gouvernement, lui, aurait le droit de le
faire quand il s'agit d'un projet de loi dû à son initiative...
Vous faites trop bon marché de l'initiative de la Chambre,
pour ne voir que celle du gouvernement; car, lorsqu'un projet
a été soumis par le Roi à la Chambre et que la Chambre Ta
amendé et voté, c'est l'initiative de la Chambre qui apparaît et
qui se substitue à celle du gouvernement qui a pris fin. Votre
initiative à vous, mais elle est épuisée.
» Votre projet devient en réalité le projet de la Chambre
qui, en vertu de son autorité propre, le renvoie au Sénat. Par
conséquent, lorsque vous avez retiré devant le Sénat le projet
soumis à ses délibérations par la Chambre qui le lui avait
transmis, vous avez supprimé par arrêté royal l'initiative de
la Chambre.
)> M. le Ministre des finances a donc violé la Constitution
que, la Chambre l'ayant voté, M. le président a dit que le budget serait
transmis au Sénat, vous n'aviez pas le droit de le retirer, il ne vous
appartenait plus. » (Huysmans, Gh. des Repr., séance du 15 janvier 1903,
Ann. parL, p. 380.)
( 281 )
dans plusieurs de ses dispositions; il a même violé l'article 37
qu'il invoque à l'appui de sa thèse, car cet article consacre
IMnitiative des deux Chambres^. )>
En réponse à la première partie de cette argumentation, op
peut admettre que certes le texte constitutionnel n'établit pas
de différence entre les trois branches du Pouvoir législatif, en
ce qui concerne leur initiative. Elles la possèdent, chacune au
même titre.
xHais, par la force même des choses, des différences se
marquent dans la manière dont elles exercent cette initiative
et en particulier le droit de retrait.
Si la Chambre ou un membre de la Chambre ne peut -^ce
qui n'est pas contesté •— retirer un projet dû à son initiative
quand il a été consacré par un vote, c'est pour la raison très
simple que ce vote dessaisit la Chambre et que les pouvoirs et
privilèges de celle-ci et de chacun de ses membres expirent au
seuil même de la Chambre.
Concevrait-on un député qui s'adresserait au Sénat pour
retirer un projet qui a été transmis par la Chambre à la Haute
Assemblée? Il est probable que celle ci, avec d'ailleurs toute
la politesse dont elle a conservé la tradition, ne manquerait pas
de faire remarquer à ce député qu'il se trompe d'adresse et ce
serait justice. De même, un vote de la Chambre retirant dans
les mêmes conditions un projet transmis au Sénat n'aurait pas
plus de valeur pour celui-ci.
Les Chambres sont indépendantes l'une de l'autre dans
Texercice de leurs attributions et leurs membres ne peuvent
évidemment exercer celles-ci que dans l'enceinte de leur
assemblée respective.
Il n'en va pas de même lorsque le projet émane de l'initia-
tive gouvernementale. Celle-ci n*est nullement épuisée quand
le projet a été voté par l'une des Chambres, parce que, à la
idifférence du député et du sénateur, le gouvernement est
présent et représenté dans les deux Chambres, où il suit
* Cl), des Représ., séance du 15 janvier 1902, Ann. pari., p. 381.
( 282 )
attentivement les différentes phases de Télaboration de la loi
jusqu'à son vote complet et définitif.
a II importe d* observer, disait H. le Ministre dp la justice,
que le gouvernement intervient dans la discussion d'un projet
aussi bien devant la Chambre qui en est saisie en second lieu
que devant celle qui a eu à s'en occuper la première. Son droit
d'amendement et, partant, de retrait, peut s'exercer successi-
vement devant chacune des deux Chambres. Il est constam-
ment présent, pendant le cours entier des deux actes de la
discussion, celui qui se déroule devant la Chambre et celui
qui se déroule devant le Sénat.
» Au contraire, chacune des assemblées a épuisé son droit
quand elle a voté sur un projet soit pour Tadopter, soit
pour le repousser. Dès cet instant, elle est dessaisie et ne
peut plus prendre aucune part à la discussion devant l'autre
Chambre^. »
On dit encore : la formule sacramentelle que prononce le
président de la Chambre, lorsque celle-ci a voté un projet de
loi : la Chambre adopte, le projet sera transmis au Sénat, a pour
effet de saisir directement le Sénat de ce projet. Elle indique
que la Chambre, par son vote, a substitué son initiative à celle
du gouvernement, et c'est de sa propre autorité qu'elle saisit le
Sénat d'un projet issu d'ailleurs de Tinitiative gouvernemen-
tale. La Chambre fait usage ainsi de son droit légitime d'initia-
tive, et le gouvernement, en retirant le projet transmis au
Sénat, supprime en réalité l'initiative de la Chambre, ce qui
est inconstitutionnel et contraire à l'article 27.
Cette objection nous paraît, d'une part, exagérer la signifi-
cation de la transmission au Sénat d'un projet de loi voté par
la Chambre et, d'autre part, en déduire des conséquences
erronées.
La formule usuelle des arrêtés royaux pris en vue de la
présentation d'un projet de loi au Parlement est la suivante :
« Nous avons arrêté et arrêtons : Le projet de loi dont la
* Sénat, séance du 13 mai 1902, Ann, part,, p. 390.
( 288 )
teneur suit sera présenté en Notre nom aux Chambres législa-
tives par Notre Ministre...
C'est donc le Roi qui saisit par un même arrêté les deux
Chambres à la fois. II peut appeler à discuter et à voter le
projet, en premier lieu, l'une ou l'autre Chambre à son choix,
sauf en cas de lois de finances, où la priorité appartient de
droit à la Chambre des représentants.
La « transmission » d'un budget ou d'un projet voté d'abord
par la Chambre au Sénat ne constitue donc pas un acte
d'initiative. C'est un simple fait matériel, une simple opéra-
tion de grefie ^.
De plus, le vote par la Chambre d'un projet dû à l'initiative
gouvernementale n'a nullement pour effet de substituer l'initia-
tive de la Chambre à celle du gouvernement. Le projet, même
amendé par la Chambre, reste projet du gouvernement, et en
le retirant celui-ci n'entame en rien un droit de la Chambre.
C'est ce que montrait très clairement M. le Ministre de la
justice dans son discours à la Chambre ^ :
« Lorsque le gouvernement présente devant les Chambres
un projet de loi, il demande à Tune et à l'autre assemblée de
bien vouloir se rallier à ses propositions et d'unir leur décision
à la sienne pour donner force légale à ce qu'il leur propose,
quitte à admettre tel ou tel amendement particulier. Est-ce
que la circonstance que ce projet de loi est volé par l'une des
Chambres et même amendé par elle, en change la nature et
en fait un projet émanant de la Chambre? Nullement. Projet
de loi du gouvernement lors de son dépôt, il reste tel après
avoir été voté.
» Et c'est le gouvernement qui le transmet ensuite à l'autre
Chambre. Certes, pour la facilité le greffe de la Chambre fait
cette transmission, mais ce n'est là qu'une facilité de procé-
dure et le projet n'en reste pas moins le projet de son auteur. »
* Cf. Discours de M. de Smet de Naeyer. (Ch. des Représ., séance du
14 janvier 1902, Ann. pari., p. 371.)
« Ch. des Représ., séance du 15 janvier 1902, Ann. pari., pp. 385-386.
(284 )
» jjf. Neujean. — Pourquoi n'est-il pas devenu le projet de la
Chambre?
» M. Van den Hmvel. — Parce qu'il ne change pas de nature,
comme je viens de le dire, par le simple fait qu'il a été voté et
amendé par la Chambre. Il n'en demeure pas moins le projet
du gouvernement.
» Le vote de la Chambre montre que celle-ci se range à
l'avis de l'auteur du projet, c'est-à-dire du gouvernement.
Voilà ce qui est consacre par le vote, rien de plus. Pour avoir
rencontré l'assentiment de la Chambre, un projet déposé par le
gouvernement n'en reste pas moins un projet du gouverne-
ment.
» M, Buysmam. — Mais lorsqu'il s'agit d'un projet du gou-
vernement amendé par la Chambre, cet amendement n'émane-
t-il pas de la Chambre ?
» M, Van den HeuveL — L'insertion d'un amendement dans
un projet déposé par le gouvernement ne transforme pas plus
celui-ci en un projet de la Chambre que l'insertion d'un
amendement du gouvernement dans un projet émané de la
Chambre ne fait de celui-ci un projet du gouvernement.
» M. Neujean. - Et quand un amendement a été adopté
contrairement à l'avis du gouvernement, le projet reste-t-il
encore projet du gouvernement?
» M. Van den HeuveL — C'est encore le projet du gouverne-
ment, mais le gouvernement peut, comme le disait M. Janson
en 1893, soit retirer le projet, soit le combattre au Sénat, soit
proposer au Roi de ne pas le sanctionner. »
Et au Sénat, répondant à la même objection *, le ministre
précisait d'une manière très nette la différence qu'il cx>nvient
d'établir entre la décision de l'une des Chambres relative à une
proposition émanant de l'initiative parlementaire et sa décision
lorsqu'elle se prononce sur un projet dû à l'initiative du gou-
vernement.
* Sénat, séance du i.^ mai i902, Ann. parL, p. 390.
( 288 )
€( La portée de la décision et ses effets diffèrent notablement
dans les deux cas.
» Dans le premier cas, lorsque l'une des Chambres se pro-
nonce sur une proposition émanant de l'initiative individuelle
d'un de ses membres, son vote favorable équivaut à un renvoi
à l'autre Chambre. C'est l'expression d'une volonté, d'un désir
et de la volonté de saisir l'autre assemblée, et du désir de voir
celle-ci examiner et discuter la proposition adoptée.
» Il n'en est pas de même dans le second cas, lorsque c'est
le gouvernement qui a présenté le projet. L*adhésion que
lune des deux Chambres lui donne atteste uniquement sa
communauté de vue avec le gouvernement. Le projet ne
change pas de caractère, quels que soient les amendements y
apportés. Projet du gouvernement il était à son origine, projet
du gouvernement il reste et demeure jusqu'à la fin. L'assenti-
ment de la Chambre ne le transforme pas plus en une propo-
sition de la Chambre, que l'acquiescement du gouvernement à
une proposition de la Chambre ne transforme celle-ci en un ,
projet gouvernemental. De telle sorte que le gouvernement
reste absolument libre à l'égard du projet qu'il a déposé et qui
a été adopté; il peut chercher devant l'autre Chambre à l'amen-
der, à le modifier essentiellement, il peut même le retirer
quand de sérieuses circonstances le lui commandent. »
Cette interprétation de notre droit public et parlementaire,
favorable à la constitutionnalité du droit de retrait par le gou-
vernement d'un projet voté par l'une des Chambres, repose
d'ailleurs sur une série d'arguments solides.
M. le Ministre de la justice les a fait valoir dans son court
et substantiel discours au Sénat ^.
On peut d'abord invoquer en sa faveur l'esprit même de la
Constitution que l'on peut retrouver dans un opuscule célèbre,
imprimé à Liège en 1830 et intitulé : Observations sur le pou-
voir royal.
* Sénat, séance du 45 mai 1902, Ann. parL, pp. 390-391,
( 286 )
Son auteur, M. Joseph Lebeau, y formule l'opinion sui-
vante :
c< Il serait très désirable que le Roi ne soit pas toujours lié
par la présentation d'un projet soumis par lui aux Chambres.
)) En provoquant une délibération parlementaire, le prince
fait un appel aux lumières de la Chambre et de la nation.
y> Les réflexions personnelles, les observations de ceux qui
approchent, du trône et des ministres, les arguments de la
presse donnent-ils au pouvoir royal la conviction que le projet
est vicieux, il doit pouvoir le retirer.
» Cette conviction résulte-t-elle seulement de la discussion
parlementaire, le Roi doit, malgré l'adoption même du projet,
pouvoir encore l'empêcher de devenir loi. Il est de l'intérêt du
trône que la loi, et surtout la loi proposée en son nom, ait
obtenu une majorité assez forte pour représenter le vœu de la
nation.
» Les avantages du principe que la couronne n'est pas liée
par la présentation l'emportent tellement sur les inconvé-
nients fort rares qui peuvent s'y rattacher, le bons sens est si
complètement d'accord avec ce système, qu'il ne faudrait rien
moins qu'un texte formel pour l'interdire. »
Certes, le passage que nous venons de citer, d'après le dis-
cours de M. Van den Heuvel, ne vise pas formellement le point
même qui est en discussion. Mais l'auteur approuve le droit de
retrait en général, sans aucune restriction, et les avantages
qu'il présente lui paraissent tellement supérieurs aux inconvé-
nients éventuels qui pourraient en découler, « qu'il ne faudrait
rien moins qu'un texte formel pour l'interdire ».
Et cette opinion exprimée par M. Lebeau a une valeur par-
ticulière, si l'on se rappelle l'esprit de grande défiance qui
animait nos constituants vis-à-vis du pouvoir royal, si l'on se
rappelle surtout que M. Lebeau fut l'un des plus ardents
adversaires de l'extension de ce dernier et qu'il inspira notam-
ment l'article 78 de la Constitution, qui précise nettement les
limites des pouvoirs du Roi.
( 287 )
Divers précédents la confirment d'ailleurs. Nous n'y insiste-
rons pas, mais nous attirons cependant l'attention sur un
arrêté royal du 27 avril 1836, qui a retiré un projet de loi
déposé par le gouvernement et voté par la Chambre. Il s'ensui-
vit une discussion à la Chambre, qui se termina à l'avantage du
gouvernement. M. Van den Heuvel Ta rappelée dans tous ses
détails, qui offrent un grand intérêt puisqu'ils précisent l'opi-
nion du Parlement au lendemain du vote de la Constitution.
Il est intéressant de noter encore qu'en d'autres pays la
constitutionnalité du droit de retrait d'un projet voté n'est pas
contestée.
En France, au témoignage autorisé de M. Pierre : « Les
projets dus à l'initiative gouvernementale peuvent être retirés,
comme les propositions sorties de l'initiative parlementaire, à
toutes les phases de la procédure. Un projet de loi peut être
retiré par le gouvernement, lors même qu'il a déjà été voté
par Tune des deux Chambres et présenté à l'autre ^ ».
En Angleterre, la pratique parlementaire accorde le droit
(le retrait aux membres du Parlement comme au gouverne-
ment. Il n'est nullement exact de dire que lorsqu'un projet a
été voté par une Chambre et qu'il a passé à l'autre, celle-ci
doit statuer. « Tout le monde admet que lorsqu'un bill voté
par la Chambre des Communes demeure pendant douze séances
abandonné sur la table de la Chambre des Lords par le membre
qui est chargé d'en proposer la seconde lecture, le bill meurt
et est perdu, à moins qu'une suspension du règlement ne le
rappelle à la vie. Cette règle, - au dire des autorités les plus
compétentes que nous avons eu la curiosité de consulter per-
sonnellement et dans les deux Chambres du Parlement
anglais, — cette règle est universelle et s'appliquerait, le cas
échéant, au budget comme à tout autre projet de loi. On
n'admet pas en Angleterre que le dépôt d'un projet de toi au
Parlement oblige, ipso facto, le ministère à en poursuivre la dis-
* Poudra et Pierre, Traité pratique de droit parlementaire, n» 345,
p. 200.
(288)
cussion en toutes circonstances, et en dépit des modifications qui
y seraient apportées par voie d'amendement ^.
Le cas de la Hollande est plus caractéristique encore. Lors-
qu'on revisa la Constitution en 1887, la commission proposa
d'inscrire dans le texte un article qui proclamât formellement
le droit de retirer des projets déjà votés par une des Chambres.
Lé gouvernement déclara qu'à sou avis la question n'était pas
douteuse, mais qu'il ne sV)ppo8erait pas à l'insertion de
l'article. Il n'y eut pas de discussion. Et l'on peut lire aujour-
d'hui à l'article 118 de la Constitution : <c Tant que le Sénat
n'a pas décidé, le Roi conserve le pouvoir de retirer le projet
qu'il a présenté % ».
Ces exemples tirés des constitutions étrangères n'apportent
évidemment aucun argument direct pour l'interprétation de la
nôtre. Mais ils démontrent tout au moins que le droit reven-
diqué aujourd'hui en Belgique n'a rien d'exorbitant en lui-
même et que d'autres nations le considèrent comme dérivant,
par une conséquence naturelle, de l'économie générale de
l'organisation législative 3.
EnGn, il existe certaines circonstances délicates dans la vie
politique, en vue desquelles il est nécessaire que le gouverne-
ment soit doté du droit absolu de retirer les projets qu'il a
présentés*
ce Supposez, disait le ministre 4, une discussion soulevée
devant la Chambre au dernier moment, menée rapidement et
conduisant à l'adoption d'amendements qui bouleversent de
fond en comble le projet présenté : vous désarmez le gouver-
nement si vous vous bornez à dire qu'il a le droit de retirer
son projet avant le vote, mais qu'il ne Fa plus après ce vote,
car à quel instant voulez-vous que ce gouvernement, surpris
par une opposition inattendue, puisse agir utilement?...
* A. Nerincx, loc. dt,, p. 229.
' Discours de M. Van den Heuvel. (Sénat, séance du 15 mai 1902, Ann.
parL,p.39i.)
' Ibiddm,
* Ibidem.
( 289 )
€( Supposez qu'après le vote de Ta Chambre et par suite de
la campagne ardente menée par un parti, il se produise dans
le pays une certaine agitation et que le gouvernement ail
intérêt, en vue de la paix publique, à empêcher tout renou-
vellement de la discussion : allez-vous lui refuser le droit de
retirer le projet quMl a déposé et qui est cause du malaise et '
peut-être de l'irritation?
» Supposez qu'un budget se référant à des questions poli-
tiques passionnantes soit adopté par la Chambre et qu'au
lendemain, le ministère qui l'a préparé et soumis vienne à
tomber : refuseriez-vous aux successeurs le droit de faire
œuvre nouvelle, de retirer le budget primitif et de présenter
immédiatement devant la Chambre un projet budgétaire qui
correspondje au programme du cabinet ?
» Autant de considérations qui démontrent que le gouver-
nement peut vous demander de ne pas méconnaître son droit
de retrait. »
il nous reste à rencontrer encore deux objections.
Le Roi, dit-on, n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui
attribuent formellement la Constitution et les lois particulières
portées en vertu de la Constitution même (art. 78).
Or, la Constitution ne lui reconnaît pas formellement le
droit de retrait, pas plus d'ailleurs qu'aucune loi particulière.
Il est vrai, mais elle attribue formellement au Roi le droit
d'initiative (art. 27), et le droit de retrait, on le reconnaît, est
un corollaire du droit d'initiative.
On admet généralement et sans contestation que ce droit de
retrait le Roi peut l'exercer avant le vote par l'une des
Chambres : mais quel est donc le texte qui consacre formelle-
ment ce droit?
De même, la Constitution ne lui attribue pas formellement
le droit d'amendement, comme elle le fait pour les Chambres
(art. 41, 42). Personne, cependant, ne s*avise de le lui con-
tester.
11 en est ainsi de beaucoup de droits a qui appartiennent au
. gouvernement dans notre organisation politique et parlemen-
ToME LXVI. 19
( 290 )
taire, dont l'exercice est même indispensable à son fonctionne-
ment régulier et qui ne sont cependant pas consacrés par des
textes formels ^ ».
M. Janson a élevé une autre objection que Ton pieut résumer
en ces termes 2. En admettant même, en manière do discussion,
la constitutionnalité du droit de retrait pour les projets de loi
ordinaires, il faudrait cependant la nier en ce qui concerne
les budgets.
Pour les premiers, l'initiative gouvernementale est faculta-
tive; le gouvernement peut les présenter ou ne pas les
présenter, à sa guise; quant aux projets budgétaires, l'initia-
tive gouvernementale n'est pas seulement un droit, elle est un
devoir imposé par la Constitution (art. 118) et réglementé par
les lois de comptabilité. C'est une <( initiative obligatoire », et,
par conséquent, le droit de retrait n'existe pas pour les
budgets.
Il est incontestable que le dépôt des budgets est obligatoire
et doit s'effectuer chaque année par les soins du gouvernement.
S'ensuit-il qu'une fois déposés, les budgets ne peuvent plus
être retirés?
Nous n'apercevons pas le bien fondé de cette conclusion, si,
bien entendu, après avoir retiré un projet de budget, le gou-
vernement en présente un autre.
On n'apporte d'ailleurs aucune preuve à l'appui de cette
affirmation, qui est en contradiction avec Tensemble de notre
organisation constitutionnelle et parlementaire. Ni la Consti-
tution, ni les lois de comptabilité, ni le règlement de la
Chambre n'établissent une différence entre le régime des lois
budgétaires et celui des lois ordinaires. Pourquoi donc y
aurait-il, entre elles, une différence dans ce cas spécial?
On dit, il est vrai 3, que la loi du 24 juillet 1900, en fixant
< Discours de M. Van den Heuvel. (Sénat, séance du 15 mai 1902, Ann.
parL, p. 390.)
* Discours de M. Janson. (Ch. des Représ., séance du 14 janvier 190^
Ann. parL, p. 372.) — Id., 15 Janvier 1902, id., p. 402.
* Cf. Discours de M. Huysraans. (Ch. des Représ., séance du 15 jan-
vier 1902, Ann, parL, p. 382.)
( 291 )
au 31 octobre la limite extrême de la présentation des budgets,
supprime ipso facto le droit de retrait, puisque le nouveau
projet déposé ne pourrait plus l'être dans le délai légal.
Cette loi du S4 juillet 1900 n'a pas la portée absolue qu'on
lui prête. Elle se propose simplement d'assurer une meilleure
préparation du budget, tout en ménageant au Parlement un
temps suffisant pour son examen et son vote^. S'ensuit-il
qu'elle interdise absolument tout dépôt d'un projet de budget
après le 31 octobre ?
Cela n'est pas admissible et rien dans les travaux prépara-
toires de la loi n'autorise cette interprétation, qui pourrait
d'ailleurs amener dans la pratique des difficultés insurmon-
tables.
c( Supposez, disait M. le Ministre de la justice s, que le gou-
vernement remplisse ses obligations et dépose des projets à
l'époque fixée par la loi, n'y a-t-il pas de multiples circon-
stances qui peuvent faire tomber ces projets et nécessiter le
dépôt d'autres projets à une époque très postérieure? N'arrive-
rait-on pas à cette situation particulière toutes les fois que
Tune des deux Chambres rejeterait le budget et que le Roi
refuserait sa sanction? »
Personne cependant ne prétendra que la loi de 1900 enlève
aux Chambres le droit de rejeter le budget ou au Roi le droit
de ne pas le sanctionner. De même, ne peut-on pas en inférer
que le gouvernement ne possède pas le droit de retirer un
projet de budget voté par la Chambre.
De l'étude qui précède et après avoir examiné à tête reposée,
à l'abri des suggestions irritantes des débats parlementaires,
les principaux arguments échangés de part et d'autre, nous
croyons pouvoir conclure à la constitutionnalité du droit pour
le gouvernement de retirer devant le Sénat un projet de budget
voté par la Chambre.
Ce droit n'est inscrit formellement dans aucun texte consti-
4 Cf. supra, pp. 196, 197.
* Gn. des Représ., séance du 15 janvier 1902, Ann. parL, p. 385.
( 292 )
tutionnel ou légal. Il se déduit logiquement du droit d'initiative
gouvernementale et des principes de notre organisation parle-
mentaire. Hais son exercice sera modéré, il sera plutôt une
arme préventive, une ressource extrême dans des circonstances
exceptionnelles.
CHAPITRE IX.
Du retard dans le vote des budgets. — Les crjèdits
provisoires. — Le changement de la date d'ouver-
ture de Tannée financière.
Sans budget voté, pas de gouvernement régulier possible.
Mais il ne suffit pas que le budget soit voté à un moment quel-
conque pour une période indéterminée. La Constitution exige
que le budget soit voté chaque année; il n'est donc valable que
pour un an et doit par conséquent être préalable à l'exercice
auquel il se rapporte.
Ce sont là des caractères essentiels d'une bonne organisation
budgétaire. Il est manifeste, cependant, qu'en Belgique cette
prescription constitutionnelle ne trouve plus d'application. Il
n'arrive plus jamais que les budgets soient approuvés avant le
commencement de l'année financière, c'est-à-dire avant le
!•' janvier de chaque année ^.
Ce qui ne devrait être que l'exception est devenu la règle, et
les budgets, sauf quelques-uns, sont régulièrement votés après
cette date.
^ (( Le mal s'aggrave chaque année, écrivait, en 1883, M. Demeur; c'est
ce que constate un tableau que nous publions comme annexe et dans
lequel nous avons relevé les dates auxquelles depuis quinze années les
lois qui approuvent les divers budgets ont été promulguées. » (Rapport
sur le budget des voies et moyens pour 1883. Session de 1882-1883,
Doc, parL, n® 47, annexe I, p. 19.)
Si Ton voulait continuer ce tableau depuis 1882, on s-'apercevrait qu'on
n'a remédié en aucune façon à ce mal invétéré.
( 293 )
Cette situation n'est pas récente. En 1846 déjà, M. Rogier
pouvait dire à la Chambre : « Depuis très longtemps, il ne
nous est pas arrivé de pouvoir voter les budgets avant l'ouver-
ture de l'exercice auquel il se rapportent ^ », et M. Desmét
confirmait cette observation, en disant : ce tous les ans nous
sommes frappés des inconvénients que présente la discussion
des budgets; jamais le Sénat n'a le temps nécessaire pour les
examiner sérieusement. C'est là un fait qui existe depuis
quinze ans, malgré la prescription formelle de la Constitu-
tion 2 ».
Depuis l'origine de son organisation politique actuelle, là
Belgique pratique donc, sous ce rapport, un régime budgétaire
irrégulier, et cette irrégularité est devenue chronique au point
de paraître presque normale.
Les différents gouvernements qui se sont succédés, afin de
ne pas entraver le fonctionnement des services publics, se sont
contentés de masquer en quelque sorte la violation de la
Constitution, de « sauver la face, » suivant une expression
connue, en deuiandant au Parlement une autorisation provi-
soire d'exécuter le budget, comme s'il était voté.
Lorsque le gouvernement constate, en effet, que les budgets
ne pourront être adoptés en temps utile, il propose au Parle-
ment de lui ouvrir des crédits à valoir sur les budgets du
prochain exercice, à partir du !•' janvier.
Ce sont les crédits provisoires qui lui permettront d'effectuer
les dépenses jusqu'au vote du budget régulier. Ils sont calculés,
par fractions mensuelles, de manière à couvrir les dépenses
nécessaires pendant les deux, trois, quatre mois ou davantage
qui s'écouleront jusqu'à ce moment. Ils portent aussi pour
cette raison le nom de douzièmes provisoires.
Les crédits ou douzièmes provisoires constituent, il est vrai,
un expédient bien connu des gouvernements de tous les pays.
Mais, tandis qu'ailleurs on n y a recours qu'à titre exceptionnel
« Séance du 26 février 1846.
* Séance du 27 février 1846.
(294)
et en cas de force majeure, ils sont devenus dans notre pays
nne institution permanente >.
II convient donc de nous y arrêter quelque peu, à raison du
rôle important qu'elle joue dans notre organisation budgé-
taire.
Nous examinerons :
1* La nature de -la loi des crédits provisoires;
2® Les critiques qu'on lui adresse.
I. — La nature de la loi des crédits provisoires a été précisée
au Sénat, le 26 décembre 1901, à l'occasion de la discussion
relative au retrait du projet de budget des dotations pour 19023*
M. le Ministre des finances définissait en ces termes la raison
d'étfp de cette loi et ses caractères essentiels : « Le projet de
loi de crédits provisoires affecte certaines sommes aux divers
services publics, en telle manière que le gouvernement puisse
feire face, pendant une période de temps déterminée, aux
dépenses courantes, telles qu'elles ont été admises par les lois
budgétaires des années précédentes... Il est de règle que ce
qui sort du cadre des crédits admis en quelque sorte de plein
droit en vertu des précédents, que les crédits nouveaux, les
dépenses exceptionnelle^ restent en dehors de l'autorisation
résultant de la loi des crédits provisoires; cette loi, en effet,
n'a d'autre portée que d'assurer pendant un certain temps la
marche des services, sans engager Topinion des Chambres sur
des dépenses qui, n'ayant pas été votées précédemment, doivent
être soumises à une discussion spéciale. »
* En Angleterre, les votes on accounts fonctionnent normalement et
régulièrement, comme une suite nécessaire du mode spécial de prépara-
tion du budget usité dans ce pays. Personne ne songe à contester la
nécessité et le principe du système. Il n*en est pas de même en Belgique,
où les crédits provisoires ne sont qu'un expédient destiné à assurer la
marche des services publies à défaut d'une application rigoureuse des
prescriptions constitutionnelles. — Cf. sur le mécanisme des votes on
accounts : Stourm, loc, cit., p. 314.
« Cf. Ann. pari., pp 78-79.
( 298)
Le caractère provisoire de ces crédits exige donc, et cela est
très naturel, que la loi qui les contient ne préjuge pas les
décisions des Chambres, réserve leur liberté et par conséquent
n'innove pas.
M. Hanrez avait cependant, au cours de cette même discus-
sion, soulevé à un autre point de vue une difficulté très réelle,
à notre avis, et qui n'a pas reçu de solution satisfaisante.
La Chambre avait voté, le 20 décembre 1901, le budget des
dotations. Après ce vote, elle avait adopté le projet de loi sur
les crédits provisoires à valoir sur les budgets de 1902 et qui
contenait, entre autres un crédit pour les dotations.
Par un arrêté royal du 24 décembre, le gouvernement avait
retiré le budget des dotations. Le 26 décembre, M. Hanrez
demandait au Sénat, s'il croyait pouvoir voter des crédits pro-
visoires à valoir sur un budget retiré?
M. Lippens appuya l'observation de H. Hanrez. « Le gou-
vernement, disait-il, demande à pouvoir disposer de dou-
zièmes provisoires à valoir sur les budgets présentés. Il n'y a
pas, il n'y a plus de budget des dotations présenté. Le
gouvernement pourrait-il, par exemple, engager une dépense
sur un article n'existant pas dans un budget antérieur? Non,
parce qu'il y a le néant. Or, à ce moment, à défaut de budget
des dotations déposé, il y a le néant. Si le gouvernement avait '
déposé un nouveau budget des dotations, il pourrait nous
demander des crédits sur ce nouveau projet, mais il n'y en a
pas et le gouvernement ne peut donc rien payer sur aucun
poste de ce budget non existant. »
La réponse du gouvernement, par l'organe de M. le Ministre
des finances, fut celle-ci : « L'honorable M. Lippens verse
dans une erreur complète. Les projets de budgets dont les
Chambres sont saisies sont comme inexistants aussi longtemps
qu'ils n'ont pas acquis force de loi par le vote des Chambres,
suivi de la sanction et de la promulgation. Aussi le projet de
loi de crédits provisoires ne se réfère-t-il nullement aux projets
de budgets déposés : il a son existence propre, sa portée
spéciale qui est de mettre à la disposition du gouvernement
(*296 )
certaines sommes déterminées, à valoir sur les budgets à voter
ultérieurement.
» Nous n'opérons donc pas sur le néant, comme semble le
croire l'honorable M. Lippens. Nous convions le Sénat, au
contraire, à voter un projet de loi parfaitement valable en
lui-même, ayant pour objet d'assurer la marche des services
publics en attendant que les divers budgets soient votés, et
cela est vrai du budget des dotations comme des autres. »
Cette réponse ne nous semble pas concluante. Certes, le6
projets de budgets n'acquièrent force de loi que par le vote des
deux Chambres suivi de la sanction et de la promulgation.
Tant qu'il n'y a pas de loi budgétaire, le gouvernement ne
peut régulièrement engager aucune dépense, et c'est pour
cette raison, qu'aussi longtemps que les budgets n'existent
qu'à l'état de projet, le gouvernement est obligé de demander
des crédits provisoires.
Mais, s'il est vrai de dire que le projet de loi demandant
des crédits provisoires ne s'en réfère pas expressément aux
projets de budgets déposés, il nous paraît certain qu'il les
suppose nécessairement. Ce sont ces projets de budgets, en
effet, qui déterminent l'étendue et les limites endéans les-
quelles le Parlement accorde provisoirement certains crédits.
Ces crédits sont en quelque sorte des parcelles détachées de
l'ensemble des propositions budgétaires du gouvernement, en
attendant que le Parlement ait approuvé définitivement
celles-ci.
lis ne se conçoivent donc guère sans des projets de budgets
préalablement déposés et non retirés. Sinon, ainsi que le
remarquait très justement M. Lippens, on devrait reconnaître
« qu'un gouvernement pourrait ne déposer aucun budget et
demander aux Chambres de voter des crédits provisoires à
valoir sur des budgets qu'il soumettrait ultérieurement ».
Telle a été d'ailleurs la pratique constamment suivie : jamais
un gouvernement n'a déposé un projet de loi de crédits provi-
soires, avant que l'ensemble des projets budgétaires ait été
régulièrement présenté aux Chambres.
(297 )
Il ne faut pas s'en écarter, d'autant plus que les crédits pro-
visoires ne constituent, eh somme, qu'une simple tolérance,
un pis-àller, qui ne peut se réclamer d'aucune disposition
constitutionnelle ou légale.
II. — Dès 1846, le Parlement a formulé des critiques fon-
dées contre les crédits provisoires. Celles-ci se renouvellent,
depuis, au cours de chaque discussion budgétaire. Le gouver-
nement, lui aussi, se joint au Parlement pour déplorer la
situation, mais elle se maintient et tend plutôt à empirer. Pour
le budget de 1901, le gouvernement a dû demander huit dou-
zièmes provisoires et onze pour le budget de 1902 ^.
Ce régime aboutit, en réalité, sinon à supprimer, du moins à
énerver le contrôle budgétaire du Parlement. Car personne ne
soutiendra sérieusement que ce dernier, lorsqu'il est appelé à
statuer définitivement sur les budgets, quand ceux-ci sont déjà
exécutés pour un quart, pour la moitié ou même pour les trois
quarts, conserve pleinement la liberté de modifier la situation
créée provisoirement.
Il a voté en bloc des budgets d'attente, mais on sait que rien
n'est aussi définitif que le provisoire, surtout en matière
d'administration, et qu'il n'est pas aisé de défaire en détail ce
que Ton a voté en bloc.
M. Demeur, dajas un de jses rapports si documentés ^, a
parfaitement résumé les vices essentiels des crédits provisoires,
lorsqu'il écrivait : « Voter le budget n'est autre chose qu'ouvrir
les crédits nécessaires aux dépenses présumées de chaque exer-
cice et donner au gouvernement les voies et moyens destinés
à y subvenir. Procéder à ce vote après l'ouverture de l'exercice,
alors que des dépenses sont faites en vertu de crédits provi-
* En ce qui concerne le budget de 1902, le gouvernement fut amené
par une situation parlementaire et politique spéciale à demander des
crédits provisoires aussi nombreux. Il n'en utilisa d'ailleurs que cinq
douzièmes au plus, les budgets ayant tous été volés vers la mi-mai.
* Rapport, au nom de la section centrale, sur le budget des voies et
moyens pour 1883. (Session de 1882-1882, Doc. parL, n9 47.)
( 298 )
soires alloués en bloc, c'est renoncer au droit de vote pour
toute la période qui s'écoule entre l'ouverture de l'exercice et
la promulgation de la loi du budget; c'est donner un véritable
blanc-seing au gouvernement dans la limite des crédits provi-
soires; c'est, sinon supprimer le vote, au moins considérable-
ment en réduire la portée. »
Toutes les critiques que l'on a faites avant et depuis n'ont
rien ajouté à cette condamnation sévère ^.
Il existe, il est vrai, un correctif à la situation. Quelques
* On peut dès lors s'étonner de rindulgence avec laquelle certains
publicistes étrangers, comme M. Stourm et MM. Boucard et Jèze, aux
lumières de qui nous avons fréquemment fait appel, apprécient le
système belge des crédits pro\isoires, que M. Stourm propose même
comme l'exemple le plus pratique que la France puisse suivre actuel-
lement. « Chez nous, dit-il, les douzièmes provisoires représentent le
désordre et Tirrégularité, parce qu'ils interviennent toujours inopiné-
ment, à titre d'expédient, lorsque le vote du budget est en retard.
» Au contraire, en Belgique, depuis un assez grand nombre d'années,
les douzièmes provisoires, acclimatés et réglementés, fonctionnent
comme une institution normale. Leur rouage a été combiné pour s'en-
grener sans frottement sur le mécanisme général. Lorsque, au mois de
décembre, le ministre des finances dépose le projet relatif aux crédits
provisoires..., mille émotion, aucune récrimination n*accueille ce dépôt;
on le prévoyait ; la marche des travaux parlementaires et administratifis
avait été réglée en conséquence (pp. 412-113)... Leur suppression y
causerait autant de trouble que leur apparition cause de scandale chez
nous (p. 315). » Et MM. Boucard et Jèze ajoutent : « En Angleterre et en
Belgique, les crédits provisoires ne soulèvent pas de critiques ; tandis qu'au
contraire, en France, les douzièmes provisoires jouissent d'une réputa-
tion exécrable » (1, p. 129). Il est possible que le système belge soit
préférable au système français, mais il est assurément inexact de dire
qu'en Belgique les crédits provisoires ne soulèvent pas de critiques. Il
suffît d'ouvrir un volume quelconque des Annales parlementaires pour
s'assurer du contraire. Ce qui est certain, c'est que le système ne trouve
en notre pays aucun défenseur. Car, bien qu'invétéré et entré depuis
longtemps dans les mœurs et usages administratifs, — ce qui a pu donner
à MM. Stourm, Bpucard et Jèze le change sur son véritable caractère, -'
ce régime est profondément irrégulier et contraire à la Constitution,
comme aussi à une saine oi^anisation du gouvernement parlementaire.
( 299 )
budgets, au moins, obéissant à la règle constitutionnelle, sont
toujours votés avant le début de l'exercice, et parmi ceux-ci,
l'un des plus importants, le budget des voies et moyens.
Le budget des voies et moyens est toujours promulgué avant
le 31 décembre, et par conséquent, les crédits provisoires ne
portent jamais que sur des budgets de dépenses.
Ce fait a une certaine importance, ainsi que le faisait
remarquer M. Beernaert à la Chambre ^ : « Pour les voies et
moyens, il importe que les Chambres se prononcent avant le
commencement de l'exercice sur le chiffre et sur la nature
des ressources à mettre à la disposition du gouvernement. »
L'article 111 de la Constitution est en effet formel. Il déclare
que les lois d'impôts n*ont de force que pour un an, si elles
ne sont renouvelées. M. Beernaert ajoutait : « L'inconvénient
du retard est moindre quant aux budgets de dépenses, car la
plupart des budgets sont de nature permanente Ces budgets
ne sont guère que la reproduction de ceux des exercices précé-
dents, et, s'il s'y glisse quelque article nouveau et dont le prin-
cipe ne soit pas déjà consacré, il n'y a pas un ministre qui
s'engagera, même à Taide de crédits provisoires, avant que son
budget n'ait été régulièrement voté. Mais ici encore cependant
le vote préalable est infiniment plus régulier. »
Les recettes sont donc votées, en Belgique, avant les
dépenses. Si l'on peut approuver cette pratique, en tant
qu'elle satisfait complètement au vœu constitutionnel, on doit
regretter à un autre point de vue que les dépenses ne soient pas
votées avant les recettes ou tout au moins que les deux votes ne
soient pas simultanés.
Les défenseurs du budget unique ont maintes fois signalé
l'anomalie qui consiste à faire voter les receltes ayant les
dépenses. Ils invoquent pour cela un principe bien établi de
la science financière.
M. Stourm le développe en ces termes 2 : « La préséance des
* Séance du 3 février 4901, Ann. parL, p. 333.
« Loc. ciLy pp. 202, 203.
( 300 )
dépenses constitue un principe essentiel de la comptabilité
publique, dont il importe de rechercher dès l'abord lès
motifs. Pourquoi TÉtat commence-t-il par évaluer ses dépenses,
alors que les particuliers suivent l'ordre inverse. Un père de
famille, en effet, suppute d'abord ses revenus, et seulement
ensuite règle leur emploi. Autrement, il risquerait d'aboutir
au déficit et d'entamer son capital.
c( L'État pourrait calculer de la sorte, s'il vivait encore exclu-
sivement des produits de son domaine. Mais, depuis longtemps,
le domaine, surtout en France, ne fournit plus qu'un petit
appoint au budget : les impôts l'alimentent en presque totalité.
Or, les impôts ne rendent pas une somme invariable : ils
rendent ce qu'on leur demande, dans la limite des possibilités
des contribuables. On ne saurait donc commencer par déter-
miner leur montant, puisque ce montant est extensible, à la
volonté des gouvernants. L'État, en somme, prend dans la
poche des autres, ce qui n'est pas le cas des particuliers, habi-
tuellement du moins. Cette prérogative l'oblige à fixer d'abord
la somme dont il a besoin, afin de préciser, en connaissance de
cause, la mesure des sacrifices qu'il réclamera ensuite \
a Ce sont les dépenses à faire qui servent de mesure et de
* Aussi ne pouvons-nous pas souscrire à la comparaison inexacte que
faisait au Sénat M. Gooreman, afin de justifier la préséance du vote des
recettes, ou du moins le vote simultané des recettes et des dépenses.
« En principe, disait l'honorable sénateur, je tiens que le gouver-
nement doit présenter, en même temps, les prévisions de dépenses et
les prévisions de recettes et aussi que la Législature devrait voter, en
môme temps, le budget des voies et moyens et le budget général des
dépenses. Donner le pas au budget des dépenses me semble de mauvaise
politique financière. On pourrait nous comparer, si nous suivions cette
voie, à un père de famille qui, au lieu de régler ses dépenses sur ses
ressources, commencerait par dresser le budget de ses dépenses, de ses
dépenses de nécessité et de fantaisie, de luxe et d'utilité, au risque de se
mettre dans le plus grand embarras pour dresser ensuite son budget de
recettes et d'en arriver à devoir contracter des dettes, des emprunts, etc...
( 30t î
justification aux recettes », disait M« Passy, ministre des
finances, en janvier 1849, à l'Assemblée nationale...
» ... Du moment donc que les impôts ne portent pas en eux-
mêmes de mesure maximum, il faut bien chercher cette
mesure en dehors d'eux, et ce sont les dépenses, c'est-à-dire les
besoins publics, qui peuvent seuls la fournir. L'État indique et
détermine d'abord les sommes qui lui sont nécessaires; les
contribuables payeront en conséquence. Même en Prusse, où
les recettes sont, présentées les premières, ce sont toujours
les dépenses qui, dans Tesprit des préparateurs du budget,
obtiennent la préséance ^. »
MM. Boucard et Jèze affirment, eux aussi, que « le vote
préalable du budget des dépenses est une règle fondamentale
de la science financière; elle est essentielle à la bonne gestion
des finances publiques ; c'est une garantie pour les contri-
buables 2 ».
Si donc, pour en revenir aux crédits provisoires, ceux-ci ne
trouvent guère de défenseurs, et donnent lieu aux critiques les
plus fondées, on doit se préoccuper de renoncer à ce système
irrëgulier, et pour cela d'assurer le vote en temps utile des
budgets.
Comment y arriver?
Pour répondre à cette question, il nous faut d'abord déter-
miner les causes principales du retard dans le vote des budgets.
Elles sont multiples et ont été signalées à maintes reprises.
La première qui en résume beaucoup d'autres, c'est Vindis-
oipline parlementaire. Nous entendons par là la mauvaise
organisation du travail législatif des budgets, les retards
dans la confection des rapports, les discussions interminables,
* En Belgique, les préparateurs du budget envisagent, eux aussi,
d'abord les dépenses avant de fixer les recettes. Mais M. Stourm con-
damne surtout le système belge du vote des recettes avant le vote des
dépenses, qu'il considère à juste titre comme une conséquence du
système des douzièmes provisoires. (Cf. Stourm, loc. cit., p. 312, note 3.)
« Loc. cit., 1. 1, p. 289.
( 302 )
les fréquentes interruptions, qui permettent à d'autres projets
de loi de scinder Texamen des budgets, etc.
Cette indiscipline, qui sévit surtout à la Chambre, a pour
conséquence d'enlever au Sénat le libre exercice de ses droits
constitutionnels d'amendement et même de contrôle du
budget. Lorsque celui-ci a traîné de longs mois à la Chambre,
on presse le Sénat d'en finir au plus vite. Et ce dernier,
malgré de fréquentes protestations, qui se renouvellent à
chaque session, finit toujours par s*incliner ^.
Le gouvernement peut prendre une part de responsabilité
dans cet état de choses regrettable. Il pourrait souvent insister
plus énergiquement pour obtenir du Parlement le vote des
budgets en temps utile.
Il est vrai qu'il y a moins d'intérêt que le Parlement. C'est
à celui-ci de contrôler la gestion financière du gouvernement
et de prendre par conséquent toutes les dispositions nécessaires
pour assurer un contrôle eflbclif.
D'autre part, le gouvernement pourrait utilement user de
son influence sur la majorité parlementaire, dont il émane,
pour hâter la discussion des budgets.
Le premier remède consisterait donc dans une réforme
sérieuse du travail parlementaire en matière de budgets. Nous
y avons déjà suffisamment insisté ^.
Mais il est une autre cause qui explique surtout les retards.
* Cf., à titre d'exemple, les séances du Sénat du 27 mars 1901, Ann.
pari., p. 138 et du 23 avril 1901, Ann. pari., p. 149.
M. le chevalier Descamps avait proposé un jour au Sénat de commen-
cer Texamen des budgets avant que la Chambre les ait votés. Il ne
s'agissait pas de les voter avant la Chambre, ce qui eût été contraire à
la Constitution (art 27, al. 2), mais seulement de les examiner et de les
discuter, afin de permettre au Sénat d'exercer plus sérieusement son
droit de contrôle. Une commission fut instituée pour étudier cette propo-
sition à laquelle il n'a pas été donné suite jusqu'à présent. (Cf. Sénat,
séances des 6 décembre 1901 et 18 mars 1902.)
* Cf. supra, chapitres n et IIL
( 303 )
Cest la proximité de la date du dépôt des budgets et de celle
du commencement de l'année financière.
Afin d'établir des délais assez longs entre ces deux dates et
d'assurer le vote des budgets en temps utile, la loi de 1846 sur
la comptabilité avait, dans son article 1*', prescrit de déposer
les budgets dix mois au moins avant l'ouverture de Texercice.
Cette règle des dix mois, par contre, ne permettait pas une
bonne préparation des budgets. Aussi, n'ètait-elle observée
que pour la forme ^ .
La loi du 24 juillet 1900 a reporté la date du dépôt à la date
extrême du 31 octobre; elle assure ainsi une préparation
sérieuse des budgets, mais il est devenu matériellement
impossible aux Chambres de voter les budgets avant le
Iw janvier.
Celles-ci se réunissant de plein droit et normalement le
second mardi de novembre, disposent de six semaines au plus
pour examiner les budgets en sections, faire les rapports,
discuter et voter les budgets.
C'est trop peu. La date du 1*"" janvier est trop rapprochée de
celle du 31 octobre.
De là est née l'idée de reporter le début de l'année financière
du !«■ janvier au 1®'' juillet.
A la séance du 26 février 1846, M. de Mérode la signalait déjà
à la Chambre : ce Un de nos anciens collègues, M. Cogels, a
plusieurs fois proposé d'établir l'année financière à dater du
l^'' juillet. Si cela pouvait se faire, on obvierait à tous les
inconvénients qui ont été signalés (retards, crédits provi-
soires, etc.)... Je prie donc M. le Ministre des finances de
vouloir bien nous dire s'il trouverait un inconvénient grave à
fixer le commencement de l'année financière au l'^^ du mois de
juillet, au lieu du l*" janvier. Je reconnais que les habitudes
sont contraires à ce mode de procéder, que les comptes des
particuliers ne se règlent pas ainsi. Mais pour l'État, il y a une
position spéciale, résultant de nécessités parlementaires, qui
* Cf. supra, pp. 192 et suiv.
(304)
entraine plus d^avantage dans Tadoption de ce mode que dans
le système communément suivi, a
Le lendemain, 27 février, M. Desmet appuyait cette idée
et aflSrmait que, d'après lui, « le seul moyen de voter les
budgets avant l'ouverture de l'exercice, c'est de changer
l'époque de l'ouverture de l'exercice, de la porter au l*' mars
au lieu du 1'' janvier ». Il déposait dans ce sens un amende-
ment qui ne fut pas adopté.
Le même jour, en effet, le ministre des finances combattit
ces propositions en déclarant : a II ne me paraît pas nécessaire,
pour atteindre le résultat que nous avons tous en vue, de
changer l'époque du commencement de l'année financière.
Cette question a déjà été discutée plusieurs fois ^. Mais je crois
que l'on doit respecter les habitudes, les précédents, à moins
qu'une nécessité évidente ne soit démontrée ».
Depuis, la même idée a été reprise, notamment par
MM. Frère-Orban 2, Graux 3, Houzeau de Lehaie * et d'autres,
qui s'en sont fait les champions au sein du Parlement, où elle
compte de nombreux partisans sur les bancs des deux
Chambres.
« 11 conviendrait, disait M. Graux à la Chambre le 4 fé-
vrier 1891, de changer le point de départ de l'année financière.
En la faisant partir du i^ janvier, on l'ouvre à une époque
trop rapprochée de celle du commencement des travaux des
Chambres pour que celles-ci puissent examiner et voter le
budget avant l'ouverture de l'exercice.
^ Cette affirmation fut contredite par M. Desmet : « Thonorable ministre
des finances est dans Terreur, lorsqu'il pense que la question du chan-
gement de l'ouverture de Tannée financière a déjà été discutée. Une
proposition a été faite par Thonorable M. Verdussen ; cette proposition a
été développée, mais elle n'a jamais été mise en discussion. » (Gb. des
Représ., séance du 27 février 1846.)
2 Ch. des Représ., séance du 16 décembre 1884, Ann, parL, p. 252«
5 Id., 4 février 1891, Ibid., p. 318.
^ Id , 23 décembre 1891, Ibid., p. 330. — Sénat, séance du 27 mars
1901,iWrf., p. ^39.
( 305 )
c( Si le poiDt initial de Tannée financière était placé en
juillet, les budgets seraient toujours discutés et arrêtés à
répoque, et Ton ne devrait plus recourir au vote de crédits
provisoires. Les budgets déposés au mois de novembre pour-
raient être immédiatement renvoyés à une commission. Ainsi
rétude des budgets serait préparée à loisir; ils seraient votés et
mis en vigueur en temps utile.
» Je le sais, ces réformes rencontreraient quelques objec-
tions, d'un caractère administratif surtout. La raison en est
simple : des changements de cette nature impliquent des modi-
(fications dans les habitudes du personnel administratif. Entre
les budgets de l'État et ceux des provinces et des communes,
il y a des relations^ qui peut-être nécessiteraient des change-
ments dans le régime de ces dernières. Mais ce ne sont pas
d'insurmontables difficultés.
» Ce qui se pratique ailleurs pourrait se faire chez nous.
» Si l'on poursuivait l'idée de placer à un autre moment le
point de départ de l'année financière, on rendrait au budget
le caractère d'être préalable^ sans lequel la garantie du con-
trôle parlementaire est singulièrement réduite. Pour que ce
-contrôle soit efficace, il faut que les dépenses soient autorisées
avant d'être effectuées. »
La principale objection que Ton peut faire à la réforme en
question est donc tirée de la connexité entre les comptabilités
ée l'État, des provinces, des communes, des établissements
publics. La réforme devrait sans doute être étendue à ces
administrations diverses et entraînerait nécessairement un
<;ertain bouleversement dans les habitudes administratives.
« Cette mesure, dont il a été plus d'une fois question dans
le Parlement, entraînerait de graves difficultés, disait M. Béer-
naert, et quant à l'assiette et à la perception des impôts, et
quant à la comptabilité des provinces, des communes et des
établissements publics qui reçoivent des subsides de l'État^. »
* Exposé général du budget de 1886. (Sess. de 1884-1885, Doc. parL,
n«84.)
Tome LXVL 20
( 306 )
La question est de savoir si ces difficultés sont insurmon-
tables. Une commission nommée par M. Graux, en 1882, avait
émis cet avis. « Seulement, cette commission était une com-
mission administrative et elle n'eut rien de plus pressé que de
demander Topinion des différents départements ministériels.
Ceux-ci, dérangés dans leurs habitudes, répondirent avec une
touchante unanimité, que la réforme était impossible, que ce
serait la fin du monde! ^ »
On peut donc contester l'autorité de cet avis et l'on peut
croire que les difficultés résultant du changement de date,
quoique réelles, ne seraient que transitoires et provisoires et
ne dureraient que jusqu'à ce que l'éducation des administra-
tions fût faite s.
Ces difficultés se sont présentées aussi dans de nombreux
pays, où précédemment l'année financière coïncidait avec
l'année civile et qui n'ont cependant pas hésité à opérer la
réforme.
Mais il ne suffirait pas de déplacer la date d'ouverture de
Tannée financière et d'en fixer le point de départ au !<"' juillet.
Il faudrait aussi modifier la date de présentation des budgets.
Car si celle-ci restait fixée au 31 octobre, il s'écoulerait huit
mois pleins jusqu'au début de l'année financière. De même
que sous l'empire de la règle des dix mois, les évaluations
budgétaires nécessaires à la préparation du budget devraient
se faire trop longtemps d'avance et la bonne préparation du
budget en pâtirait iiécessairement.
Le transfert du point de départ de l'année financière du
1«^ janvier au 1*"^ juillet nous paraît donc devoir entraîner
comme corollaire un changement dans la date de présentation
des budgets.
Nous venons de dire que de nombreux pays, chez qui Tan-
née financière concordait précédemment avec Tannée civile,
* Comte Goblet d'Alviella. (Sénat, séance du 23 avril 1901, Ann.parL,
p. 150.)
« Graux. (Gh. des Représ., séance du 23 décembre 1891, p. 330.)
{ 307 )
ont adopté aujourd'hui une date d ouverture différente pour
Tannée financière. Ils la fixent les uns au 1®' avril, les autres
au !•' juillet^.
L'année financière s'ouvre le !•' avril :eD Angleterre (1855),
dans l'empire d'Allemagne, en Prusse (loi du 29 février 1876),
en Wurttemberg, en Dauemark, en Roumanie, dans les Indes
anglaises, etc.
Elle s'ouvre le l*»^ juillet : aux États-Unis (1844), en Italie
(loi du 17 février 1884, art. 24), en Portugal, en Norvège, en
Serbie, au Canada, au Mexique, au Japon, etc.
La France, l'Autriche-Hongrie, la Hollande, le Luxembourg,
la Suède, la Russie, la Finlande, la Bavière, la Saxe, le Grand-
Duché de Bade, la Grèce et la Suisse restent fidèles à la date du
i^ janvier 2.
En France, la question du changement de date a donné lieu,
à diverses reprises, à des discussions dont on peut tirer cer-
tains enseignements 3.
Sous le gouvernement de Louis XVIII, le baron Louis avait
présenté à la Chambre des députés, le 11 janvier 1819, un pro-
jet de loi dont l'article l^*" portait : a L'année financière courra
de juillet en juillet à partir de 1820 ».
Ce projet échoua, moins par suite d'objections faites à son
principe même, car on s'accordait pour reconnaître générale-
ment que le changement produirait de bons effets, que parce
qu'on ne s'entendit pas sur les dispositions à prendre pour
la période de transition entre l'ancien et le nouveau régime 4.
En 1888, près de soixante-dix ans plus tard, M. Peytral,
ministre des finances, déposa, lui aussi, un projet analogue
reportant du ^^ janvier au l®*" juillet le commencement de
l'année financière.
« CL Stourm, loc. cit., p. 108.
» LÉON Say, Dictionnaire des finances, \» Budget. — L'Espagne y est
revenue depuis la loi du ^ novembre 1899.
s Cf. Stourm, loc. cit., pp. 100-112; Bougard et Jèze, 1. 1, pp. 76et suiv.
* Bougard et Jèze, 1. 1, p. 77; Stourm, pp. 100 et suiv.
( 308 )
Ce projet fut adopté par la Chambre le l^'^ juin 1888, par
287 voix contre 228, mais repoussé par le Sénat, de l'avis con-
forme de la commission, dont le rapporteur était M. Léon Say
(12 juin 1888) i.
Remarquons qu'en 1819, comme en 1888, le but de ces pro-
jets était moins d'assurer le vote du budget en temps utile que
de rapprocher l'époque de la préparation du budget de celle de
son exécution, a A ces deux époques, dit M. Stourm, les
mêmes causes, c'est-à-dire l'inexactitude et le défaut de sincé-
rité dans les évaluations primitives, provoquaient les mêmes
propositions de réforme 3. »
En outre, en 1888, pas plus qu'en 1819, on ne contestait
pas les grands avantages et les mérites de la réforme. Mais on
reprochait au projet Peytral : d'abord, de rompre l'unité de
date dans les budgets français.
En effet, ce projet ne concernait que le budget de l'Etat.
Pour les départements, communes, établissements publics,
colonies, l'ancien système était maintenu. De même, « les
contributions directes et taxes y assimilées continueraient
d'être établies et recouvrées à partir du l®"" janvier de chaque
année. Elles feraient l'objet d'une loi spéciale et leur produit,
déduction faite de la part revenant aux départements et aux
communes, serait attribué, par moitié, aux deux exercices
budgétaires qui se succèdent pendant l'année civile » (art. 7« 8>
15 du projet) 3.
On comprend bien, dès lors, l'opposition que rencontra le
projet, de la part de MM. Casimir-Périer et Roche à la
Chambre, et de la part de M. Léon Say au Sénat.
M. Peytral proposait d'instaurer un régime hybride et com-
plexe. Il n'osait aborder de front la diflSculté principale de la
* En 1898 (séance du 20 décembre), MM. Viviani, Millerand. . . ont
présenté une résolution invitant le gouvernement à proposer un nouveau
projet sur le même objet. (Sess. extraord., 1898. Annexe n» S63, p. 578.)
« Loc, cit., pp. 109-110.
' BoucARD et Jèze, 1. 1, pp. 79-80.
( 309 )
réforme et se contentait de la tourner, d'une manière peu heu-
reuse, dont le résultat eût été sans doute de compliquer sin-
gulièrement la comptabilité publique.
On alléguait encore « que la période de la nouvelle année
budgétaire serait inconciliable avec la campagne d'exécution de
la plupart des travaux publics. Quel emploi, par exemple, les
ingénieurs chargés de construire ou de réparer les routes, les
canaux, les voies ferrées, les ponts, les ports, etc., pourront-
ils faire des crédits mis à leur disposition le 1^ juillet seule-
ment? A cette époque de l'année, les marchés doivent avoir été
passés depuis longtemps, si Ton veut que les entreprises fonc-
tionnent avant que la mauvaise saison ait fermé les chantiers.
Commencer en juillet à traiter avec les entrepreneurs, c'est
risquer de ne pouvoir donner un seul coup de pioche. Avec
Tannée solaire, au contraire, les marchés préparés en hiver
entrent normalement en exécution dès les premiers jours du
printemps ^ ».
Cette objection aurait peut-être moins d'importance pour la
Belgique, puisque le budget extraordinaire, qui contient les
crédits affectés aux principaux travaux publics, n'est jamais
déposé et voté, dès maintenant, que vers le milieu de l'année.
Elle mérite toutefois un examen approfondi.
M. Stourm pense que c< la pratique se serait, sans aucun
doute, chargée de lever les difficultés soulevées sur le papier,
puisque le système fonctionne régulièrement à l'étranger 2 ».
Il reste partisan de la réforme. M. Paul Leroy-Beaulieu y
adhère également <^. Par contre, MM. Boucard et Jèze estiment
a qu'il semble bien que les inconvénients, pour la France,
dépassent de beaucoup les avantages. La meilleure solution
consisterait à réformer les habitudes parlementaires * ».
L'exemple des législations étrangères, et notamment celui
« Stourm, pp. 111-112.
* Ibidem,
s Sciences des finances, 6** édit., t. II, p. 23.
* Loc. cit., 1. 1, p. 82.
(810)
de l'Angleterre et de l'Italie, a peu de valeur à leurs yeux.
« Les conditions politiques ne sont pas les mêmes, qu'en
France. En Angleterre, existe le fonds consolidé et en Italie
les impôts directs sont affermés; de plus, en Angleterre et
en Italie les taxes locales sont distinctes des taxes de l'Etat.
Enfin, en Angleterre, le budget est voté au cours de l'exercice,
et l'Italie pratique le système du budget rectificatif... Enfin,
l'Espagne, qui avait adopté la date du 1®" juillet pour l'année
financière, vient de revenir à la date du l^' janvier (loi du
28 novembre 1899, art. !«••) i. »
La cause principale du retard dans le vote des budgets
réside, avons-nous dit, dans le rapprochement trop étroit de la
date de l'ouverture de l'exercice et de celle du dépôt des
budgets.
On peut y remédier en modifiant l'une ou l'autre.
Nous avons examiné le changement de la date d'ouverture
de l'exercice. Mais au lieu de retarder celle-ci et de la déplacer
soit au 1*' juillet, soit au i*"" avril, on pourrait la maintenir et
avancer la date de la présentation des budgets.
Si, par exemple, on fixait celle-ci au l®»^ octobre, au lieu du 31
et si le gouvernement convoquait les Chambres dès les premiers
jours d'octobre, ce qui lui est permis par l'article 70 de la
Constitution, les Chambres disposeraient de trois mois environ
pour l'étude et le vote des budgets. On peut espérer que ce
délai serait sufiisant, à condition d'accélérer le mode de
discussion et d'examen des budgets.
En résumé, un premier moyen de rendre le budget préalable
et d'éviter les crédits provisoires, serait de modifier les habi-
tudes parlementaires. M. Jacobs l'indiquait un jour à la
Chambre, en réponse à M. Graux ^ : « Maintenons, disait-il,
notre exercice financier tel qu'il existe aujourd'hui : il n'y a
aucun inconvénient à cela ; mais changeons nos habitudes :
soyons moins loquaces. Nous aurons alors nos budgets votés
* BoucARD et JÈZE, 1. 1, pp. 81-82.
2 Ch. des Représ., séance du 5 février 1891, Ann,parL, p. 344.
( 311 )
préalablement, sans rien changer à la délimitation de Texer-
cice. »
Nous ne pouvons partager cet optimisme. Ce premier moyen
nous paraît insuffisant.
Il doit, pensons-nous, être accompagné ou bien d'une avance
dans la date de présentation des budgets avec maintien de
l'ouverture d'exercice au l»"" janvier, ou bien du report de la
date d'ouverture au l*"" avril ou au !«■ juillet, avec déplacement
correspondant de la date du dépôt des budgets.
Mous ne nous dissimulons pas les difficultés de cette der-
nière réforme surtout, mais nous ne les croyons pas insur-
montables. Il conviendrait, nous paraît-il, d'étudier sérieuse-
ment la question, au point de vue de notre organisation
administrative d'abord, et aussi au point de vue des résultats
donnés par la réforme dans les pays voisins qui l'ont adoptée.
Cette étude n'a pas encore été faite d'une manière complète
dans notre pays. La question est cependant à Tordre du
jour depuis 1846. N'y aura-t-il donc personne qui entre-
prendra, sinon de la faire aboutir, du moins d'en provoquer
un examen approfondi. On pourrait peut-être charger de ce
soin une commission, à la fois parlementaire et administrative,
composée de membres nommés par le Parlement et par le
gouvernement.
D'une manière ou d'une autre, il faut changer l'état de choses
existant et rentrer dans la vérité constitutionnelle, en assurant
le vote préalable du budget.
CHAPITRE X.
Du refUs du budget.
Le droit que possèdent les représentants légaux du pays,
réunis en Parlement, de voter toutes les recettes et toutes les
dépenses de l'État, dont Tensemble constitue le budget, serait
incomplet et dénué même de toute signification pratique, s'il
(312 )
n*avait pour corollaire le droit de ne pas voter le budget, le
droit de refuser au gouvernement Tautorisation qui lui est
nécessaire pour effectuer les recettes et les dépenses pendant
un exercice déterminé.
Le refus du budget est donc la conséquence nécessaire du
droit de le voter. « On ne saurait concevoir, dit très justement
M. Stourni, le droit d'autoriser, sans sa contre-partie logique,
le droit de ne pas autoriser. L'un à défaut de l'autre perd toute
valeur, toute signification même ^. »
Mais il ajoute : « Aujourd'hui, d'ailleurs, le principe de la
souveraineté budgétaire étant universellement résolu en faveur
des représentants du pays, personne n'hésite plus à leur con-
céder corrélativement l'alternative de la sanction ou du refus
du budget. »
Nous ne pouvons souscrire à cette dernière appréciation de
l'éminent auteur, qui nous paraît exprimée en termes trop
généraux.
Le droit de refuser le budget est incontestable, croyons-nous,
au point de vue du droit constitutionnel belge, — comme
d'ailleurs au point de vue anglais et français, — parce qu'il
cadre complètement avec les théories fondamentales de notre
droit public et qu'il est la sanction dernière de la souveraineté
budgétaire du Parlement. 11 a été cependant et il est encore
actuellement vivement contesté et discuté par un groupe
notable de théoriciens du droit public, de l'école allemande ou
autrichienne.
A leur tête se trouve le professeur Laband, de l'Université
de Strasbourg, qui a répandu dans ses écrits une théorie par-
ticulière sur la nature de la loi du budget 2,. laquelle aboutit,
en définitive, à étouffer entre les mains du Parlement le droit
de voter le budget. M. Laband se place sur le terrain de l'inter-
prétation des articles de la Constitution impériale allemande
* Loc. ciL, p. 386.
« Cf notamment, Laband, Staatsrecht des deutschen Reiches, 3. Au-
fiage, Bd II, SS. 988...
( 313 )
relatifs au budget. II ne conteste pas que celle-ci exige la colla-
boration du Reichstag et du Bundesralh à l'édification du
budget. Hais il se demande a si une loi budgétaire périodique
constitue, dans l'esprit de la Constitution allemande, pour le
gouvernement une autorisation de faire les recettes et les
dépenses tellement indispensable et nécessaire que son absence
rende inconstitutionnelle et illégale toute continuation de la
gestion des affaires publiques?^ »
II suppose donc le cas où Reichstag et Bundesrath ne s'en-
tendraient pas et que de fait la loi budgétaire ne puisse arriver
à l'existence.
La Constitution est muette sur la procédure à suivre en
pareille hypothèse ; il faut donc la déterminer d'après les prin-
cipes généraux.
Or, s'il est vrai de dire que le gouvernement est déchargé de
toute responsabilité envers le Reichstag et le Bundesrath,
lorsqu'il exécute purement et simplement les prescriptions de
la loi budgétaire, il faut en conclure que, à défaut de cette loi,
le gouvernement a le droit dé continuer à administrer sous sa
propre responsabilité, quitte à présenter et à faire adopter sa
gestion après coup.
En d'autres termes, l'absence d'un budget régulièrement
voté n'entrave pas la marche normale des services publics. Le
gouvernement peut se passer de l'autorisation budgétaire du
Parlement, il peut, sous sa propre responsabilité, faire les
dépenses et les recettes qui sont nécessaires à l'accomplisse-
ment normal de la mission de TEmpire, mais le Reichstag
conserve le droit d'apprécier cette gestion extra-budgétaire, de
l'approuver ou de la désapprouver et, dans ce dernier cas, de
provoquer la mise en accusation du chancelier de l'Empire.
Telle est rapidement esquissée la théorie de M. Laband.
Pour en bien saisir la portée, il n'est pas sans intérêt de remar-
* Loc. cit., p.
(314)
qaer que son antear Fa développée pour la première fois ^ au
l^sdemain da bmeiix conflit budgétaire entre le gouvernement
prussien el la Chambre des députés (1862-1866), et qu'il s'est
bit en quelque sorte le théoricien de l'absolutisme prussien,
dans ses démêlés militaires avec les représentants du pays
légal.
Les théories de Féminent professeur de Strasbourg ont reçu
ainsi un grand retentissement. Elle ont trouvé des partisans
et des défenseurs convaincus S. Si elles ont conquis une réelle
faveur dans le monde scientifique, comme dans les milieux
gouvernementaux, leur caractère hardi et paradoxal parfois a
fait surgir d'autre part une sérieuse contradiction 3.
Nous renonçons à discuter les ai^uments invoqués de part
et d'autre. Cette discussion porte principalement sur l'inter-
prétation des dispositions de la Constitution impériale alle-
mande. Elle nous conduirait, de plus, à des recherches pure-
ment spéculatives sur la nature de la loi du budget, question
des plus importantes sans doute au point de vue de la théorie
du droit constitutionnel, mais qui nous paraît dépasser les
* Laband, Das Budgetgesetz nach den Bestimmungen der preussischen
Verfassung unter Berûcksicktigung der Verfassung des norddeutschen
Bundes. Berlin, 1871. — Elle a été reprise ensuite en divers écrits et
notamment dans les éditions successives du Staatsrecht des deutschen
Reiches, — Sur le conflit budgétaire prussien, consulter entre autres :
BoucARD et Jèze, 1. 1, pp. 175 et suiv.
* BoRNHAK, Preussisches Staatsrecht, Bd III, S. 596; von Rônne,
Staatsrecht der preussischen Monarchie, Bd I, S. 592 ; Seidler, Budget
und Budgetrecht im Staatshaitshatte der constitution nellen Monarchie,,.
Wien, 1885, SS. 184...
= ZoRN, Staatsrecht des deutschen Reiciies, 1883; Haenel, Studien zum
deutschen Staatsrechte, Bd II, Leipzig, 1888; Freiherr von Huene, Staats-
lexikon der Gôrresgesellschaft (i, Aufl.), V© Staatshaushalt (Kap. VII).
Pour l'exposé de la discussion et des différentes opinions :
Cf. D' Adolf Ott, Das Budgetrecht des deutschen Reichstages, Frank-
furter zeitgemâsse Broschûren, Bd XXI, Heft 4. Hamm i/W, Breer &
Thiemann, Januar 1902. — Boucard et Jèze, 1. 1, pp. 170 et suiv.
( 315 )
limites tracées à cette étude, qui se propose avant tout l'exposé
du régime budgétaire belge, tel qu'il existe et tel qu'il est pra-
tiqué.
Or, nous le répétons, la Constitution belge, ainsi que les
lois et arrêtés sur la comptabilité publique consacrent et orga-
nisent de la manière la plus formelle la souveraineté budgé-
taire du Parlement. Il n'est pas admissible qu'au sortir du
régime hollandais, qui exagérait jusqu'à l'abus l'autorité gou-
vernementale en matière financière, les Constituants aient
entendu enlever à l'intervention budgétaire du Parlement belge
qu'ils organisaient d'une manière si complète, sa seule sanction
réelle, en lui déniant le droit de refuser le budget. Le droit de
voter le budget, s'il n'est pas une vaine formalité, implique
donc nécessairement, non seulement le droit de le refuser,
mais aussi l'impossibilité pour le gouvernement de continuer
la gestion des affaires sans autorisation budgétaire régulière.
Cette théorie est bien celle de notre droit constitutionnel;
aucun commentateur belge, à notre connaissance, n'a songé à
la contester. Dans le seul conflit budgétaire que mentionne,
croyons-nous, l'histoire parlementaire belge, — le refus du
budget de la justice, au Sénat, par parité de voix, le 24 fé-
vrier 1869, — personne n'a dénié au Parlement le droit de
refuser le budget. Les orateurs du gouvernement se sont con-
tentés de soutenir, à tort selon nous, que les droits du Sénat
ne pouvaient aller jusqu'à refuser sa confiance à un ministère,
soutenu d'ailleurs par la Chambre. « Ce n'est pas, disait
M. Frère- Orban au Sénat ^, parce que vous avez le pouvoir de
rejeter le budget que vous avez raison de le rejeter... A mon
avis, vous n'avez pas usé de votre droit dans l'esprit de la
Constitution... Je dis que le rôle du Sénat doit aller jusqu'à
admettre qu'un ministère investi de la confiance de la majorité
de la Chambre des Représentants puisse gouverner sans avoir
la majorité du Sénat. »
* Sénat, séance du 10 mars
( 316)
Certes, les conséquences qu'entraînerait pour un pays le
refus du budget sont incalculables, ce Refuser le budget, a-t-on
dit, c'est la révolution », c'est consacrer l'anarchie, c'est
arrêter subitement toute la vie politique et économique.
« Refuser le budget! On a peine, dit H. Stourm, à concevoir
les conséquences d'une telle éventualité. Si l'année s'ouvre sans
que le budget ait été voté, les rentiers ne touchent plus leurs
rentes ni les pensionnaires leurs pensions; les fournisseurs
frappent en vain aux guichets du Trésor, les fonctionnaires ne
reçoivent pas leur salaire; les écoles sont fermées; l'armée est
privée de sa solde, de son entretien même ; en un mot, tous
les tributaires de l'État, c'est-à-dire à peu près tout le monde
aujourd'hui, se trouvent atteints ; la vie du pays s'arrête.
» Les impôts, d'un autre côté, cessent de devenir exigibles,
et Finterruption subite des perceptions non seulement appau-
vrit le Trésor pendant sa durée, mais prolonge ses effets bien
au delà ; car les frontières n'étant plus gardées, les portes des
villes étant abandonnées, les entrepôts dépourvus de surveil-
lants, immédiatement les importateurs, marchands en gros,
voituriers, cabaretiers, etc., détenteurs de produits taxés, en
profitent pour inonder le pays de tabacs, de cafés, de sucre,
de boissons, etc., en franchise des droits. L'immense main-
mise administrative qui s'appesantissait sur la matière impo-
sable laisse échapper sa proie. La fraude, en un instant, com-
promet pour longtemps les revenus de l'Etat i. »
Malgré tous ces dangers, il faut cependant afSrmer ce droit
avec toutes les conséquences qui en découlent logiquement.
Mais il convient aussi de reconnaître que son exercice ne se
conçoit presque pas. Le droit de refus du budget est surtout
une arme préventive ; il est comme une épée de Damoclès per-
pétuellement suspendue ^ur la tête du gouvernement, pour
lui rappeler les prérogatives du Parlement et la nécessité de
gouverner d'accord avec lui.
* Loc. cit., pp. 383-384.
(317)
Le Parlement, de son côté, ne peut en trancher le fil qu'à
la toute dernière extrémité, après avoir épuisé toute la série
des concessions et des ménagements possibles.
Le refus du budget est entre ses mains un droit quelque
peu analogue au droit de grève des ouvriers organisés. L'exer-
cice irréfléchi de ce dernier aboutit fatalement à'semer le
désordre et la ruine dans le monde industriel.
L'exercice du refus du budget serait plus funeste encore, au
point qu'on ne le conçoit même pas, et de fait, l'histoire
parlementaire en tous pays n'en mentionne que de très rares
exemples.
Nous pouvons donc conclure avec H. Stourm ^ : « Si le
refus du budget, examiné théoriquement, apparaît comme un
acte régulier, conforme à l'esprit et au texte des constitutions
des pays parlementaires, il faut reconnaître que, dans la
pratique, l'exercice de cet acte devient à peu près invrai-
semblable. »
* Loc. cit., p. 386.
TROISIÈME PARTIE
L'EXÉCUTION DU BUDGET. — THÉORIE
DE LA COMPTABILITÉ PUBLIQUE
sommaire: :
Chapitre L — Notions préliminaires.
§ 1. — Généralités.
§ 2. — Définition de l'exercice. — La gestion et Texercice.
§ 3. — L'unité d'exécution du budget. — Le ministre des finances.
§ 4. — Définition de l'ordonnateur et du comptable. — Incompati-
bilité entre ces deux natures de fonctions.
Chapitre IL — Le service des recettes.
§ 4. — Comptables chargés de la perception et du service des recettes.
§ 2. — Dépenses acquittées directement par les comptables des
différentes administrations (articles 46, 47 et 135 à 143,
de l'arrêté de 4868).
§ 3. — Règles générales concernant les receveurs et comptables ;de
l'État.
Chapitre IIL — La Banque nationale de Belgique, caissier de l'État.
Chapitre IV. — L'exécution des dépenses.
§ 1. — L'engagement de la dépense.
§ 2. — La liquidation et l'ordonnancement. — Livres de contrôle. —
États de situation. — Les diverses catégories de dépenses.
§ 3. — Le paiement de la dépense. — Déchéances, [prescriptions,
saisies-arrêts, oppositions.
Chapitre \. — La clôture de l* exercice.
( 319. )
CHAPITRE I.
Notions préliminaires.
§1. — Généralités.
Le budget voté par les Chambres est remis au Pouvoir
exécutif qui est seul chargé de son exécution.
Exécuter le budget, c'est, d'une part, opérer les recettes,
dont la perception est autorisée par le budget des voies et
moyens ^ et, d'autre part, effectuer les dépenses dans la limite
des crédits mis à la disposition du gouvernement par les diffé-
rents budgets de dépenses 2.
L'innombrable série des opérations que suppose l'exécution
du budget est soumise à un ensemble de règles, destinées à
en assurer la sincérité et la conformité avec la loi budgétaire.
Ces règles sont contenues principalement dans la loi du
15 mai 1846, organique de la comptabilité de l'État, et dans
l'arréié royal du 10 décembre 1868, portant règlement général
sur la comptabilité de l'État.
De 1830 à 1846, nos fmances avaient continué à être régies
par le règlement de l'administration des finances du S4 octo-
bre 1824. Ce règlement, de l'époque hollandaise, s'inspirait de
principes constitutionnels différents de ceux proclamés en
1831, et ses dispositions entravaient le contrôle judiciaire de
la Cour des Comptes sur les recettes et le règlement des cré-
dits par la représentation nationale.
(1 en résultait de nombreux inconvénients pratiques, qui
avaient fait reconnaître bientôt l'urgence d'une réorganisation
du régime de la comptabilité publique 3. Elle n'aboutit cepen-
dant qu'en 1846.
* Cf. article 3, loi du 15 mai 1846.
2 Cf. article 15, —
5 CL Rapport de M. de Man d*Attenrode, au nom de la section centrale,
sur le projet de loi concernant la comptabilité de TÉtat. (Ch. des Repr.,
sess. de 1844-1845, Doc, parL, no 160.)
(380)
La loi de 1846 elle-même emprunta ses principales dispo-
sitions au règlement général sur la comptabilité de France,
approuvé par ordonnance du Roi du 31 mai 1838. Cette loi
fixe l'ensemble des règles qui régissent le maniement des
deniers publics, qui établissent les obligations des comptables,
les devoirs des ordonnateurs et le mode suivant lequel ils ont
à justifier de leurs opérations ^
En vertu de l'article 60 de la loi de 1846, le gouvernement
devait publier un règlement général organique de la compta-
bilité, dès que toutes les dispositions de la loi seraient mises
à exécution.
Un premier règlement fut publié, en conséquence, par un
arrêté royal du IS novembre 1849. Il fut abrogé dans la suite
et remplacé par celui du 10 décembre 1868, qui est actuelle-
ment en vigueur et s'est inspiré fréquemment des prescrip-
tions du règlement français, établi par décret du 31 mai 1862.
C'est donc dans la loi du 15 mai 1846 et dans le règlement
du 10 décembre 1868 que sont énoncés et développés les prin-
cipes directeurs qui constituent la théorie de la comptabilité
publique.
Notre but n'est pas de faire ici un commentaire détaillé de
ce code de notre comptabilité publique et encore moins d'en-
treprendre un traité général sur la matière. Nous nous pro-
posons simplement d'en exposer la théorie, c'est-à-dire les
r^les essentielles.
^ Britz, Loi organique de la Cour des comptes du S9 octobre 4846,
commentée et expliquée. Bruxelles, Devroye, 1847, pp. 5-6. — Indication
des différents travaux parlementaires relatifs à la loi du 15 mai 1846 :
Présentation du projet à la Chambre, par le ministre des finances, le
16 janvier 1844, Doc. pari., n<> 148. — Rapport, au nom de la section
centrale, par M. de Man d'Attenrode, séance du 7 février 1845, Doc. parL,
no 160. — Discussion à la Chambre : 26 et 27 février, 2, 3, 4, S, 6
et 11 mars 1846. — Rapport de la Conunission du Sénat : séance du
8 mai 1846, Doc. parL, n» 132. — Discussion au Sénat, 13 mai 1846. —
L'ensemble de ces documents et discussions a été publié en un recueil
spécial, à Bruxelles, chez Stapleaux, en 1847.
( 321
§ 2. -- Définition de l'exergigb. — La gestion
ET l'eubrgige.
L'exercice n'est autre chose que la période pendant laquelle
le budget doit s'exécuter. Cependant, pour bien comprendre
la valeur précise de ce terme de comptabilité, il est nécessaire
d*entreir dans quelques explications.
Ainsi que nous l'avons dit, l'année financière se confond, en
Belgique, avec l'année civile et s'étend, par conséquent,
du l*"" janvier au 31 décembre.
Comme le budget est voté pour une année, il devrait rigou-
reusement s'exécuter endéans ce délai, au terme duquel toutes
les opérations de recette et de dépense, qu'il autorise, devraient
être terminées. Mais cela n'est pas possible, certaines opéra-
tions se continuent fatalement au delà du 31 décembre, et
pour les rattacher au budget dont elles font partie, il a fallu
recourir à un procédé de comptabilité, qui consiste à pro-
longer l'année financière d'une période complémentaire plus
ou moins longue.
C'est cette période de prolongement qui, ajoutée à l'année
financière, constitue, à proprement parler, l'exercice.
ce Lorsqu'un particulier, dit M. Stourm, assigne sur les
revenus de son budget courant la dépense devenue nécessaire
de réparation ou de renouvellement de son mobilier, et qu'il
fait, dans ce but, des commandes à son tapissier, à son ébé-
niste, etc., ces fournisseurs n'exécutent pas toujours leurs
commandes à l'époque convenue : cela se voit constamment.
En outre, les notes tardent à venir, le client, d'ailleurs peu
pressé de les recevoir, consacre encore un certain temps à
les vérifier. Bref, sept ou huit mois se passent avant que
lesdits mémoires soient définitivement arrêtés, réglés et soldés.
Malgré ces délais, l'imputation budgétaire primitivement déter-
minée ne se trouve pas modifiée : la dépense sera toujours
régulièrement prélevée sur les revenus de l'année pendant
Tome LXVI. 21
( 322 )
laquelle la commande et la plus grande partie des livraisons
auront été effectuées.
» Deux idées ressorlent de l'exemple que vient de nous
fournir notre comptabilité ménagère : la première, c'est que
les travaux engagés dans le cours d'une année se rattachent
à cette année, bien qu'un certain délai pour leur complet
achèvement ait été nécessaire; la seconde, c'est que les nou-
veaux délais qu'exigeront la liquidation et le paiement des
notes ne sont pas non plus de nature à modifier l'imputation
primitive.
» Ces observations s'appliquent à l'État aussi bien qu'aux
particuliers.
» L'État, en effet, une fois Tannée terminée, se trouve éga-
lement obligé d*attendre avant d'arrêter définitivement ses
comptes, d'abord, que certains travaux commencés soient
achevés, ensuite, que le prix des travaux effectués soit liquidé
et payé. Alors, la période qui comprend, en plus de l'année
primitive elle-même, l'attente complémentaire précitée se
nomme l'exercice... D'une manière générale, le mot exercice
signifie un prolongement de l'année primitive employé à
rassembler les résultats définitifs et complets de cette
année i. »
Et M. Léon Say disait de même : « Par le mot exercice, on
veut dire purement et simplement que, pour gérer et liquider
les affaires de douze mois, on a besoin d'une période de temps
plus longue que ces douze mois. L'exercice n'a pas d'autre
objet 2. »
L'année financière se distingue donc nettement de l'exer-
cice. La première coïncide avec l'année civile et va du l*"" jan-
vier au 31 décembre; tandis que l'exercice financier se consti-
tue de l'année financière augmentée de certains délais
complémentaires 3.
* Stourm, loc, cit., pp. 116-117.
* Sénat, séance du 9 novembre 1887, cité par M. Stourm.
^ Cf. BoucARD et JèzE) 1. 1, p. 480.
( 323 )
Ces délais complémentaires sont plus ou moins longs, selon
la législation particulière des pays qui adoptent la compta-
bilité par exenâce ^.
Sous le régime hollandais et jusqu'en 1846, l'exercice restait
ouvert en Belgique pendant trois ans. Les délais complémen-
taires étaient donc de deux ans. Période trop longue, qui
entraînait à des abus incompatibles avec un bon régime de
comptabilité.
(€ Cet usage, disait le rapporteur de la section centrale sur
le projet de loi de comptabilité, a le grave inconvénient de
laisser à la disposition des chefs d'administration les alloca-
tions de trois budgets, sur lesqgels ils peuvent disposer
simultanément, puisque tant que la clôture n'en est pas pro-
noncée, on peut épuiser tout ce qui reste libre sur les crédits,
circonstance qui pousse à des dépenses souvent peu utiles,
par la facilité qu'elle offre d'y faire face.
» Ce mode est d'ailleurs contraire au principe du vote
annuel du budget, qui veut que toutes les dépenses d'une
année portent exclusivement sur les allocations consenties
dans le budget de la même année, sans qu'il puisse y avoir de
transferts, qu'en vertu d'une loi; de plus, il ajourne trop
l'époque où la loi du règlement des crédits peut être discutée,
puisqu'il porte sur des actes déjà anciens et dus à des hommes
qui souvent ont quitté le pouvoir.
y> Malgré cette longue période, il s'est fait souvent des
recettes et des dépenses sur des exercices clos, ce qui tend à
rendre les comptes indéchiffrables 2. »
11 n'est donc pas de bonne comptabilité de prolonger outre
mesure la durée de l'exercice.
i £n France, la loi du 25 janvier 1889 a fixé des délais variables selon
la nature des opérations ; ils ne se prolongent pas au delà du 31 juillet .
(Cf. Stourm, p. 532.)
En Prusse, rexercice est clos deux mois et demi après la fin de Tannée
financière, donc le 15 juin. ^ ^ ' '
« Ch. des Représ., sess. de 1844-1845, Doc. pari., n» 160.
( 324 )
Aussi, le projet de loi sur la comptabilité de TÈtatrëdui-
sait-il la période complémentaire de deux ans à douze mois
(art. 3 du projet).
La section centrale, sMnspirant des prescriptions de la
comptabilité française en vigueur à cette époque, proposa la
réduction à dix mois. « Ce système, disait-elle, tend à bâter la
marche des services, à accélérer la reconnaissance et l'acquit-
tement des droits, à faire rentrer les fonds disponibles, à faci-
liter la formation des comptes, sans nuire ni aux recettes de
l'État ni à ses créanciers, car les restants à recevoir et à payer
sont renvoyés à l'exercice suivant ^. »
Le gouvernement adopta la limite proposée. Elle fut votée
par les Chambres et inscrite à l'article 2 de la loi da
15 mai 1846.
Cet article 2 est libellé comme il suit :
a L'exercice commence le l^'' janvier et finit le 31 décembre
de la même année '^. Toutefois, les opérations relatives aa
recouvrement des produits, à la liquidation et à l'ordonnan-
cement des dépenses, pourront se prolonger jusqu'au 31 octo-
bre de l'année suivante. »
D'après ce texte, l'exercice est donc de vingt-deux mois.
Il reste ouvert pendant ce laps de temps et il est permis de
faire des imputations sur un budget depuis le l®** janvier de
l'année qui donne son nom à l'exercice jusqu'au 31 octobre
de l'année suivante.
Il est permis, par exemple, de faire des imputations sur le
budget de 1902 depuis le i"^ janvier 1902 jusqu'au 3i octo-
bre 1903.
L'article 2 dispose encore dans son -alinéa l'^" :
« Sont seuls considérés comme appartenant à un exercice
les services faits et les droits acquis à l'État et à ses créanciers
* Ibidem.
^ On remarquera que le texte légal ne fait pas la distinction eatre
Tannée financière et Texercice^
( 325:)
pendant i année qui donne sa dénomination à Texercice ^« »
Par conséquent, sont seuls considérés comme appartenant
à l'exercice 1902, les services faits (dépenses) et les droits
acquis à TÉtat et à ses créanciers pendant l'année 1902.
Il peut y avoir des doutes, dans de nombreux cas, sur
l'exercice d'imputation, quMl convient d'assigner à. certaines
dépenses ou à certaines recettes.
Les articles 3 et 4 du règlement de 1868 établissent une
série de règles à cet égard.
L'article 3 concerne l'exercice d'imputations des droits à
recouvrer; l'article 4 détermine l'exercice d'imputation des
dépenses.
De l'exercice, il convient de distinguer la gestion. L'ar-
ticle 11 de Tarrélé de 1868 en donne la définition suivante :
« La .gestion comprend tous les faits matériellement accomplis
en recette et en dépense, depuis le 1*' janvier jusqu'au
31 décembre de là même année, à quelque service public ou
particulier qu'ils se rapportent. Elle comprend, en outre, le
solde de la gestion précédente ».
Les comptes de gestion diffèrent donc des comptes d'exer-
cice. Ceux-ci se composent d'une période de douze mois, plus
un prolongement plus ou moins étendu, qui est de dix mois en
Belgique. « Pour les comptes de gestion, il n'est plus question
de prolongement, d'attente ni de délais complémentaires.
La gestion commence et finit à date fixe. Elle enregistre stric-
tement les opérations matérielles effectuées d'un jour à un
autre jour donné, sans autre objectif que l'établissement d'une
situation de caisse. Tandis que les comptes d'exercice consti-
tuent des comptes moraux, les comptes par gestion n'ont
* Texte emprunté à rordonnance française de M. de Villèle du
14 septembre 1822 (art. 152) et reproduit dans Tartiele 6 du décret
impérial du 31 mai 1862.
L'article l«'de la loi française du 25 janvier 4889 a reproduit la même
prescription en ces termes : •« Les droits acquis et les services faits du
ie' janvier au 31 décembre de l'année qui donne son nom à un budget
sont seuls considérés comme appartenant à l'exercice de ce budget ».
( 326 )
l'ambition d*élre que des comptes matériels, des comptes de
caisse ^. x>
La comptabilité par gestion est celle de tous les commer-
çants, industriels, banquiers, etc. Elle est aussi celle de
certains États : l'Angleterre, les États-Unis d'Amérique, l'Italie.
L'exercice y est inconnu et tous les comptes publics y sont
arrêtés en même temps que les comptes de caisse 2.
En Belgique, au contraire, de même qu'en France et en
Prusse, on a recours à la comptabilité par exercice 3, mais
non d'une manière exclusive. Seuls, les ordonnateurs comptent
par exercice, tous les comptables de l'État établissent et rendent
leurs comptes par gestion, en vertu de l'article 10 de l'arrêté
de 1868 : la comptabilité e»t tenue par gestion^ avec distinction
des exercices *.
§ 3. — L'unité d'exécution du budget. —
Le ministre des finances.
C'est au Pouvoir exécutif, avons nous dit, qu'appartient
l'exécution du budget. Il serait plus exact de préciser cette
formule et de dire que cette exécution et toutes les opérations
qu'elle suppose: recettes, dépensas, service de trésorerie, etc.,
dépend en ordre principal du ministre des finances.
C'est du ministre des finances que partent tous les ordres;
c'est lui qui donne l'impulsion à tous les rouages adminis-
tratifs qui interviennent dans l'exécution du budget; c'est au
ministère des finances qu'aboutit et se centralise toute la
cpmptabilité publique.
Ainsi se réalise pleinement l'unité de direction, indispen-*
» Stourm, toc. cit., p. 120.
« Cf. BoucARD et Jèze, 1. 1, p. 481.
^ Sur les mérites et les inconvénients respectifs de la comptabilité par
exercice et de la comptabilité par gestion ; Cf. Stourm, pp. 123-141;
BouGARD et Jëze, 1. 1, pp. (>4-73.
* Cf. aussi les articles 180, 181 de l'arrêté de 1868.
(327 )
sable à une bonne administration financière, parce qu'elle
concentre les responsabilités sur une seule tête au lieu de les
disséminer.
Un ancien ministre des finances français, qui assuma, à une
époque troublée, la lourde tâche de restaurer et de diriger les
finances de son pays et dont le nom restera synonyme de
science, d'expérience et d'intégrité, M. Léon Say, a iracé d'une
plume autorisée ce portrait-type du ministre des finances en
tous pays * :
« Le ministre des finances a des attributions de deux
natures : les unes, d'ordre supérieur, par lesquelles il domine
tous les ministres, les autres, d'ordre spécial, par lesquelles il
leur ressemble.
» 11 est le ministre du trésor, de la caisse, du contrôle des
recettes et des dépenses, du mouvement des fonds, du crédit
public et de l'équilibre budgétaire. Il est en même temps
l'administrateur des biens de la nation et préside au recouvre-
ment des impôts. Ce sont là deux natures d'attributions si
différentes et si faciles à distinguer l'une de l'autre, qu'à cer-
taines époques de notre histoire, et dans d'autres pays, elles
ont été ou sont exercées par deux ministres différents. Le pre-
mier s'appelle minvitre du trésor , et l'autre jninistre des finances.
« Aujourd'hui, dans notre organisation française, il n'y a
pas* de ministre du trésor; c'est le même ministre qui réunit
toutes les attributions.
» Il s'appelle le ministre des finances. 11 est d'une manière
générale préposé à la gestion des finances de l'État et, sous le
contrôle du Parlement, il en réunit les ressources. Ces res-
sources, il les emploie d'abord à celles des dépenses publiques
qui ressortissent à son ministère et ensuite en bloc à toutes les
autres dépenses, dont il fournit les fonds aux autres ministres,
ses collègues.
* Cf. Léon Say, Les Finances, pp. 3-5. — Dans la collection de La
Vie nationale. (Bibliothèque de la politique et de la science sociale , diri-
gée par MM. Charles Benoist et André Liesse. Paris, Léon Chailley, 1896.)
( 328 )
» 11 est ou doit être le véritable contrôleur général des
dépenses de la nation et rintendant de sa fortune.
» Comme contrôleur général des dépenses de l'État, il pré-
pare le budget, dépose sur le bureau du Parlement un exposé
écrit de la situation financière et le fait suivre d*un projet de
loi destiné à devenir la loi de finance.
» Quand le projet de loi portant approbation du budget de
l'exercice qui va s'ouvrir a été adopté par les deux Chambres
et qu'il est devenu la loi de finance de l'État, c'est Je ministre
des finances qui a la charge de l'exécuter, qui en tient les
comptes, qui organise les moyens de contrôler les résultats de
toutes les opérations en recettes et en dépenses et qui, après
que les résultats définitifs ont été contrôlés, les réunit en un
projet de loi qui, après avoir été voté par le Parlement, devient
la loi des comptes.
» £n vertu du principe de l'unité de caisse, c'est le ministre
des finances qui encaisse toutes les recettes et qui paie toutes
les dépenses de l'État. Il le fait par son caissier payeur central
à Paris, ses trésoriers payeurs généraux et ses autres agents
comptables dans les départements.
» Il est l'ordonnateur des dépenses de son propre ministère
et préside à la distribution des fonds mis à la disposition des
autres ministres, comme s'il était l'ordonnateur en chef, les
autres ministres étant réduits à n'être que des ordonnateurs
secondaires dépendant de lui et ne pouvant exercer que sous
sa surveillance, leur droit d'ordonnancer leurs propres
dépenses. »
Les lois et règlements de la comptabilité publique en Bel-
gique ont compris, de la manière indiquée par L. Say, la place
éminente que le ministre des finances est appelé à occuper
dans l'exécution du budget, en vue d'en assurer l'unité.
Ils lui reconnaissent les attributions les plus étendues, qui
pourraient sufiir, semble-t-il, à absorber toute l'activité d'un
homme.
Néanmoins, tandis que, en d'autres pays, il a paru utile de
faire deux parts de ces attributions et d'en investir deux per-
( 329 )
sonnes distinctes : le ministre du trésor et le ministre des
finances ^, en Belgique, on ne se contente pas de les réunir
dans le chef d'un même titulaire. Une distribution récente des
départements ministériels a rattaché au département des
finances celui des travaux publics.
A envisager cette institution du ministère des finances et des
travaux publics en elle-même, abstraction faite de toute consi-
dération de personne, l'innovation ne nous semble pas heu-
reuse. Il paraît difficile, en théorie, qu'un seul chef, quels que
soient d'ailleurs son talent et ses capacités, puisse mener de
front, avec une égale compétence et une égale sollicitude, des
services aussi complexes et aussi divers.
A un autre point de vue, il peut être délicat aussi de laisser
à une même main la disposition du trésor public et la direction
d'un département aussi exigeant en fait de dépenses.
Quoi qu'il en soit, le ministre des finances dirige donc tout
d'abord le service des recettes.
La perception des deniers de l'État ne peut être efi*ectuée
que par un comptable du trésor, et aucune manutention de ces
deniers ne peut être exercée que par un agent placé sous les
ordres du ministre des finances, nommé par lui ou sur sa
présentation, responsable envers lui de sa gestion et justiciable
de la Cour des Comptes (art. 6 et 7 de la loi de 1846).
Tous les revenus publics sont versés par les comptables dans
une caisse unique, qui les centralise tous (art. 24, arr. de 1868)
et qui fournira aussi les fonds nécessaires au paiement des
dépenses publiques.
Le service de cette caisse unique est confié à la Banque
Nationale de Belgique, en vertu de conventions et à des condi-
tions que nous détaillerons plus loin.
En sa qualité de caissier de l'État, la Banque Nationale est
comptable du trésor. Elle est soumise, à ce titre, à toutes les
obligations des comptables.
Les opérations du caissier de l'Etat, relatives soit à la centra-
* Par exemple, en Italie.
( 330 )
lisation des revenus, soit au paiement des dépenses, sont donc
contrôlées par le ministre des finances et ses agents, parmi
lesquels figure en première ligne l'agent du trésor ^.
Le service des dépenses dépend, lui aussi, du ministre des
finances. Les ordonnances de paiement émanées des cheb des
difi^érents départements ministériels sont visées par lui (art 108,
arr. de 1868). Il n'autorise le paiement d'une ordonnance que
lorsqu'elle porte sur un crédit ouvert par la loi, et aucune
sortie de fonds ne peut se faire sans son concours (art* 17, loi
de 1846).
Le ministre des finances est investi de la sorte d*une véri-
table suprématie sur ses collègues.
Le service des recettes et celui des dépenses sont donc placés
complètement sous ses ordres, il en est de même du service de
trésorerie, qui consiste essentiellement dans Taménagement
des recettes aux dépenses 3.
Nous avons déjà dit qu'à ce point de vue, le ministre des
finances dirige le trésor ou la caisse de l'État. C'est à lui aussi
de veiller à la présence de fonds sufiisants pour satisfaire, à
tout moment, à toutes les exigences du paiement des dépenses.
Car, il peut se faire que « la rentrée des recettes publiques
ne coïncide pas toujours soit quant au temps, soit quant aux
sommes avec les sorties de fonds nécessitées par le paiement
des dépenses ^ ».
Les ministres des finances ont alors recours à des moyens
de trésorerie, c'est-à-dire principalement à l'emprunt à court
terme, sous diverses formes 4.
En Belgique, le ministre des finances émet, afin de faire face
à des nécessités urgentes, des bons du trésor ^.
« Cf. infra, chapitre III.
2 Cf. BoucARD et Jèze, t. II, p. 1158.
3 Ibid., t. II, p. 1218.
* Cf. ibid., t. II, pp. 1218 et suiv.
3 Les bons du trésor sont a des effets à ordre ou au porteur, à échéance
fixe et portant intérêt, que le Ministre des finances est autorisé à créer
(331 )
Enfin, le contrôle des receltes et des dépenses et les diffé-
rents éléments de la comptabilité publique sont, eux aussi,
centralisés au ministère des finances.
Toute entrée de fonds dans les caisses publiques, quel que
soit le service auquel ils appartiennent, a lieu pour compte du
département des finances, qui en centralise le montant dans
les livres de la comptabilité de la trésorerie générale (art. 5,
loi de 1846; art. 178 et suiv., arr. de 1868). Il en est de même
de la comptabilité des dépenses. Le ministre des finances est en
rapports constants, à cet effet, avec les différents départements
ministériels, la Cour des Comptes, le caissier de TÉtat et les
agents du trésor.
Une administration spéciale, dépendante du ministère des
finances, Vadministration de la trésorerie et de la dette publiqtte
pour procurer des ressources urgentes à la trésorerie. » (Pand. belges,
V® Bons du trésor, n» 1.)
Ils sont émis généralement pour payer les dépenses ordinaires avant
que les recettes ordinaires soient effectuées, ou bien aussi pour couvrir
provisoirement les dépenses extraordinaires et surtout celles résultant
de grands travaux publics, en attendant la réalisation d'un emprunt
d'État, ilbid., n»» 3, 4, 5.) Il n'y a pas de législation organique sur les
bons du trésor. Chaque émission fait l'objet d'une disposition de loi
et d'arrêtés d'exécution qui en précisent les règles. (Ibid., no 2.)
Cependant, la loi du 27 avril 1883, article 3, a donné au gouvernement,
afin de pourvoir au service du trésor, une autorisation permanente « de
créer, renouveler ou maintenir en circulation des bons du trésor portant
intérêt et payables à une échéance qui ne dépasse pas cinq ans. Les bons
du trésor en circulation ne pourront excéder 15 millions de francs ».
(Cf. les travaux préparatoires de cette loi et notamment le rapport de la
section centrale.)
Les bons du trésor sont négociés en bloc à des établissements finan-
ciers, bien qu'en principe ils puissent se négocier à des particuliers.
(Pand. belges, ibid., n» 26.)
La Banque Nationale escompte les bons à concurrence de 20 millions
de francs. (Cf. articles 22 et 23 des nouveaux statuts de la Banque
Nationale du 5 mai 1900, approuvés par arrêté royal du 16 mai.)
Chaque émission est soumise au visa préalable de la Cour des Comptes.
(Cf. Pand. belges, v» Bons du trésor, t. XIII, pp. 1258 et suiv., v» Dette
flottante, t. XXX, p. 899.)
( 33-2 ) .
est chargée de tous les services que comporte rexécution du
budget. Les cadres du personnel de cette administration ont
été établis par un arrêté royal du 30 mai 1871. (Moniteur du
18 juin.)
Telle est la place éminente qu'occupe le ministre des finances
dans l'exécution du budget. Nous l'avons signalée dans une
vue d'ensemble, nous réservant d'y revenir dans l'étude plus
détaillée qui va suivre.
§ 4. — Définition de l'ordonnateur et du comptable. —
Incompatibilité entre ces deux natures de fonctions.
Notre code de comptabilité ne définit pas formellement
l'ordonnateur, mais ses fonctions sont précisées et organisées
par de nombreux articles des lois et règlements.
L'ordonnateur est celui qui a mission d'engager la dépense
publique, de la liquider, c'est-à-dire de la constater et d'en
fixer la quotité, de l'ordonnancer, c'est-à-dire d'en assigner le
paiement sur le crédit alloué par la loi budgétaire et de donner
Tordre de payer.
L'ordonnateur est donc celui qui dirige la recette et son
emploi. Ces fonctions sont exercées par les ministres, en leur
qualité de chefs des administrations publiques, soit directe-
ment, auquel cas ils portent le nom d'ordonnateurs primaires,
soit par voie de délégation à certains fonctionnaires, qui agis-
sent alors à titre d'ordonnateurs secondaires.
Par opposition à l'ordonnateur, qui dirige et contrôle, ce
qui caractérise essentiellement le comptable c'est le maniement
réel des deniers publics. Le comptable est « celui qui, soit en
recevant les deniers publics, soit en en faisant emploi, manie
réellement ces deniers et qui, à ce titre, est soumis à la juridic-
tion de la Cour des Comptes ^ )>.
Le comptable est à la fois un mandataire et un agent de
l'administration et, sous ce rapport, il est soumis à des règles
1 Laurent, Droit civil, t. XXX, n« 421.
( .333 )
spéciales établies surtout en vue de prévenir les malversa-
tions ^.
L'article 7 de la loi de 1846, que nous avons déjà cité, déter-
mine la situation de l'agent comptable, en disant : « Aucune
manutention de deniers publics ne peut être exercée, aucune
caisse publique ne peut être gérée que par un agent placé sous
les ordres du ministre des finances, nommé par lui ou sur sa
présentation, responsable envers lui de sa gestion et justiciable
de la Cour des Comptes ».
Ce même article ajoute : « Sauf les exceptions établies par
la loi, tout agent chargé d'un maniement de deniers apparte-
nant au trésor public est constitué comptable, par le seul fait
de la remise desdits fonds sur sa quittance ou son récé-
pissé ».
Nous aurons à revenir bientôt sur le détail des règles qui
concernent les comptables publics.
Pour le moment, il nous faut insister sur un principe fon-
damental qui se trouve à la base de notre comptabilité publique
et que ce même article 7, alinéa 1 formule en ces termes : ks
fonctions dCordonnateur et d'administrateur sont incompatibles
avec celles de comptable.
Cette règle est textuellement empruntée à l'ordonnance de
M. de Villèle du 14 septembre 1822. Elle a été conservée dans
l'organisation française actuelle ^ et se retrouve dans les codes
de l'Angleterre, de l'Italie, etc.... Cette règle est, en effet, insé-
parable d'un régime de comptabilité bien ordonné.
MM. Boucard et Jèze ont très nettement fait ressortir l'im-
portance capitale de la séparation de ces deux natures de
fonctions et les avantages qu'elle présente '^.
* Pand. belges, vo Comptable public, n© 4.
2 Dans les mêmes termes, par l'arlicle 17 du décret du 34 mai 1862. —
« Aucun mélange de personnes ne peut donc exister entre le service qui
constate les droits au profit des créanciers de TÉtat et le service qui en
opère l'acquittement* » (Stourm, p. 491.)
5 Lac. cit., U I, pp. 515-517.
(334)
« Dans l'acquittement des nombreuses dettes de l'État, il y
a trois points principaux dont il faut tenir compte.
» Tout d'abord, il faut que le mécanisme soit arrangé de
telle façon que les paiements se fassent avec ordre, que les
créanciers soient régulièrement et promptement payés.
» D'autre part, il faut éviter que, dans le maniement de ces
fonds, il y ait du coulage et des malversations. Il faut que les
deniers publics soient exclusivement employés à payer les
véritables créanciers de l'État pour des services régulièrement
faits et pour des sommes strictement dues.
» Enfin, il faut que seules les créances autorisées par
l'autorité législative soient payées et qu'elles le soient dans les
limites strictes de l'autorisation. A quoi servirait-il au Parle-
ment de poser la règle de la spécialité, si les agents d'exécution
n'en tenaient aucun compte?
» Toute comptabilité qui ne donnera pas satisfaction à ces
trois intérêts sera incomplète et critiquable. »
Or, la séparation des fonctions d'ordonnateur de celles de
comptable est une combinaison destinée à leur donner satis-
faction.
« L'avantage de cette séparation est triple.
» Le premier avantage est celui qui s'attache à toute divi-
sion du travail : on ira plus vite.
» Le deuxième — et c'est l'avantage capital — c'est de
rendre possible une vérification des ordonnateurs par les
comptables, tant au point de vue de la réalité de la créance
que du respect des autorisations budgétaires. Si, en eifel, le
comptable ne paie qu'après avoir vérifié, à son tour, le dossier
justificatif de la créance, et après avoir constaté qu'il y avait un
crédit et que ce crédit n'a pas déjà été dépassé, il y a les
chances les plus sérieuses pour qu'aucun paiement fictif ou
extra-budgétaire n'intervienne.
» Enfin, — troisième avantage, — la comparaison après
coup des écritures tenues par chaque catégorie d'agents —
ordonnateurs d'une part, comptables de l'autre — pourra
servir à un contrôle très efficace... « -
( 335 )
» ... Ainsi, la dualité des fonctions d'ordonnateurs et de
comptable apparaît comme une garantie extrêmement puis-
sante de la sincérité des paiements et du respect des volontés
du Parlement. Combinée avec des méthodes de comptabilité
distinctes, les unes propres aux ordonnateurs et les autres spé-
ciales aux comptables pour leurs opérations réciproques, il est
permis d'espérer de l'ordre, de la rapidité, de l'honnêteté dans
la gestion des finances publiques, et une scrupuleuse obser-
vation des autorisations législatives. »
CHAPITRE II.
Le service des recettes.
§ 1. ^- Comptables chargés de la perception et du service
DES recettes.
L'article 6 de la loi de 1846 dispose : la perception des
deniers de F État ne peut être effectuée que par un comptable du
trésor et en vertu d'un titre légalement établi (cf. aussi : art. 13,
arr. de 1868).
Les administrations chargées du service des recettes com-
prennent, dans leurs cadres, outre les agents spécialement
investis de la perception, des fonctionnaires : directeurs,
inspecteurs, contrôleurs, vériQcateurs, etc., dont la mission
est de constater les receltes, de surveiller et de contrôler les
comptables placés sous leurs ordres.
Il y a lieu de distinguer, au point de vue de cette organisa-
tion, le service des recettes provenant de l'impôt et le service
des recettes puisées à d'autres sources.
Quant aux recettes provenant de l'impôt, leur service est
confié à deux grandes administrations, qui relèvent immé-
diatement du ministre des finances :
1^ l'administration des contributions directes, douanes et
accises;
( 336 )
2° l'administration de l'enregistrement et des domaines.
I. — L'administration des contributions directes, douanes
et accises comprend d*abord l'administration centrale, à la
tête de laquelle se trouve un conseil d'administration, qui se
compose du directeur général, président; des directeurs
généraux à titre personnel, des inspecteurs généraux et des
directeurs qui remplissent les conditions requises par
l'article 4 de l'arrêté royal du 2S juin 1900.
Le pays est divisé en neuf directions de contributions
directes, correspondant chacune à une circonscription provin-
ciale.
Chaque direction se divise en un certain nombre de con-
trôles de contributions (en tout 105) ^, et chaque contrôle en
un certain nombre de bureaux de recettes des contribulions
(583) 2.
Les impôts perçus par cette administration sont : la contri-
bution foncière, la contribution personnelle, le droit de
patente, la redevance sur les mines, le droit de licence sur les
débits de boissons alcooliques, les droits de douanes, les
droits d'accise, le droit de poinçonnage des matières d'or et
d'argent 3.
IL — A la tête de l'administration de l'enregistrement et
des domaines se trouve aussi un conseil d'administration,
composé du directeur général, président; des inspecteurs
généraux et des directeurs, préposés aux divers services de
l'administration centrale.
Les directions de l'administration, en province, sont au
* Direction d'Anvers : 10. — Brabant : 16. — Flandre occidentale : 13.
— Flandre orientale : 14. — Hainaut : 49. -- Liège : 11. — Limbourg:6.
, — Luxembourg : 7. — Namur : 9.
* Contrôle d'Anvers : 48. — Brabant 71. — Flandre occidentale : 91.—
Flandre orientale : 77. — Hainaut : 101. — Liège : 67. — Limbourg : 33.
— Luxembourg : 44. — Mamur : 51.
'• A Tadministralion des contributions directes ... se rattache aussi le
>ervice de la conservation du cadastre.
( 337 )
nombre de neuf également. Elles ont leur siège au chef-lieu
de chaque province, comme les directions de l'administration
des contributions, mais, à la différence de celles-ci, leur res-
sort ne s*arréle pas aux limites de la province. Elles se com-
posent, chacune, d*un certain nombre d'arrondissements
judiciaires, groupés, sans respecter toujours les délimitations
provinciales ^.
Cette administration perçoit les impôts suivants : droits
d'enregistrement, droits de grefîe, droits de succession, de
mutation et de mutation par décès, droits de timbre, droits
d'inscription et de transcription hypothécaire.
Elle perçoit, en outre : les amendes de condamnation en
matières diverses et les droits de péages sur les rivières et les
canaux.
Elle opère enûn le recouvrement des capitaux et revenus
des domaines, forêts et dépendances des chemins de fer, des
établissements et services régis par TEtat, des produits divers
et accidentels, des reliquats de comptes arrêtés et non arrêtés
par la Cour des Comptes, des déficits des comptables et des
avances faites par les divers déparlements, y compris les frais
de justice en matière répressive.
A côté d*impôts proprement dits, l'administration de l'enre-
gistrement perçoit donc les produits les plus divers. Aussi les
recettes sont-elles opérées par diverses catégories d'agents ou
de receveurs.
l.es conservateurs des hypothèques sont chargés de la per-
* La direction d'Anvers comprend les arrondissements judiciaires
d'Anvers, Malines et Turnhout.
La direction d'Arlon, ceux d'Arlon, Dinani, Marche et Neufchâteau.
La direction de Bruges, ceux de Bruges, Courtrai, Furnes et \pres.
La direction de Bruxelles, ceux de Bruxelles et Nivelles.
La direction de Gand, ceux d'Audenarde, Gand et Termonde.
La direction de Hasselt, ceux de Hasselt, Louvain et Tongres.
La direction de Liège, ceux de Huy, Liège et Verviers.
La direction de Mons, ceux de Mons et Tournai.
La direction de Namur, ceux de Charleroi et Namur.
Tome LXVl. 22
( 338 )
ception des droits d'inscription et de transcription hypothé-
caire et dirigent la caisse des consignations i. II y a un conser-
vateur des hypothèques par arrondissement judiciaire.
Il existe aussi des bureaux spéciaux pour la perception des
droits de navigation (péages).
Enfin, tous les autres impôts ou droits sont à la recette des
receveurs de l'enregistrement et des domaines. Des bureaux
de recette sont installés généralement dans chaque canton de
justice de paix. Mais dans les localités d'une certaine impor-
tance, les diverses branches de recettes sont réparties entre
plusieurs bureaux.
Le contrôle est exercé :
lo par des inspecteurs et des vérificateurs de 1'* et de
2« classe. 11 y a 14 ressorts d'inspection, 40 ressorts de vérifi-
cation et 3 vérificateurs sans résidence fixe ;
2o par des agents chargés du contrôle des droits de naviga-
tion. 11 y a 7 contrôles des droits de navigation 2;
30 par des contrôleurs du timbre ; 9, attachés à chaque
direction.
La perception des recettes de l'État autres que celles de
l'impôt et celles dont le recouvrement appartient à l'admi-
nistration de l'enregistrement et des domaines, est faite :
i Les fonds de consignations sont soumis à une comptabiUté spéciale,
organisée par les articles 19 et 20 de rarrêté de 1868.
« Ces contrôles ont respectivement pour ressort :
{o Le canal de Charleroi à Bruxelles ;
2o Les provinces de Flandre occidentale et de Flandre orientale ;
30 Les canaux de Mons à Condé, de Pommerœul à Antoing, de l'Escaut
etdeKoulersàlaLys;
40 La Sambre ;
50 La Meuse, TOurthe et le canal de Liège à Maestricht ;
60 Le canal de Maestricht à Bois-le-Duc et la partie du canal d'embran-
chement vers Hasselt située dans la province de Limbourg;
70 Les canaux de jonction de la Meuse à TEscaut, d'embranchemem
vers le camp de Beverioo, vers Turnhout, et de Turnhout à Anvers par
St-Job-in't Goor.
( 339 )
Par les comptables de Tadministration des chemins de fer
(chefs de station);
Par les comptables de l'administration des postes et télé-
graphes (percepteurs) ;
Parles comptables de l'administration de la marine;
Par les comptables de l'administration des prisons ;
Par les comptables des établissements régis par l'État ;
Par les comptables des établissements de bienfaisance et
d'aliénés ;
Par les comptables du ministère de l'agriculture.
Les comptables tiennent, selon les modèles arrêtés par les
administrations» des registres et journaux de perception
présentant, par branche de produit, les développements
propres à chaque nature de recette.
Les sommes perçues sont renseignées immédiatement en
recette, avec la date du recouvrement (art. 14, arr. de 1868).
Les comptables sont tenus de représenter aux fonctionnaires
de l'État sous les ordres desquels ils sont placés, et chaque
fois que ceux-ci le requièrent, les fonds provenant des gestions
qui leur sont confiées par le gouvernement, par les communes
ou par les établissements publics; ils en dressent un borde-
reau détaillé. Ces fonds ne peuvent être confondus avec
d'autres dans une même caisse (art. 15, arr. de 1868).
§ 2. — Dépenses acquittées directement par les comptables
DES différentes ADMINISTRATIONS.
(Art. 16, art. 17, art. 135 à 143, arr. de 1868.)
En principe, notre régime de comptabilité établit une dis-
tinction très nette entre les receveurs et les payeurs. Ces der-
niers sont les agents de la Banque Nationale.
Cependant, par exception à ce principe, certaines dépenses
sont acquittées directement par les comptables de recettes, en
vertu de l'article 16 de l'arrêté de 1868.
( 340)
Cet article dispose :
ce Les comptables des différentes administrations acquittent,
sauf régularisation ultérieure par la Cour des Comptes, les frais
de régie et de perception, ainsi que les autres dépenses man-
datées sur leurs caisses par les fonctionnaires désignés comme
ordonnateurs par les ministres.
» Sont applicables à ces fonctionnaires, les dispositions de
l'article 18 de la loi du IS mai 1846 sur la comptabilité de
l'État. »
Expliquons cet article.
Les administrations des recettes ne font payer sur la caisse
des comptables que les frais de régie, de perception et d'une
manière générale les dépenses qui, par assimilation à celles
prévues à l'article 23 de la loi de comptabilité {déperues fixes,
voir plus loin), sont fixées d'avance par une disposition de loi,
un arrêté. royal ou un arrêté ministériel (cf, aussi: art. 135,
arr. de 4868),
Voici un aperçu de ces dépenses, avec l'indication des
comptables qui les paient.
A. — Dépenses payables par les receveurs des contributions
directes, douanes et accises.
1° Sur le budget du ministère des finances.
a. Les traitements de toute nature, l'indemnité de résidence
et les suppléments de traitement, ainsi que les remises et
l'indemnité variable des receveurs;
b. Les frais de tournée ;
c. Les indemnités pour la confection des rôles de la contri-
bution foncière et du droit de patente;
d. L'indemnité des sous-contrôleurs et des commis ambu-
lants pour le service des accises ;
e. Les frais de route et de séjour alloués aux experts de la
contribution personnelle;
f. L'indemnité allouée aux répartiteurs pour l'assiette du
( 341 )
droit de patente, du droit de débit en détail de boissons
alcooliques (licence) et du droit de débit de tabac ;
g. L'indemnité allouée aux porteurs de contraintes pour le
recensement des patentables;
h. L'indemnité et les frais résultant de l'application de la loi
sur la contribution personnelle, dus aux experts et aux porteurs
de contraintes ;
i. L'indemnité de déplacement aux employés des provinces ;
;. L'indemnité pour la copie des rôles des contributions
directes destinée à la formation des listes électorales ;
k. L'indemnité pour la transcription des mutations cadas-
trales ;
L Les primes pour saisies de boissons distillées, découvertes
d'usines clandestines et arrestations de fraudeurs;
m. L'indemnité pour surveillance extraordinaire allouée aux
agents inférieurs du service des douanes ;
n. Le salaire des expéditionnaires attachés aux directions;
0. Les frais d'escorte de la douane ;
p. Les loyers, le chauffage et l'éclairage des locaux et
embarcations ;
q. Les frais de transport de matériel, les contributions et
passages d'eau.
2° Sur lé budget des non-valeurs et remboursements :
a. Les non-valeurs concernant la contribution foncière, la
contribution personnelle, le droit de patente, les redevances
fixes et proportionnelles sur les mines ;
b. Les restitutions de droits indûment perçus * et de fonds
reconnus à des tiers ;
c. Les procès-verbaux de déficit des comptables.
3® Sur le budget des recettes et dépenses pour ordre 2 ;
a. Le produit des amendes et confiscations ainsi que des
préemptions;
* Cf. article 17, arrêté de 1868. — Les ordonnances de restitution sont
payables sur la caisse du comptable qui a opéré indûment la perception.
« Cf. articles 24 et 22, alinéa 2, articles 23 et 185, arrêté de im. •:
( 342 )
b. Les indemnités allouées sur le fonds réservé dans le pro-
duit des amendes et confiscations ;
e. Les sommes prélevées sur le fonds spécial des préemp-
tions ;
d. Les droits de magasin des entrepôts à payer aux cotn-
munes ;
e. Les centimes additionnels sur les contributions directes
revenant aux communes ^ ;
/. Les centimes communaux pour la voirie vicinale ;
g. Les paiements pour compte de la masse d'habillement;
h. Les paiements pour compte de la caisse de retraite ;
i. Les paiements pour compte de la caisse d'épargne ;
j. Le remboursement des sommes Jversëes pour garantie de
droits et d'amendes éventuellement dus.
4® Sur le budget de la dette publique :
La rémunération en matière de milice.
B. — Dépenses payables par les comptables de renregistrement.
!• Sur le budget des finances :
a. Les traitements de toute nature, suppléments, indem-
nités, salaires;
b. Les remises des receveurs ;
c. Les remises des greffiers;
d. Les frais de poursuite et d'instances;
e. Les frais d'emballage, de transport de paquets, ballots, etc.;
f. Les frais d'entretien des bâtiments, digues, polders, che-
mins, etc.;
g. Les charges et contributions sur les domaines;
A. Les frais de vente et d'autres actes;
i. Les intérêts moratoires.
2* Sur le budget des non-valeurs et remboursements :
a. Les restitutions de droits indûment perçus, d'amendes,
« {Jf^«rticle 22^ alinéa 4, arrêté de 1868.
( 343 )
frais, etc. ^,... ainsi que le remboursement de fonds reconnus
appartenir à des tiers;
b. Le montant des procès-verbaux de déficit des comptables.
3» Sur le budget de la dette publique :
Les intérêts de consignations ^.
4» Sur le budget de la justice :
Les frais de justice 3.
5<> Sur le budget des dépenses pour ordre :
a. Les consignations de toute nature 4;
b. Les paiements imputables sur les amendes diverses et
autres recettes soumises et non soumises aux frais de régie;
c. Les paiements imputables sur les amendes et les frais de
poursuite et de recouvrement en matière forestière.
C. — Dépenses payables par les comptables des chemins
de fer, postes et télégraphes.
1" Sur le budget ordinaire du déparlement des chemins de fer :
Les traitements de toute nature, salaires, indemnités de
changements.de résidence, de déplacement, d'intérim, primes
de régularité, d'économie, secours, frais de loyer, de chauffage
et éclairage des locaux, en un mot, toutes les dépenses émanant
de ce département et les non-valeurs et remboursements.
2» Sur le budget des recettes et dépenses pour ordre :
Paiements pour compte de la caisse de retraite et de secours,
de la caisse d'assurance et de 4a masse d'habillement. —
Déboursés, ports au delà, remboursements, fonds pour ordre
liquidés, salaires, traitements, indemnités.
« Cf. article 17, arrêté de 1868.
* Par les conservateurs des hypothèques. — Articles 19, 20, 84 et 85,
arrêté de 1868.
5 Cf. articles 142 et 143, arrêté de 1868.
* Cf. note 2. , -
( 344 )
S^ Sur le budget extraordinaire :
Toutes les dépenses, traitements, salaires, indemnités se
rapportant à la construction de lignes nouvelles, de bâtiments
nouveaux, etc. *...
* Voici quelques chiffres qui permettront de se rendre compte de
l'importance des paiements effectués par les comptables de recettes.
Pendant Tannée 1900, il avait été payé :
I. — Service des recettes et dépenses de VÈtat : opérations sur les btulgets
en cours d'exécution (1899-1900).
Par les receveurs des contributions directes, douanes
et accises fr. 25,M8,586 »
Par les receveurs de l'enregistrement et des domaines . 5,338,933 83
Par les comptables de l'administration des chemins de
fer 79,691,725 85
Par les comptables de l'administration des postes et
télégraphes 16,800,124 73
Par les comptables de l'administration de la marine . . 2,343 34
Soit un total de fr. 127,351,733 75
Sur un total général des paiements de même catégorie de 549,210,097 72
IL — Service des recettes et dépenses pour ordre. — Fonds de tiers déposés
au trésor et dont le remboursement a lieu directement par les comptables
qui en ont opéré la recette, (Comp. plus haut : !»•« partie, chap. IIIJ2-C
pp. 165 et suiv.)
Par les receveurs des contributions directes, douanes
et accises fr. 28,852,108 »
Par les receveurs de l'enregistrement et des domaines. 9,449,716 H
Par les comptables de l'administration des chemins de
fer 79,282,398 50
Par les comptables de l'administration des postes et
télégraphes 503,108,427 60
Par les comptables de l'administration de la marine . . 32.252 02
— — des prisons . . 285,375 64
— des établissements de bienfaisance
et d'aliénés 4,116,452 05
Par les comptables du ministère de l'agriculture . . . 112,026 13
Total. . . .fr. 625,238,756 05
( 345)
Ces dépenses sont mandatées sur la caisse des comptables par
des ordonnateurs secondaires, par les fonctionnaires désignés
comme ordonnateurs par les ministres (art. 16, arr. de 1868).
En ce qui concerne les dépenses payables par les comptables
de Tenregistrement et des contributions directes, elles sont
ordonnancées par les directeurs provinciaux. Les frais de justice
font exception à cette règle : ils sont payés directement par les
receveurs de l'enregistrement sur la taxe du juge ou sur le bon
à payer du département de la justice.
Les dépenses en question sont payées par les comptables,
sauf régularisation ultérieure par la Cour des Comptes,
La procédure de régularisation est organisée par les
articles 135 à 143 de l'arrêté de 1868.
L'article 135 distingue à ce point de vue les deux grandes
catégories que l'on peut établir parmi les dépenses payées par
les comptables :
1** Les dépenses de l'État en général ;
2*» Les frais de justice et les fonds de tiers.
Les articles 126 à 129 de Tarrété royal du 18 juin 1853 sont
applicables à la régularisation des frais de justice (art. 142,
arrêté de 1868); l'article 143, arrêté de 1868 aux fonds de tiers.
Quant aux dépenses générales de l'État, les articles 136 à 141
de l'arrêté de 1868 établissent la procédure suivante.
Les pièces de dépenses acquittées par les comptables sont
classées par spécialité de service et détaillées sur des borde-
reaux divisés par article du budget et par exercice.
Les directeurs provinciaux donnent décharge aux comptables
de leur ressort des pièces de dépenses versées à l'appui de leur
comptabilité mensuelle.
Les directions provinciales résument à leur tour, par spécia-
lité de service, par exercice et par article du budget, toutes les
dépenses produites par les comptables, et transmettent le tout
au ministère des finances et des travaux publics (administra-
tion de la trésorerie).
La trésorerie, après vérification des pièces de dép^Q^es,
( 346)
donne décharge aux directeurs provinciaux et récapitule les
pièces de dépenses des neuf provinces sur une ordonnance de
régularisation qu'elle adresse à la Cour des Comptes. .
La Cour procède à l'examen des pièces produites à l'appui
des ordonnances de régularisation, elle en vérifie la légalité et
l'imputation sur les allocations du budget et munit l'ordon-
nance de régularisation de son visa.
Ces ordonnances de régularisation ^ sont formées en double
expédition lorsqu'elles concernent le département des finances,
et en triple expédition lorsqu'elles s'appliquent à un autre
département.
L'ordonnance de régularisation, visée par la Coiir, vaut
décharge à l'administration d'où elle émane.
Une expédition de l'ordonnance de régularisation visée par
la Cour est adressée à la trésorerie, pour imputer le montant
des dépenses reprises sous chaque article du budget et pour
passer écriture des paiements justifiés, dans la comptabilité
générale de l'administration des finances.
L'expédition de l'ordonnance de régularisalion adressée à la
trésorerie revient à la Cour, à l'appui des pièces acquittées par
les agents du trésor, dont les bordereaux récapitulatifs de la
trésorerie contiennent une colonne ad hoc pour y renseigner le
total des paiements sur ordonnances de régularisation.
En ce qui concerne les administrations des chemins de fer,
postes et télégraphes, la direction du contrôle des recettes et
des matières, pour les chemins de fer, la direction des postes
et télégraphes, pour les dépenses de ces services, donnent
décharge aux comptables des pièces de dépenses versées à
l'appui des états mensuels des recettes et dépenses et la Cour
des Comptes donne à son tour décharge aux administrations
par le visa des ordonnances de régularisation.
* Cf. les modèles 22a et 22b, établis par Tarrêté du ministre des
finances du 12 décembre 1868, pris en exécution de Tarticle 229 du
règlement général sur la comptabilité de TÉtat.
Les modèles 23a et 23b concernent les ordonnances de régularisation
des fv9i§.de justice payés pour compte du département de la justice par
les réSpt&oixi ^ l'enregistrement et des domaines.
( 347 )
§ 3. — Règles générales concernant les receveurs
ET COMPTABLES DE l'ÉtaT.
Le législateur, en traçant les règles que nous allons rapide-
ment passer en revue, s'est proposé, en dernière analyse, de
prévenir les abus ou les irrégularités qui pourraient se pro-
duire dans la gestion de ceux qui manient les deniers publics,
et de prescrire les moyens propres à désintéresser le trésor, au
cas où ces précautions auraient été inutiles.
A cet effet, les comptables sont soumis à un régime sévère
que Ton peut résumer en ces trois propositions :
a. Ils répondent sur leurs biens propres de la fidélité de
leur gestion (art. 8, 9, loi de 1846);
b. Ils doivent justifier périodiquement, dans les formes
prescrites, des opérations qu'ils effectuent et rendre leurs
comptes (art. 28 à 46, arr. de 1868);
c. Les règlements déterminent la procédure à suivre dans les
différents cas où la responsabilité des comptables peut être
engagée (art. 10 à 14, loi de 1846, art. 47 et suiv. , arr. de 1868).
A. " Avant d'être installé dans ses fonctions, le comptable
doit prêter serment et justifier de cette prestation. Il doit
justifier aussi du versement de son cautionnement, dans les
formes et devant les autorités à déterminer par les lois et règle-
ments (art. 8, loi de 1846).
L'arrêté royal du 10 mars 1866 a prescrit les formes relatives
aux cautionnements des comptables et autres agents de l'Etat,
et l'arrêté ministériel du 30 juillet 1867 en a fixé les taux
respectifs.
Les cautionnements doivent être intégralement versés en
numéraire, bien que l'arrêté de 1866 permette de les fournir en
fonds publics belges ou en immeubles. Mais aucun arrêté
ministériel n'a encore mis en vigueur ces dispositions.
Ces cautionnements sont versés chez les agents du caissier
de l'État et remboursés par eux, pour le compte de la caisse
( 3*8)
des dépôts et consignations (art. 189, arr. de 1868). Ils sont
inscrits au grand-livre des cautionnements (art. 192, arr. de
1868). Des certificats constatant l'inscription des cautionne-
ments sont délivrés aux intéressés par la caisse des dépôts et
consignations; ils sont visés préalablement par la Cour des
Comptes. Ces certificats forment titre : il n'en est délivré de
duplicata que lorsque la perte en est constatée, et en vertu
d'une décision ministérielle portant annulation du certificat
primitif (art. 193, arr. de 1868). Remboursement des caution-
nements : articles 195 à 201, arrêté de 1868.
Les intérêts des cautionnements des comptables sont
payables par trimestre. La Cour des Comptes reçoit le
décompte des sommes à payer (art. 84, arr. de 1868).
Une seconde garantie est le privilège qui appartient au
trésor public sur les biens de tout comptable, caissier, dépo-
sitaire ou préposé quelconque chargé d'un maniement de
deniers publics.
Le privilège du trésor a été organisé par la loi des S-15 sep-
tembre 1807, modifiée sur différents points par la loi du
16 décembre 1881 sur la revision du régime hypothécaire
(art. lS-20-47-48-89). Il a lieu même à Tégard des femmes des
comptables, séparées de bien « pour les meubles trouvés dans
les maisons d'habitation du mari, à moins qu'elles ne justifient
légalement que les dits meubles leur sont échus de leur chef,,
ou que les deniers employés à l'acquisition leur apparte-
naient » (art. 2, loi 1807).
B. — Le règlement de la comptabilité publique de 1868
prescrit, d'une manière détaillée, les formes dans lesquelles
les comptables devront justifier de leurs recettes et de leurs
dépenses.
Ils tiennent, nous l'avons déjà dit, leurs comptes par gestion
(art. 10, arr. de 1868) et, à cette effet, ils tiennent un livre de
caisse, dans lequel sont résumés les faits accomplis, en recelte
et en dépense, du 1" janvier au 31 décembre de la même
ann4e,*(art. 28, arr. de 1868). A la fin de chaque journée, on
(349 )
inscrit au livre de caisse les recouvrements opérés suivant les
journaux et registres de perception et à la suite des recettes de
la dernière journée du mois, les récépissés de versement et les
pièces comptables qui peuvent être admises en dépense sont
libellés mensuellement par nature (art. 29, arr. de 1868).
Le livre de caisse doit présenter constamment le total des
recettes effectuées et des dépenses admises par Tautorité supé-
rieure depuis le commencement de Tannée, et offrir le moyen
de constater tous les jours la situation de la caisse du comp-
table (art. 30, arr. de 1868).
À l'expiration de chaque mois, les comptables des différentes
administrations forment des états de leurs recettes et de leurs
dépenses (art. 31, arr. de 1868), selon les prescriptions des
articles 32 et 33, arrêté de 1868.
Deux expéditions des états mensuels, appuyées des récépissés
de versement et des pièces justificatives des paiements faits,
sont adressées par les comptables au département ou au chef
de service dont ils relèvent, dans les délais fixés par les règle-
ments d'administration.
Une de ces expéditions, revêtue de l'acte de décharge, est
renvoyée aux comptables (art. 34).
Au moyen des états fournis par les comptables, les direc-
teurs ou chefs de service forment des états généraux et men-
suels par province. Cependant, par exception à cette règle, les
produits des administrations de la marine, des prisons et des
chemins de fer, postes et télégraphes sont résumés dans un
seul état général pour le royaume lart. 35).
Ces états généraux et mensuels sont, à leur tour, transmis
en double expédition au ministre des finances, appuyés des
pièces justificatives de dépenses, détaillées sur des bordereaux.
Une expédition, munie de l'acte de décharge, est renvoyée à
l'administration ou au fonctionnaire que la chose concerne
(art. 36).
Enfin, le département des financess dresse des états géné-
raux et mensuels indiquant, par province, les recettes et les
( 350 )
dépenses effectuées dans le royaume, par les comptables des
contributions directes et de l'enregistrement (art. 37).
Le 31 décembre de chaque année ou bien à Tépoque de la
cessation des fonctions, les écritures et les livres des comp-
tables des deniers publics sont arrêtés par les agents admi-
nistratifs désignés à cet effet. La situation de leur caisse et de
leur portefeuille est vérifiée aux mêmes époques et constatée
par un procès- verbal. Ce procès-verbal de situation de caisse
est dressé en double expédition. Une expédition reste entre les
mains du comptable; l'autre est transmise par la voie hiérar-
chique à l'administration centrale (art. 38 et 41) ^.
Il arrive que des comptables de l'État soient en même temps
receveurs de communes ou d'établissements publics. Dans ce
cas, la vérification de leur caisse par les agents du gouverne-
ment s'opère simultanément pour tous les services dont ces
comptables sont chargés, et ce indépendamment de la surveil-
lance et du contrôle des autorités provinciales ou autres
(art. 39 —cf. aussi : art. 40, arr. de 1868 et art. SI, loi de 1846j.
Tout receveur ou comptable des administrations financières
est justifiable de la Cour des Comptes (art. 7, loi de 1846), à
laquelle il rend annuellement compte de sa gestion, avant le
l»*" mars (art. 42, arr. de 1868, et 49, loi de 1846).
Chaque comptable n'est responsable que des actes de sa
gestion personnelle. En cas de mutation, le compte est divisé
suivant la durée de la gestion des différents titulaires, et chacun
d'eux rend séparément à la Cour des Comptes, le compte des
opérations qui le concernent (art. 43). 11 y a donc lieu de
distinguer la gestion annuelle et la gestion personnelle.
Le compte des comptables comprend tous les faits de la
gestion pendant la période annuelle (ou la période de
gestion personnelle), quelle que soit leur nature et à quelque
* Cf. aussi : article 50, loi de 1846. — Cf. le modèle du procès-verM
de situation de caisse (modèle n® i) établi par rarrété ministériel du
12 décembre 1868.
(351 )
service public ou particulier qu'ils se rapportent. Il présente :
i^ Le tableau des valeurs existant en caisse et en portefeuille,
et des créances à recouvrer au commencement de la gestion
annuelle, ou Tavance dans laquelle le comptable se serait
constitué à la même époque ;
2<* Les recettes et les dépenses de toute nature, faites pendant
le cours de cette gestion, avec distinction d'exercices et de
droits;
3^ Le montant des valeurs qui se trouvent dans la caisse et
dans le portefeuille du comptable et des créances restant à
recouvrer à la fin de la gestion annuelle, ou les sommes
dont le préposé serait en avance à la même époque (art. 49, loi
de 1846).
Des règlements d'administration déterminent la forme des
comptes et les pièces à produire pour les justifications des
recettes et des dépenses qui y sont renseignées, ils fixent les
délais dans lesquels les comptes doivent être rendus et
adressés soit au département, soit au chef de service dont le
comptable relève (art. 44, arr. de 1868). Les comptes de
gestion annuelle, appuyés de résumés généraux formés par
l'administration centrale ou par les chefs de service, sont
transmis au département des finances avant le 1 S février de
chaque année. Si un comptable ne rend pas son compte dans
les délais voulus, ce compte est dressé d'office par le fonction-
naire désigné à cet ef!*et.
Le ministre que la chose concerne requiert, s'il y a lieu,
contre le comptable en défaut, l'application de l'amende com-
minée par l'article 8 de la loi du 29 octobre 1846, organique de
la Cour des Comptes (art. 45 et 46) ^.
L'obligation de rendre compte ne concerne pas seulement
les comptables en deniers, mais aussi les comptables des
matières qui sont commis à la garde, à la conservation et à
l'emploi du matériel appartenant à l'État (art. 52, loi de
* Cf. plus bas, le chapitre relatif à la Cour des Comptes,
( 8S2 )
1846) ^. De même, le mobilier fourni par TÉtat doit être inven-
torié et les inventaires sont récolés à la fin de chaque année ei
à chaque mutation de fonctionnaires responsables ^ (art. 47,
loi de 1846).
Le principe de la responsabilité des comptables est proclamé
par l'article 10 de la loi de 1846 : Tout comptable est respon-
sable du recouvrement des capitaux, revenus, péages, droits et
impôts dont la perception lui est confiée.
Elle peut être engagée d'abord en cas de non-recouvrement.
Avant d'obtenir décharge des articles non recouvrés, le comp-
table doit faire constater que le non-recouvrement ne provient
pas de sa négligence, et qu'il a fait en temps opportun toutes
les diligences et poursuites nécessaires (art. 10, al. i, loi
de 1846). Des règlements d'administration déterminent les
règles à suivre pour obtenir décharge des articles non recou-
vrés (art. 60, arr. de 1868). Quand un comptable a été forcé en
recette et qu'il a payé de ses deniers les sommes dues et non
renseignées, il est subrogé de plein droit dans les créances et
privilèges de l'État à la charge des débiteurs (art. 10, al. 3, loi
de 1846 et art. 47 et suiv., arr. de 1868).
Les comptables prennent les mesures nécessaires pour pré-
venir les vols et les perles de fonds. S'il se produit un fait de
Tespèce, la constatation en a lieu, sous forme d'enquête, à la
diligence des fonctionnaires désignés à cette fin; il en est
dressé procès-verbal, dont une expédition est transmise au
département des finances ; une autre est jointe au compte de
gestion; une troisième expédition est adressée au chef du
département dont le comptable relève (art. 61, loi de 1868).
* La comptabilité des matières a été organisée par un arrêté royal du
6 décembre 4853. — Un arrêté royal du iO janvier 1862 concerne plus
spécialement le ministère des chemins de fer, postes et télégraphes. —
Un arrêté royal du 31 décembre 1900 approuve un nouveau règlement
sur la comptabilité des matières appartenant au Ministère des finances
et des travaux publics.
* Cf. arrêté royal du 26 mars 1858 relatif à l'exécution de Tarlicle 47.
( 383 )
Tout receveur, caissier, dépositaire ou préposé quelconque
chargé de deniers publics ne pourra obtenir décharge d'un
vol ou d'une perte de fonds, s'il n'est justifié qu'il est l'effet
d'une force majeure et que les précautions prescrites par les
règlements ont été prises.
En attendant l'arrêt de la Cour des Comptes, et sans y
préjudicier, le ministre des finances peut ordonner le verse-
ment provisoire de la somme enlevée ou contestée (art. H, loi
de 1846).
Les articles 47 à S9 et l'article 63 de l'arrêté de 1868 règlent
les cas de déficits. Lorsqu'un déficit est reconnu dans la
gestion d'un comptable, le fonctionnaire chargé de la surveil-
lance en dresse immédiatement procès-verbal et se conforme
aux règlements qui régissent l'administration à laquelle il
appartient (art. 47, arr. de 1868).
Tous les droits et impôts perçus et non renseignés sont
portés en recette au profit du trésor Le comptable constitué
en déficit demeure, en outre, responsable des droits et
amendes qui, à défaut de poursuites exercées en temps utile,
sont devenus irrécouvrables (art. 48).
Une expédition du procès-verbal de déficit est adressée au
directeur de l'enregistrement et des domaines, pour être
remise au receveur de cette administration, chargé de pour-
suivre le recouvrement du débet sur les biens meubles et
immeubles du comptable (art. 50).
Si l'administration centrale ou le chef de service a requis —
ce qui est facultatif (art. 49) une inscription hypothécaire
sur les biens immeubles du comptable, conformément à l'ar-
ticle 89 de la loi du 16 décembre 1851, le bordereau d'inscrip-
tion hypothécaire est joint à l'expédition du procès-verbal de
déficit (art. 50).
Après la constatation du déficit, Tadministration compé-
tente ordonne au comptable reliquataire de rendre compte de
sa gestion. Si lui ou ses ayants cause restent en défaut de le
fournir, le ministre provoque l'application des articles 7 et
Tome LXVI. 23
( 384)
8 de la loi du 29 octobre 1846 i. L'arrêt de la Cour des
Comptes est signifié à l'intéressé par l'administration de IVa-
registrement (art. 52).
Les fonctionnaires ne peuvent dénoncer un déficit au
ministère public sans une autorisation préalable du minisire
au département duquel le comptable ressortit (art. 53).
Lorsque le déficit est arrêté par la Cour des Comptes, le
procès-verbal qui le constate est porté en dépense par le comp-
table en fonctions. Si le débet arrêté par la Cour présente une
difi^érence avec le procès- verbal, ce dernier est mis préalable-
ment en concordance avec l'arrêt (art. 54).
Le déficit est consigné dans un sommier tenu par le rece-
veur de l'enregistrement. Celui-ci est chargé de continuer les
diligences nécessaires pour assurer le recouvrement des droits
restant dus au trésor, après la réalisation du cautionnement
affecté à la garantie de la gestion du comptable s. Toutes les
recettes faites en apurement du déficit y sont successivement
annotées (art. 55).
Dans le cas où le déficit dépasse le montant du cautionne-
ment, le receveur de l'enregistrement, s'il n'a pas reçu d'or-
dres contraires, décerne immédiatement une contrainte et
fait procéder ensuite à la saisie des meubles du comptable en
déficit; toutefois, la vente n'a lieu que sur l'autorisation du
directeur de l'enregistrement. Les biens immeubles ne
peuvent être saisis sans un ordre du ministre des finances
(art. 51).
Les erreurs et fausses perceptions de droits au préjudice da
trésor, constatées postérieurement à l'arrêt de la Cour des
Comptes, font, s'il y a lieu, l'objet d'un acte de chargement.
Cet acte est transmis à la Cour pour être revêtu de la forme
exécutoire, par application de l'article 11 de la loi du 29 octo-
bre 1846 3.
* Cf. infray chapitre relatif à la Cour des Comptes.
2 a. arlicle 202, arrêté de 1868.
3 Cf. infra.
( 386 )
Il est envoyé ensuite à l'administration de l'enregistrement,
à l'effet de poursuivre le recouvrement des sommes dues
(art. 86).
Les receveurs de l'enregistrement et des domaines paient les
frais des actes conservatoires et de signification des arrêts de
la Cour des Comptes. Ils paient également ceux qu'occasionne
le recouvrement des déficits. Les mémoires de ces fraiSj
dûment acquittés, sont portés en dépense dans leurs états
mensuels (art. 57).
Annuellement, il est porté une allocation spéciale au
budget, pour recevoir l'imputation et la régularisation des
pertes résultant de déficits et d'événements extraordinaires ^
Les pertes qui seront imputées sur cette allocation seront con-
signées par l'administration des domaines dans ses sommiers;
elle fera les diligences nécessaires pour en assurer le recou-
vrement sur les cautionnements et biens des débiteurs (art. 12,
loi de 1846).
Si; pendant cinq années consécutives à compter de la date
de l'arrêt de la Cour des Comptes, une créance ouverte pour
cause de déficit ou de tout événement de force majeure n'avait
pas été recouvrée, l'impossibilité du recouvrement sera
constatée par un procès- verbal, lequel sera reproduit à l'appui
du compte général de l'État; une expédition du même procès-
verbal sera jointe au compte du comptable chargé du recou-
vrement du déficit (art. 13, loi de 1846, art. 58, arr. de 1868).
Les agents de l'administration de l'enregistrement et des
domaines cessent de faire rappel dans leurs écritures des
déficits non recouvrés cinq ans après l'arrêt définitif de la
Cour des Comptes; ils transfèrent ces déficits dans un sommier
de créances en surséance, et continuent, le cas échéant, à en
poursuivre le recouvrement contre les débiteurs (art. 59, arr.
de 1868).
* Au budget des non-valeurs et remboursements pour 1902, le mon-
tant des crédits portés à rarticle 4i du chef de déficit des divers compta-
bles de l'État, s*élève à 40,000 francs (non limitatif).
( 386 )
Enfin, les fonctionnaires chargés spécialement et directe-
ment (le la surveillance des comptables et du contrôle de leur
comptabilité, sont responsables de tout déficit irrécouvrable
qui pourrait être occasionné par un défaut de vérification de
la gestion du comptable en déficit (art. 14, loi de 1846).
Ces fonctionnaires, en cas de déficit irrécouvrable, sont
invités à fournir leur justification. S'il est reconnu qu'ils ont
négligé de remplir leurs devoirs, un arrêté royal motivé fixe
la somme qu'il y a lieu de mettre à leur charge. Cette somme
est recouvrée par le receveur de l'enregistrement et portée en
recette en apurement du déficit (art. 63, an*, de 1868, art. 14,
loi de 1846).
CHAPITRE m.
La Banque Nationale de Belgique, caissier de TËtat.
Le service de la caisse de l'État, des entrées et des sorties de
fonds appartenant à l'État, est confié, selon les pays, à des
fonctionnaires relevant directement du ministre des finances
ou bien à des banques privilégiées, en vertu d'une convention
spéciale intervenue entre elles et l'État et sous le contrôle du
chef responsable de la trésorerie.
La première combinaison est adoptée en France; la seconde
en Angleterre et en Belgique et aussi, dans une certaine
mesure, dans l'empire d'Allemagne ^.
Deux traits caractérisent surtout le système français ^ :
l"" Les recettes sont encaissées et les dépenses sont payées
exclusivement par des fonctionnaires ou agents de l'État. Les
fonctions de receveur et de payeur sont d'ailleurs, en principe,
réunies dans les mêmes mains ;
2» La Banque de France ne joue qu'un rôle très effacé dans
.1 Cf. Stourm, p. 476.
« BoDCARD et Jèze, t. Il, pp. 4193 et suiv.; Stourm, chap. XXIÏÏ,
pp. 458 et suiv.
( 387 )
le service des encaissements, des paiements et des mouve-
ments de fonds.
Ce sont donc des agents de l'État qui recouvrent les deniers
publics et paient les dépenses publiques. Ces agents sont t :
1" A Paris : le caissier payeur central du trésor;
2® Dans le département de la Seine : le receveur central de
la Seine centralise les recettes ; le caissier payeur central du
trésor paie les dépenses ; enfin, divers percepteurs et receveurs
spéciaux sont sous les ordres du receveur central, qui répond
de leur gestion ;
3« Dans les départements autres que celui de la Seine, on
rencontre trois catégories d'agents :
a) Le trésorier- payeur général, chargé des recettes et des
paiements ;
b) Dans chaque chef-lieu d'arrondissement, autre que le
chef-lieu du département : le receveur particulier des finances,
simple représentant du trésorier-payeur général, agissant pour
le compte et sous la responsabilité de celui-ci ;
c) Sur tous les points du territoire : des percepteurs et des
receveurs. Les premiers, chargés de recouvrer les impôts
directs, paient les dépenses pour compte du trésorier- payeur
général, sous la surveillance et la responsabilité du receveur
particulier de l'arrondissement. Les seconds sont les receveurs
de Fenregistrement, des douanes, des contributions indirectes,
des postes et télégraphes, etc. Ils obéissent aux ordres de leur
administration propre.
Percepteurs et receveurs versent leurs fonds à la recette par-
ticulière des finances.
C'est donc, en définitive, le trésorier-payeur général, installé
dans chaque département, à Texception de la Seine et de
Paris, qui fait le service de la caisse de l'État. « Les trésoriers-
payeurs généraux, dans chaque département, dirigent le ser-
vice des receveurs particuliers et des percepteurs dont ils sont
responsables, centralisent les recettes, exécutent les mouve-
« BouCARD et Jèze, t. II, p. 1207.
( 358 )
ments de fonds du trésor et effectuent le paiement des
dépenses publiques. Cela forme quatre fonctions distinctes :
a !• Direction du service du recouvrement des contributions
directes;
» 2« Centralisation des revenus publics ;
» 3^ Opérations de mouvements de fonds du trésor;
» 4® Paiement des dépenses publiques i. »
Les fonds centralisés par les trésoriers-payeurs généraux
sont mis à la disposition du trésor par le moyen du compte
courant, qui forme le lien qui rattache ces fonctionnaires au
trésor.
C'est la direction du mouvement général des fonds qui tient
ce compte courant et qui donne aux trésoriers-payeurs géné-
raux les instructions nécessaires.
c( Le directeur du mouvement général des fonds est le gar-
dien du trésor; on peut même dire que c'est lui qui person-
nellement en a la clé, puisque aucun paiement ne peut avoir
lieu sans qu'au préalable il n'ait été appelé à donner son
visa 2. »
Les trésoriers- payeurs sont donc avisés par lui des paie-
ments à effectuer dans le département. « 811 y a un excédent
disponible, la direction du mouvement général des fonds en
disposera en donnant l'ordre au trésorier-payeur général soit
de l'envoyer directement à la caisse centrale à Paris, soit de
le remettre au caissier central en valeurs déterminées payables
à Paris, soit enfin — et ce sera le cas le plus fréquent — de le
verser à la Banque de France, au crédit du compte du
trésor 3. «
Le compte courant du trésor à la Banque de France a été
organisé par la loi et la convention des 9 et 10 juin 1857.
Une loi du 17 novembre 1897 a développé quelque peu cette
* Stourm, p. 458. — Pour l'historique de cette institution, les critiques
qu'on lui adresse et les réformes projetées, cf. Stourm, pp. 459-474, et
BoucARD et Jèze, t. II, pp. 1193 et suiv.
2 LÉON Say, Les Finances, pp. 122 et suiv.
5 BoucARD et Jèze, t. II, p. 1210.
( 389 )
première participation de la banque au service de la tréso-
rerie, qui consiste aujourd'hui :
1*> Dans rencaissement par les succursales ou les bureaux
auxiliaires de la banque des excédents de recette disponible;
2" Dans le versement aux comptables, soit par les succur-
sales, soit par les bureaux auxiliaires des sommes nécessaires
pour subvenir à l'insuffisance des encaissements à un jour ou
sur un point déterminé ;
3^ Dans le paiement gratuit, concurremment avec les caisses
publiques, pour le compte du trésor, des coupons au porteur
de rentes françaises et de valeurs du trésor français ^.
Les relations entre la Banque de France et le trésor sont
donc encore à Tétat embryonnaire, malgré les tentatives faites
à diverses époques pour les resserrer et confier à la Banque
le service complet de la caisse de l'Etat.
Elles sont, au contraire, plus intimes en Angleterre, où,
depuis 1834, les Banques d'Angleterre et d'Irlande reçoivent
tous les fonds recueillis par les divers « collectors » et paient
les dépenses publiques ^ et surtout en Belgique, où la Banque
Nationale réalise de la manière la plus complète le typé de la
banque, caissier de l'État, dont MiM. Boucard et Jèze ont
déterminé très exactement les fonctions. « En reprenant, disent-
ils, la formule de M. Thiers, on est amené à distinguer dans
le trésor public deux rôles bien distincts : le trésor est une
caisse de banquier, mais c'est aussi une caisse d'homme de loi.
« Si une banque est incapable de jouer efficacement le rôle
de caisse d'homme de loi, elle est, au contraire, très capable
de faire le service de caisse de banquier. La banque, caissier
de rÉtat, voilà une solution non seulement très acceptable,
* Boucard et Jèze, t. II, p. 4246.
« Cf. Boucard et Jèze, t. II, pp. 4485-1493; Stourm, p. 475. — Cf. aussi :
. AuG. Arnauné , Note sur le contrôle financier en Angleterre. (Bull, de
LA Soc. DE LÉGISLATION COMPARÉE, t. XIV, 4884-4885, pp. 270 ct sulv.);
Philippovich, £ugen von, Die Bank von England im Dienste der Finanz-
verwaltung des Staates. Wien, Tôplilz und Deuteke, 4884, et les ouvrages
et documents cités dans Boucard et Jèze, t. II, p. 4485.
( 360 )
mais encore très avantageuse. Des agents de l'État percevront
les recettes conformément aux lois et règlements et sous la
haute direction du ministre des finances. IMais le produit en
sera versé à la banque, au crédit du compte courant du trésor
public. Des agents de l'État vérifieront, sous leur responsabi-
lité, la régularité des ordonnances et mandats de paiement,
apposeront leur vu, bon à payer, et c'est seulement alors que la
banque effectuera le paiement matériel aux créanciers de
l'État. En d'autres termes, les agents de l'État s'occuperont
de la partie juridique du service de la trésorerie; la banque
sera cantonnée et limitée dans les opérations matérielles de
caisse ^. »
Depuis 1824 et jusqu'en 1850, la caisse de l'État avait été
gérée en Belgique par la Société générale pour favoriser l'in-
dustrie nationale, fondée en 1823 ^.
La Société générale était une création personnelle du roi
Guillaume. C'est de son autorité privée que celui-ci avait sup-
primé les receveurs généraux que nous avait légués le régime
français, et confié le service de la caisse de l'État à la Société
* BoucARD et Jèze, t. II, p. 1161. — Dans son rapport fait, au nom delà
commission des finances du Sénat sur le projet de loi. qui est devenu
la loi du 26 mars 1900, M. le chevalier Descamps disait aussi : «Les
mouvements de fonds dans la caisse de l'État sont considérables : il n*est
guère possible que l'État ne soit, dans une mesure assez large, le client
de quelque banque, qu'il n'y ait pas un compte courant et de dépôts ••
Les rapports de l'État avec une banque déterminée pourraient se borner
à la rigueur à assurer à celle-ci la possession, dans sa clientèle générale,
du premier client du pays. Des liens plus intimes peuvent rattacher la
Banque à l'État dans l'ordre de la trésorerie. Sans doute, il ne peut être
question de confier à un établissement privé le contrôle proprement dit
de la recette et de la dépense. Le service matériel de caisse doit être seul
en jeu. Mais, dans ces limites, l'État peut demander à la banque et
obtenir d'elle les services les plus importants et les plus variés. » (Sénat,
sess. de 1899-1900, Doc. parL, no 32.)
^ Cf. la brochure de J. Malou, Notice historique sur la Société généraU
pour favoriser Vindustrie nationale, établie à Bruxelles (1823-1868).
Bruxelles, 1863.
(361 )
anonyme qu'il venait de fonder et dont il possédait les quatre
cinquièmes des actions ^.
On reprochait à cette combinaison de manquer de garanties
sérieuses pour la bonne gestion des int^^.réts de l'État 2. Elle
était de plus onéreuse pour le trésor ^ et enfin le système fonc-
tionnait médiocrement, en partie par la faute de l'État. « La
Société générale, en effet, était tenue d'avoir une agence dans
chacun des vingt-six arrondissements judiciaires du pays;
mais l'État qui dirigeait et contrôlait le service par ses direc-
teurs du trésor n'avait de représentants que dans les chefs-lieux
de province. La conséquence de cette situation était la suivante :
d'une part, les versements effectués à la Société par les rece-
veurs de l'État pour le compte du trésor ne pouvaient pas être
immédiatement vérifiés par la comptabilité centrale; de ce
chef, le contrôle de la Gourdes Comptes devenait très difficile,
sinon impossible. D'autre part, les paiements ne pouvant être
effectués par la banque que sur des assignations des direc-
teurs du trésor, les créanciers de TÉtat devaient commencer
par s'adresser à eux, aux chefs-lieux de province : ceci entraî-
nait des lenteurs ^. »
* et * Cf. le discours de M. le baron de Man d'Allenrode (Ch. des
Repr., séance du 6 mars i846), ainsi que toute la discussion de l'arti-
cle 58 (art. 57 du projet) de la loi du 15 mai 1846, notamment dans les
séances de la Chambre des 6 et 11 mars 1846.
3 Depuis 1837, la Société générale touchait Vb ®/« sur les recettes ordi-
naires, */8 ®/o sur les bons du trésor et */ie <>/© sur les emprunts. (Ch. des
Représ., séance du 11 mars 1840.) En outre, TËtat lui remboursait
certaines dépenses. 11 déboursait, somme toute, une somme annuelle
moyenne de 270,000 francs. (Boucard et Jèze, t. II, p. 1165, note 2.)
^ Boucard et Jèze, itnd, — Cf. aussi : Exposé des motifs du projet de
loi prorogeant la durée de la Banque Nationale. . ., par M. de Smet de
Naeyer. (Ch. des Représ., sess. de 1898-1899, Doc, pari,, n» 57, p. 8.) —
« Cette organisation de la trésorerie présentait de graves imperfections
» et donnait lieu aux plus vives protestations de la part de la Cour des
» Comptes qui, faute de justifications suffisantes, refusait son concours
» à la vérification et à farrété des écritures. L'institution de la banque
i> fut Toccasion de mettre fin à cette situation intolérable et d'introduire
» dans la tenue des comptes la clarté et la régularité sans lesquelles le
» contrôle des finances publiques ne saurait être assuré »
( 362 )
La loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l'État prit, à ce
sujet, la disposition suivante : ce Le gouvernement est autorisé
à conserver à la Société générale pour favoriser l'industrie
nationale les fonctions de caissier de l'État, jusqu'au 31 décem-
bre 1849.
» Le caissier général de l'État fournira en immeubles ou en
inscriptions sur le grand-livre de la dette publique un caution-
nement dont le montant sera fixé par arrêté royal.
» Le service de caissier de l'État sera organisé par une loi
spéciale, avant le !«' janvier 1850. » (Art. 58.)
Mais ce fut seulement la loi du 10 mai 1850 qui organisa ce
service en le confiant à la Banque Nationale, instituée par une
loi du 5 mai de la même année.
Une convention entre le gouvernement et la Banque, à
reviser tous les cinq ans (art. 9, loi du 10 mai 1850), devait
régler tous les détails d'organisation du service. La première
convention est datée du 17 novembre 1850 (arr. roy. du 20 dé-
cembre).
La durée de la Banque Nationale avait été fixée à trente ans
(art. 3, loi du 5 mai 1850). Cette durée fut prorogée une pre-
mière fois par la loi du 20 mai 1872. En même temps, la
Banque était maintenue dans ses fonctions de caissier de l'État,
qui furent précisées par une nouvelle convention du 17 juil-
let 1872 (approuvée par un arrêté royal du 19 juillet).
Enfin, la loi du 26 mars 1900 a prorogé la durée de la Banque
Nationale de Belgique jusqu'au 1®' janvier 1929.
Les nouveaux statuts de la Banque, modifiés d'après les
dispositions de cette dernière loi, portent la date du 5 mai 1900.
Ils ont été approuvés par un arrêté royal du 16 mai {Moniteur
du 24 mai).
Une nouvelle convention est intervenue entre le ministre des
finances et la Banque, au sujet de l'organisation du service de
caissier de l'État, le 23 juin 1900 (approuvée par arrêté royal
du 2 juillet. — Moniteur du 6).
Celte convention laisse subsister, dans leurs grandes lignes,
les dispositions de la convention de 1872, qui avait été succes-
sivement renouvelée le 16 avril 1878, le 25 novembre 1882, le
( 363 )
le 30 novembre 1887, le 9 décembre 1892 et le 24 décem-
bre 1897. Elle se contente d'y introduire de simples modifica-
tions aux articles 1, 5, 14, IS et 23. Elle est valable jusqu'au
30 juin 1910.
Actuellement, ce sont donc, avec le texte de cette convention,
les lois combinées des 10 mai 1850, 20 mai 1872 et 26 mars 1900
relatives au service du caissier de l'État, dont le texte a été
publié par arrêté royal du 7 août 1900, qui forment le siège de
la matière i.
La qualité de caissier de l'État confère à la Banque Nationale
de Belgique le caractère de comptable public. Elle est dès lors
soumise à toutes les obligations des comptables qui découlent
* A consulter les différents travaux parlementaires auxquels ont donné
lieu les lois relatives à la Banque Nationale et au service du caissier de
rËtat et notamment :
Institution de la Banque Nationale et organisation du service du
caissier de l'État. (Lois des 5 et 10 mai 1850.) Recueil des documents et
discussions parlementaires. Bruxelles, Hayez, 1851, gr. in-B» de 330 pages.
Banque Nationale. — Documents officiels relatifs à la prorogation de
cette institution, décrétée par arrêté royal du W mai i872, Bruxelles,
Hayez, 1872, gr. in-8« de xcii-696 pages.
Recueil des documents et discussions parlementaires concernant Vinsti-
tution de la Banque Nationale. Bruxelles, Guyot, 1872.
Documents et discussions parlementaires relatifs à la deuxième pro-
rogation de la Banque Nationale :
Exposé des motifs. (Ch. des Représ., séance du 22 décembre 1898,
Doc. pari., n*» 57.)
Rappoj^t fait au nom de la section centrale de la Chambre, par M. Del-
beke. (Ch. des Représ., séance du 29 juin 1899, Doc. pari., n* 224.)
Rapport fait au nom de la commission du Sénat, par M. Descamps-
David. (Sénat, séance du 17 mars 1900, Doc. pari., n» 32.)
Discussions. Chambre : Séances des 6, 7, 8, 12, 13, 14 et 15 décem-
bre 1899; des 16, 17, 18, 19. 23, 24, 25, 26, 30 et 31 janvier 1900; des
1«, 2, 6, 7, 8, 9, 13, 14, 15 et 20 février 1900. — Sénat : Séances des
22 et 23 mars 1900.
MM. BoucARD et Jèze ont consacré, dans leur Traité, une monographie
très précise et très documentée à l'organisation du service du caissier de
l'État en Belgique, t. II, pp. 1164-1185. — Cf. aussi : Stourm, pp. 477
et suiv.
(364)
des prescriptions de la loi sur la comptabilité et de la loi sur
la Cour des Comptes et qui ne sont pas incompatibles avec les
principes qui régissent les sociétés anonymes (lois comb. ^
art. 2).
La Banque établit une agence dans chaque chef-lieu d'arron-
dissement judiciaire, et, en outre, dans les localités où le
gouvernement le juge nécessaire dans Hntérét du trésor et du
public (art. 3, lois comb., art. 2, convention de 1872).
II y a actuellement, outre la succursale d'Anvers, trente-neuf
agences de la Banque Nationale. Les bureaux des agents sont
ouverts tous les jours, les dimanches et les fêtes exceptés. Les
heures d'ouverture et de fermeture de leurs bureaux sont fixées
de commun accord entre le ministre des finances et l'admi-
nistration de ta Banque (art. 22, convent. de 1872). Les bureaux
sont ouverts, aujourd'hui, tous les jours ouvrables de 9 heures
à 14 heures.
Les agents de la Banque sont nommés par le Roi, sur une
liste double de candidats présentés par le conseil d'adminis-
tration de rétablissement. Ils sont révoqués par le Roi, sur la
proposition du conseil d'administration. Celui-ci peut les
suspendre, de sa propre autorité, pour un mois au plus. La
Banque nomme son délégué au siège social à Bruxelles. Elle
pourvoit au remplacement temporaire des agents. En cas de
vacance, elle soumet au ministre des finances, dans les trois
mois au plus tard, ses propositions pour la nomination d'un
titulaire. Les agents de la Banque ne peuvent prétendre à une
pension à la charge du trésor. Ils fournissent, à la garantie
de leur gestion envers le caissier, un cautionnement soit en
immeubles, soit en fonds nationaux (art. 5, lois comb., art. 3,
convent. de 1872). La Banque fait parvenir au ministre des
finances les signatures de ses agents titulaires ou intérimaires
et de son délégué ù Bruxelles, avant qu'ils entrent en fonctions.
Le ministre transmet de même à la Banque les signatures des
* Nous entendons par lois combinées : les lois des 10 mai d850,
20 mai 1872 et 26 mars 1900, relatives au service du caissier de TÉtat, et
nous les citons dans le texte publié par Tarrêté royal du 7 aoilt 1900.
( 365 )
agents du trésor (art. 6, convent. de 1872). Ces dispositions
sont prises afin de permettre Texercice du contrôle.
La Banque est responsable de sa gestion et de celle de ses
agents. Il n'y a d'exception que pour les cas de force majeure,
dont l'existence et l'application aux fonds reçus pour le compte
de l'État seraient dûment constatées (art. 4, lois comb.). Le
règlement d'ordre de la Banque déclare les agents responsables
de toutes les sommes et valeurs versées dans leurs caisses, à
quelque titre que ce soit (art. 242). Les dispositions de la loi
des 5-18 septembre 1807 qui règle le privilège et l'hypothèque
légale du trésor public, sur les biens des comptables, sont
applicables au caissier de l'État (art. 8, lois comb.).
Quelles sont les attributions du caissier de l'État?
L -- La Banque reçoit les versements et fait les paiements
pour le compte de l'État dans toutes ses agences (art. 7, al. 1,
convent. de 1872).
A. — Centralisation des recettes.
Les comptables de l'État versent le produit de leurs recettes,
après acquittement des dépenses assignées sur leurs caisses,
entre les mains du caissier de l'État ou de ses agents en pro-
vince. Ces versements ont lieu une ou plusieurs fois par mois,
selon l'importance des recouvrements, les ordres et les néces-
sités du service, de telle sorte que, à moins d'autorisations
contraires, les comptables ne conservent point en caisse une
somme libre excédant 5,000 francs. Les derniers versements
sont effectués, au plus tard, le dernier jour du mois de recou-
vrement. Par exception, les produits du mois de décembre
doivent être versés, au plus tard, le 28 du même mois (art. 24,
25 et 26 de l'arr. royal de 1868).
Tout versement ou envoi en numéraire et autres valeurs fait
dans les caisses de l'État pour un service public, donne lieu à
la délivrance d'un récépissé à talon, avec imputation de verse-
ment (art. 4, loi de 1846).
( 36&)
En conséquence, le caissier de l'État ou ses agents délivrent,
pour chaque versement, un récépissé à talon, daté et numéroté,
indiquant Pimputation et exprimant la qualité de la partie
versante, ainsi que la somme versée (art. 27, arr. de 1868).
Ce récépissé est libératoire pour le comptable, il forme titre
envers le trésor public, à la charge toutefois pour la partie ver-
sante de le faire viser et séparer de son talon dans les vingt-quatre
heures par les fonctionnaires et agents administratifs à désigner
à cet effet (art. 4, al. 2, loi de 1846).
Cet article organise de la manière la plus ingénieuse le
contrôle des versements opérés par les comptables, lequel
s'exerce de la manière suivante.
Pour chaque versement reçu dans la caisse de l'Etat, l'agent
de la Banque délivre à la partie versante un récépissé à talon,
dans les formes prescrites à l'article 27 de l'arrêté de 1868.
Mais ce récépissé n'est qu'un simple reçu, il n'a aucune
force libératoire, il ne constitue pas un titre envers le trésor
public, à moins de le faire viser et séparer de son talon par
les agents de l'État désignés à cet effet.
Le récépissé visé par l'agent de l'Etat est remis au comptable
qui a opéré le versement. Cette remise signifie que ce verse-
ment a été contrôlé par l'agent de l'Etat qui avait qualité à cet
effet, que ce versement a été réellement opéré dans la caisse de .
l'État et que par conséquent le comptable est libéré et déchargé
de toute responsabilité de ce chef.
Le talon séparé du récépissé est gardé par l'agent de l'État,
qui a visé le récépissé. Il forme titre vis-à-vis du caissier de
l'État, vis-à-vis de l'agent de la Banque, qui devra rendre
compte de l'import du versement, qu'il a déclaré avoir reçu
par la remise du récépissé à la partie versante.
C'est ainsi que l'agent de l'État, à ce désigné, contrôle par
une même opération le versement opéré par le comptable et
le versement reçu par l'agent de la Banque.
Quels sont les agents de l'État chargés de ce contrôle?
L'article 4 de la Convention de 1872 répond : « Dans toutes les
localités où une agence de la Banque est instituée, il y a un
( 367 )
agent du trésor chargé spécialement du contrôle des opérations
de recette et de dépense.
Le service des agents du trésor a été organisé par l'arrêté
royal du 28 octobre 1850 ^. Ces agents remplacent depuis le
1«' janvier 1851 les directeurs provinciaux du trésor, dont les
attributions leur ont été transmises depuis cette époque.
Ils sont nommés par le Roi (art. 2, arr. de 1850). Les
articles 3 et 4 de ce même arrêté organisent le contrôle des
versements de la manière que nous venons de décrire : « Les
agents du trésor sont chargés de constater les versements
effectués entre les mains des agents de la Banque Nationale en
sa qualité de caissier de l'État. A cet effet, les récépissés délivrés
par les agents de la Banque Nationale seront visés par les
agents du trésor, qui en détacheront le talon et en passeront
écritures (art. 3) ». Les parties versantes sont tenues d'accom-
pagner leurs versements d'un bordereau indiquant l'imputa-
tation (art. 4).
Des mesures seront prises par le ministre des finances, de
concert avec le gouverneur de la Banque Nationale, pour que
les bureaux des agents de la Banque et ceux des agents du
trésor soient établis dans le même local ou aussi rapprochés
que possible, conformément à l'article 12 de l'arrêté royal du
28 octobre 1850. Lorsque le service de l'agent du trésor peut
être établi chez l'agent de la Banque, celui ci a droit à une
« Arrêté royal du 28 octobre 1850 sur l'organisation du trésor dans les
provinces. {Moniteur du !•' novembre.) — Les arrêtés royaux du 30 mai
1871 et du 31 décembre 1875 (Moniteur du 6 janvier 1876) ont complété
cette organisation. Ce dernier arrêté a notamment modifié le tableau indi-
quant les résidences, traitements, frais de bureau et les cautionnements
des agents du trésor et qui était annexé à l'arrêté de 1850.
Une instruction ministérielle du 20 octobre 1865 pourvoit à l'exécution
de l'arrêté de 1850 et règle tout ce qui est relatif au paiement des ordon-
nances et des pensions.
Un arrêté royal du 31 décembre 1864 autorise le ministre des finances
à instituer des agents auxiliaires du trésor.
11 y a actuellement trente et une agences du trésor et onze agents
auxiliaires.
( 368 )
indemnité, à fixer de concert avec la Banque (art. SI, con-
vent. de 1872).
La Banque intervient dans les frais de la trésorerie en pro-
vince à concurrence d'une somme annuelle de 330,000 francs.
Cette somme ne pourra être augmentée aussi longtemps que
la Banque Nationale sera chargée du service de caissier de
l'État (art. 5, convent. de 1873, modifiée par celle du 23 juin
1900).
Cette somme de 230,000 francs représente, à l'heure actuelle,
la totalité des frais occasionnés à l'Etat par le service de la
trésorerie en province. Les frais de l'administration centrale
restent, dès lors, seuls à la charge de l'État.
B. — Paiement des dépenses.
La Banque ne paie aucune dépense avant d'avoir reçu du
ministre des finances avis des ouvertures de crédit et des
dispositions sur la caisse de l'État. Le ministre indique les
localités du royaume dans lesquelles les paiements doivent
avoir lieu (art, 8, convent. de 1872) *.
C'est ainsi que le service des paiements, comme celui des
ordonnancements, dont nous parlerons plus loin, est centralisé
et unifié.
Le ministre informe aussi la banque de l'émission de
mandats pour restitution des titres et valeurs déposés dans sa
caisse. Cet avis n'est pas requis en ce qui concerne les litres
appartenant à la caisse d'amortissement et à celle des dépôts et
consignations (art. 10, convent. de 1872).
< La Banque fait les fonds nécessaires à cet effet; elle supporte tous
les frais d'administration, de matériel, ainsi que de transport et de
virement de fonds (art. 8, al. 2, convent. de 4872).
Si la Banque est chargée d'effectuer des envois de fonds à l'étranger
pour le compte du trésor, les frais de ces envois lui sont remboursés
(art. 9, ibid.).
La Banque paie cependant, sans ouverture de crédits, entre autres :
les coupons d'intérêt des emprunts de l'État (art. 11, convent. de i872).
( 369 )
La Banque, de son côté, informe ses agents des dispositions
faites par le ministre des finances ou par son délégué et qui
sont payables à leur caisse.
Elle leur fait connaître aussi le nom de Tagent du trésor
appelé à viser les ordonnances, mandats ou bons du trésor
qu'ils ont à payer (Règlement d'ordre de la Banque, art. 345).
Et en effet, les mandats et ordonnances de la trésorerie ne
sont pas payés par les agents de la Banque, à moins d'être
revêtus du visa de l'agent du trésor. Les agents du trésor sont
chargés du service des dépenses publiques ordonnancées par
la trésorerie. Après avoir reçu avis du département des finances
des paiements à faire, ils disposent, selon la nature des
dépenses, soit sur le caissier de TÉtat ou ses agents, soit sur les
caisses des receveurs des impôts (art. 133, arr. de 1868).
Les paiements sont assignés par les agents du trésor sur les
caisses des agents de la Banque, au moyen d'un visa portant :
vu bon à payer à apposer sur les litres de créances (ordonnances,
mandats, etc.) revêtus de l'acquit des parties et de toutes les
autres formalités requises (instructions ministérielles du 8 dé-*
cembre 1850, § 8).
Cependant, les agents de la Banque ne peuvent dans aucun
cas acquitter des ordonnances, des mandats ou des bons du
trésor, revêtus du visa de l'agent du trésor, pour une somme
qui excéderait le montant des crédits ouverts par le ministre des
finances et dont les agents auraient été informés par l'adminis-
tration de la Banque. Ils portent immédiatement à la connais-
sance de celle-ci les demandes de paiement refusées ensuite
de cette prescription (art. 246 du règlement d'ordre de la
Banque).
Si donc les agents de la Banque ne peuvent payer les ordon-
nances ou mandats non revêtus du visa de l'agent du trésor, ce
visa ne les dispense toutefois pas de vérifier si la somme à
payer ne dépasse pas le montant des crédits ouverts par le
ministre des finances, dont ils ont reçu avis.
Lorsque les paiements ont été effectués par les agents de la
Banque, ceux-ci envoient à l'agent dii trésor, contre reçu, les
Tome LXVL 24
{ 370 )
pièces acquittées. L'agent du trésor constate alors les paiements
effectués par les agents de la Banque (art. 6, arr. du 28 octo-
bre 1850).
Les agents du trésor constateront égalenâent dans leurs écri-
tures, sur la production des pièces acquittées, les paiements
faits, sans leur intervention, par les agents de la Banque, pour
le service de la dette publique ou d autres services spéciaux
(art. 7, ibid.).
Aucune dépense ne sera assignée directement par l'adminis-
tration centrale du trésor public sur la caisse des comptables
des administrations des recettes. Les mandats dûment acquittés
que les agents du trésor sont autorisés à émettre sur les caisses
des receveurs des contributions directes, douanes et accises, de
l'enregistrement et des domaines et des postes seront échangés
chez ces agents contre des assignations sur les agents de la
Banque (art. 9, ibid.). Les mandats sont détaillés sur un borde-
reau. L'agent du trésor, après examen des mandats qu'il
retient, appose sur le bordereau un visa ainsi conçu : vu bon à
échanger contre un récépissé de versement.
Les agents de la Banque délivrent alors aux receveurs des
récépissés à talon, comme pour les versements en numéraire
(art. 9, ibid.).
Les écritures des agents du trésor et des agents de la Banque
Nationale seront combinées de manière à se contrôler les unes
les autres. Le rapprochement de leurs livres aura lieu à des
époques périodiques à déterminer par le ministre des finances
(art. 8, ibid.).
Les agents du trésor renvoient, tous les mois, au ministre
des finances, les ordonnances de paiement acquittées. Ils y
joignent les quittances des paiements faits après le renvoi des
ordonnances collectives d'où elles dérivent (art. 183, arr. de
1868). (Cf. plus loin.)
Les opérations des agents du trésor font l'objet d'une
comptabilité spéciale. Ils produisent annuellement à la Cour
des Comptes le compte de leur gestion (art. 134, arr. de 1868).
Enfin, pour achever l'exposé des attributions de l'agent du
( 371 )
trésor, qui se lient si intimement à celles du caissier de l'État,
il faut mentionner encore l'article 10 de Tarrêté du 28 octobre
1850, en vertu duquel la comptabilité des fonds provinciaux
reste centralisée. Elle est confiée aux agents du trésor dans les
chefs-lieux de provinces (cf. aussi les art. 203 à 213 de Tarr.
de 1868).
En résumé, dit M. Stourm ^, « l'agent du trésor, logé autant
que possible dans les bâtiments mêmes de la Banque, ou tout
à proximité, vise les récépissés délivrés par le caissier de
l'Etat et en détache le talon, opération analogue à celle que les
préfectures et sous-préfectures effectuent en France à l'égard
des trésoriers généraux. Pour les dépenses, il vise et revêt de
son ce vu bon à payer » les ordonnances de paiement délivrées
par les départements ministériels, que les parties prenantes
viennent d'abord lui présenter; le caissier de l'État paie ensuite
sur la production des pièces revêtues de ce « vu bon à payer ».
Le délégué du trésor auprès de chaque agence tient donc, pour
ainsi dire, les clefs de la caisse, sans toutefois manier person-
nellement les fonds. »
II. ~ La Banque est en outre chargée :
a. Du service et de la conservation des fonds publics de la
trésorerie, de la caisse d'amortissement et de la caisse des
dépôts et consignations, ainsi que des services qui y sont ou
pourront être rattachés (cautionnements);
b. De la réception des titres de la dette publique destinés à
être convertis en inscriptions nominatives et de la restitution
des titres provenant des transferts au porteur;
c. De l'encaissement — s'il y a lieu — des coupons des titres
dont elle a la garde, ainsi que des arrérages des rentes dont
les inscriptions sont déposées à la trésorerie de l'État, pour
compte d'établissements publics (crédit communal, caisse
d'annuités, vicinaux). Le montant de ces encaissements est
< Loc. cit., p. 478»
( 372 )
versé au trésor conformément aux instructions de l'administra-
tion de la trésorerie (art. 7, al. 2 de la convention de 1872).
Les coupons d'intérêt des emprunts de l'État sont payables
dans toutes les agences de la Banque, sans ouverture de cré-
dit. Le ministre se réserve, après avoir entendu le conseil
d'administration de la Banque, d'étendre cette disposition à
d'autres valeurs et de rendre les intérêts, ainsi que les
capitaux payables dans les agences qu'il désignera (art 11 delà
convention de 1872).
in. — Placement des fonds disponibles.
Les fonds disponibles du trésor ne sont pas admis à figurer
dans la réserve métallique de la Banque et celle-ci ne peut en
faire emploi à son profit pendant le temps où elle en a la garde
et la responsabilité.
La Banque est, au contraire, chargée d'en opérer le place-
ment au profit de l'État, et bien que de ces placements elle
n'ait que les charges, sans aucune participation aux bénéfices,
elle en est responsable envers le trésor (cf. Bapport Delbeke,
loc. cit.).
C'est ce que décident les articles 14 à 20 de la convention de
1872, modifiée par celle du 23 juin 1900 ^.
La Banque fera le placement des fonds disponibles du trésor
excédant les besoins du service.
Est considéré normalement comme fonds disponible, le
solde que présente le compte courant du trésor, après déduc-
tion des dispositions de l'État ^ (article 14).
* Cf. rarticle 7, al. 3 des lois combinées
* D'après la convention de 1872, on considérait comme fonds norma-
lement disponibles le solde que présentait le compte courant du trésor,
après déduction du montant des dispositions de l'État, augmenté de
Ô millions de francs.
La convention du 23 juin 1900 (art. 14) a supprimé cette restriction.
A l'avenir, l'encaisse disponible sera intégralement placée au profit de
( 373 )
Afin d'établir ce solde, la Banque adressera, tous les deux
jours, au ministre des finances et des travaux publics, une
situation sommaire des recettes et des dépenses, présentant
le montant de l'encaisse et des dispositions courantes.
Si, d'après ces situations, le montant des dispositions excède
le chiffre de l'encaisse pendant plus de six jours, le ministre
fait réaliser les sommes nécessaires pour rétablir l'équilibre
(art. 14).
Le placement des fonds disponibles consistera, en général,
en achat de valeurs commerciales sur l'étranger payables en
numéraire. Il sera fait dans le délai de cinq jours francs après
la réception de l'ordre de placement donné à la Banque par le
ministre des finances et des travaux publics.
S'il n'a pas été opéré dans ce délai, la Banque établira
néanmoins le décompte des placements comme si ceux-ci
avaient été effectués dans ledit délai ^.
Toutefois, le ministre des finances et des travaux publics se
réserve, après avoir entendu le conseil d'administration de la
Banque, de faire opérer exceptionnellement des placements en
valeurs belges et spécialement en promesses ou simples traites
escomptées par l'intermédiaire des comptoirs de la Banque et
ce à des conditions identiques à celles que la Banque admet
pour les escomptes qui lui sont propres (art. 15).
Les achats et les ventes ou réalisations pour le compte du
trésor sont faits d'après les instructions du ministre des
finances.
La Banque Nationale reste garante, conformément au droit
commercial commun, du remboursement en écus à l'échéance
de toutes les valeurs acquises ou appliquées pour le compte
du trésor (art. 16).
rÉtal. On estime qu'au taux moyen du portefeuille, cette concession
faite par la Banque vaut au trésor public un supplément annuel de
100,000 francs environ. (Exposé des motifs, loi de 1900, loc. cit.) De 1872
à 1900, au contraire, la Banque pouvait faire emploi à son profit de la
somme de 5 millions.
* Disposition ajoutée par la convention du 23 juin 1900.
( 374 )
Les profits et les pertes résultant du change, les frais d'assu-
rance et de transport d'espèces à l'étranger ou venant de
l'étranger, le ducroire payé aux maisons étrangères, les com-
missions des comptoirs ou autres intermédiaires auxquels la
Banque aurait eu recours, seront pour le compte de l'État
(art. 17).
A la fin de chaque journée, la Banque transmet au ministre
un tableau indiquant les achats et les ventes ou encaissemeDts
qu'elle a opérés pour le compte du trésor.
Elle lui adresse : 1» à la fin de chaque semaine, un état som-
maire du mouvement du portefeuille spécial, et 2<> à la fin de
chaque quinzaine, un relevé de la situation et des opérations
de la quinzaine.
Les pièces justificatives des frais relatifs à ces opérations y
seront, le cas échéant, annexées (art. 18) ^.
Chaque année, dans le courant du mois de janvier, la
Banque adresse les comptes de sa gestion, en ce qui concerne
les placements qu'elle a opérés pour le trésor pendant Tannée
précédente.
La forme de ces tableaux, états, relevés et comptes sera
arrêtée de concert avec le ministre des finances et la Banque
Nationale (art. 20).
La qualité de caissier de l'État attribue donc à la Banque
Nationale de Belgique le maniement de tous les fonds et
valeurs appartenant soit au trésor, soit aux institutions res-
sortissant à l'administration des finances. La Banque est char-
gée, en outre, de certains services qui ne découlent pas direc-
tement de ses fonctions de caissier de l'État. Elle a notamment
la garde des valeurs appartenant à la Caisse générale d'épargne
et de retraite (loi du 16 mars 186S, art. 27, 28, 30) et la gestion
de son portefeuille.
* Les dispositions des articles 14 à 18 inclusivement pourront éti-e
revisées, modifiées ou complétées à toute époque par le ministre des
finances d'accord avec l'administration de la Banque (art. 19),
( 375 )
Le concours que la Banque prête à la Caisse d'épargne n'est
pas absolument gratuit. Ses agents touchent de ce chef cer-
taines bonifications, mais elles sont minimes (en 1898 :
fr. 16,801), et les bons offices de la Banque sont, en somme,
véritablement onéreux pour elle ^.
L'importance des fonctions du caissier de TÉtat peut se
mesurer au mouvement général des opérations de la Banque
Nationale pour le compte de l'État.
En 1899, il présentait la situation suivante ;
Recettes.
Versements fr, 1,676,140,503 94
Inscriptions nominatives 83,949,600 »
Cautionnements (numéraire) 11,365,271 43
— (fonds publics) .... 19,751,100 »
Trésorerie (valeurs diverses) 71,085,772 50
. Amortissements, dépôts et consignations 83,353,025 »
Portefeuille du trésor et correspondants
étrangers 379,652,858 96
2,325,298,131 83
Dépenses.
Paiements fr. 1,698,930,813 56
Inscriptions nominatives 84,411,500 »
Cautionnements (numéraire) 11,307,839 69
— (fonds publics) .... 19,211,820 »
Trésorerie (valeurs diverses) 82,210,028 50
Amortissements, dépôts et consignations 68,482,700 »
Portefeuille du trésor et correspondants
étrangers 378,053,332 81
2,342,608,034 56
* Rapport Descamps-David, loc. cit,^ et rapport Delbeke, Annexes
réponses aux XX» et XX1« questions.
( 376 )
Le mouvement général des opérations dépasse donc large-
ment les 4 ^/^ milliards. En 1872, il atteignait à peine le quart
de cette somme.
D'autre part, le mouvement du compte courant du trésor
public à la Banque Nationale ^ a atteint successivement les
chiffres suivants :
En 1851 303,400,000 francs.
1860 380,800.000 —
1870 547,800,000 -
1880 1,605,200,000 —
1890 2,200,400,000 -
1900 3,802,000,000 -
Hais, et nous l'avons déjà fait observer, il ne s'agit danstoat
cela que du service matériel de la caisse.
L'ouverture des crédits, le contrôle, la surveillance dépen-
dent exclusivement de l'État et de 3es agents.
Le contrôle de l'État est assuré d'abord par la nomination
des agents de la Banque et leur révocation, qui appartient au
Roi, et par l'institution des agents du trésor. Nous n'avons
plus à y revenir.
De plus, un commissaire du gouvernement surveille les
opérations de la Banque et notamment l'escompte, les émis-
sions de billets et le placement des fonds disponibles du
trésor. Son traitement est fixé par le Roi, de concert avec la
Banque, et payé par celle-ci 2.
Le contrôle et la surveillance des écritures et des caisses
des agents de la Banque sont exercés par le gouvernement.
Les journaux et autres registres relatifs au service du trésor
sont tenus d'après un mode à arrêter par le gouvernement.
Les journaux sont cotés et paraphés par un membre de la
^ Rapport sur Les opérations de la Banque pendant Vannée 1900, p. 26.
Bruxelles, imprimerie de la Banque, 1901.
« Cf. Statuts de la Banque, articles 76, 77, 78.
( 377 )
Cour des Comptes (art. 6, al. 1 des lois comb.). La comptabi-
lité est tenue suivant les règlements et instructions arrêtés
par le ministre des tinances (art. l'*^ al. 3 de la convention de
1872).
Les agents de la Banque soumettront les caisses, les registres
et les journaux à l'inspection des fonctionnaires délégués à cet
effet par le ministre des finances (art. 6, al. 9 des lois combi-
nées). L'article 253 du Règlement d'ordre de la Banque repro-
duit cette disposition : ce Tout agent auquel le délégué de
Tadministration se présente pour procéder à une inspection,
muni des pouvoirs nécessaires, est tenu de mettre sous ses
yeux, à l'instant même, tous ses livres de comptabilité, tous
les billets, espèces et valeurs existant dans la caisse, et de lui
donner tous les renseignements réclamés ».
La Banque Nationale adresse au ministre des finances, au
plus tard le 10 et le 25 de chaque mois :
A, — Un compte des recettes et des dépenses arrêté à
l'expiration de la quinzaine écoulée. Ce compte présente :
l» le solde en caisse au commencement de l'année; 2® les
recettes et les paiements de l'année, avec indication, par
agence, des sommes se rapportant à la dernière quinzaine;
3^^ le solde en caisse au commencement de la quinzaine cou-
rante. Les dispositions courantes et les crédits encore ouverts
seront déduits de ce dernier solde, de manière à établir le
montant net du solde disponible.
B. — Un compte, dressé dans une forme analogue, des
obligations de la dette publique et autres valeurs reçues et
restituées larl. 12 de la convention de 1872).
Nous avons déjà signalé les tableaux, états, relevés et comptes
que la Banque doit présenter au ministre des finances pour la
comptabilité des fonds disponibles (art. 14 et suiv. de la con-
vention de 1872).
Enfin, en vue de permettre à la Cour des Comptes d'exercer
son contrôle, la Banque lui soumet, au mois de janvier, en
( 378 )
triple expédition, par Tintermédiaire du ministre des finances,
le compte de sa gestion de Tannée précédente comme caissier
de l'État. Ce compte est divisé en deux parties distinctes :
l'une présentant, par agence, les opérations en deniers; l'autre,
les opérations en titres et valeurs.
L'une des expéditions du compte, accompagnée de Tarrét
de la Cour, est renvoyée à la Banque (art. 13 de la convention
de 1872).
La Banque fait gratuitement le service de caissier de TÉtat
(art. 7 des lois combinées). Elle ne reçoit donc aucune indem-
nité. Non seulement les services qu'elle rend sont gratuits,
mais ils sont onéreux pour elle. « L'État fait payer le service
par celui qui le rend. » (Rapport Delbeke.)
Et cela de diverses manières :
l'» Intervention dam les frais de la trésoreiie en province^
La loi du 10 mai 1850 avait, il est vrai, alloué à la Banque
une indemnité annuelle de 200,000 francs. « L'augmentation
continue de ses bénéfices, dont FÉtat, sous le régime de la loi
de 1850, ne prélevait qu'une part modique (l'unique redevance
de la Banque à l'État était celle de Ve ^^s bénéfices dépas-
sant 6 Vo), amena la Banque, lors des renouvellements pério-
diques de la convention réglant le service du caissier, à renon-
cer graduellement à cette rémunération. » (Exposé des motifs
de la loi de 1900).
Réduite en 1856 à 100,000 francs, l'indemnité fut supprimée
en 18H1. En 1870, on alla plus loin et il fut convenu que la
Banque interviendrait dans les frais de trésorerie, à concur-
rence de 175,000 francs, somme égale à peu près au chiffre de
la dépense à cette époque. Ce chiffre fut maintenu dans la
convention de 1872 ; la convention de 1900 (art. 5) l'a porté à
230,000 francs, ainsi que nous l'avons dit, avec la condition
que cette somme ne pourra être augmentée aussi longtemps
que la Banque sera chargée du service de caissier de l'État.
Mais cette restriction figurait déjà dans la convention de 1871
( 379 )
2« Placement des fonds disponibles.
Nous en avons déjà parlé. Cette disposition fut, au point de
vue des intérêts de TÉtat, une des plus heureuses additions
apportées par le législateur de 187!2 à la loi de 1850. De 1872
à 1898, le produit des placements faits par la Banque pour le
compte de l'État et sous sa propre responsabilité a dépassé
18 millions de francs. Au budget de 1902 (voies et moyens,
art. 43), ce produit est évalué à i ,200,000 firancs.
3« Part de FÉtat dans les bénéfices réalisés par la Banque
Nationale.
Le quart des bénéfices excédant 4 »/o est attribué à l'État
(art. 2, al. 3 de la loi du 26 mars 1900).
« S'il est juste qu'en retour du privilège d'émission, l'État
obtienne une part des profits de la Banque, il est équitable de
laisser aux actionnaires un revenu en rapport avec la priva-
tion de leur argent et les services que la Banque est appelée à
rendre,
» Fixé en 1880 à 6 •/», ce revenu fut maintenu au même
taux par la loi du 20 mai 1872. Le gouvernement tenant
compte de la dépression subie depuis 1872 par le loyer des
capitaux, a cru convenable d'abaisser de 6 à 4 Vo du capital de
50 millions, soit de 3 à 2 millions, la part fixe prélevée au
profit des actionnaires sur les bénéfices réalisés par la Banque.
» La part de l'État restant fixée au quart, c'est une plus-value
annuelle de recette de 250,000 francs assurée au trésor
public. » (Exposé des motifs de la loi de 1900.)
De 1873 à 1899, alors que l'État touchait un quart des
bénéfices excédant 6 Vo» ^a part de l'État s'était élevée à
fr. 31,104,864 48, soit une moyenne annuelle de 1 million
152,030 francs.
En 1900, sous le nouveau régime, elle a atteint 2 millions
114,675 fr. 86 centimes. Elle est évaluée au budget de 1902 à
2,200,000 francs.
On a calculé la part respective prélevée par les actionnaires
( 380 )
et par TÉtat dans les bénéfices réalisés par la Banque, en
1872 et en 1899 1.
En 1872, la part totale des actionnaires était à celle de l'État
comme 4654 est à 1.
En 1899, la part totale des actionnaires était à celle de l'État
comme 2^^6 est à 1.
4« L'État touche encore ^/^ "/o par semestre, sur F excédent de
la circulation moyenne des billets au delà de 275,000 francs (loi
de 1872 et loi de 1900).
Disposition introduite dans la loi de 1872, sur l'initjative de
M. Pirmez.
De 1873 à 1899, l'Etat avait touché de ce chef 13 millions
141 fr. 67 centimes, soit une moyenne annuelle de 481 mille
486 fr. 73 centimes.
Enl900,fr. 1,463,938 99.
Budget de 1902, fr. 1,745,000 francs.
o« Attribution à VÉtat du bénéfice résultant de la différence
entre l'intérêt de 5 ^/^ "/« ^l '^ ^^^^ d'intérêt perçu par la Banque
(loi de 1900, art. 2, al. 4j.
Disposition inscrite dans la loi de 1872, afin d'éviter les
élévations arbitraires du taux de l'escompte par la Banque.
Sous le régime de cette loi, l'État percevait la différence entre
le taux de 5 */o et celui perçu par la Banque. La loi de 1900 a
abaissé ce taux de 5 à 3 ^/^ ''/o, en raison de la réduction dii
loyer de l'argent et pour continuer à réaliser les intentions du
législateur de 1872. (Exposé des motifs, loi de 1900.)
Toutefois, celte disposition de la loi de 1872 n'a eu d'effet
qu'en 1873, 1874, 1881, 1882, 1888, 1889 et 1899. Elle a pro-
duit au profit du trésor une recette totale de fr. 2,330,182 m
6*» Versement au trésor public par la Banque de la valeur des
billets de banque d!un type remplacé ou supprimé.
Cette disposition a été nouvellement introduite par la loi de
* Cf. Rapport Descamps-David, annexe V.
( 381 )
1900 (art. 6) : « La Banque versera au trésor public, dans le
mois qui suivra la promulgation de la présente loi, la valeur
des billets de banque appartenant aux émissions antérieures à
l'année 1869, qui n'ont pas été jusqu'ici présentés au rem-
boursement.
» Chaque fois qu'un type de billet de banque sera remplacé
ou supprimé, la Banque versera au trésor, à l'expiration du
délai fixé dans chaque cas par une convention spéciale, la
valeur des billets de ce type qui n'auront pas été présentés au
remboursement. Cette disposition est applicable aux billets de
20 francs du type antérieur à celui créé en 1897.
» Les billets dont la contre-valeur aura été versée au trésor
seront retranchés du montant de la circulation ; le rembourse-
ment de ceux de ces billets qui seront ultérieurement présentés
aux guichets de la Banque s'effectuera pour le compte du
trésor. »
L'Exposé des motifs expliquait cette disposition en ces
termes : « Il reste en circulation un certain nombre de billets
de la Banque Nationale appartenant à des types abandonnés
depuis longtemps. 11 est fort rare que des billets de cette
nature soient présentés aux guichets de la Banque; on peut,
sans crainte de se tromper, affirmer que la plupart d'entre eux
sont perdus ou détruits. Ils continuent cependant de figurer
au passif de la Banque Nationale. Il n'existe pas, en effet, de
prescription en cette matière : la Banque demeure indéfini-
ment tenue de payer à vue tous les billets émis par elle; si elle
venait à cesser d'exister, elle devrait consigner les fonds néces-
saires pour rembourser ceux d'entre eux qui n'auraient pas été
présentés au remboursement avant la clôture de la liquidation.
» A l'avenir, chaque fois que la Banque aura renoncé à un
type de billet, elle versera au trésor le montant des billets de
ce type qui ne lui auront pas été présentés dans un délai à
fixer de commun accord entre le gouvernement et le conseil
d'administration.
» Par première application de ce principe, la Banque ver-
sera immédiatement au trésor de l'État le montant des billets
( 382 )
appartenant à des émissions antérieures à 1869 et qui n'ont pu
être retirés jusqu'ici de la circulation.
» Le trésor assurera le remboursement de ceux de ces billets
qui viendraient à être présentés ultérieurement. »
Le premier versement fait par la Banque au trésor de la
valeur des billets antérieurs à 1869 a produit plus de 1 million.
7» Services gratuits rendus par la Banque, soit à des particu-
liers ^ soit à certaines institutions.
Nous signalerons dans cet ordre d'idées : le service des accré-
ditifs, qui est des plus utiles, pour les envois d'argent d'une
place à une autre, à l'égal des mandats-poste. Mais les accré-
ditifs ont, sur ceux-ci, l'avantage de ne rien coûter. Jusqu'en
1872, la Banque percevait une commission de ^/^ "/oo. Celle
taxe a été abolie par décision du 8 juillet 1871. Le mouvement
des accréditifs (recettes et paiements) a été le suivant de 186^
à 1900 ^ :
En 1863 : 13,200,000 francs.
1870 : 54,300,000 -
1880 : 1,543,400,000 — (Gratuité depuis 1872.)
1890 : 1,843,200,000 —
1900 : 2,900,700,000 —
Il faut noter de même les relations entre la Banque et les
sociétés mutualistes reconnues. La Banque se charge, à titre
gratuit, de la garde des dépôts fermés qu'opéreront les sociétés
mutualistes reconnues, les frais de transport des valeurs à
Bruxelles demeurant seuls à charge des déposants. Les dépôts
à découvert opérés par les mêmes sociétés se feront aux con-
ditions ordinaires des tarifs, les frais du premier transport de
valeurs effectué pour compte d'une société mutualiste demeu-
rant à charge de la Banque (Statuts de la Baiiqtie, art. 40).
Tous ces avantages concédés par la Banque à l'État, à cer-
tains établissements publics, à certaines sociétés ou aux par-
* Cf. Rapport de la Banque Nationale pour 1900, p. 27.
( 383 )
ticuliers ne sont en aucune façon compensés par un régime
de faveur, dont jouirait la Banque au point de vue fiscal.
Elle reste soumise au droit commun. Elle paie le droit de
patente, le droit de timbre sur les billets, etc., dont Timport
est considérable,
La Banque a payé du chef du droit de patente :
En 1900 : fr. 263,815 68 (centimes additionnels, province
et commune compris.)
et 164,884 80 pour TÉtat seul.
Du chef du droit de timbre sur la circulation fiduciaire
(abonnement) :
En 1899 : fr. 269,038 20
1900 : 288,241 77
La gratuité des services et les redevances que paie la Banque,
sous diverses formes, se justifient d'ailleurs parfaitement et
par Tappui moral que donne à cet établissement la clientèle de
l'État et surtout par la faculté octroyée à la Banque d'émettre
des billets reçus dans les caisses du trésor.
Il faut renoncer à déterminer les frais qu'occasionne chaque
année le service de caissier de l'État. Ainsi que le remarque
M. Delbeke dans son excellent rapport : « La confusion néces-
saire des services généraux, la communauté des locaux, l'iden-
tité du personnel opposent des obstacles infranchissables à
une décomposition mathématique (de la dépense), mais on
trouvera dans les réponses de la Banque Nationale à deux
questions i qui lui ont été transmises au nom de la section
centrale par le ministre des finances, des éléments suffisants
pour apprécier l'importance de ces services et de leur coût ».
[1 n'est pas exagéré de constater, à la fin de cet exposé, que
la Belgique a résolu le problème de la Banque, caissier d'État ,
d'une manière aussi parfaite que possible, ce Le gouvernement,
* XX* et XXI« questions. — Annexes au rapport de M. Delbeke. '
(384)
disait M, de Smet de Naeyer, n*a qu'à se féliciter de la façon
dont la Banque remplit ses obligations de caissier. L'organi-
sation du service a, depuis longtemps, atteint la per-
fection ^. »
« La Banque Nationale, lisons-nous encore dans l'Exposé
des motifs, n'a cessé de justifier les espérances que ses fonda-
teurs avaient placées en elle 2.... » Et plus loin : « Il faut le
dire, ces multiples et précieux services, la Banque les rend à
l'État avec une régularité, une exactitude, un soin qui mériienl
tous les éloges. L'organisation du caissier de l'État est l'un des
points qui, de tout temps, ont le plus vivement frappé l'atten-
tion des spécialistes étrangers venus en Belgique dans le but
d'étudier les rouages de notre système financier. »
MM. Boucard et Jèze ont, entre autres, émis sur cette orga-
nisation une appréciation des plus flatteuses, en même temps
que très exacte, que nous nous plaisons à citer en terminant.
<c En résumé, l'étude de la Banque Nationale de Belgique
laisse cette impression qu'en aucun pays, peut-être, les inté
rets du trésor et des particuliers n'ont été mieux garantis
qu'en Belgique. Il faut ajouter que les intérêts des actionnaires
de la Banque n'ont pas été non plus sacrifiés, et qu'on leur a
assuré une rémunération satisfaisante.
» C'est certainement un titre de gloire pour Frère-Orban, le
fondateur de la Banque, et pour ses successeurs au ministère
* Réponse du gouvernement à la XXVJe question. — Annexes du
rapport de M. Delbeke.
* La Banque, elle aussi, s'est déclarée en complète harmonie d'idées
avec les différents hommes politiques qui ont eu successivement à
s'occuper d'elle : Cf. Rapport de 1900, pp. 24-25.
M. Delbeke constate dans son rapport que « la Banque Nationale est
seule, peut-être, à présenter ce phénomène : dans un pays où tout le monde
se plaint toujours, personne ne se plaint d'elle ».
De même, ni la noie de la minorité, annexée au rapport de M. Delbeke,
m rExposé des motifs d'une proposition de loi de M. Denis tendant à
1 mstituiion d*une enquête sur les effets de la loi de 1872... (Ch. des
Keprés., séance du 23 décembre 1898, Doc. parL, no 58) ne contiennent
aucune critique relative à l'organisation actuelle du service du caissier
de ['Etat-
( 385 )
des finances, que d'avoir su habilement résoudre le problème
délicat qu'on posait.
» En dehors de cette sagesse, ii est deux faits qui expliquent
que la Banque ait pu faire de larges concessions, tout en con-
tinuant à retirer cependant de ses opérations des bénéfices
rémunérateurs pour les capitaux qui y sont engagés. Et ces
faits, semble-t-il, ne peuvent guère se produire sans inconvé-
nients que dans de petits États neutres.
)) Le premier de ces faits, c'est que le capital de la Banque
est relativement très faible; dès lors, de faibles bénéfices peu-
vent être rémunérateurs pour les actionnaires (le capital "était
deSo millions en 1850, il est de oO millions en 1872)... Le
deuxième fait à mettre en relief, c'est l'existence d'une encaisse
en partie productive... D'après une « règle juridique coutu-
mière », on admet, pour former le tiers statutaire, le montant
du portefeuille étranger, lequel est composé « d'effets de tout
premier ordre que les banquiers endosseurs se sont engagés à
remplir à première demande et à couvrir en espèces ». On a
ainsi une encaisse supérieure à une encaisse métallique, en ce
qu'elle rapporte des intérêts. L'expérience a prouvé, en 1870,
et en 1881, que cette encaisse était aussi efficace. De 1851 à
1872, l'encaisse métallique a été en moyenne de 34 7o«
Aujourd'hui, le stock métallique n'est plus que de 17 à 18 Vo',
ce n'est qu'en ajoutant le portefeuille étranger (108 millions
en 1899) que l'on obtient (en le dépassant d'ailleurs) le tiers
statutaire ^ . »
CHAPITRE IV.
L'exécution des dépenses.
L'exécution des dépenses entraîne une série d'opérations
successives qui incombent aux ordonnateurs, c'est-à-dire aux
ministres.
* Loc. cit., t. II, pp. H83 à 1185.
Tome LXVL 25
( 386 )
Avant d'être acquittée ou payée, une dépense doit être
engagée, liquidée et ordonnancée.
Nous avons déjà traité de la question du paiement des
dépenses ; nous n'y reviendrons que pour exposer certaines
règles complémentaires et celles relatives aux déchéances,
prescriptions et saisies.
Nous insisterons donc surtout dans ce chapitre sur l'en-
gagement, la liquidation et l'ordonnancement de la dépense.
§ 1. — L'engagement de la dépense.
Les engagements de dépense sont, d'une manière sommaire,
d'après M. Stourm ^, les actes dont V exécution implique^ pour
le présent ou pour Vavenir, une création ou une augmentation
de dépense.
Rien, ajoute le même auteur, ne se laisse moins aisément
saisir et, par conséquent, dirons-nous, n'est plus difficilement
contrôlable qu'un engagement de dépense, a Le document
d!où dérive l'engagement initial n'est souvent qu'une circu-
laire, qu'une lettre, qu'une simple promesse verbale, que le
résultat d'une conférence ou d'un entrelien. Puis, même quand
l'engagement serait saisi sur le fait, comment le chiffrer exac-
tement? Les projets les plus onéreux sont trop souvent lancés
intentionnellement avec l'affirmation mensongère qu'ils ne
coûtent pas un centime ; les innovateurs cherchent toujours,
presque malgré eux, à atténuer le chiffre des répercussions
financières de leurs conceptions. En réalité, l'épreuve de
l'exécution permet seule de donner aux résultats pécuniaires
quelque précision. »
11 est naturel, d'ailleurs, qu'une très grande liberté soit
laissée aux ordonnateurs dans l'engagement de la dépense.
C'est une liberté nécessaire aux ministres, chefs des adminis-
* Lac, cit,, p. 483. — Lors donc que le ministre nomme un nouveau
fonctionnaire ou décide Texécution d*un travail public, il engage une
dépense.
(387 )
trations, qui doivent pouvoir agir sous leur responsabilité,
bien qu'il soit utile, d'autre part, d'organiser dans la mesure
du possible le contrôle des engagements ^.
L'engagement de la dépense n'est donc pas réglementé et
organisé minutieusement par les règlements de comptabilité.
Ceux-ci contiennent seulement une série de dispositions rela-
tives à cette catégorie de dépenses, qui dépendent le plus
directement de l'ordonnateur : les dépenses résultant de tra-
vaux et fournitures.
A . — Article 19 de la loi de 1846 : Les ministres ne font
aucun contrat, marché ou adjudication^ pour un terme dépassant
la durée du budget.
Cette règle s'explique très bien par la nature même de la
loi budgétaire, qui est essentiellement temporaire. Les crédits
qu'elle autorise n'ont qu'une durée limitée, et il s'ensuit que
les dépenses engagées sur ces crédits ne peuvent l'être pour un
terme dépassant celui de la validité des crédits, c'est-à-dire la
durée du budget.
Cette limite d'une année serait toutefois trop courte pour
certains engagements.
L'article 19, alinéa 2, établit donc une première exception
pour les baux de location ou d'entretien qui peuvent être
contractés pour un plus long terme. Dans ce cas, chaque
budget se trouve grevé de la dépense afférente à l'année à
laquelle il se rapporte.
Et l'alinéa 3 du même article autorise les ministres à con-
tracter pour un plus long terme, qui toutefois ne dépassera
pas. cinq années, à compter de l'année qui donne son nom à
l'exercice, ce quand ta dépense, à raison de l'importance des
travaux, ne peut se réaliser pendant la durée du budget )).
Des lois ultérieures ont encore apporté des dérogations à
l'article 19 et autorisé les ministres à contracter, pour certaines
dépenses, pour des termes variant de cinq à dix, vingt et
* Cf. infra, p. 428.
( 388 )
vingt-cinq ans. (Cf. les lois du 20 décembre 1862, du 28 juil-
let 1871, du 26 février 1881, du 23 décembre 1895, du
4 avril 1900.)
B. — Article 21, loi de 1846 : Tous les marchés au nom de
rÉtat sont faits avec concurrence^ publicité et à forfait^ sauf les
exceptions établies par les lois et mentionnées à l'article
suivant.
Ce principe avait déjà été proclamé par un arrêté royal du
11 novembre 1815. Le régime des adjudications est organisé
par les articles 91 à 97 du règlement de 1868.
L'article 92 exige que, à moins d'urgenc*e, les adjudications
soient annoncées quinze jours d'avance, par voie d'atfiches et
par tous les moyens ordinaires de publicité. L'avis doit con-
tenir certaines indications énumérées au mêtne article. Les
clauses que doit contenir le cahier des charges sont indiquées
à l'article 93. Les articles 94, 95, 96 se rapportent à Touver-
lure des soumissions et aux offres faites par les soumis-
sionnaires.
Les adjudications, réadjudications, contrats et marchés ne
sont définitifs qu'après avoir reçu l'approbation du ministre.
Après celte approbation, il ne peut être dérogé qu'en vertu de
décisions ministérielles motivées aux clauses et conditions des
devis et cahiers des charges, soit pour changer la nature de
l'entreprise ou des travaux, soit pour en modifier et- augmenter
le prix ou pour affranchir les entrepreneurs des cas de respon-
sabilité et d'amendes. Ces décisions sont communiquées à la
Cour des Comptes (art. 97).
De fréquents abus sont résultés de ces dérogations aux con-
ditions des adjudications publiques. La Cour des Comptes a
souvent, dans ses cahiers d'observations, rappelé le gouverne-
ment à la stricte exécution des clauses des cahiers des charges^.
* Consultez les développements de cette question et les exemples
rapportés par L. Richald, Histoire des finances publiques de la Belgiq^te
depuis 4850, (Mém. couft. par l'Acad. Bruxelles, Uayez, 1884, pp. 33 à 4B.)
( 389 )
Les ministres sont toutefois autorisés à traiter de gré à gré,
dans de nombreux cas énumérés à Tarlicle 22 de la loi de 1846.
Ces marchés de gré à gré sont conclus par les ministres ou par
les fonctionnaires qu'ils délèguent à cet effet, lis ont lieu soit
sur un engagement souscrit à la suite du cahier des charges,
soit sur soumission souscrite par celui qui propose de traiter,
soit sur correspondance suivant Tusage du commerce. Il peut y
être suppléé par de simples factures, pour des travaux ou four-
nitures dont la dépense n'excède pas 4,000 francs. Les mar-
chés de gré à gré, passés par les délégués d'un ministre, ainsi
que les factures, sont soumis à son approbation. Toutefois,
l'approbation n'est point requise, en cas de nécessités résul-
tant de force majeure, ni lorsqu'il existe une autorisation
spéciale ou dérivant des règlements. Ces circonstances sont
portées à la connaissance de la Cour des Comptes. Les disposi-
tions des 2® et 3* alinéas de l'article 97 sont applicables aux
marchés de gré à gré (art. 98).
Chaque année la Cour des Comptes se trouve dans l'obliga-
tion d'interroger les départements ministériels au sujet de
Tapplication des dispositions de la loi du 15 mai 1846, que
nous venons de rappeler, et qui exigent que tous les marchés
au nom de l'État soient faits avec concurrence, publicité et à
forfait, sa(uf les exceptions spécifiées à l'article 22. Il semble
que ces exceptions soient parfois interprétées très largement
par les ministres, pour dispenser ceux-ci de recourir à l'adju-
dication publique ^.
C. — Article 20 de la loi de 1846 : Aucun marché, aucune
convention pour travaux et fournitures, ne peut stipuler
d^acompte que pour un service fait et accepté.
* Cf., entre autres, Observations de la Cour des Comptes (Ch. des
Représ., sess. de 1901-1902, Doc. parL, n« 27, p. 14), la nomenclature
des créances qui, dans le cours d'une année, ont donné lieu à cette
remarque et les raisons invoquées par le gouvernement pour sa justifi-
cation.
( 390 )
Aussitôt que les travaux ou fournitures sont parvenus à un
degré d'avancement donnant droit à un paiement en faveur de
l'entrepreneur, il en est dressé procès-verbal par le fonction-
naire désigné à cet effet.
§ 2. — La LIQCIDATION ET L'ORDONNANCEMENT DE LA DÉPENSE.
Les créanciers intéressés : fournisseurs, entrepreneurs,
adjudicataires, etc., qui veulent obtenir paiement de ce qui
leur est dû par l'État doivent produire une déclaration ou un
mémoire en double ^. Cette pièce est adressée, au plus tard,
dans les six mois qui suivent l'année de la dette, au fonction-
naire ou chef de service que la dépense concerne. Celui-ci,
après vérification, la transmet au département dont il relève,
en y joignant les diverses pièces établissant la légalité de la
créance (art. 100 de l'arrêté de 1868).
Aux termes de l'article 35, § 2, de la loi du 15 mai 1846,
tout créancier a le droit de se .faire délivrer, par le ministre
compétent, un bulletin énonçant la date de sa demande et les
pièces produites à l'appui. Ce bulletin peut également être
délivré par les fonctionnaires chargés de diriger les travaux ou
de procéder à la réception des fournitures, livraisons, etc...
(art. 101 de l'arrêté de 1868).
Le département ministériel vérifie la déclaration du créan-
cier et, cette vérification faite, il dresse l'ordonnance de paie-
ment.
Cette vérification porte le nom de liquidation. D'après
M. Stourm 2, la liquidation se définit : « la détermination admi-
nistrative du montant de la dette de l'État vis-à-vis de chacun
de ses créanciers, après examen des pièces justificatives ». —
a Liquider, c'est rechercher si la dette existe réellement,
quel en est le quantum, s'il n'y a pas de paiements antérieurs,
s'il n'y a pas de compensation à opposer, si la créance n'est
* Cf. modèle no 6, établi par Tarrôté ministériel du 12 décembre 1868.
« Loc. dt., p. 485.
( 391 )
pas^éteinte par une prescription ou une déchéance, en parti
eulier par une déchéance quinquennale ^. »
La liquidation n'est donc autre chose que la déclaration de
la réalité de la dette de l'État et de son import.
C'est au créancier à provoquer cette déclaration (art. 100).
Cependant, pour certains créanciers de l'État, il y a lieu à
liquidation d'office, ainsi que le remarque M. Stourm
(p. 485, note) : « Cette obligation de la liquidation n'est pas
imposée aux fonctionnaires et employés pour le paiement de
leurs traitements, non plus qu'aux rentiers et pensionnaires
pour le paiement de leurs arrérages. A leur égard, la liquida-
tion s'opère spontanément, en dehors d'eux, au vu des états du
personnel et du Grand-Livre de la dette publique ».
Lorsque la dette est liquidée, il y a lieu de procéder à
V ordonnancement, c'est-à-dire à la ce confection du titre qui
permet au créancier de l'État d'obtenir le paiement des
sommes liquidées à son profit 2 ».
Liquidation et ordonnancement sont deux opérations étroi-
tement unies, mais nettement distinctes. « Si par la liquida-
tion le ministre reconnaît la dette de l'État et son montant
précis, c'est par l'ordonnancement qu'il impute la dépense
sur un crédit législatif et donne à un comptable Tordre
d'ouvrir sa caisse 3. »
L'ordonnancement suppose donc l'imputation de la dépense
sur un crédit législatif et l'ordre donné à un comptable d'en
opérer le paiement.
Aucune dépense ne peut se faire sans un crédit budgétaire
correspondant. C'est un principe fondamental. Il est rappelé
par les articles 16, alinéas 1 et 2, et 17, § 1 de la loi du
15 mai 1816, et les articles 64 et 65 de l'arrêté de 1868
prescrivent à chaque ordonnance d'énoncer l'article du budget
sur lequel la dépense est imputée. Ils garantissent ainsi la
spécialité budgétaire.
« Cf. BoucARD et Jèze, 1. 1, p. 526.
« Stourm, lac, cit., p. 1)86. i
3 Cf. BoucARD et Jèze, 1. 1, p. 529.
( 392 )
Article 64 : Toute dépense donne lieu à rémission (Fwie
ordonnance... indiquant F article du budget ou de la loi spéciale^
la nature de la dépense, les ayants droit et la somme à payer.
Article 65 : Chaque ordonnance est signée par le ministre que
la créance concerne ou par son délégué. Elle ne peut contenir que
des dépenses imputables sur un seul exercice et sur un seul et
même article du budget.
Aucun changement d'imputation ne peut être fait aux
ordonnances sans le concours de la Cour des Comptes. Avis
de la demande en rectification est donné au ministre des
finances par les départements liquidateurs. La Cour des
Comptes, après avoir autorisé le changement, lui en donne
également connaissance (art. 66). L'article 67 prévoit le cas de
l'annulation d'une ordonnance.
' Aucune sortie de fonds ne peut se faire sans le concours du
ministre des finances (art. 17, al. 2 de la loi de 1846 i), et le
ministre des finances n'autorise le paiement d'une ordonnance
que lorsqu'elle porte sur un crédit ouvert par la loi (art. 17,
al. 1 de la loi de 1846).
Le ministre des finances vérifie donc l'imputation, puis il
autorise le paiement par l'enregistrement à la trésorerie
(art. 108 de l'arrêté de 1868) et l'ordre donné à Tagent du
trésor et à la Banque.
Les ordonnateurs sont responsables des paiements mandatés
par eux, contrairement aux lois et règlements d'administra-
tion (art. 18 de la loi de 1846. art. 158 de l'arrêté de 1868).
Tout double emploi dans les dépenses, tout paiement opéré
indûment entraîne la responsabilité de l'ordonnateur (art. 159
de l'arr. de 1868).
Le département auquel l'ordonnateur ressortit procède à
* Le même article ajoute : « et sans le visa préalable et la liquidation
de la Cour des Comptes, sauf les exceptions établies par laloiï>.— Pour
Tétude du visa préalable et de la liquidation de la Cour des Comptes,
nous renvoyons à Tétude détaillée de la Cour des Comptes qui fait l'objet
du chapitre II de la quatrième partie de ce livre.
V 393 )
une enquête, pour déterminer dans quelle mesure sa respon-
sabilité et, éventuellement, celle des agents sous ses ordres
sont engagées. S'il y a lieu, la décision est prise par arrêté
royal (art. 160 de l'arrêté de 1868). Les ordonnateurs conservent
leurs recours contre leurs agents, ainsi que contre les per-
sonnes qui ont touché indûment sur leur ordre ou signature
(art. 161 de l'arrêté de 1868).
Les articles 125 à 129 et 130 à 132 du règlement de 1868
organisent la comptabilité de Tordonnancement et son con-
trôle, en prescrivant la tenue de certains livres et l'envoi pério-
dique d'états de situation.
Il est tenu au département des finances et à la Cour des
Comptes des livres de contrôle des budgets, ainsi que des
dépenses imputables sur fonds spéciaux (art. 124). Les créances
liquidées et ordonnancées sont successivement inscrites dans
ces livres à charge des crédits y relatifs. En procédant à celte
inscription, le département des finances et la Cour des
Comptes s'assurent que les crédits permettent l'imputation des
ordonnances qui leur sont soumises (art. 125).
D'autre part, les départements ministériels, les questures du
Sénat et de la Chambre des représentants et la Cour des
Comptes tiennent le contrôle de leur budget au moyen de
livres d'imputation.
Ces livres présentent, dans un cadre uniforme, par alloca-
tion, les ordonnances de paiement successivement émises
(art. 126) K
Chaque semestre, il est procédé à un rapprochement des
imputations faites par la Cour des Comptes, la trésorerie et les
divers départements ministériels, les questures du Sénat et de
la Chambre des représentants soit par suite du visa préalable,
soit du chef des dépenses fixes affranchies de cette formalité,
* Cf. modèle no 19 du Journal des ordonnances émises sur les budgets :
arrêté ministériel du 12 décembre 1868, et modèle n« 20 du livre d*irapu-
tation des ordonnances émises sur lès budgets : arrêté ministériel du
12 décembre 1868.
(394)
soit enfin pour des dépenses liquidées sur crédits ouverts
(art. 127).
Les articles 128 et 129 prennent différentes mesures afin de
faciliter ce contrôle, par rapprochement des écritures tenues
dans les différents ministères, à la trésorerie et à la Cour des
Comptes.
A l'expiration de chaque semestre, des états de situation des
budgets en cours d'exécution sont formés en double expédi-
tion par les divers départements ^. Ces expéditions sont trans-
mises, dans les dix premiers jours du semestre suivant,, Tune
à la Cour des Comptes, Tautre au ministre des finances. En
ce qui concerne les dépenses des mois de juillet, d'août, de
septembre et d'octobre de l'exercice précédent, l'envoi des
états a lieu dès que l'on a pu y comprendre les dernières
ordonnances soumises au visa de la Cour des Comptes (art. 130).
Dès la réception des états de situation, la Cour procède à
leur vérification et à leur rapprochement avec ses registres.
Elle fait connaître aux départements liquidateurs le résultat de
sa vérification, et, si celle-ci donne lieu à des observations, elle
les communique au département des finances (art. 131).
Le ministre des finances adresse à la Cour des Comptes les
remarques auxquelles l'examen des états de situation a donné
lieu de la part de son département. En cas de différence, non
susceptible de rectification immédiate, il est procédé à un
appel générai des enregistrements faits dans les livres de la
Cour, de la trésorerie et du département que la chose concerne
(art. 132).
Toute dépense, avons-nous dit, donne lieu à l'émission
d'une ordonnance (art. 64 de l'arrêté de 1868), et nous avons
examiné les dispositions applicables aux ordonnances en géné-
ral et aux ordonnateurs.
Mais les ordonnances sont d'espèces différentes, comme les
dépenses auxquelles elles s'appliquent.
* Cf. Modèle n« 21 : arrêté ministériel du 12 décembre 1868.
( 395 )
On distingue, en effet, les ordonnances individuelles, les
ordonnances collectives, les ordonnances d'ouverture de crédit
et les ordonnances d'avances de fonds, suivant qu'il s'agit de
dépenses soumises à une liquidation préalable de la Cour des
Comptes, de dépenses fixes affranchies du visa préalable, de
dépenses sur crédits ouverts et de dépenses sur fonds avancés.
Telles sont les quatre espèces de dépenses dont nous allons
exposer en détail le régime spécial.
I. — Dépenses soumises à une liquidation préalable de la Cour
des Comptes. (Art. 17, al. 2, loi de 1846; art. 14, loi du 29 oc-
tobre 1846; art. 100 à 108, arrêté de 1868.)
En vertu des articles 17, alinéa 2 de la loi de 1846 et 14 de
la loi du 29 octobre 1846, toute ordonnance de paiement doit,
avant d'être payée, être soumise au visa et à la liquidation préa-
lable de la Cour des Comptes, dont le contrôle s'exerce ainsi
préventivement.
Cette règle est applicable, en principe, à toutes les dépenses.
La loi fait cependant une exception en faveur des dépenses
fixes, dont nous allons parler, et le visa n'est que provisoire,
en ce sens que la justification de la dépense peut se faire
postérieurement en cas d'ouvertures de crédits et d'avances de
fonds (art. 15, loi du 29 octobre 1846) : deux cas dont nous
nous occuperons également plus loin (art. 90, arrêté de 1868).
Quelles sont donc les dépenses auxquelles s'applique le
principe du visa et de la liquidation préalable? «
Ce sont, d'une manière générale, les dépenses facultatives et
variables, dont le chiffre doit être limité annuellement par la
loi du budget et qui n'ont pas trait à l'exécution des lois
générales de l'État. Ce sont, par exemple, les dépenses pour
achats, travaux, fournitures, et en général toutes celles qu'il
dépend du gouvernement de créer, d'étendre ou de restreindre
à volonté ^.
* Cf. Britz, Loi organique de la Cour des Comptes, commentée et
appliquée, p 76, n» 72; AIarcé, Étude sur la Cour des Comptes.., en
Belgique, p. SO.
( 396 )
Dès que le département ministériel intéressé a liquidé les
dépenses rentrant dans celte catégorie, ainsi que nous l'avons
dit plus haut (art. 100, 101, arrêté de 1868), il dresse, dans
l'ordre de leur réception, les ordonnances individuelles de
paiement, qui sont envoyées, sans délai, au visa de la Cour
des Comptes appuyées des pièces justificatives * (art. 102,
arrêté de 1868).
Toute ordonnance de paiement exprime la somme due à
raison du service fait et des prix stipulés dans les contrats,
marchés, conventions, procès-verbaux d'adjudications ou
autres documents en vertu desquels le droit est acquis au
créancier de l'État.
Si une ordonnance peut, par suite d'une circonstance quel-
conque, nécessiter une explication, le département ministé-
riel, en la transmettant au visa de la Cour des Comptes, y
joint les renseignements nécessaires afin de prévenir un
retard dans la liquidation (art. 103, arrêté de 1868).
La Cour des Comptes, si elle n'a pas de remarque à faire,
procède au visa et à l'enregistrement des ordonnances de paie-
ment, qu'elle adresse ensuite au département des finances. Les
pièces justificatives des ordonnances visées restent déposées à
la Cour (art. 104, arr. de 1868).
* Dans les cas d'urgence qui exigent la liquidation et le visa immédiats
d'une ordonnance de paiement, il en est fait mention dans la lettre
d'envoi, ainsi qu*en marge de la inèce, à côté de la signature du
ministre ou de son délégué. Hormis ces cas, les ordonnances suivent le
cours ordinaire (art. 106, arrêté de 1868).
Lorsqu'il s'agit de plusieurs créances de même nature imputables sur
un même article du budget, il peut être suppléé aux ordonnances indi-
viduelles par des ordonnances collectives, soumises aux prescriptions
que nous dirons plus loin et, notamment, à celles des articles 87 et 89
de l'arrêté de 1868 (art. 107, arrêté de 1868).
Cf. pour les ordonnances individuelles et les ordonnances collectives,
prévues par l'article 107, les modèles no» 7 et 9 établis par l'arrêté
ministériel du 12 décembre 1868, modifié par celui du 4 juillet 1898-
Cf. aussi modèle n» 10 de la lettre d'envoi à la Cour, ibid.; modèle
no 11 du bordereau des ordonnances soumises au visa de la Cour, ibid.
( 397 )
Au département des finances, l'imputation des ordonnances
est contrôlée; elles sont enregistrées à la trésorerie (art. 108)
et renvoyées aux administrations ou aux départements liqui-»
dateurs, revêtues de toutes les formalités voulues (art. 10[),
arr. de 1868).
Les départements ministériels et les chefs de service en pro-
vince font remettre, dès qu'elles leur parviennent, les ordon-
nances de paiement aux parties intéressées (art. 105, àl. 2)«
L'envoi des ordonnances aux intéressés se fait généralement
par lettres recommandées d'office à la poste.
En possession de Tordonnance de paiement, le créancier se
rend d'abord chez l'agent du trésor, qui examine s'il a reçu
crédit ouvert de la trésorerie pour le paiement de l'ordonnance
et si celle-ci est acquittée. Puis, il vise l'ordonnance. Muni de
son ordonnance ainsi visée, le créancier se rend à la Banque
Nationale, qui paie.
A la fin de chaque journée, remise par la Banque à l'agent
du trésor, contre décharge, de toutes les pièces payées. A
l'expiration de chaque quinzaine, échange des actes de
décharge journaliers contre une pièce résumant les opérations
de la quinzaine. Puis, accomplissement des diverses forma-
lités prévues par les articles 183 à 157 de l'arrêté de 1868
pour la justification des dépenses acquittées.
IL — Dépenses fixes, affranchies du visa de la Cour des
Comptes. (Art. 23, loi du 15 mai 1846 ; art. 68 à 89, arrêté de
1868.)
Par dépenses fixes affranchies du visa de la Cour des
comptes, on entend les traitements, remises, indemnités,
abonnements, frais de bureau et de loyer, pensions, intérêts
de cautionnements et de fonds de dépôts dont le montant
est déterminé par les lois ou par les autorités compétentes
(art. 68, arrêté de 1868).
Les ministres font dresser pour les dépenses fixes des ordon-
nances collectives de paiement. Sont exceptées , les dépenses
( 398 )
fixes rentrant dans la catégorie des frais de régie des administra-
tions chargées du recouvrement des impôts (art. 86, arrêté de
1868)^
Les ordonnances collectives sont formées par exercice, par
article du budget et par agence du trésor (art. 87, arrêté
de 1868).
Elles sont directement envoyées au ministre de finances
pour enregistrement (art. 108, arrêté de 1868), pour imputation
et pour qu*il soit donné crédit aux agents du trésor et à la
Banque, chargés d'en affectuer le paiement (art. 23, loi de 1846)
Cependant, conformément à l'article 23 de la loi du 15 mai
1846, les départements ministériels font connaître successive-
ment à la Cour des Comptes le montant des imputations à
(aire sur chaque article du budget, par suite de la formation
des états collectifs ^. Ils y joignent des relevés des mutations
survenues soit dans la dépense, soit dans l'effectif du person-
nel. Au vu de cette communication, la Cour fait l'enregistre-
ment des dépenses (art. 88, loi de 1846).
Elle vérifie les états des dépenses fixes et passe les écritures
au livre des imputations.
Lorsque les ordonnances collectives ont été enregistrées à la
trésorerie, il en est donné avis aux départements liquidateurs
(art. 89) 3. Elles sont ensuite transmises aux agents du trésor
chargés d'en effectuer le paiement (art. 89).
Les agents du trésor y apposent leur visa et forment les
mandats individuels destinés aux différents créanciers de
* Cf. articles 16 et suivants de l'arrêté de 1868, et plus haut, pp. 339 et
suiv. — On peut excepter aussi les dépenses fixes à payer intégralement
à un seul créancier. Par exemple, pour les traitements des ministres,
il est formé des ordonnances individuelles. — Cf. pour les ordoimances
collectives (art. 86), le modèle n^ 2 établi par Tarrété ministériel du
d2 décembre 1868.
« Cf. modèle n« 3 de l'arrêté ministériel du 12 décembre 1868 et
modèle n® 4.
5 Cf. modèle n« 5 de l'arrêté du 12 décembre 1868.
( 399 )
rÉtat pour lesquels il a été dressé une ordonnance collective.
, On forme, par exemple, par agence du trésor, une ordon-
nance collective pour les traitements de Tordre judiciaire,
puis les agents du trésor établissent des mandats individuels
destinés à chacun des magistrats du ressort.
Ces mandats sont d'abord visés par les agents du trésor,
puis payés à la Banque.
Les agents de la Banque remettent à la fin de chaque
journée à Tagent du trésor les ordonnances et mandats
acquittés. Les relevés de quinzaine et la justification des
dépenses acquittées ont lieu suivant les prescriptions que
nous avons indiquées plus haut.
Les articles 69-74 de l'arrêlé de 1868 établissent une série de
prescriptions spéciales relatives aux traitements des fonction-
naires et employés dans les administrations civiles ou dans
Tordre judiciaire, aux abonnements, frais de bureau et de
loyer, etc.. Le paiement de ces dépenses peut se faire par
mois ou par trimestre, selon les nécessités du service (art. 74).
Les dispositions des articles 69 et 70 ne sont pas applicables
aux agents diplomatiques et consulaires (art. 71). Ces articles 69
et 70 établissent les règles à suivre pour le paiement des trai-
tements, en cas de première nomination, d'augmentation, de
démission ou de décès. L'article 72 concerne le cas des
employés intérimaires.
Les articles 75 à 83 intéressent le paiement des pensions ^ ;
les articles 84 et 85, celui des intérêts des cautionnements.
m. . — Dépenses sur crédits ouverts. (Art. 18, al. 1 de la loi du
29 octobre 1846; art. 109 à 112, 144 à 132 de l'arrêté de
1868.)
D'après l'article 15, alinéa 1, de la loi du 29 octobre 1846,
organique de la Cour des Comptes, « la justification de la
*■ A rapprocher les articles 2214 et 225 relatifs aux dépenses à charge
des diverses caisses spéciales de pensions.
( ^)
créance peut se faire postérievrement au visùy lorsque la nature
du service exige l'ouverture de crédits pour une dépense à faire ».
Les dépenses prévues par cet article font l'objet d'ordon^
nances d'ouverture de crédit (art. 109, arrêté de 1S68). a Par
ce mode on met un crédit à la disposition d'un des ministres
ou d'un de leurs ordonnateurs secondaires, lequel en dispose
successivement par mandats particuliers, au nom direct des
créanciers de l'État et au fur et à mesure de la production de
leurs titres de créance... Ce mode de disposer des deniers de
l'État, au moyen d'ouvertures de crédits, est applicable à
toutes les dépenses qui se rattachent à de grands services
exploités par le gouvernement i d, et d'une manière générale
il est autorisé a lorsque la nature du service l'exige ».
Or c'est là, semble-t-il, une question d'appréciation, et le
gouvernement jouit d'une grande latitude dans cette apprécia-
tion 2.
Ce mode de paiement s'applique 3 :
. l"" Aux crédits qu'on ouvre aux conseils d'administration des
régiments et corps de l'armée, à la disposition des intendants
militaires, pour les besoins de l'armée, le traitement des
officiers, la solde des sous-officiers et soldats, la masse d'habil-
lement, les frais de recrutement, etc.. L'intendant, à titre
d'ordonnateur secondaire, mandate les dépenses dans la limite
des crédits mis à sa disposition par Tordonnance de crédit. 11
est rendu compte tous les trois mois, au moyen des feuilles de
revue, des fonds qui ont été fournis à chaque corps;
â"" Aux crédits ouverts au directeur de la régie des chemins
de fer, pour le paiement des nombreux ouvriers qui travaillent
au compte direct de l'État ;
3® Aux crédits ouverts au ministre de la justice pour cer-
taines dépenses des prisons, des écoles de bienfaisance;
* Britz, lac. cit, pp. 79-80, n» 74.
« Marge, loc, dt., p. 85.
3 Cf. Britz, loc. cit., pp. 81 et suiv. ; Marge, loc, cit., pp. 85-86.
(401 )
4* Aux crédits ouverts au ministre des affaires étrangères
pour acquitter les traitements des agents diplomatiques ^ ;
5« Aux crédits ouverts pour les dépenses du service de la
gendarmerie, de la marine, du Moniteur, des forêts domia-
niales, etc..
Ces dépenses font donc l'objet d'ordonnances d'ouverture de
crédit '^. Ces ordonnances sont soumises au visa de la Cour ^ ;
elles indiquent approximativement, par article du budget, la
somme présumée nécessaire pour assurer le service, ainsi que
les lieux où les paiements doivent se faire (art. 109, al. 2,
arrêté de 1868).
Celles qui concernent le département de la guerre et le
service de la marine indiquent, les unes la répartition du crédit
entre les différents intendants militaires ^, les autres la dépense
présumée imputable sur le chapitre de la marine (art. 109,
al. 3, arrêté de 1868).
11 est tenu, par chaque ministre et par la Cour des Comptes,
un livre d'inscription des crédits ouverts (art. 109, al. 4, arrêté
de 1868) ^
Après le 31 janvier de Tannée suivant celle qui donne son
nom à Texercice, la Cour ne vise plus aucune ordonnance de
crédit sur le budget dudit exercice (art. 110, arrêté de 1868.)
Les demandes de crédit visées par la Cour des Comptes sont
transmises au ministre des finances, qui en met le montant à
la disposition des ordonnateurs (art. 111, arrêté de 1808), au
moyen de lettres d'avis adressées aux agents du trésor et à la
Banque.
Les ordonnateurs disposent de ces crédits par mandats sur
les agents du trésor. Ceux-ci n'en autorisent le paiement
qu'après avoir reçu une lettre d'avis des ordonnateurs.
Les ordonnateurs secondaires (intendants militaires, par
exemple) ne peuvent excéder les crédits qui leur sont ouverts.
4 Cf. arlide 71 de rarrété de 1868.
* €f. modèles n^ 12 et 13 de Tarrêté ministériel du H décembre 1868.
-5 Cf. modèle no 14, ibid.
* Cf. modèle n» 13, ibid.
5 Cf. modèle no 16, ibid.
Tome LXVL 26
( 402 )
ils encourent la responsabililé générale des ordonnateurs
(art. 1S8 à 161, arrêté de 1868).
Les dépenses sur crédits ouverts ont lieu à charge de régula-
risation ultérieure par la Cour des Comptes. Elles doivent être
justifiées à la Cour au moyen d'ordonnances de régularisa-
tion. La procédure à suivre pour cette régularisation est
indiquée par les articles 144 à 152 de Tarrêtè de 1868. Nous
nous contentons d'y renvoyer *.
IV. — Dépenses sur avances de fonds à des agents comptabks
chargés d'un service administratif régi par économie. (Art. 15,
al. 2, loi du 29 octobre 1846; art. 113 à 118, arrêté de 1868).
Il est indispensable que les chefs des départements ministé-
tériels puissent disposer de quelques fonds pour des dépenses
trop minimes pour faire Tobjet de mandats spéciaux ou qui
exigent une grande célérité 2.
Dans ce cas, des avances de fonds sont faites, sous certaines
conditions, c< pour faciliter l'exploitation des services admi-
nistratifs régis par économie » (art. 113, arrêté de 1868).
On appelle service administratif régi par économie, le ser-
vice que le gouvernement exploite par ses propres agents, sans
publicité ni concurrence. Ce service se fait quelquefois aussi
dans le cas où le gouvernement, ayant essayé la voie de l'adju-
dication publique, n'a pas trouvé d'entrepreneur ou de prix
acceptable, il e^ciste aussi des fournitures, des travaux, des
dépenses d'une nature tellement urgente que leur paiement
ne peut souffrir aucun retard, ainsi que des menues dépenses
d'administration qu'on ne peut prévoir dans leurs minutieux
détails.
Ce mode de paiement s'applique donc :
a) Aux menues dépenses des départements ministériels,
cours et tribunaux ;
* Cf. aussi Marge, loc, cit., pp. 95-97. — Étac récapitutatif des man-
dats acquittés sur crédits ouverts et ordonnances de régularisation des
dépenses payées sur crédits ouverts (art. 145) ; cf. modèles n** 25, 26a et
26b de Tarrêté minislériel du 12 décembre 1868.
* Britz, loc, cit,, p. 83.
( 40S )
b) Aux frais de bureau des auditeurs militaires *,
c) Aux travaux urgents, rédactions de plans^» études et tracés
de routes nouvelles, de canaux, par avances faites aux ingé^
nieurs des ponts et chaussées;
dj Aux frais d'entretien journalier des places, du matériel,
par avances faites aux gardes d'artillerie et du génie ;
e) Aux dépenses nécessaires pour les arsenaux de construc-
tion, de la fonderie de canons, de la manufacture d'armes, etc.,
par avances faites aux directeurs de ces établissements;
f) Aux frais de courriers, d'estafettes et de voyage, par
avances faites au ministère des affaires étrangères;
g) Aux dépenses de la boulangerie militaire ;
h) A la dépense des aides et du matériel que la commission
royale pour la publication des anciennes lois a trouvée indis-
pensable à l'accomplissement de sa mission 4.
Ces avances ont lieu sur ordonnances d'avances de fonds
émanées des ministres, visées par la Cour des Comptes
(art. 113) "^ et inscrites à la trésorerie (art. 114, al. 1). Elles
s'imputent immédiatement sur les crédits affectés aux dépenses
qu'elles concernent (art. 114, al. 2).
Ces avances sont faites aux agents spéciaux des services
administratifs régis par économie (art. 113, ai. 1).
Ces agents sont des comptables extraordinaires, non soumis
au cautionnement.
Les avances qu'ils reçoivent ne peuvent dépasser 20,000 francs
par agent. Ils doivent justifier de l'emploi des fonds dans le
délai de quatre mois et ne peuvent recevoir aucune nouvelle
avance avant que toutes les pièces justificatives de l'avance
précédente aient été produites à la Cour (art. 113, al. 1 et 2).
Il est tenu, dans chaque ministère et à la Cour des Comptes,
un livre d'inscription des fonds avancés, destiné à en suivre
l'emploi et la justification (art. IIS) 3.
Les agents spéciaux des services régis par économie forment
* Britz,. loc, cit., p. 84.
2 Cf. modèle no 16 de l'arrêté ministériel du 12 décembre 1868.
» Cf. modèle n» 17, ibid* •
(404)
lin compte, en double expédition, des sommes payées aux
intéressés; ils soumettent ce compte au visa du ministre dont
ils relèvent, lequel l'adresse à la Cour des Comptes, appuyé
des pièces justificatives. Dès que le Cour a statué, une expédi-
tion de son arrêt et une expédition du compte sont remises
aux agents spéciaux (art. 116) ^.
Toute avance ou portion d'avance faite pour un service régi
par économie et dont l'emploi ne serait pas justifié à l'expira-
tion du délai de quatre mois (art. 113) doit être reversée immé-
diatement au trésor, si elle n*est plus nécessaire pour la conti-
nuation du service (art. 117). La Cour tient un relevé spécial
des comptables extraordinaires en retard de justification de
l'emploi de leurs avances.
Ces versements sont effectués soit d'office, soit en vertu
d'un ordre administratif ou d'un arrêt de la Cour des Comptes.
ils ont lieu directement dans la caisse de l'État (avec l'impu-
tation : produits de e administration de la trésorerie)^ à moins
qu'il n'en ait été disposé autrement par un arrêt de la Cour.
Le débiteur pst tenu de rapporter, pour sa décharge, le récé-
pissé ou la quittance de la somme par lui versée (art. 118).
Outre les quatre modes de paiement que nous venons de
passer en revue, il faut rappeler encore les dépenses acquittées
pai* les comptables des administrations de recettes (art. 16,
arrêté de 1868), dont nous avons étudié le régime plus haut 3.
S 3. — Le paiement de la dépense. — déchéances,
PRESCRIPTIONS, SAISIES- ARRÊTS, OPPOSITIONS.
Le paiement est la dernière opération de l'exécution des
dépenses. En vertu de l'article 133 de Farrêté de 1868, dont
nous avons précédemment parlé, ce sont les agents du trésor
qui sont chargés du service des dépenses publiques ordon-
nancées par la trésorerie. Après avoir reçu avis du départe-
^ Cf. modèle du compte à rendre à la Cour : modèle a»^ 18 de Parrété
dulSdécembF^iSt*.. . ' < .-
« Cf. pp. 339 et suiv. :-.■■ : > ■ . •
( 405 )
ment des finances des paiements à faire, ils disposent, selon
la nature des dépenses, soit sur le caissier de TEtat ou ses
agents, soit sur les caisses des receveurs des impôts.
En règle générale, c'est sur la Banque Nationale que l'agent
du trésor disposera ; ce sont les agents de la Banque qui, le
plus souvent, effectueront les paiements.
Il arrive cependant que les agents du trésor disposent sur
les caisses des receveurs des impôts et notamment lorsqu'il
s'agit de paiements à faire à des personnes qui n'habitent pas
le chef-lieu d'arrondissement, siège de l'agence, ou sa ban-
lieue. Dans ce cas, les agents du trésor émettent des mandats
sur la caisse des receveurs des impôts des communes où
résident les intéressés. (Instruction n^ 1 du 20 octobre 1865
concernant le service des agents du trésor, § H ^.)
Hais, même dans ce cas, ce sont les agents de la Banque c[ui
portent en dépense les paiements ainsi faits 2.
En outre, rappelons-le encore, les frais de régie, d'adminis-
tration, etc.. (art. 16, arrêté de 1868) sont payés par les comp-
tables, sous forme d'avance.
En dehors de ces cas, c'est donc la Banque Nationale, en sa
qualité de caissier de l'Etat, qui est chargée du paiement des
dépenses.
Nous avons exposé plus haut les règles générales relatives
au paiement des dépenses, à son contrôle et à sa justification 3.
Nous n'y reviendrons pas.
Nous ajouterons seulement que si, en principe, les dépenses
sont payées par la Banque, à l'intervention des agents du
trésor, la Banque peut aussi payer certaines dépenses, sans
l'intervention de ces agents.
C'est ainsi qu'elle paie, après avoir préalablement reçu avis
soit de l'émission des mandats, soit de l'ouverture de crédits :
a) Les mandats à ordre délivrés par le ministre ;
* Cette instruction vient d'être réimprimée avec les changements qui
y oiit été successivement apportés. R. n^ 2740.
« Ci. Marge, loc, cit., p. 92.
3 Cf. pp 368 et suiv.
(406)
b) Les mandats au porteur, délivrés par le directeur général
de la trésorerie sur les crédits qui lui sont ouverts pour le ser-
vice de la caisse d'amortissement et de la caisse des dépôts et
consignations; Tavis de l'ouverture de crédit sert d'autorisa-
tion de paiement ;
c) Les coupons d'intérêts des emprunts de l'État et d'autres
titres au porteur représentatifs d'intérêts de capitaux, payables
dans toutes les agences de la Banque sans ouverture de crédit.
Pour les mandats à ordre, la lettre d'avis est envoyée directe-
ment aux agents de la Banque et celle-ci en est également
informée*.
Voici, d'après les chiffres de l'année 1900, un aperçu de l'im-
portance respective des paiements faits par la Banque avec ou
sans l'intervention des agents du trésor s. (V. tableau ci-contre.)
Il nous reste enfin, pour terminer ce chapitre, à signaler les
rèjgles qui concernent la déchéance des créances à charge de
l'État, les prescriptions légales et les oppositions.
Ces règles sont contenues dans les articles 34 à 40 de la loi
du 15 mai 1846.
Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'État,
sans préjudice des déchéances prononcées par les lois anté-
rieures, ou consenties par des marchés ou conventions, toutes
créances qui n'auraient pas été liquidées, ordonnancées et
payées dans un délai de cinq ans, à partir de l'ouverture de
l'exercice (art. 34).
Cette disposition ne s'applique pas aux créances dont
l'ordonnancement et le paiement n'ont pu être effectués dans
les délais déterminés par le fait de l'administration ou par
suite d'instances entamées devant l'autorité judiciaire.
C'est pourquoi, afin de pouvoir éventuellement se prévaloir
de cette exception, tout créancier a le droit de se faire délivrer
* Cf. Marcé, loc, cit., p. 92.
^ Cf. Compte général de radministration des linances, rendu pour
l'année 1900 par le ministre des finances, pp. 22-23. (Ch. des Représ.,
séance du 12 février 1902, Doc. parl.^ n» 64.)
( 407 )
NATURE DES DÉPENSES.
PAIBlfENTS FAITS
avec l'interrention
des
agents do tréior
dans
les proTioees.
sans rintenrenUiin
des
agents da trinr
dans
les piDTinca.
Opérations sur les budgets en cours
d'exécution (4899-1900)
Opérations sur les budgets clos. . .
Fonds de tiers déposés au trésor et
dont le remboursement a lieu avec
Tintervenlion du ministi*e des fi-
nances
Fonds spéciaux rattachés aux fonds
de tiers, et dont il n'est disposé
qu'en vertu d'ordonnances visées
par la Cour des Comptes
Opérations de trésorerie relatives au
service de la dette publique .
Opérations diverses en dehors du
service des budgets
Total
3^,526,865 32
4 318,822 72
44.286,502 57
13,201,402 40
43,450,955 49
49,601,278 02
1,376,361 80
819 25
362,023,076 32
1.743,110,341 76
476,285,826 52
2.106,510.599 13
par le ministre compétent un bulletin énonçant la date de sa
demande, et les pièces produites à l'appui (art. 35; art. 104,
arrêté de 1868).
Toute ordonnance dont le paiement n'a pas été réclamé dans
le délai de cinq ans, à compter du l®*" janvier de Tannée qui
donne son nom h Texercice, est prescrite au profit du trésor.
Cette prescription n'atteint pas les ordonnances de paiement
qui seraient frappées de saisie-arrêt ou d'opposition (art. 36).
A l'expiration de la cinquième année, le montant de ces
ordonnances est versé à la caisse des dépôts et consignations, à
la conservation des droits de qui il appartiendra. Ce versement
libère entièrement le trésor public (art. 37).
Sont définitivement acquises à l'État les sommes versées aux
( 408)
caisses des agents des postes et du chemin de fer de l'État,
pour être remises à destination, et dont le remboursement
n'a pas été réclamé par les ayants droit dans un délai de
cinq années à partir du jour du versement des valeurs (art. 38).
Toutes saisies-arrêts ou oppositions sur les sommes dues
par l'État^ toutes significations de cession ou transport des-
dites sommes et toutes autres notifications ayant pour objet
d'en arrêter le paiement doivent, à peine de nullité, être faites
entre les mains du chef du département ministériel que la
dépense concerne, ou de son délégué en province, et, en cas
d'urgence, en mains de l'agent du trésor chargé d'en effectuer
le paiement (art. 40 et arrête royal du 27 décembre 1847).
Les saisies-arrêts, oppositions, significations de cession et
délégations sur des sommes et ordonnances de paiements dues
par rÉtat, n'ont d'effet que pendant cinq ans, à compter de
leur date, quels que soient d'ailleurs les traités, actes de pro-
cédure ou jugements intervenus sur lesdites oppositions ou
significations, à moins qu'ils n'aient été régulièrement notifiés
à l'administration. Elles sont rayées d'ofiîce des registres dans
lesquels elles auraient été inscrites, et ne sont pas comprises
dans les certificats prescrits par l'article 14 de la loi du
19 février 1792 et par les articles 7 et 8 du décret du 18 avril
1807 (art. 39).
CHAPITRE V.
La clôture de Texercice.
(Art. 27 à 32, loi de 1846; art. 162 à 477, règlement général, arr. de 1868.)
D'après notre système de comptabilité, l'exercice com-
prend, outre l'année budgétaire, un délai complémentaire
de dix mois. 11 dure depuis le 1«' janvier d'une année jusqu'au
31 octobre de l'année suivante.
Pendant cette période de vingt-deux mois, lés opérations
relatives au recouvrement des produits, à la liquidation et à
(409)
rordonnancement des dépenses peuvent s'effectuer sur le bud-
get d'une année (art. 2, loi de 1846).
Les recettes prévues au budget des voies et moyens de 1901
pourront donc être opérées jusqu'au 31 octobre 1902 et les
dépenses à imputer sur les crédits ouverts par les budgets de
dépenses de 1901 pourront être liquidées et ordonnancées
jusqu'au 31 octobre 1902.
A cette date le budget de Texercice est clos.
Pour obtenir ce résultat, les départements ministériels
cessent, à partir du 15 octobre de la seconde année de l'exer-
cice, de soumettre au visa de la Cour des Comptes des ordon-
nances de paiement imputables sur cet exercice. Les dernières
ordonnances sont transmises liquidées au département des
finances, par la Cour des Comptes, au plus tard le 25 octobre
de la même année.
A partir de cette date, la trésorerie n'ordonnance plus les
dépenses fixes affranchies du visa de la Cour (art. 162, arrêté
de 1868).
A la fin de la journée du 31 octobre, le département des
finances, après avoir passé les dernières écritures, arrête les
livres d'ordonnancement sur les budgets, et l'exercice est
irrévocablement clos : aucune opération nouvelle d'ordonnan-
cement ne peut plus y être constatée (art. 163, arrêté de 1868).
Cependant, il faut prévoir le cas fréquent où, à la clôture de
l'exercice d'imputation, certaines allocations du budget clos
sont grevées de droits en faveur de créanciers de l'État. Il y a
lieu alors à opérer des transferts soit sur les budgets ordi-
naires, soit sur les fonds spéciaux.
Ces transferts sont réglementés par les articles 30, 31 et 32 de
la loi de 1846 et par les articles 164 à 172 du règlement géné-
ral delà comptabilité publique.
Lorsque à la clôture d*un exercice, dit l'article 30, certaines
allocations du budget sont grevées de droits en faveur de
créanciers de l'Etat, pour travaux adjugés et en cours d'exécu-
tion, la partie d'allocation encore nécessaire pour solder la
(440)
créance est transférée à l'exercice suivant, après décompte
vérifié préalablement par la Cour des Comptes.
L'article 16i de l'arrêté de 1868 précise cette disposition, en
rappelant tout d'abord que les ministres, en principe, ne font
aucun contrat, marché ou adjudication, pour un terme dépas-
sant la durée du budget.
Hais si, à raison de l'importance des travaux, dans les cas
exceptionnels prévus. par l'article 19 de la loi de 1846, ali-
néas 2 et 3 et par les lois spéciales que nous avons indiquées ^
ils contractent pour un plus long terme et que le crédit néces-
saire est entièrement accordé dans un seul et même budget, la
partie du crédit disponible à la clôture de l'exercice est trans-
férée successivement, pendant quatre années, à l'exercice sui-
vant, après décompte vérifié préalablement par la Cour des
Comptes,
Il en est de même, ajoute cet article 164, de la partie des
allocations ordinaires qui sont grevées de droits en faveur des
créanciers de TÉtat, soit pour travaux adjugés et en cours
d'exécution, soit pour d'autres services qui ne peuvent être
accomplis dans le cours de l'exercice.
Les articles 1 6S à 169 du règlement général de la comptabilité,
arrêté de 1868, établissent la marche à suivre pour le décompte
prescrit par l'article 30 de la loi de 1846, sa vérification par
la Cour des Comptes et les écritures auxquelles il donne lieu ^.
L'article 31 de la loi de 1846 et les articles 170 à 172 du
règlement général de la comptabilité sont relatifs aux trans-
ferts des fonds restés disponibles, au 31 décembre de chaque
année, sur les allocations spéciales affectées à des services
étrangers aux dépenses générales de l'État. Ces fonds dispo-
nibles sont reportés à l'exercice suivant et ils y conservent
* Cf. plus haut, chapitre IV, § 1.
* Cf. arrêté du 12 décembre 1868 : modèle n® 27 du décompte des
crédits à transférer à l'exercice suivant, en vertu de rarlicle i65 et
modèle n» 28 de Tétat général des créances restant à liquider sur les
parties de crédits à transférer à l'exercice suivant (art. 166).
(411 )
l'affectation qui leur a été donnée par le budget (art. 81 ;
art. 170) <.
Sont considérées comme disponibles :
l*" Les sommes libres sur les crédits, après déduction des
créances liquidées et ordonnancées dans le cours de l'année ;
9f^ Les dépenses non justiBées ni régularisées sur des crédits
ouverts à des ordonnateurs.
Elle ne peuvent être confondues avec les fonds de même
nature, alloués pendant l'année à laquelle elles sont trans-
férées (art. 171).
Les reports ont lieu à la suite de décomptes établis par le
département des finances, qui les communique, dans les
dix premiers jours de janvier, à la Cour des Comptes et aux
départements ministériels respectifs. Après que l'exactitude en
a été reconnue, il peut être disposé des sommes transférées
(art. 172; art. 32, loi de 1846).
Il se peut aussi que des ordonnances, bien que liquidées et
ordonnancées avant la clôture de l'exercice, n'aient pas encore
été payées à celle époque.
L'article 29 de la loi de 1846 prévoit ce cas : les ordon-
nances de paiement liquidées sur l'exercice, et dont le paie-
ment n'a pas été réclamé dans le cours légal du budget, ne
sont pas sujettes à renouvellement ; le paiement peut en être
fait pendant cinq ans, à compter du l^*" janvier de l'année qui
donne son nom à l'exercice.
L'article 173 de l'arrêté de 1868 dispose de même : les
ordonnances en circulation à Tépoque de la clôture de l'exer-
cice auquel elles sont rattachées restent payables pendant les
trois années qui suivent l'année de cette clôture. Elles sont
portées en dépense dans le compte de l'année de leur paie-
ment (cf. aussi art. 27, loi de 1846).
Lorsque cinq années se sont écoulées à partir du l*** janvier
de l'année qui donne son nom à l'exercice, l'exercice est dit
périmé et les ordonnances dont le paiement n'a pas été
Cf. plus haut : pp. 118 et suiv.
( «2 )
réclamé dans ce délai de cinq ans, sont prescrites au profit du
trésor (art. 36, loi de 1846).
Les articles 474 à 177 de Tarrété de 1868 prescrivent la
marche à suivre pour l'apurement des exercices clos et le
compte final de Fexercice périmé.
Le 31 décembre de la dernière année (par exemple le
31 décembre 1902 pour l'exercice 1898), les départements
ministériels transmettent aux agents du trésor respectifs les
actes et exploits de saisies-arrêts, de cessions, de transferts et
d'oppositions relatifs aux ordonnances liquidées sur l'exercice
périmé.
Après la réception de ces pièces, les agents du trésor
dressent un décompte des ordonnances restant encore à payer
sur l'exercice périmé et qui, aux termes des articles 36 et 37
de la loi sur la comptabilité, sont prescrites ou doivent être
versées à la caisse des consignations, à la conservation des
droits des intéressés (art. 174).
Les crédits ouverts pour le paiement des ordonnances pres-
crites sont annulés. Le caissier de TÉtat annule également ces
crédits, après qu'il en a reçu avis du département des
finances.
Quant aux ordonnances frappées de saisie-arrêt ou d'oppo-
sition, le montant en est versé à la caisse des consignations,
sur une autorisation spéciale du ministre de finances. Les
reconnaissances de dépôt, à délivrer par les conservateurs des
hypothèques, sont comprises en dépense par les agents du
trésor (art. 178).
Annuellement, il est dressé un compte final d'apurement de
l'exercice périmé.
Ce compte comprend :
1® Les paiements successivement opérés sur les ordonnances
qui restaient en circulation à la clôture de l'exercice ;
ip Les versements efi'ectués à la caisse des consignations sur
ordonnances frappées de saisie- arrêt et d'opposition ;
3® Les ordonnances prescrites au profit de l'État (art. 176).
Le montant des ordonnances prescrites étant porté en
dépense dans le compte final d'apurement, il en est fait recette
(413)
réelle au compte de gestion et du budget de l'année qui suit
celle pendant laquelle la prescription est acquise (art. 177).
A titre d'exemple, voici comment s'établit, en vertu de
l'article 176 que nous venons de citer, le compte final
d'apurement de l'exercice 1895, qui est périmé depuis le
31 décembre 1899^.
Les ordonnances en circulation à la clôture
de l'exercice (31 octobre 1896) étaient de . fr. 473,403 05
Sur ces ordonnances, il a été payé et justifié :
1*> Depuis lors jusqu'à la fin de 1899
(art. 173) 452,248 65
2"" Il a été versé, en 1900, à la caisse des
dépôts et consignations, du chef des ordon-
nances frappées de saisie-arrêt ou d'opposition
(art. 175, al. 2) 1,554 12
3® Et il a été porté en recette au compte du
budget de l'exercice 1900, pour les ordon-
nances prescrites au profit du trésor (art. 177). 19,610 38
Fr. 473,403 05
D'autre part 2, les dépenses à payer sur les — """^^■""
exercices clos, mais en cours d'apurement, de
1895 à 1898, étaient de fr. 225,836
Depuis lors (le dernier compte rendu), ce
chiffre s'est accru des créances non acquittées
à la clôture de l'exercice 1899 ; ainsi que le
constate le compte définitif de cet exercice,
elles s'élèvent à 1,463,246 61
Le montant des paiements à effectuer pour
apurer les exercices précités était donc de . fr. 1,689,081 61
^ Cf. Compte général de radministration des finances, rendu pour
Tannée 190O par le ministre des finances, p. 353. (Gh. des Représ.,
séance du d2 février 1902, Doc. parL, n» 64.)
« Cf. ibidem^ pp. 5-6.
(4U)
Les paiements effectués dans le cours de
1900, y compris :
i^ Les ordonnances frappées de saisie-arrét
ou d'opposition, dont le montant a été versé
à la caisse des dépôts et consignations (art. 37,
loîdel8i6);
â^" Les ordonnances prescrites (art. 36) dont
le montant a été porté en recette au profit du
trésor sont de 1,338,433 10
Il s'ensuit que les ordonnances non acquit-
tées sur les exercices clos s'élèvent, au 1*' jan-
vier 1901, à fr. 350,648 51
Ce chiffre se décompose de la manière sui- — """^^■""
vante :
Sur l'exercice 1896 fr. 21,662 11
— 1897. 17,817 15
— 1898 50,196 04
— 1899 260,973 21
Fr, 350,648 51
Quant aux recettes, l'article 28 de la loi de 1846 dispose :
« Les sommes réalisées sur les ressources de l'exercice clos
sont portées en recette au compte de l'année pendant laquelle
les recouvrements seront effectués ».
QUATRIÈME PARTIE
LE CONTROLE DE L'EXÉCUTION
DU BUDGET.
SOMMAIRS :
Chapitre I. — Généralités : Les diverses espèces de contrôle, — Le
contrôle des comptables et celui des ordonnateurs.
Chapitre IL — La Cour des Comptes.
§ 4. — Sa nature. — Législation en vigueur.
§ 2. — Le personnel : composition, nomination, incompatibilités,
traitements.
§ 3. — Les attributions :
A. ~ Le visa préalable;
B. — Le contrôle judiciaire des comptables;
C. — Le contrôle de la dette publique ;
D. — Le contrôle des pensions.
Chapitre IIL — Le contrôle législatif des ordonnateurs.
§ 1. — Compte général de l'administration des finances et états de
situation à fournir par les ministres.
§ 2. — Le règlement définitif du budget par la loi des comptes. —
La responsabilité ministérielle.
(416)
CHAPITRE I.
Grénèralités : les diverses espèces de contrôle. — Le
contrôle des comptables et celui des ordonnateurs.
La gestion des deniers publics, qui constitue Texécution du
budget, est soumise, comme toute gestion, à un contrôle dont
les détails sont minutieusement réglés par les lois et les
règlements.
On distingue généralement trois espèces de contrôle : le
contrôle administratif, le contrôle judiciaire et le contrôle
législatif.
ce Le contrôle administratif est exercé hiérarchiquement par
l'administration supérieure sur ses subordonnés; le contrôle
judiciaire est exercé par la Cour des Comptes sur les comp-
tables soumis à sa juridiction; le contrôle législatif est exercé
par le Parlement sur les ministres chargés de Texécution du
budget 1. »
Ces trois espèces de contrôle ne s'exercent pas au même
moment. Tandis que le contrôle administratif se poursuit con-
tinuellement au fur et à mesure de Tavancement des opérations,
le contrôle judiciaire et le contrôle législatif n'apparaissent
qu'après leur achèvement.
De plus, des deux catégories d'agents que nous avons vues
intervenir dans l'exécution du budget, les comptables et les
ordonnateurs, les comptables seuls sont assujettis à ce triple
contrôle, tandis que les ordonnateurs ne subissent, en réalité,
que le contrôle législatif.
Le contrôle administratif des comptables a donc lieu au
cours de l'exécution du budget. Les justifications dont il se
compose sont multiples. Nous les avons indiquées précédem-
* Stourm, loc, cit., p. 551.
(417 )
ment en exposant les obligations des comptables en général,
celles des agents du trésor, du caissier de l'État, etc.
Elles consistent principalement dans les vérifications pério-
diques des livres et journaux dont la tenue est exigée, dans
l'envoi d'états journaliers, hebdomadaires ou mensuels des
recettes ou des dépenses soit à l'administration de la trésorerie,
soit à la Cour des Comptes, dans des procès-verbaux de situa-
tion de caisse, etc.. (Cf. art. 28 à 40, arrêté de 1868.) Nous
n'avons plus à y revenir.
Quand l'année est terminée ou bien à l'expiration de la
gestion personnelle du comptable, il y a lieu au contrôle judi-
ciaire du comptable, et ce contrôle a pour base les comptes
de gestion rendus par lui (art. 42 à 46, arrêté de 1868). Il est
exercé par la Cour des Comptes, dans les conditions que nous
aurons à examiner (art. 7 à 13, loi du 29 octobre 1846).
Enfin, le contrôle législatif des comptables s'effectue, selon
la remarque de M. Stourm, « par la comparaison de l'ensemble
des écritures des comptables avec les résultats du compte
général des finances et des déclarations générales de la Cour
des Comptes ^ ».
Quant aux ordonnateurs, il ne peut être question pour eux
de contrôle administratif, puisqu'ils sont les chefs des admi-
nistrations et placés à la tête de la hiérarchie administrative.
Mais les ordonnateurs secondaires, eux, sont contrôlés par
leurs supérieurs hiérarchiques.
Il n'y a pas non plus de contrôle judiciaire des ordonnateurs;
le contrôle législatif existe, seul, pour eux. Il a pour base le
compte général de l'administration des finances et les divers
comptes à rendre par les ministres au Parlement, après
vérification par la Cour des Comptes (art. 42 à 48, loi du
15 mai 1846).
Cependant notre organisation budgétaire prévoit le contrôle
* Loc. ciL, p. 561.
Tome LXVl. 27
(418)
de rordonnancement des dépenses, préalable à leur paiement.
11 est exercé par la Cour des Comptes et on pourrait le consi-
dérer comme une espèce de contrôle administratif des ordon-
nateurs.
Mais comme la Cour des Comptes tient en réalité ses pou-
voirs d'une délégation qui lui est faite par la Chambre des
représentants et qu'il peut être passé outre à son visa préalable
par les ministres, dans certaines conditions et sous réserve de
l'approbation finale du Parlement, on peut dire que le contrôle
préalable de la dépense se résout, lui aussi, en dernière ana-
lyse, dans le contrôle législatif.
Nous n'avons plus, en cette dernière partie, qu'à examiner
les deux questions suivantes.
D'abord, l'organisation de la Cour des Comptes et ses attri-
butions essentielles, qui sont le contrôle préalable de Tordon-
nancement des dépenses et le contrôle judiciaire des comp-
tables.
Ensuite, le contrôle législatif des ordonnateurs et la loi des
comptes qui clôt la série des opérations budgétaires.
CHAPITRE IL
La Cour des Comptes.
§ 1. — Sa nature. — Législation en vigueur.
De même que le service de l'exécution du budget est centra-
lisé au ministère des finances, de même le service du contrôle
se concentre, en dernière analyse, dans la Cour des Comptes.
Cette institution est comme l'épine dorsale de notre régime
budgétaire, dont un contrôle sérieusement organisé constitue
le rouage essentiel et indispensable.
En principe, c'est aux représentants de la nation qui don-
(419)
nent leur assentiment aux propositions budgétaires du gou-
vernement que revient aussi le droit de vérifier si, dans
Texécution du budget, le gouvernement n'a pas outrepassé ses
pouvoirs, tels que les avait définis la loi budgétaire.
Hais comme cette vérification entraîne pratiquement des
formalités complexes et qu'il est matériellement impossible au
Parlement de suivre la comptabilité publique dans ses mille
détails journaliers, c'est à un corps spécial, nommé par lui,
que le Parlement a délégué son droit de contrôle.
Dans notre organisation, la Cour des Comptes est donc tout
à fait indépendante du gouvernement, dont elle surveille la
gestion. La Cour des Comptes est a Tœil des Chambres »,
auquel, théoriquement du moins, rien n'échappe et qui veille
à la stricte application des lois et des règlements.
Ce fut un des premiers soins du Congrès national que de
travailler à la création de cette institution ^.
Le 13 décembre 1830, M. Coghen, administrateur général
des finances, présenta un projet de décret sur l'établissement
d'une commission provisoire de comptabilité nationale. Le
23 décembre, la commission du Congrès conclut à l'institution
d'une Cour des Comptes ^, et le projet devint la loi du 30 dé-
cembre 1830.
Cette loi rfavait toutefois qu'un caractère temporaire. L'or-
ganisation de la Cour n'était que provisoire. « Une expérience
de douze années, disait l'Exposé des motifs de la loi de 1846,
a fait reconnaître, de plus en plus, combien il est important
de rendre son organisation définitive, et de déterminer d'une
manière précise le mode d'exercice de ses attributions consti<*
tutionnelles 3, en établissant, pour ses rapports avec les admi-
* Sur la Chambre des comptes sous Tancien régime et Thistorique de
cette institution, cf. Introduction historique, pp. 23 et suiv.
Sur la Chambre générale des comptes du régime hollandais, cf. ihid,,
pp. 79 et suiv.
* Rapport de M. de Meulenaere. (Huyttens, Discussions^ t. IV, p. 403.)
' L'article 416 de la Constitution du 7 février 1881 avait déterminé les
fonctions essentielles de la Cour.
( 420 )
nistradons publiques, des règles exactes et invariables ^. »
Dès 1839, une commission spéciale fut chargée de préparer,
sous la présidence du ministre des finances, un projet de
revision de la loi du 30 décembre 1830 et un projet de loi de
comptabilité générale.
Ce dernier projet est devenu la loi du 18 mai 1846. La revi-
sion de la loi du 30 décembre 1830 a été définitivement con-
sacrée par la loi organique relative à l'organisation de la Cour
des Comptes, du 29 octobre 1846 2.
* Session de 1843-1844, Doc. pari., n^ 166. — L'article 116, alinéa 3 de
la Constitution promulguée le 7 février 1831, c'est-à-dire après le décret-
loi du 30 décembre 1830, avait d'ailleurs prescrit que la Cour serait
organisée par une loi.
^ Le projet de loi fut présenté à la Chambre le 19 janvier 1844. {Doc,
pari., no 146.)
Rapport de la section centrale, par M. de Man d'Attenrode, présenté
en séance du 21 mai 1844. (Doc. pari., n® 344.) Discussion à la Chambre :
11 et 12 mars 1846.
Rapport de la commission du Sénat. {Doc. pari., n» 165.) Discussion
au Sénat : 8, 9 et 10 juillet 1846.
Les documents et discussions relatifs à la loi sur la Cour des Comptes
ont été réunis en un volume. Bruxelles, Stapleaux, 1847, gr. in-8® de
159 pages.
A consulter sur l'organisation de la Cour des Comptes :
M. J. Britz, Loi organique de la Cour des Comptes dit S9 octobre i846,
commentée et expliquée. Bruxelles, Devroye et O*, novembre 1847.
Victor Marge, Étude sur la Cour des Comptes et la comptabilité publique
en Belgique. — Contrôle préventif exercé par la Cour des Comptes. (Extrait
du Bulletin de la Société de législation coïiparée) in-8<> de 208 pages.
Paris, Pichon et Guillaumin et O^, 1892. — Cet ouvrage est la meilleure
étude sur la Cour des Comptes belge et l'ensemble de la comptabilité
publique en Belgique.
L. RiCHALD, Histoire des finances publiques en Belgique depuis 4830.
(Mém. cour, de l'Acad.) Bruxelles, Hayez, 1884, pp. 1-22. — Giron, lac.
cit., et Pandectes belges : V° Cour des Comptes.
Pour la législation comparée, consulter :
Emmanuel Besson, Le contrôle des budgets en France et à V étranger,
2o édit. Paris, Chevalier-Marescq, 1901, in-8".
H. Sarrette, Étude sur le contrôle du budget en France, en Angleterre
et en Italie. Paris, Guillaumin, 1902,
(421 )
Celte loi forme, avec Farticle 116 de la Constitution et le
règlement d'ordre de la Cour du 9 avril 1831, les sources à
consulter sur la matière.
§ 2. — Le personnel : composition, nomination,
incompatibilités, traitements.
La Cour des Comptes se compose d'un président, de six
conseillers et d'un greffier (art. l»"" de la loi).
La proposition d'adjoindre à la Cour un procureur général,
organe du ministère public, avait été combattue par le gouver-
nement et rejetée par le Parlement (cf. : Chambre, séance du
11 mars 1846; Sénat, 9 juillet 1846) i.
C'est le plus jeune des conseillers qui en remplit les fonc-
tions (règlement d'ordre du 9 avril 1831, art. 19; loi de 1846,
art. 9).
De même, la proposition d'instituer un commis-greffier,
pour venir en aide au greffier, ne fut pas admise non plus par
les Chambres â.
Le président et les conseillers doivent avoir au moins l'âge
de 30 ans. Le greffier doit élre âgé de 25 ans au moins ; il n'a
pas voix délibéràtive (loi : art. l«^ al. 3, 4).
Les membres de la Cour sont nommés tous les six ans par
la Chambre des représentants, qui a toujours le droit de les
révoquer (art. 1", al. 2).
La Cour est donc élective et temporaire. Élective, afin
d'assurer son indépendance vis-à-vis de l'Exécutif. « La Cour,
disait H. Ch. de Brouckère au Congrès national, ayant pour
but de surveiller les opérations et la marche financière d'un
ministre, celui-ci ne peut avoir une part quelconque à la
nomination de ses membres. Ne confions pas au Pouvoir
* Brifz, loc. cit., no 16. — Cf. aussi Marge, p. 24.
« Id., ibid., no 17.
(423 )
exécutif le soin de faire contrôler les finances par ses créa-
tures : que rexpérience de quinze années nous serve de leçon »
(29 décembre 1830).
M. Devaux justifiait en ces termes la limitation à six années
de la durée des fonctions des membres de la Cour, qu'il avait
proposée au Congrès national : « La révocation est une mesure
sévère qui ne pourrait être autorisée que par des raisons très
graves. Par mon amendement disparaît le grand inconvénient
de devoir maintenir à leur poste des hommes dont on aurait
eu réellement à se plaindre. Ainsi tous les six ans, on pourrait
remanier la Cour, en éloigner ceux qui n'auront pas fait leur
devoir et réélire des autres ^. »
Cependant, le droit de révocation en tout temps fut inscrit
dans la loi de 1846, malgré l'avis du gouvernement, qui regar-
dait le droit permanent de révocation comme portant atteinte
à l'indépendance et par suite à la dignité de la Cour, alors
surtout que le mandat de ses membres est limité à un terme
fort court. (Exp. des motifs, 19 janvier 1844. — Britz, loc, cit.,
n^ 10). La section centrale, au contraire, motivait l'amende-
ment en disant : a La Cour constitue un contrôle sur les actes
du gouvernement en fait de dépenses; la Chambre des repré-
sentants a été investie du droit de nomination ; elle doit con-
server son droit de révocation, afin de maintenir ce contrôle
dans de justes bornes ».
Le président, les conseillers et le greflSer de la Cour sont
élus au scrutin secret, à la majorité absolue et par bulletins
séparés et successifs. Si, au second tour de scrutin, le candidat
n'a pas obtenu la majorité absolue, il sera procédé à un scrutin
de ballottage entre les deux membres qui ont réuni le plus de
voix. En cas de parité de suffrages, la préférence est accordée
au plus âgé (décret du 30 décembre 1830).
* L'article 116, alinéa l*' de la Constitution avait, lui aussi, attribué la
nomination des membres de la Cour à la Chambre des représentants et
laissé à la loi le soin de fixer la durée de leur mandat.
(423)
La Cour des Comptes prend rang immédiatement après la
Cour de cassation et jouit des mêmes prérogatives (art. 7 de la
loi du 16 septembre 1807). a La loi de 1807, disait le ministre
des finances à la Chambre, n'assigne même pas à la Cour des
Comptes un rang inférieur à la Cour de cassation ; elle porte
que la Cour des Comptes jouit des mêmes prérogatives et,
comme les deux corps ne peuvent marcher sur la même ligne,
elle établit que la Cour des Comptes prendra rang immédia-
tement après la Cour de cassation (15 novembre 1844, Annales^
p. 188. — Britz, loc.y cit., n« 11).
Les articles 2 et 3 de la loi établissent une série d'incompa-
tibilités qui libèrent les membres de la Cour de certains liens
de parenté, de certaines attaches politiques ou financières, qui
pourraient éventuellement entraver l'exercice régulier et loyal
de leur mission de contrôle.
Les membres de la Cour des Comptes ne peuvent être parents
ou alliés entre eux jusqu'au quatrième degré inclusivement,
ni, à répoque de leur nomination, être parents ou alliés au
même degré d'un ministre, chef d'administration générale.
Ils ne peuvent appartenir à Tune ou à l'autre Chambre légis-
lative, ni remplir aucun emploi auquel est attaché un traite-
ment ou une indemnité sur les fonds du trésor, ni être direc-
tement ou indirectement intéressés ou employés dans aucune
entreprise ou affaire sujette à comptabilité envers l'État. Ils ne
peuvent délibérer sur les affaires qui les concernent personnel-
lement, ou dans lesquelles leurs parents ou alliés jusqu'au
quatrième degré inclusivement sont intéressés (art. 2).
Il est interdit, sous peine d'être réputé démissionnaire, à
tout membre de la Cour des Comptes, d'exercer soit par lui-
même, soit sous le nom de son épouse ou par toute autre per-
sonne interposée, aucune espèce de commerce, d'être agent
d'afiFaires, ou de participer à la direction ou à l'administration
de toute société ou établissement industriel (art. 3). (Cf. com-
mentaire, Britz, n»» 20 et 21.)
Les traitements des membres de la Cour avaient été fixés
une première fois par l'article 19 de la loi de 1846, puis
(424 )
augmentés par la loi du 9 mars 1863 et en dernier lieu par la
loi du 31 décembre 1900 *.
A la Cour appartient la nomination et la révocation de tous
ses employés (art. 18). C'est la Cour également qui a rédigé son
règlement d'ordre. 11 fut approuvé par le Congrès national, le
9 avril 1831 2. La Cour ne peut y apporter de changement
qu'avec l'approbation de la Chambre des représentants (art. 20).
( du président : 9,000 francs.
Article 19 : Traitement j ^^^ conseillers et du greffier : 7,000 francs.
f j A iooo ( président : 11,250 francs.
Loi du 9 mars 4863 . . J .„ . œ o t^nn r
( conseillers et greffier : 8,500 francs.
Loi du 34 décembre 1900 : le traitement du président est porté à
42,500 francs (art. 3). Les traitement fixés par la loi de 4863 sont majorés
de 300 francs après chaque période de cinq années de fonctions. Les
augmentations prennent cours à partir du 4«' du mois qui suit l'expira-
tion de la période quinquennale. Ces dispositions sont applicables à
partir du 4«' janvier 1900.
* Arrêté par la Cour le 49 février, il fut présenté au Congrès le 23 et
approuvé par lui le 9 avril 4834.
Cf. Exposé des motifs de la Cour. (Huyttens, IV, n«» 224, p. 440.) D*après
ce règlement d'ordre, la Cour est divisée en deux sections, composée
chacune de trois conseillers.
La première section ou section de comptabilité est chargée du contrôle
de tous états — de l'examen de tous renseignements et éclaircissements
relatifs à la recette de deniers de l'État, — de l'examen et de la liquida-
tion des comptes de l'administration générale et de tous les comptables
envers le trésor. Ces comptes sont ensuite clos et arrêtés en assemblée
générale de la Cour, sur le rapport de cette section (art. 3).
Par décision de la Cour, approuvée le 44 mars 4902 par la Chambre
des représentants, les attributions de la section de comptabilité ont été
augmentées encore de la surveillance de la tenue du double du grand-
livre de la dette publique et du registre des pensions, qui incombait en
vertu de l'article 4 à la seconde section.
Celle-ci, ou section de contrôle, reste donc, actuellement, exclusive-
ment chargée du contrôle des dépenses et du visa et de l'enregistrement
des demandes de paiement (art. 4). Ces documents sont signés par un
membre de cette section et contresignés par le greffier.
Le président a le droit de nommer des commissions spéciales pour
faire rapport sur les affaires qui ne rentrent point directement dans les
(425 )
§ 3. — Les attributions.
- Les attributions de la Cour des Comptes sont déterminées
par l'article 116, alinéa 2 de la Constitution et par les articles 5,
16 et 17 de la loi du 29 octobre 1846.
a De l'article 116 de la Constitution dérivent pour la Cour
des Comptes deux espèces ou, pour mieux dire, deux ordres
d'attributions : par les premières qui sont celles inhérentes à
son institution même, elle est chargée de Texamen et delà liqui-
dation des comptes de l'administration générale et de tous les
comptables envers le trésor public ; ses attributions de second
ordre lui imposent le devoir de veiller à ce qu'aucun article de
dépenses du budget ne soit dépassé et à ce qu'aucun transfert
n'ait lieu.
» Juger les comptes de tous les comptables et en arrêter la
situation, telle a été, de tout temps, l'attribution la plus essen-
tielle d'une Cour des Comptes, celle qui lui donne le caractère
et l'autorité d'un corps de judicature...
» ... Le visa des dépenses publiques n'est pas un élément
essentiel de l'institution d'une Cour des Comptes, ce visa
n'appartenait pas à notre ancienne Chambre des comptes, dans
l'organisation qui a précédé 1794. Il n'existe pas non plus en
France. La disposition constitutionnelle qui charge la Cour des
Comptes de veiller à ce que le budget ne soit pas dépassé et à
ce qu'aucun transfert n'ait lieu, est le principe d'où découle la
règle du visa préalable pour les dépenses, et qui trace aussi
attributions de la section de contrôle, ou de la section de comptabilité
(art. 7). Il sera fait tous les six mois un roulement d'une section à Tautre,
de manière que chaque année chacun des conseillers soit appelé à siéger
dans les deux sections.
Le règlement s'occupe encore des assemblées générales (art. 8-12), des
vacances, absences et vacatores (art. 1^43), de la tenue et police des
assemblées (art. 14-18), du ministère public (art. 19-21) et du greffier
(art. 22-31).
(426)
les limites dans lesquelles l'exercice du droit de visa doit être
renfermé ^. »
Les deux attributions essentielles de la Cour des Comptes,
telles qu'elles résultent de l'article 116 de la Constitution et de
l'article S de la loi sont donc : k contrôle judiciaire des comp-
tables et le visa préalable des dépenses.
La Cour est en outre charge du contrôle de la dette publi-
que (art. 16), du contrôle des pensions (art. 17) et de la véri-
fication du compte général de l'État 3 (art. 116 de la Consti-
tution).
Nous étudierons ces diverses attributions, en commençant
par la plus caractéristique de toutes : le contrôle préalable des
dépenses.
A. — Le visa prenable de la Cour des Comptes.
Ainsi que le remarque l'exposé des motifs de la loi du
29 octobre 1846, dans l'extrait que nous venons de citer, la
règle du visa préalable des dépenses par la Cour des Comptes
découle du droit constitutionnel que possède cette dernière de
veiller à la spécialité budgétaire : « elle veille à ce qu'aucun
article des dépenses du budget ne soit dépassé et qu*aucun
transfert n'ait lieu. » (Art. 116 ; art. 5, al. 2, loi du 29 octo-
bre 1846.)
Cette règle fut précisée et exprimée formellement par l'ar-
ticle 17, alinéa 2 de la loi du 15 mai 1846 : aucune sortie de
fonds ne peut se faire sans son concours (du ministre des
finances) et sans le visa préalable et la liquidation de la Cour
des Comptes, sauf les exceptions établies par la loi.
Elle est organisée définitivement par l'article 14 de la loi du
29 octobre 1846 :
^ Exposé des motifs, loi du 29 octobre 1946.
^ La Cour des Comptes est investie aussi du contrôle de la comptabi-
lité provinciale. Nous nous bornerons ici k indiquer cette attribution. —
Cf. la loi du 28 décembre 1883. — (Marge, toc. cit., pp. 123-125.)
( 427 )
c( Aucune ordonnance de paiennent n'est acquittée par le
trésor qu'après avoir été munie du visa de la Cour des Comptes.
» Lorsque la Cour ne croit pas devoir donner son visa, les
motifs de son refus sont examinés en conseil des ministres.
)> Si les ministres jugent qu'il doit être passé outre au paie-
ment sous leur responsabilité, la Cour vise avec réserve.
» Elle rend compte de ses motifs dans ses observations
annuelles aux Chambres. »
Le visa préalable de la Cour des Comptes a pour but de
vérifier les dépenses ordonnancées par les ministres avant
qu'elles soient consommées par le paiement.
« Ainsi le contrôle établi en vertu du principe posé dans la
Constitution a un caractère préventif; il tend à prévenir des
actes contraires aux lois financières et aux règlements, car
lorsqu'ils sont déférés, lors de l'examen de la loi des comptes,
au jugement des Chambres, elles n'ont d'autre recours contre
des actes consommés, contraires aux intérêts du pays, que la
responsabilité ministérielle, et y avoir recours est une mesure
extrême ^. »
On peut ajouter, avec M. Marcé, que « la responsabilité
ministérielle en matière de finances, sauf dans les cas de con-
cussion ou de dilapidation, est et ne peut être que purement
morale, elle n'aboutit et ne peut aboutir qu'à un vote de blâme
ou au renversement du ministre qui s'est écarté des prescrip-
tions du budget et des lois et règlements financiers.
a La répression ne pouvant garantir sufiisamment les inté-
rêts de l'État, il faut mettre obstacle à la perpétration de l'acte
irrégulier. La Cour des Comptes, indépendante des ministres
qu'il s'agit de contrôler, sera chargée de cette mission ; elle
remplira par avance, d'une façon préventive, le rôle que le
Parlement ne saurait remplir a posteriori avec efficacité 2. »
Telle est donc la raison d'être de ce visa préalable, que doit
subir, en principe, toute créance à charge de l'Etat, avant d'être
^ Rapport de la section centrale.
* Lac. cit., p. 5.
( 428 )
Mais ce principe comporte des exceptions, prévues par l'ar-
ticle 17 de la loi du 15 mai 1846.
Elles sont nombreuses et concernent : les dépenses fixes^ les
dépenses payées par les comptables, les dépenses sur crédits
ouverts et les dépenses sur fonds avancés.
Ces quatre catégories de dépenses échappent, à des degrés
divers, au contrôle préventif de la Cour.
Par conséquent, selon la remarque de M. Marcé, « la sphère
d'application de la règle du visa préalable est déterminée
par les exceptions qu'elle comporte... Elle comprend d'une
façon générale les dépenses variables et facultatives dont le
chiffre doit être limité annuellement par le budget et qui
n'ont pas trait à l'exécution des lois générales de l'État; ce
sont, par exemple, les dépenses pour achats, travaux, fourni-
tures qu'il dépend du gouvernement de créer, d'augmenter ou
de restreindre à volonté * ».
Le contrôle préalable que la Cour exerce sur cette catégorie
de dépenses ne porte pas sur leur engagement.
L'engagement de la dépense n'est pas soumis au contrôle
préventif. Les ministres en restent seuls juges et seuls respon-
sables. Cependant, si le contrôle de la Cour sur ce point ne
s'exerce pas a priori, il s'exerce aposteiHori, et les articles 96,
97 et 98 de l'arrêté de 1868 organisent ce contrôle postérieur
relativement aux dépenses afférentes aux travaux publics et
aux fournitures.
Dans ses observations annuelles aux Chambres, la Cour
consigne les remarques et les objections que peuvent lui
suggérer les engagements de certaines dépenses.
On trouve, par exemple, dans le Cahier (T observations de
1890 sur l'exercice 1888, l'espèce suivante.
L'administration avait eu recours, pour certains travaux
d'amélioration et d'entretien de divers bâtiments de l'État, à
des spécialistes, alors que la nature des ouvrages décrits dans
le devis établit aux yeux de la Cour qu'il n'y avait aucune uti-
* Lac, cit., p. 60. — Cf. plus haut, pp. 395 et suiv.
( 429 )
litë à recourir à des ouvriers spéciaux, puisque ces travaux
devaient être exécutés par l'entrepreneur de l'ensemble des
travaux. « En présence du fait accompli, la Cour a liquidé la
créance, tout en exprimant des regrets quant à la marche irré-
gulière suivie, et la dépense notablement plus élevée (25 7©
environ) qui en est résultée. » (Observ., loc. cit., p. 3.) (Cité
par Marge, p. 37,)
De même, la Cour vérifie également le transfert des crédits
engagés (art. 164 à 172, arrêté de 1868).
Mais à cela se borne son rôle au point de vue de l'engage-
ment de la dépense. Son contrôle est ici postérieur et non
préalable.
C'est là une différence essentielle entre la Cour des Comptes
italienne et la Cour belge.
Les deux systèmes ont pour caractère commun le contrôle
préventif de la dépense. Mais le système italien est plus déve-
loppé : il saisit la dépense à sa source même, au moment où
elle va être engagée, et soumet à ce moment la question de
légalité au contrôle de la Cour des Comptes ^.
En Belgique, le contrôle de la Cour ne s'exerce donc que
sur les ordonnancements et préalablement au paiement.
Les ordonnances de paiement, émanées des différents dépar-
tements ministériels, sont envoyées par ces derniers — avant
d'être enregistrées à la trésorerie — à la Cour des Comptes.
Le contrôle préalable de celle-ci consiste à vérifier d'une
part l'imputation de l'ordonnance et d'autre part à faire à nou-
veau la liquidation de la dépense.
« La Cour, saisie de l'ordonnance avant paiement, pourra
examiner en premier lieu son imputation, s'assurer qu'il existe
au budget un crédit pour y faire face et garantir la spécialité
des crédits, en un mot, veiller à l'exactitude de l'ordonnance-
ment; elle pourra aussi faire à nouveau la liquidation de la
dépense, liquidation déjà faite par le département qui lui
envoie l'ordonnance, c'est-à-dire qu'elle pourra s'assurer que
* Cf. Makcé, loc. cit., p. 36; Stourm, loc. cit,, p. 517; Besson, 2« partie,
chap. VI ; Sarrette, loc, cit., pp. 123 et suiv.
( *80)
la dette de TÉtat est exactement calculée, qu'elle est sufSsam-
ment justifiée quant à sa réalité et quant à sa légalité ^. »
A son arrivée à la Cour, chaque ordonnance reçoit un
numéro d'ordre, qui détermine son tour de rôle, à moins de
cas urgent et dans les conditions prévues par l'article 106 de
l'arrêté de 1868 â. Du numérotage, elle passe au dépouille-
ment : elle est inscrite au catalogue alphabétique et sur fiche
qui renseigne le nom de chaque créancier de l'État et facilite
singulièrement les recherches. Puis, elle va à la vérification et
chez le chef de service, qui la transmet à la section de contrôle.
De là, elle arrive à Timputation. La Cour — ainsi que chaque
département ministériel et l'administration de la trésorerie —
tient un livre des imputations, dressé pour chaque service ou
département ministériel et par article du budget afférent à
chaque département 3. On y tient note des imputations succes-
sives faites sur chaque article, de manière que l'on puisse
s'assurer à tout moment du degré d'épuisement du crédit
prévu à chaque article. De l'imputation, l'ordonnance arrive
enfin au service de l'expédition, qui est chargé de faire parvenir
les ordonnances au département des finances (art. 104, arrêté
de 1868).
La procédure suivie par la Cour, en matière de visa préa-
lable, est résumée en ces termes dans les Observations de la
Cour des Comptes sur l'exercice 1863 : « Les ordonnances de
paiement présentées à notre liquidation passent par une filière
d'enregistrement et une épreuve de vérification qui en pré-
cèdent l'examen par la Cour. C'est la tâche spéciale de ses
employés.
» Pour se livrer avec fruit à l'étude des affaires de sa com-
pétence, notre section de contrôle se fait mettre sous les yeux
les pièces justificatives annexées aux ordonnances de paiement
que ces affaires ont pour objet, afin de s'assurer s'il y a lieu de
procéder à la liquidation. Ces pièces sont nombreuses; elles
^ Marge, lac, ait,, p. 42.
« Cf. supra, p. 396, note 1.
5 Cf. supra, p. 393.
( 431 )
varient avec la nature de la créance, les conventions, ordres
d'achats et d'entreprises, factures, actes d'adjudication, mar-
chés, cahiers des charges, procès-verbaux de réception pro- •
visoire ou définitive des travaux ou fournitures; elles se
compliquent parfois de comptes devant faire l'objet d'une
vérification semblable à celle à laquelle on doit se livrer à la
section de comptabilité (chargée d'examiner les recettes et les
dépenses faites par les comptables et de procéder au jugement
des comptes).
» Si le dossier est incomplet ou irrégulier par suite
d'oubli, de lacune ou erreur de chiffre, l'ordonnance de
paiement est renvoyée avec observation. Lorsque l'oubli est
réparé, la lacune comblée et le chiffre rectifié, l'affaire est en
état et la liquidation a lieu, sans passer par la Cour assemblée
en séance générale; mais, quand des doutes s'élèvent au
sein de la section sur l'imputation budgétaire, ou, ce qui
est plus sérieux, sur la légalité de la dépense, au point de vue
des lois en vigueur, la section en réfère à la Cour, qui fait de
son rapport le sujet de ses délibérations ^; »
C'est donc la section de contrôle et non la Cour en assemblée
générale qui donne le visa prélalable, à moins de question déli-
cate ou douteuse, qui peut aboutir au refus du visa. C'est la
Cour en assemblée générale qui décidera de ce refus et éven-
tuellement du visa avec réserve 2.
La Cour est libre d'accorder ou de refuser son visa. La loi
ne limite en aucune façon ses pouvoirs, en spécifiant par
exemple les cas où elle est obligée de donner son visa.
Le projet de loi de 1844 contenait, il est vrai, h l'article 13
(devenu l'art. 14 de la loi de 1846), un alinéa 2 ainsi conçu :
Ce visa est accordé lorsque la réalité de la créance est justifiée
et que la Cour a reconnu la régularité de l'imputation.
L'Exposé des motifs disait à l'appui de cette disposition :
* Cité par Marcé, pp. 51-52.
« Règlement d'ordre : article 4, alinéa 2. — La Cour se réunit réguliè-
rement deux fois par semaine en assemblée générale (art. 8, règlement
d'ordre), el plus souvent, sur convocation du président, suivant que
Texige l'expédition des affaires (art. 9).
( 432 )
ce La Cour des Comptes n'est point juge des actes du Pouvoir
exécutif; il ne saurait donc lui appartenir d'en rechercher les
causes, et moins encore d'en paralyser l'exécution et les effets.
C'est dans la responsabilité ministérielle que se trouve la
garantie de la nation contre les actes abusifs, et cette garantie
serait déplacée ou cesserait d'exister le jour où, par l'effet
d'un contrôle exercé sur les dépenses que leurs actes doivent
entraîner, l'action des dépositaires du pouvoir cesserait d'être
libre. On voit qu'il est de la plus haute importance que la loi
nouvelle, en ce qui concerne l'obligation du visa sur les
dépenses, maintienne rigoureusement chaque pouvoir dans les
conditions que la Constitution lui a faites. Ainsi, lorsqu'une
ordonnance de paiement est adressée à la Cour des Comptes
pour être munie de son visa, cette Cour n'a point à s'enquérir
des causes de la dépense, non plus que de son utilité; elle n'a
pas non plus à rechercher si la dépense est bien ou mal faite;
elle n'a que deux points à vérifier : la créance que l'ordon-
nance de paiement a pour objet existe-t-elle réllement? Y a-t-il
pour cette dépense un crédit ouvert?
» Par la vérification de ces deux points, la Cour des
Comptes exerce pleinement le contrôle qui lui est déféré; il ne
pourrait être étendu sans excéder le vœu de la Constitution,
et sans créer une source de confiits dont les conséquences
seraient obslatives à la marche des affaires et désastreuse pour
la chose publique ».
En conséquence, le gouvernement estimait que lorsque la
créance était réelle et qu'elle était exactement imputée, la Cour
devait accorder son visa.
Mais la section centrale n'adopta pas ce système. Elle pro-
posa à l'unanimité de ses membres la suppression du § 2 de
l'article 13 (art. 14), pour les motifs suivants : « Le paragraphe
tend à définir dans quelles circonstances le visa préalable
pourra être exigé. Cette définition a paru dangereuse à la
section centrale, car elle pourrait amoindrir un contrôle
nécessaire pour prévenir les abus et éclairer la discussion de
la loi des comptes; contrôle qui, au moyen de la disposition
finale de l'article (visa avec réserve), ne peut entraver désormais
(433)
l'action du gouvernement. Pour que la Cour puisse être
astreinte à viser avec réserve, il faut qu'elle conserve son libre
arbitre pour refuser le visa pur et simple, qu'elle puisse exiger
les justifications indispensables pour éclairer sa religion, et
donner aux observations que la Constitution lui a prescrit de
transmettre aux Chambres, une valeur indiscutable. >>
Ce dissentiment entre le gouvernement et la section centrale
fit les frais de presque toute la discussion de la loi du
29 octobre 1846, tant à la Chambre qu'au Sénat i.
Le gouvernement voulait donc définir les pouvoirs de la
Cour des Comptes, afin d'empêcher que celle-ci n'entrave la
marche régulière de l'administration et ne s'érige en juge des
actes des ministres^ responsables seulement devant le Parle-
ment.
La section centrale, au contraire, craignait qu'une délimita-
tion des pouvoirs de la Cour ne rende illusoire son contrôle.
Elle remarquait d'ailleurs que ce contrôle n'était pas prohibitif,
puisque la loi instituait le visa avec réserve, qui permettait aux
Chambres de trancher en dernier ressort les conflits entre la
Cour et l'administration.
Cette manière de voir l'emporta définitivement par 37 voix
contre 35 et 3 abstentions à la Chambre et par 21 voix contre
12 et 1 abstention au Sénat.
C'est pourquoi l'article 14, en organisant le visa préalabK*
de la Cour, n'apporte aucune restriction au droit d'examen de
celle-ci.
« En résumé, dit M. Marcé 2, la législation belge ne limite,
de quelque manière que ce soit, les pouvoirs de la Cour des
Comptes; ces pouvoirs illimités sont confirmés par les travaux
préparatoires de la loi organique de 1846 et embrassent, en d
* Cf. Chambre, séances des 11 et 1:2 mars 1846. — Sénat, séances des
8, 9 et 10 juillet 1846. — Cf. résumé de cette discussion : Marge, loç.
cit., pp. 126-t39.
« Loc, dt,^ p. 134.
Tome LXVL 28
(434)
qui concerne l'exercice de son contrôle préventif comme en ce
qui touche celui de son contrôle a posteriori, les questions de
réalité et de légalité de la dépense; la Cour examinera donc
non seulement si la dépense est budgélairement régulière,
exactement imputée sur un crédit dûment voté, mais encore si
elle correspond à une dette de l'État juridiquement et légale-
ment établie ; au surplus, le législateur paraît même ne pas
enlever à la Cour le droit d'apprécier le mérite et les motifs de
la dépense. »
Il est difficile, d'autre part, de soutenir que la Cour abuse
des pouvoirs étendus qu'elle tient de la loi. Certes, il y eut de
fréquents frottements entre la Cour et l'administration, avant
d'assurer le fonctionnement régulier des rouages du contrôle;
à certaines époques, la lutte a été assez vive, mais elle a tourné
en définitive à l'avantage d'une bonne administration financière.
Si le contrôle préalable constitue souvent une gêne pour les
exécuteurs du budget, cette gêne est salutaire; elle est une
condition de la bonne gestion de la fortune publique et ne peut
d'ailleurs jamais entraver la marche régulière des affaires.
Car, outre l'institution du visa avec réserve, qui donne, en
cas de conflit sérieux, le dernier mot aux ministres réunis en
conseil, sous réserve de l'approbation des Chambres, les
ministres ont à leur disposition différents moyens de tempérer
dans la pratique les rigueurs du visa préalable 4.
La Cour des Comptes peut accorder ou refuser son visa. Elle
pourra le refuser notamment :
a) Quand elle trouve que la créance n'est pas réelle, c'est-à-
dire que celui qui se présente n'a pas une dette légitime à
charge de l'État ;
* Il faut remarquer encore que les opérations du visa sont effectuées
avec diligence à la Cour, à moins de discussion avec radministration sur
certains points douteux (cf. Marge, p. 62) el aussi que l'obligation du
visa ne porte que sur une catégorie restreinte des dépenses publiques
(cf. infra, p. 449).
( *35 )
b) Quand elle trouve que l'imputation n'est pas régulière,
c'est-à-dire qu'elle n'a pas été faite sur l'article ou le chapitre
compétent du budget ou que le crédit assigné à la dépense par
le budget a été excédé ou détourné ;
c) Quand elle trouve que la dépense n'est pas légale, n'est
pas conforme à la lettre ou à l'esprit de la loi ^.
c( La Cour ne permettra aucun paiement des deniers publics,
à moins que la légalité et la régularité de la créance n'aient
été reconnues par elle. En cette matière, la Cour a les mêmes
droits et les mêmes devoirs que ceux d'un juge qui ne peut
rendre son arrêt qu'alors que sa religion et sa conscience sont
suflSsamment éclairées 2. »
En cas de conflit entre la Cour et l'administration, lorsque
la Cour refusait son visa, la loi du 30 décembre 1830 ne pré-
voyait pas de solution.
« Sous l'empire de cette loi, dans les cas où la Cour refusait
son visa préalable, elle permettait au Pouvoir exécutif de
demander des fonds à charge d'en rendre compte, et alors la
difficulté se trouvait réellement devoir être jugée à l'occasion
d'un compte contre l'apurement duquel on pouvait se pour-
voir à la Cour de cassation 3. »
La loi du 29 octobre 1846, article 14, alinéas 2, 3, 4 — et
ce fut un de ses mérites — a comblé cette lacune par l'institu-
tion du visa avec réserve,
a Lorsque la Cour ne croit pas devoir donner son visa, les
motifs de son refus sont examinés en conseil des ministres.
» Si les ministres jugent qu'il doit être passé outre au paie-
ment sous leur responsabilité, la Cour vise avec réserve.
^ Discours du ministre des finances et de M. Donny. (Gh. des Représ.,
séance du 42 mars 4846.)
* Observations de la Cour des Comptes du 29 novembre 1844, sur le
compte de Texercice 4840, pp. 45-46. — Cf. B^nz, p. 6U
» Britz, toc. cit., p. 65.
(436)
» Elle rend compte de ses motifs dans ses observations
annuelles aux Chambres. »
Cette procédure est ingénieuse et cadre parfaitement avec
les principes constitutionnels de la séparation des pouvoirs et
de la responsabilité ministérielle. « Le Pouvoir exécutif doit
pouvoir accomplir en toute liberté la mission qui lui est con-
fiée et la marche des services publics ne saurait être entravée
par la volonté d'un corps de contrôle qui n'est pas chargé
d'administrer. C'est à cette idée que répond l'institution du
visa avec réserve ^ ».
(c La Cour des Comptes n'a donc pas la faculté d'opposer
son veto à un acte de dépense. Dès lors, la marche du gouver-
nement ne peut être entravée et la responsabilité ministérielle
reste entière 2. »
L'Exposé des motifs de la loi de 1846 et le rapport de la
section centrale justifient d'une manière analogue cette solu-
tion.
<c On a dû prévoir, lisons-nous dans l'Exposé des motifs,
le cas d'une dissidence entre le gouvernement et la Cour. Sans
doute, en pareil cas, le premier devoir des ministres sera de
peser mûrement les motifs de la Cour; mais lorsque, après
examen et délibération, le conseil des ministres, et plus
spécialement le ministre que la dépense concerne, jugera que
l'intérêt de l'État lui commande de persister, cet intérêt qui
est la suprême loi devra dominer toute opposition. Le droit de
protestation est réservé à la Cour, et en définitive, le débat
sera porté devant la Chambre des représentants. »
Le rapporteur de la section centrale écrivait de son côté :
c< La condition du visa préalable à la dépense, posée comme
règle absolue et abandonnée au jugement d'un corps constitué
en dehors des trois pouvoirs de l'État, était de nature à entraver
la marche du gouvernement, à enchaîner son libre arbitre, à
* Marge, loe. cit., p. 53.-
^ Discours de M. de Man. (Gh. des Représ., séance du 13 niai*s 1846.)
( *n )
porter atteinte à sa liberté d'action, contrairement à l'exercice
de ses droits et aux principes de sa responsabilité. En effet, le
décret de 1830 ne trace pas de règle à suivre en cas de dissi-
dence entre l'autorité qui crée la dépense et l'institution qui
contrôle au moyen de la liquidation préalable. D'après la nou-
velle loi, si le chef d'un département ministériel persiste à
créer une dépense malgré les observations de la Cour, il en
est référé au conseil des ministres, et si son avis est conforme,
il est passé outre à la liquidation; mais alors le cabinet s'est
associé à la responsabilité de l'acte que la Cour aura à signaler
à la Législature. Dans la loi des comptes les Chambres peuvent,
en définitive, apprécier cet acte et en décider. »
C'est, en effet, à cette conclusion qu'aboutit en dernière
analyse le contrôle préventif de la Cour. Ainsi que nous le
remarquions plus haut, il se résout en fin de compte dans le
contrôle législatif.
C'est en 1880 qu'il a été fait application pour la première
fois du visa avec réserve ^. Mais depuis cette époque les cas se
sont multipliés. Faut-il, comme le suggère M. Marcé, voir
dans ce fait la preuve c< que le système fonctionne mieux
aujourd'hui qu'autrefois, que l'administration tourne moins le
contrôle préventif, que la Cour remplit plus énergiquement
sa mission? 2 »
Les ministres, avons-nous dit, disposent de certains moyens
pour tempérer dans la pratique les rigueurs du visa préalable.
Il est arrivé que dans des circonstances urgentes, comme
par exemple en 1866, lors de la guerre austro-allemande,
en 1870, lors de la guerre franco-allemande, des dépenses
urgentes, notamment des achats de chevaux, ont été faites en
violation formelle des dispositions légales 3.
De même, certaines dépenses doivent être admises par la
* Marcé, loc. cit., p. 60.
* Ibidem.
^ Ihid., pp. 74-75.
(438)
Cour, même en cas d'insuffisance de crédits. C'est le cas pour
les dépenses à payer sur les crédits non limitatifs inscrits au
budget <.
Mais, en dehors de ces cas spéciaux, les ministres trouvent
encore le moyen d'échapper au contrôle préalable, lorsqu'ils
estiment qu'il est nécessaire d'effectuer une dépense soumise à
l'obligation du visa préalable, bien qu'aucun crédit n'ait été
voté pour y faire face.
« Ce moyen consiste dans l'émission de mandats directs pour
le paiement des dépenses dont il s'agit; le mandat direct est le
mandat émis directement au nom d'une partie prenante, sans
que la Cour des Comptes ait été préalablement appelée à en
liquider le montant ou à en vérifier l'imputation : ce sont des
avances de trésorerie, avance que le trésor, banquier de l'État, fait
au budget, et qui lui seront remboursées ultérieurement après
justification de la dépense.
» La Cour des Comptes a soin de relever, dans ses observa-
tions annuelles, ces avances de trésorerie qui ont 6guré et
figurent dans les comptes pour des sommes considérables.
» La Cour des Comptes belge signale au Parlement l'avance
ainsi faite contrairement aux allocations du budget; elle lui
expose, d'après les états justificatifs qu'elle réclame, la nature
des dépenses effectuées, et par conséquent relève, après coup,
comme la Cour des Comptes française ou allemande, le dépasse-
ment ou le virement irrégulier de crédit.
» Cest alors au Parlement, saisi de la question dans Vexamen
de la loi des comptes, qu'il appartient de trancher la question de
savoir si le ministre a eu raison de faire la dépense critiquée et
s'il y a lieu de lui accorder un bill d indemnité ».
Ce système aboutit donc à transformer le contrôle préalable
exigé par la loi en un contrôle postérieur au paiement de la
dépense.
M. Marcé, auquel nous empruntons l'exposé qui précède, ^
* Marge, lac. cit., p. 75.
* Ibid., pp. 66 et suiv.
( 439)
cite de nombreux exemples tirés des cahiers d'observations de
la Cour et qui montrent la nature et la portée de ces avances
de trésorerie ^. II conclut en disant :
c< L'émission des mandats directs à titre d'avances, faites par
* Les avances s'élèvent à des sommes relativement importantes, mais
variables d'année en année. M. Marcé en a dressé le tableau pour la
période de 4877 à 4890 (p. 67, note).
Mandats directs créés chaque année par le ministre des finances :
4877 fr. 6,2(H,389 72
4878 4,476,646 42
4884 538,934 64
4882 ; 7,850,475 36
4883 2,444,658 24
4884 4,458,362 69
4885 3,348,088 »
4886 945,000 »
4887 1,263,927 43
4888 858,080 72
4889 . . 3,734,391 32
1890 403,092 80
En 4900, ces avances faites par le trésor sans Tintervenlion de la Cour
ont atteint le chiffre élevé de fr. 43,653,534 45.
La Cour des Comptes, dans son dernier cahier d'observations sur
l'exercice 1900 (session de 4904-4902, Doc. pari., n® 27), en a dressé,
selon son habitude, le tableau suivant indiquant l'objet de ces avances
par service, leurs motifs et leur montant.
AVANCES FAITES PAR LE TRÉSOR SANS L'INTERVENTION
DE LA COUR DES COMPTES.
L'administration de la trésorerie a fait, dans le cours de l'année 4900,
des avances à divers départements ministériels, en dehors des pres-
criptions de la loi sur la comptabilité publique , pour une somme de
fr. 13,653,534 45.
Le tableau ci-après fait connaître, d'après une annexe du compte de
(440 )
le trésor aux départements ministériels, est donc le moyen
avoué de tourner le visa préalable de la Cour des Comptes dans
les cas où le ministre croit la dépense utile et oii ce contrôle
devient gênant.
l'État, l'objet de ces avances par service, les motifis de rémission des
mandats directs, créés par M. le Ministre des finances, ainsi que leur
montant :
Montant des aranees
Objet det eréanees et motib de l'émission des mandats. par serTîee.
Ministère des Affaires étrangères. — Par suite de circon-
stances exceptionnelles, les crédits alloués par les arti-
cles 9, 12 et 44 du budget de l'exercice 4899, étant devenus
insuffisants, la liquidation de certaines dépenses urgentes
a dû se faire au moyen de mandats du trésor. Ces avances
ont été régularisées à charge d'un crédit supplémentaire
alloué par la loi du 9 mai 1900 fr. 47,878 05
Alandats délivrés à M. le Ministre des affaires étrangères
pour faire face au surcroit de dépenses résultant des frais
occasionnés par la correspondance télégraphique à laquelle
ont donné lieu les événements de Chine 69,431 65
Ministère de V Agriculture. — Le crédit budgétaire de
l'exercice 1899 affecté au paiement des indemnités dues
pour Tabatage de bêtes atteintes de tuberculose ou de
charbon étant complètement absorbé, le paiement des
créances de cette nature a dû être effectué au moyen de
mandats du trésor en attendant le vote d'un crédit supplé-
mentaire 126,373 16
Indemnités dues pour l'abatage, par ordre de l'autorité,
de bêtes atteintes de tuberculose ou de charbon, impu-
tables sur l'exercice 1900 et liquidées par mandats
d'avances en attendant le vote d'un crédit supplémentaire 217,267 51
Ministère de Vlntérieur et de l'Instruction publique. —
Le crédit provisoire alloué au département de l'intérieur
et de l'instruction publique pour l'exercice 1900 étant
insuffisant, le Gouvernement a autorisé l'émission d'un
mandat de la trésorerie pour permettre la répartition du
(441 )
» Dans tous les cas, le système belge aboutit donc, en défi-
nitive, au système français. Le ministre des finances et non la
Cour des Comptes décide la question de savoir si les avances
solde des subsides provisoires en faveur de renseignement
primaire. — Cette avance a été remboursée au trésor
aussitôt après le vote du budget du ministère de Tintérieur
et de rinstruction publique 4,570,850 »
Ministère de la Guerre, — En attendant le vote du crédit
supplémentaire de 8,000,000 de francs destiné à parfaire
le fonds spécial et temporaire de 20,000,000 de francs
institué par la loi du 9 août 4897 pour Tamélioration du
casernement, des mandats d'avances ont été délivrés pour
le paiement des créances dont la liquidation ne pouvait
être différée sans préjudice pour le trésor 827,576 46
Dépenses d'établissement de la ligne de défense avancée
d'Anvers. Le reliquat du crédit alloué au budget extra-
ordinaire de 1897 destiné à pourvoir à ces dépenses a été
annulé au 34 décembre 4899 conformément aux dispo-
sitions applicables à la durée des crédits extraordinaires.
Un nouveau crédit est inscrit au budget de l'exercice 4904 89,834 70
Ministère des Chemins de fer. Postes et Télégraphes. —
Fourniture de matériel fixe tenant à la voie. Achat de
combustibles et autres objets de consommation pour la
traction des convois. Frais d'exploitation, — Les crédits
des articles 16, 24 et 26 du budget des chemins de fer
étant épuisés au moment où les créances étaient devenues
exigibles, l'émission de mandats de la trésorerie a été
autorisée pour prévenir le paiement d'intérêts de retard . 8,894,834 67
Loyer de bâtiments. — A partir de l'exercice 4900, les
frais de loyer pour les bâtiments occupés par l'adminis-
tration des postes ont été transférés du service des ponts
et chaussées au budget du département des chemins de
fer, postes et télégraphes. En attendant le vote de ce
budget, les termes de loyer échus ont été payés au moyen
de mandats du trésor 43,950 »
Les crédits affectés aux dépenses de matériel de la
marine étant épuisés, le ministre des finances et des
( 442 )
demandées par un départennent ministériel seront accordées, et
exerce par conséquent le contrôle préventif des finances ; la
Cour des Comptes belge, comme la Cour des Comptes fran-
travaux publics a autorisé la délivrance de mandats
d'avances pour eflFectuer le paiement des dépenses dont
la liquidation ne pouvait être retardée sans exposer le
trésor à devoir payer des intérêts de retard 984,504 53
Fourniture de matériel roulant pour le service des
chemins de fer. — Ces avances, consenties pour permettre
de solder sur-le-champ le prix de ces fournitures, ont été
régularisées à charge du budget extraordinaire de 1900 747,516 18
Ministère des Finances et des Travaux publics, —
Travaux d'appropriation d'un immeuble à Bruxelles pour
rinstallation des bureaux des services des hypothèques et
du timbre extraordinaire. — Cette avance, consentie pour
permettre de régler dans les délais contractuels des
créances exigibles, a été régularisée à charge du budget
du ministère des finances et des travaux publics de
l'exercice 1900 6,656 47
Travaux d'appropriation dans divers locaux du Palais
de Justice de Bruxelles. — Le crédit du budget de l'exer-
cice 1899 sur lequel le prix de ces travaux devait être
imputé, étant épuisé, la liquidation en a été faite au moyen
d'un mandat du trésor en attendant le vote d'un crédit
supplémentaire . . 1,411 »
Mandat délivré à M. Rycx, ingénieur en chef, directeur
des ponts et chaussées du Brabant, pour lui permettre de
payer dans le délai prescrit par l'article 5 de la loi du
16 août 1887, les salaires des ouvriers de son service. ,—
Cette avance a été régularisée par un versement au trésor
eflFectué à Bruxelles, le 21 juin 1900 6,000 »
Travaux de remplacement de la machine et de la
pompe no 1 de l'usine établie à Bossuyt pour l'alimentation
artificielle du canal de Bossuyt à Courtrai. — Travaux
d'entretien exécutés à l'Escaut dans le Hainaut et travaux
d'amélioration du canal de Bossuyt à Courtrai. — Travaux
de recreuseraent du bief inférieur du canal d'Ypres à
( 443 )
çaise, arrive à signaler purement et simplement au Parlement
le dépassement ou l'interversion de crédit, ou bien les
dépenses sans crédit; dans les deux systèmes, ce sera au Parle-
ment qu'il incombera de mettre en jeu la responsabilité des
ministres ou de leur accorder le bill d'indemnité qu'il doit
leur donner pour couvrir leur gestion » (pp. 73, 74). « D'autre
part, des mandats directs sont parfois nécessaires, parce que
le contrôle préventif ne se prête pas à toutes les circonstances »
(exemples, p. 74).
Cette pratique des avances de trésorerie ne peut évidemment
être qu'exceptionnelle; elle doit se limiter strictement aux cas
urgents, sous peine de vicier complètement le système de
contrôle établi par la loi.
On doit constater cependant de fréquentes tentatives faites
par l'administration pour se libérer du contrôle préalable de
la Cour. .Celle-ci veille et exige, chaque fois qu'elle en a l'occa-
sion, Inapplication de la loi.
Un des derniers cahiers d'observations nous en fournit
encore des exemples. [Observ. sur Pexerdce 1900. Session de
1904-1902, Doc. pari., n« 27, p. 13) :
Nécessité de soumettre au visa préalable de la Cour, les dépenses
susceptibles de ce mode de liquidation.
« La loi du 29 octobre 1846 a établi pour la liquidation des
dépenses de l'État, divers modes de paiement dont le plus
propre à assurer l'eflScacité du contrôle que la Cour exerce sur
TYser. — Ces avances ont été consenties pour effectuer,
dans le délai stipulé par les contrats, le paiement des
travaux exécutés. Elles ont été régularisées à charge des
crédits transférés de Texereice 1899 conformément à
Tarticle 30 de la loi sur la comptabilité de TÉtat. .... 49,456 07
Total égal. . .fr. 13,653,534 15
( 444 )
les actes financiers de l'administration générale consiste dans
l'émission d'ordonnances à soumettre au visa préalable de son
collège.
» Jugeant que ce mode de liquidation avait le désavantage de
compliquer les écritures, en ce qui concerne les travaux qui
s'exécutent aux bâtiments civils de la capitale et des environs,
l'administration des ponts et chaussées souleva la question de
savoir s'il y aurait quelque inconvénient à ce que les receveurs
des contributions soient autorisés à payer directement les
dépenses de l'espèce aux intéressés, sur la production de
pièces comptables délivrées par le service des bâtiments civils
et sous réserve qu'ils seraient remboursés trimestriellement de
ces avances au moyen d'une ordonnance de paiement créée à
leur profit.
» La Cour n'a pu donner son consentement à celte mesure,
par le motif que le système proposé l'empêcherait de yeiller à
ce que les allocations budgétaires ne soient dépassées et de
constater, le cas échéant, des doubles emplois dans le paiement
des dépenses.
» Quelque temps après que cette proposition lui eut été faite,
la Cour constata que des fournitures importantes de com-
bustible pour le service des bateaux à vapeur de la douane à
Anvers avaient été soldées aux livranciers sans son interven-
tion préalable.
» Le département des finances et des travaux publics jugeait
que ce mode de procéder était conforme aux prescriptions du
paragraphe 49 de l'instruction générale du 15 mai 1870, qui
rangent les frais de chauffage parmi les dépenses afiranchies
du visa préalable, et qu'au surplus ces frais devaient être
considérés comme des frais de régie et de perception tombant
sous l'application des articles 16 et 18 du règlement général
sur la comptabilité de l'État.
» La Cour ayant démontré que les dépenses résultant de four-
nitures de combustible effectuées pour le service des embarca-
tions de la douane n'avaient point ce caractère, le département
( 445 )
n'insista pas davantage et promit de donner des instructions
pour que lesdites créances soient liquidées à l'avenir au moyen
d'ordonnances de paiement soumises au visa préalable. »
Malgré les tempéraments qu'y apporte la pratique, on ne
peut nier toutefois que le contrôle de la Cour ne soit très
efficace et n'exerce une influence très réelle sur la régularité
des actes de l'administration.
Le contrôle préventif produit d'abord, selon la remarque de
M. Marcé, un effet moral, un effet avant la lettre, en ce sens
qu'il permet aux ministres « d'agiter le spectre de la Cour des
Comptes » pour se débarrasser des solliciteurs de dépenses
irrégulières. Ainsi que l'observait la Cour elle-même, ce Si,
dans certaines cas, ce système de contrôle est une gêne pour
MH. les Ministres, dans d'autres circonstances, ces hauts fonc-
tionnaires s'en prévalent pour se refuser à prendre des déci-
sions qu'on sollicite de leur bienveillance ^ ».
Il aboutit aussi et surtout à des résultats pratiques et tan-
gibles. Les cahiers d'observations de la Cour fournissent de
nombreux exemples de cas où les ministres ont été amenés
à renoncer, par suite de l'intervention de la Cour, à des
dépenses qu'ils voulaient faire irrégulièrement et d'autres
exemples oti, en présence du refus de la Cour, les ministres
se résignent à demander un crédit supplémentaire ou les
autorisations nécessaires pour effectuer la dépense.
D'autre part, il arrive aussi que la Cour cède, à la condi-
tion qu'il lui sera donné satisfaction à l'avenir ou bien enfin
que la Cour cède sans conditions et consent à viser l'ordon-
nance irrégulière, afin, par exemple, d'éviter des retards dans
le paiement et les actions en dommages-intérêts que les
créanciers de l'Étal pourraient lui intenter 2.
L'article 14, alinéa 2 de la loi du 15 mai 1846, après avoir
f Observations sur Texercice 1863, cité par Marge, pp. 55^56.
* Sur tous ces cas. cf. les nombreux exemples patiemment recueillis
par M. Marcé dans les Cahiers d'observations de la Cour, loc. cit.,
pp. 36-60.
( 446 )
disposé qu'aucune sortie de fonds ne peut se faire sans le visa
préalable et la liquidation de la Cour des Comptes, ajoute :
a sauf les exceptions établies par la loi ».
C'est ce régime d'exceptions qu'il nous faut étudier mainte-
nant.
Une première exception concerne les dépenses Hxes ^.
Les dépenses fixes sont, par définition, affranchies du visa
de la Cour des Comptes (art. 63, 68, arrêté de 1868).
Les ordonnances collectives de paiement afférentes aux
dépenses de cette catégorie étant affranchies de la règle du
visa préalable, ne sont pas liquidées à nouveau par la Cour,
préalablement à leur paiement. De plus c< elles ne sont même
pas soumises in globo à son contrôle préalable en ce qui
concerne l'exactitude de leur imputation. La Cour est seule-
ment mise en situation de suivre l'épuisement des crédits
budgétaires '^; elle aura ici pour mission d'inscrire sur son
livre de contrôle des budgets 3 les sommes ordonnancées à
charge des crédits y relatifs, en s'assurant que les crédits per-
mettent rimputation de ces sommes ^ ».
Les .dépenses fixes sont donc affranchies complètement et
de la liquidation préalable et du contrôle de l'imputation
avant paiement.
Il en résulte que la Cour ne pourrait s'opposer au paiement
d'une ordonnance collective qui dépasserait les crédits budgé-
taires ou serait mal imputée. « Elle pourra seulement adresser
des observations aux ministres et, s*il y a lieu, signaler aux
Chambres le dépassement ou virement irrégulier de crédit,
dans son rapport annuel ^ ».
* Cf. supra, p. 397.
« Article 23 de la loi du 45 mai 4846; article 88 de l'arrêté de 4868. —
Cf. supra, p. 398.
3 Articles 424 et 125 de rarrété de 4868.
* Marge, pp. 45-46.
3 Ibid,, p. 46. — C'est à raison de la nature fixe et invariable de ces
dépenses et pour en assurer le paiement plus rapide qu'on les a dispensées
du visa préalable (Exposé des motifs de la loi du 45 mai 1846). Jlais
(447 )
Le contrôle de la régularité de l'ordonnance, au point de
vue de son imputation comme de sa liquidation (s'il s'agit de
charges nouvelles, par suite de changement de personnel,
augmentation de traitements, etc., art. 88, arrêté de 1868),
n'a donc lieu que postériement au paiement. Ce contrôle
aposterio7i,ii s'exerce rapidement en ce qui concerne l'ordon-
nancement comme en ce qui concerne la liquidation des
dépenses, grâce à l'envoi mensuel des pièces acquittées ainsi
que par l'envoi mensuel ou trimestriel des avis d'émissions
des ordonnances et des états de mutation du personnel »
(art. 88, arrêté de 1868) ^
L'article 15 de la loi du 29 octobre 1846 prévoit deux nou-
velles exceptions à la règle du visa préalable.
La justification de la créance, dit cet article, peut se faire
postérieurement au visa :
1® Lorsque la nature du service exige l'ouverture de crédits
pour une dépense à faire.
C'est le cas des dépenses sur crédits ouverts 2;
i^ Lorsque l'exploitation d'un service administratif régi par
économie nécessite des avances à l'agent comptable de ce
service.
C'est le cas des dépenses sur fonds avancés 3.
comme ces dépenses sont relatives au personnel et que rexpérience
atteste que c'est pour cette catégorie de dépenses que les ministres sont
le plus souvent tentés de faire des virements irréguliers de crédit, on
peut regretter cette exception (Marge, p. 47). Aussi la section centrale
avait-elle proposé une modification à Tarticle 19 du projet de loi (devenu
art. 23 de la loi du 15 mai 1846), de manière à maintenir dans une cer-
taine mesure « le principe salutaire du visa préalable ». {Rapport de la
section centrale.) Mais Tarticle 23 fut voté par les Chambres dans la
rédaction de l'article 19 du projet de loi, qui dispensait les dépenses
fixes de tout contrôle préalable.
* Itfid., p. 47.
« Cf. supra, p. 399.
5 Cf. supra, p. 402. • .
( 448 )
Les ordonnances d'ouverture de crédit sont soumises au
visa de la Cour (art. 109, arrélé de 1868). Comme ces ordon-
nances indiquent Tarticle du budget sur lequel elles sont
imputées (art. 109), la Cour pourra, à Taide du livre d'inscrip-
tion des crédits ouverts dont la loi impose la tenue (art. 109),
vérifier l'exactitude de l'imputation de l'ordonnance in globo.
Mais a elle ne saurait assurer le respect de l'imputation de
chaque dépense, puisque c'est l'ordonnateur secondaire,
l'intendant militaire, par exemple, qui l'ordonnance sous le
contrôle de l'agent du trésor ^ ».
Quant à la réalité, à la liquidation de la dette de l'État, la
Cour ne pourra la contrôler préalablement. La justification de
la créance se fait postérieurement au visa, il n'y a pas de
justification préalable. <c Cette justification ultérieure de la
dépense a paru nécessaire ici pour ne pas paralyser l'action du
gouvernement et compromettre l'intérêt du service 2. »
La procédure de régularisation des dépenses sur crédits
ouverts est organisée par les articles 144 à 152 du règlement
général de 1868.
Quant aux ordonnances pour avances de fonds, elles s'im-
putent immédiatement sur les crédits affectés aux dépenses
qu'elles concernent (art. 114, arrêté de 1868). La Cour tient un
livre d'inscription des fonds avancés, elle pourra donc suivre
la disposition des crédits, en empêcher le dépassement et
refuser son visa.
Le contrôle préalable de la Cour subsiste donc quant à
l'imputation des dépenses, mais dans une certaine mesure
seulement, ce car la Cour ne pourra empêcher que les sommes
avancées ne servent à payer des dépenses que ne devait pas
supporter le chapitre sur lequel l'ordonnance de fonds est
imputée. La Cour des Comptes belge, comme la Cour des
* BL\RCÉ, p. 87.
* Exposé des motifs du règlement d'ordre de la Cour des Comptes du
19 février 1831. Hcyttens, IV, m 221, p. 410. *
( 449 )
Comptes française, signalera dans son rapport annuel les
interversions de crédits ou les dépenses sans crédit qu'elle
n'aura pu empêcher i. »
La justification de la créance sera postérieure au paie-
ment et aucune nouvelle avance, dans la limite fixée de
20,000 francs, ne pourra être faite si toutes les pièces justi-
ficatives de l'avance précédente n'ont été envoyées à la Cour
dans le délai de quatre mois (art. 15, loi du 29 octobre 1846;
art. 113, arrêté de 1868).
C'est pourquoi le Cour surveille de près l'état des avances.
Elle tient un livre des comptables extraordinaires et fait le
relevé de ceux qui sont en retard de justifier l'emploi de leurs
avances.
ce Tous les quatre mois, le conseiller faisant fonction de
ministère public nous remet un état présentant la situation
des fonds avancés à charge du budget, et quand nous voyons
par ce relevé que des avances sont en retard de justification
dans les délais prescrits, nous provoquons des explications à
cet égard, nous réservant, pour les cas où celles-ci ne seraient
point satisfaisantes, de mettre les comptables en demeure de
nous fournir leurs comptes ou de reverser dans les caisses du
trésor les sommes restées sans emploi entre leurs mains 2. »
Enfin, les dépenses payées par les comptables, sauf régula-
risation ultérieure par la Cour des Comptes (art. 16, arrêté de
1868) sont, de même que les dépenses fixes, affranchies du
contrôle préventif et soumises seulement à un contrôle posté-
rieur à la réalisation des opérations comptables 3.
Les exceptions à la règle du contrôle préventif que nous
venons de passer en revue sont importantes, puisque, d'après
les calculs de M. Marcé, un tiers du budget seulement, quant
aux dépenses, serait contrôlé préventivement par la Cour. Les
4 Marcé, p. 97.
^ Observations de la Cour de i885 sur Vexercice 48S3, p. 48, cité par
Marge, p. 99.
3 Marge, p. 100.
Tome LXVL 29
(450)
deux tiers- des dépenses échapperaient donc soit totalement,
soit partiellement au contrôle préventif ^.
Le système du visa préalable de la Cour des Comptes ne
réalise peut-être pas complètement l'idéal d'un contrôle pré-
ventif absolu et inflexible. Il ne le pourrait qu'à la condition
d'empêcher la marche normale et régulière des services
publics.
Si le contrôle modéré de la Cour des Comptes belge pré-
sente certaines lacunes et prête le flanc à des critiques, la
forme plus accentuée et plus exagérée du contrôle préventif
italien, qui a été modelé sur le système belge, est loin d'être
à l'abri de tout reproche 2.
Tout bien considéré, on peut affirmer que le régime du visa
préalable fonctionne en Belgique d'une manière très satisfai-
sante.
C'est la conclusion de la belle étude que M. Marcé lui a
consacrée 3 : « La part faite aux critiques que nous avons for-
mulées, dit-il, il faut reconnaître, en définitive, que le système
de contrôle préventif adopté en Belgique fonctionne d'une
façon satisfaisante. A la suite de transactions réciproques,
grâce aux exceptions très larges que le système belge comporte
légalement, grâce aussi aux tempéraments de fait qui en sont
le corollaire, il s'est établi un modm vivendi qui permet de
penser que ce système approprié au milieu dans lequel il est
mis en œuvre, laisse aujourd'hui à l'administration, malgré la
gêne qu'il lui impose, une liberté suffisante au cours de l'exécu-
tion du budget ».
B. — Le contrôle judiciaire des comptables.
La Cour arrête les comptes des différentes administrations de
l'État et est chargée de recueillir, à cet effet, tous renseigne-
* Marge, p. 62 et tableau : p. 160.
* Cf. Marge : La Cour des Comptes italienne, — Annales de V École libre
des sciences politiques, 1890, pp. 268 et suiv., 446 et suiv., 718 et suiv.
' Loc. dt., p. 163.
(451 )
ments et toutes pièces comptables (art. 116, Constitution ;
art. 8, § 3, loi du 29 octobre 1846). Elle a le droit de se faire
fournir tous états, renseignements et éclaircissements relatifs à
la recette et à la dépense des deniers de l'État et des provinces.
A cet effet aussi, la Cour correspond directement avec les
diverses administrations générales; elle correspond de même
avec les députations permanentes des conseils provinciaux
pour la comptabilité des provinces, et avec les comptables
pour ce qui concerne la reddition de leurs comptes (art. 5, § 4,
art. 6, loi du 29 octobre 1846).
Les articles 42 et suivants de l'arrêté de 1868 et 49 à 52 de
la loi du 15 mai 1846 imposent, en effet, nous l'avons dit, aux
comptables l'obligation de rendre compte de leur gestion à la
Cour des Comptes avant le l" mars de chaque année.
La Cour a le droit de prononcer contre les comptables
retardataires, entendus ou dûment appelés, une amende qui
n'excède pas la moitié de leurs traitements, remises ou indem-
nités. Elle peut aussi provoquer, le cas échéant, leur destitution
ou suspension.
Quant h ceux qui ne jouissent ni de traitements ni de
remises ou indemnités, la Cour peut prononcer à leur charge
une amende qui n'excède pas 2,000 francs.
Le tout sans préjudice du droit qu'elle a de prescrire la
reddition d'oflSce du compte de tout comptable interpellé, qui
ne Ta point rendu dans le délai fixé (art. 8, loi du 29 octobre
1846; art. 46, 52, arrêté de 1868).
Toute condamnation à des amendes est prononcée sur le
réquisitoire du plus jeune des conseillers, faisant fonctions de
ministère public (art. 9, loi du 29 octobre 1846).
Dans les cas exceptionnels, tels que démissions, décès,
déficit des comptables, la Cour fixe les délais dans lesquels
leurs comptes doivent être déposés à son greffe, sans préju-
dice de toutes les mesures d'ordre et de surveillance qui sont
prescrites par les chefs d'administration (art. 7, loi du 29 oc-
tobre 1846).
Les comptes de gestion annuelle ou personnelle des comp-
(452)
tables sont arrêtés par la Cour. Celle-ci, chargée d'un pouvoir
juridictionnel, prononce de véritables arrêts définitifs et
exécutoires sur la gestion des comptables.
L'article 4 de la loi du S9 octobre 1846 exige la présence de
la majorité des membres de la Cour pour arrêter ou clore les
comptes. Les comptes sont clos et arrêtés en assemblée géné-
rale de la Cour, sur le rapport de la section de comptabilité
(art. 3, al. 2, règlement d'ordre).
Les articles 10 à 13 de la loi du 29 octobre 1846 organisent
les attributions juridictionnelles de la Cour ^.
La Cour règle et apure les comptes de TÉtat et des pro-
vinces. Elle établit par des arrêts définitifs si les comptables
sont quittes, en avance ou en débet.
Dans les deux premiers cas, elle prononce leur décharge
définitive et ordonne la restitution des cautionnements, et, s'il
y a lieu, la mainlevée des oppositions et la radiation des
inscriptions hypothécaires existant sur leurs biens, à raison de
leur gestion 2.
Dans le troisième cas, elle les condamnée solder leur débet
au trésor, dans le délai qu'elle prescrit.
Dans tous les cas, une expéditioti de ses arrêts est adressée,
pour exécution, au ministre des finances, si le compte inté-
resse le trésor public, et à la députation permanente du conseil
provincial si le compte concerne les deniers provinciaux.
Trois ans après la cessation de ses fonctions, le comptable
aura une décharge définitive, s'il n'a été autrement statué par
la Cour des Comptes (art. 10).
Cependant, nonobstant un arrêt qui a définitivement jugé
un compte, la Cour peut, dans le même délai de trois ans à
partir de la date de l'arrêt, procéder à la revision soit sur la
* Pour les détails de la procédure, cf. Mârcé, pp. 104 el suiv. —
Cf. aussi : Giron, Dictionnaire de droit administratif. V» Cour des
Comptes, n» 10, 1. 1, p. 256.
* Toutes les demandes en main-levée, etc., doivent être communiquées
au ministère public avant qu'il y soit statué (art. 20, règlement d'ordre).
(433)
demande du comptable, appuyée de pièces justificatives
recouvrées depuis l'arrêt, soit d'office pour erreur, omissions
ou double emploi reconnu par la vérification d'autres
comptes.
Il y aura lieu, même après le délai de trois ans, à la revi-
sion de tout compte qui aurait été arrêté sur la production de
pièces reconnues fausses (art. 11).
Si, dans l'examen des comptes, la Cour trouve des faux ou
des concussions, il en est rendu compte au ministre des
finances et référé au ministre de la justice, qui font pour-
suivre les auteurs devant les tribunaux ordinaires (art. 12).
Les arrêts de la Cour contre les comptables sont exécu-
toires. Ils peuvent être déférés à la Cour de cassation pour
violation des formes ou de la loi. Dans le cas où un comp-
table se croit fondé à attaquer un arrêt pour violation des
formes ou de la loi, il doit se pourvoir dans les trois mois pour
tout délai à compter de la notification de l'arrêt. Le pourvoi
est jugé sur requête et sans plaidoirie.
Si l'arrêt est cassé, l'affaire est renvoyée à une commission
ac hoc^ formée dans le sein de la Chambre des représentants,
et jugeant sans recours ultérieur, selon les formes établies par
la Cour des Comptes (art. 13).
Cette dernière disposition marque nettement le caractère de
la Cour des Comptes, qui n'est au fond qu'une « commission
parlementaire » puisque, même en matière juridictionnelle,
c'est la Chambre des représentants qui juge en dernier ressort
les comptes des comptables.
C. — Le contrôle de la dette publique.
En vertu de l'article 16 de la loi du 29 octobre 1846, un
double du grand-livre de la dette publique est déposé à la
Cour des Comptes.
La Cour veille à ce que les transferts et les remboursements
( 454 )
ainsi que les nouveaux emprunts y soient exactement inscrits;
elle veille également à ce que tout comptable fournisse le cau-
tionnement affecté à la garantie de sa gestion. A cet effet, elle
reçoit des diverses administrations générales l'état indicatif
des cautionnements de tous les comptables, à quelque titre que
ce soit.
Le même article 16 dispose encore que toutes les obligations
d'emprunt ou de conversion et les certificats de cautionne-
ments, n'auront de force qu'autant qu'ils soient revêtus du
visa de la Cour des Comptes.
c( Afin de se conformer à ces prescriptions, le ministre des
finances transmet régulièrement à cette administration (la
Cour), par semestre, et par emprunt ou catégorie de dette, avec
les pièces justificatives à l'appui, les certificats de transferts et
un relevé des inscriptions nouvelles; et chaque fois qu'un
emprunt est voté ou une conversion décrétée, le ministre
des finances présente au visa des titres ou obligations à con-
currence du capital nominal ou effectif de l'emprunt nou-
veau ou du capital nominal restant à amortir de l'emprunt
converti.
» Des annotations sont faites en conséquence dans le double
du grand-livre; ce double doit toujours être en parfaite con-
cordance avec celui qui est ouvert au département des
finances.
» Les fonds nécessaires au paiement des intérêts de la dette
publique, de même que les fonds affectés au remboursement
des emprunts ou dettes, augmentés des intérêts afférents aux
capitaux amortis, sont mis à la disposition de qui de droit à
l'aide d'ordonnances de paiement créées par le département
des finances et liquidées préalablement par la Cour des
Comptes.
» L'emploi en est justifié ultérieurement, savoir :
» Ceux destinés au paiement des intérêts, par les quittances
de rentes nominatives et les coupons échus détachés des
obligations au porteur; et ceux affectés au remboursement
( 455 )
des emprunts, par les bordereaux des agents de change
chargés des rachats à la Bourse.
» Les intérêts dont le paiement n'est pas réclamé dans le
délai de cinq ans sont prescrits au profit du trésor, conformé-
ment à l'article 2277 du Code civil, et renseignés dans les
comptes généraux de l'État comme recette accidentelle ^. »
Enfin, toujours d'après l'article 16, la Cour tient un livre
des prêts remboursables, faits en vertu des lois sur les alloca-
tions des budgets au commerce, à l'industrie, à l'agriculture
ou h toute autre partie prenante. Elle veille à ce que ces prêts
soient renseignés exactement dans les comptes des comptables
et dans le compte général de l'État.
Quant aux bons du trésor, nous avons déjà signalé plus
haut ^ que chaque émission était soumise au visa préalable de
la Cour. Les bons sont à double talon, dont l'un demeure à
la Cour 3.
D. — Le contrôle des pensions.
(Art. 17, loi du 29 octobre 1846; art. 76 à 83 du
règlement général de 1868.)
Le premier terme d'une pension nouvellement conférée est
payé au moyem d'une ordonnance à viser préalablement par la
Cour des Comptes.
Cette ordonnance, à former par le département que la chose
concerne, ne comprend que les arrérages dus à partir du jour
où la pension commence à courir jusqu'à l'expiration du
trimestre pendant lequel le droit a pris naissance, de manière
que les arrérages ultérieurs coïncident avec le commencement
de chaque trimestre.
* LÉON Demarteau, Histoire de la dette publique belge, p. 383. (Extrait
des Mém. cour, de l'Académie royale de Belgique, 1885, in4<>, t. XLVIU.
Bruxelles, Hayez.)
2 Cf. supra, p. 330, note 5.
5 Marge, p. 115.
(486)
Elle est appuyée de toutes les pièces qui ont servi de base à
la reconnaissance des droits du pensionné et à la fixation de
la pension.
Ce n'est qu'après le visa de l'ordonnance par la Cour que
l'inscription définitive au livre des pensions et la délivrance du
brevet ont lieu (art. 79-80-81).
Le visa de la Cour est donné par elle, conformément aux
prescriptions de l'article 14 de la loi du 29 octobre 1846, c'est-
à-dire que les brevets de pension sont soumis à un contrôle
préventif énergique de la Cour des Comptes. Si la Cour refuse
son visa, le Conseil des ministres peut passer outre (art. 17,
loi du 29 octobre 1846).
Ce contrôle préalable des pensions a été introduit dans la
loi malgré le gouvernement, sur la proposition du rapporteur
de la section centrale, H. de Man d*Âttenrode.
Quant aux arrérages des pensions : il est tenu, au départe-
ment des finances et à la Cour des comptes, un livre des
pensions conférées et un livre des extinctions. Ces livres sont
continués sans interruption ni interligne. Ils sont arrêtés
à l'expiration de chaque trimestre, afin de permettre d'établir,
à cette époque, le décompte du montant des pensions à servir
(art. 76).
Ce décompte, qui est envoyé à la Cour, sert à la fois de base
au contrôle et à la formation des ordonnances collectives de
paiement des termes échus, ainsi qu'aux enregistrements à faire
par elle à charge des allocations du budget (art. 77).
Les pensions dont le paiement est momentanément suspendu
sont portées dans le décompte. Lorsque les causes qui s'oppo-
saient au paiement sont levées, il est formé, au profit des
intéressés, des ordonnances collectives spéciales. Il en est
donné connaissance à la Cour, afin qu'elle puisse en charger
les crédits du budget.
La même marche est suivie à l'égard de tous les paiements
à faire successivement pour un même trimestre (art. 78).
A l'expiration de chaque trimestre, il est transmis à la Cour
des Comptes une copie du livre des extinctions, afin que la
transcription en soit faite dans son livre (art. 83).
(457)
CHAPITRE ni.
IjO contrôle législatif des ordonnateurs.
§ 1. — Compte général et états de situation a fournir
par les ministres.
(Art. 42 à 48, loi du 15 mai 1846; art. 182 à 184, arrêté de 1868).
La loi de comptabilité oblige les ministres à dresser chaque
année des comptes et des états de situation destinés à éclairer
le Parlement sur l'exécution du budget, en vue du règlement
définitif de celui-ci par la loi des comptes.
A. — Le Compte général de F administration des finances est
rendu chaque année par le ministre des finances, dans les
conditions établies par les articles 42 et 43 de la loi du
15 mai 1846. Ce compte annuel comprend toutes les opérations
relatives au recouvrement et à l'emploi des deniers publics, et
présente la situation de tous les services de recette et de
dépense au commencement et à la fin de Tannée.
Les comptes de chaque exercice doivent toujours être établis
d'une manière uniforme, avec les mêmes distributions que les
budgets dudit exercice, sauf les dépenses pour ordre qui n'y
auraient pas été mentionnées, et pour lesquelles il est fait des
articles ou chapitres additionnels et séparés (art. 42).
Dans le premier trimestre de chaque année, le ministre des
finances communique aux Chambres et transmet à la Cour des
Comptes le compte général des finances, comprenant l'exercice
clos et la situation provisoire de l'exercice suivant, avec les
documents à l'appui (art. 43, al. 1).
Le compte général pour Tannée 1900 a été déposé par le
ministre des finances sur le bureau de la Chambre le 12 fé-
vrier 1902 1.
* Dor, pari, n«»64.
( 458 )
Il est divisé en quatre parties i :
La première partie, intitulée : Compte des opérations de
Vadministraiion des finances pendant Vannée 1900, contient
l'exposé sommaire de tous les faits de la gestion annuelle de
cette administration, en ce qui concerne les services des bud-
gets et de la trésorerie.
Les trois autres parties constituent les comptes de dévelop-
pement exigés par l'article 43, alinéas 2 et suivants.
i* Compte des budgets, qui expose : (1«) par année, par exer-
cice, par branche de revenu et par nature de perception, les
droits constatés à la charge des redevables de l'État, les
recouvrements effectués sur ces droits et les recouvrements
restant à faire ; et (2*) par année, par exercice, par ministère et
par article, les droits constatés au profit des créanciers de
l'État, les paiements effectués et les paiements restant à faire
pour solder les dépenses.
Il établit, de plus, la comparaison, quant aux recettes, entre
les évaluations, les droits à la charge des redevables de l'État et
les recouvrements opérés sur ces droits; et quant aux
dépenses, entre les crédits ouverts, les droits au profit des
créanciers de l'État et les paiements effectués.
Le compte des budgets se divise lui-même en trois sections :
a. Le Compte définitif du budget de V exercice 1899, présen-
tant la situation de ce budget au 31 octobre 1900, époque de sa
clôture ;
b. Le Compte provisoire du budget de V exercice 1900, établis-
sant la situation de ce budget, telle qu'elle résulte de faits
accomplis jusqu'au 31 décembre de l'année, et de ceux qui se
réaliseront jusqu'au 31 octobre 1901 ;
c. Le Compte des opérations sur les exercices clos, compre-
nant le compte d'apurement de l'exercice 1895 et la situation
des ordonnances restant à payer sur les exercices 1896 à 1899.
2° Compte de trésorerie, faisant connaître les mouvements de
fonds qui ont eu lieu pour les divers services de l'administra-
* Note préliminaire, pp. 1-2.
L
( 459 )
tion des finances, et établissant le bilan de cette administra-
tion. Il retrace la situation de l'actif et du passif au l®*" jan-
vier 1900, et indique les recettes et les paiements effectués
pendant l'année 1900, les modifications que ces faits ont
apportées à cette première situation, ainsi que la situation
nouvelle qui ressort au l®' janvier 1901.
3*» Compte de divers services publics et spéciaux^ lequel
expose la situation au commencement et k la fin de l'année
1900, de même que le mouvement durant cette période, des
différentes parties de la dette publique, des pensions de toute
catégorie et des rentes viagères.
Quant aux opérations de la Caisse d* amortissement et de la
Caisse des dépôts et consignations, elles font l'objet d'un exposé
annuel distinct, qui est présenté aux Chambres législatives
conformément à l'article 16 de la loi du 15 novembre 1847.
Les diverses parties du compte général sont, du reste, pré-
cédées de notes explicatives qui en résument les résultats et qui
sont surtout destinées à faciliter l'intelligence des tableaux.
Afin de servir d'éléments pour la vérification du compte
général de l'État (art. 184, arrêté de 1868), les chefs des dépar-
tements ministériels remettent à la Cour des Comptes :
1* Un tableau détaillé des propriétés et rentes de TÉtat;
Î2« Des expéditions des procès- verbaux d'adjudication de
barrières, des coupes de bois, loyers de propriétés, ventes de
récoltes, d'objets mobiliers et autres titres analogues;
3'' Des extraits du montant des rôles des impôts directs,
indiquant les quotités par province et par commune ;
4® Et généralement tous les autres documents de nature à
constater un droit acquis à l'État (art. 48).
La Cour des Comptes reçoit le compte général des finances
dans le premier trimestre de chaque année (art. 43). Elle l'exa-
mine, le vérifie et le soumet à la Législature, avec ses obser-
vations (art. 116 de la Constitution) dans le mois qui suit
Touverture de la session ordinaire des Chambres (art. 33, al. 2).
Les observations de la Cour font l'objet d'une publication
séparée. Le cahier d'observations est divisé en deux parties^
(460)
La première partie contient l'exposé de quelques faits de
comptabilité dont la légalité ou la régularité ont donné lieu
à des contestations, a Comme il est aisé de le comprendre,
cet exposé ne représente qu'une minime partie des questions
que soulève l'examen du nombre toujours croissant des
dépenses sur lesquelles la Cour est appelée à exercer son
contrôle*. »
La seconde partie est entièrement consacrée au compte
général de l'administration des finances.
B. — Chaque année aussi, le ministre des finances dépose
la Sittuition générale du trésor public.
Ce document se compose d'un exposé et d'une série
d'annexés. La situation au l*^** janvier 1902 a été présentée
aux Chambres législatives le 6 mars 1902 3.
L'Exposé en est dressé dans l'ordre qui a été adopté pour les
situations antérieures.
\^ 11 fait connaître les résultats des exercices clos de 4899 et
de 4900, les résultats probables de t exercice 4904, et les résul-
tats généraux des exercices 4830 à 4904 ;
i^ 11 présente la comparaison entre les engagements du trésor
au 4^' janvier 4902 et les ressources destinées à les couvrir;
S"" Il indique enfin la situation de la dette publique au 4^' jan-
vier 4902.
Les Annexes comprennent :
I. Compte des recettes et des dépenses à la clôture de l'exer-
cice 1900.
II. Compte des recettes de l'exercice 1901 au !«' janvier 1902.
* Cf. Introduction du dernier cahier : Observations de la Cour des
Comptes soumises à la Législature avec le compte général de l'administra^
tion des finances rendu pour Vannée 4900 et comprenant le compte définitif
de Vexercice 4899. (Ch. des Représ., sess. de 1901-1902, Doc. pari., n^ 27.)
* Situation générale du trésor public au i^ janvier 4902, déposée par
M. le Ministre des finances et des travaux publies. (Gb. des Représ.,
séance du 6 mars 1902, Doc. pari., n» 73.^
(461 )
III. Compte des dépenses sur ressources extraordinaires
rattachées à l'exercice 1901.
IV. Résultats des budgets des exercices clos de 1830 à 1899
inclusivement (ancien V).
V. Aperçu des recettes et des dépenses extraordinaires com-
prises dans les résultats des budgets tant ordinaires qu'extra-
ordinaires des exercices 1830 à 1901 inclusivement (ancien IV).
VI. Aperçu général de la dette constituée, des rentes sans
expression décapitai et des annuités dues par l'État.
VII. État présentant la situation, au 31 décembre 1901, des
dettes et emprunts contractés depuis 1830, le capital éteint par
suite d'amortissement, de remboursement, d'annulation ou de
conversion, ainsi que le capital restant en circulation.
C. — Comptes des ministres, — Les ministres présentent,
à chaque session, des comptes imprimés de leurs opérations
pendant l'année précédente (art. 44).
Les comptes que les ministres doivent publier développent
les opérations qui ne sont que sommairement exposées dans
le compte général de l'administration des tinances.
Ils se composent :
1"" D*un tableau général présentant, par chapitres et par
articles législatifs, tous les résultats de la situation définitive de
l'exercice expiré qui servent de base à la loi proposée aux
Chambres pour le règlement dudit exercice;
2* De développements destinés à expliquer, avec tous les
détails propres à chaque nature de service, selon l'ordre des
articles et des littera du budget, les dépenses constatées,
liquidées et ordonnancées à l'époque de la clôture de l'exer-
cice ^ (art. 45).
Les budgets des départements ministériels et leurs dévelop-
pements servent de base à l'établissement des comptes à
publier par les ministres, en exécution des articles 44 et 45.
* Cf. Exercice 1899. Comptes rendus par les ministres, en exécution des
articles 44 et 45 de la loi du 15 mai 4846 sur la comptabilité de VÈtat.
Bruxelles, imprimerie Van Assche et C»*, 1902.
(464)
il est procédé à la formation de ces comptes après que les
derniers états de situation, dont il est parlé aux articles 130
et 132, ont été reconnus exacts.
Les faits accomplis sont comparés avec les évaluations com-
prises dans les états de développement, en regard des littera
des budgets ; les différences sont expliquées dans les colonnes
réservées à cet effet.
Tous les autres renseignements utiles à l'appréciation des
dépenses y sont également consignés (art. 183, arrêté de 1868).
D. — Chaque département ministériel fournit annuelle-
ment aux deux Chambres législatives un état sommaire de
toutes les adjudications, de tous les contrats et marchés de
20,000 francs et au-dessus, passés dans le courant de l'année
échue.
Les adjudications, contrats et marchés inférieurs à cette
somme, mais qui s'élèveraient ensemble, pour des objets de
même nature, à 20,000 francs et au-dessus, sont portés sur le
dit état.
De plus, un état des marchés faits de gré à gré, dépassant
4,000 francs dans les termes des exceptions autorisées par
l'article 22, et accompagné des motifs de ces marchés.
Ces états indiquent le nom et le domicile des parties con-
tractantes, la durée et les principales conditions du contrat
(art. 46).
E. — L'article 47 est relatif à l'inventaire du mobilier
fourni par l'État^.
§ 2. — Le règlement définitif du budget par la loi des comptes.
— La responsabilité civile des ministres.
L'article 115 de la Constitution, en prescrivant le vote annuel
du budget, dispose en même temps que « chaque année, les
Chambre arrêtent la loi des comptes ».
* Cf. supra, p. 352.
463 )
Cette loi est soumise aux Chambres dans la même forme et
dans le même cadre que la loi du budget (art. 25, loi de 1846).
Elle a pour objet le règlement définitif du budget.
«L'examen du règlement définitif du budget annuel com-
plète l'intervention des Chambres dans le budget de TÉtat.
Pour que cette intervention soit efficace, il ne suffit pas, en
effet, que les Chambres votent chaque année le budget.
» Voter le budget, c'est, d'une part, déterminer, en les
limitant article par article, les crédits qui sont ouverts au
gouvernement pour l'exécution des services répartis entre les
divers départements ministériels; c'est, d'autre part, déter-
miner les voies et moyens à l'aide desquels le gouvernement
se procurera les ressources destinées à couvrir ces crédits ; en
un mot, voter le budget, c'est autoriser la dépense et la
recette.
» Cela fait, la fonction des Chambres n'est pas achevée. Le
gouvernement qui est tenu de se renfermer, pour la dépense,
comme pour la recette, dans les limites tracées par la loi du
budget, doit compte de sa gestion aux Chambres.
» C'est à celles-ci qu'il appartient de vérifier et d'approuver
annuellement ce compte, dont le projet de loi portant règle-
ment définitif du budget n'est que le résumé et dont les
détails sont annexés à ce projet de loi. En discutant et en
approuvant ce règlement, les Chambres discutent et approuvent
la gestion des ministres qui, au cours de l'exercice auquel
le budget se rapporte, ont eu le maniement des affaires de
l'Etat 4. »
C'est donc au moment du vote de la loi des comptes que
s'exerce le contrôle législatif des ordonnateurs. Le vote de
cette loi vaut décharge pour les ministres et approbation de
leur gestion.
La présentation du projet de loi spécial pour le règlement
* Rapport de M. Demeur, au nom de la Commission permanente des
finances, sur le règlement définitif du budget de 1876,. p. 2. (Ch. des
Représ., sess. de 1879-1880, séance du 7 mai 48801, Doc. pari., n» 178.)
(464 )
définitif du budget du dernier exercice clos et arrêté a lieu
dans le mois qui suit l'ouverture de la session ordinaire des
Chambres (art. 33, al. 1).
Des doutes pourraient surgir sur l'interprétation de cette
disposition. On peut se demander, par exemple, si le projet de
loi pour le règlement définitif du budget de 1900, qui a été clos
le 31 octobre 1901, doit être présenté dans le mois qui suit le
second mardi de novembre 1901.
La négative est certaine. Il résulte, en effet, de la discussion
de l'article 33, que le règlement définitif qui doit être soumis
aux Chambres dans le mois qui suit l'ouverture de la session,
est celui du budget dont l'exercice a été clos le 31 octobre de
l'année qui précède l'ouverture de la session.
Dans l'espèce que nous avons prise comme exemple, le
règlement définitif qui doit être soumis aux Chambres dans le
mois qui suit le second mardi de novembre 1901 est donc
celui du budget de 1899, clos le 31 octobre 1900, et non celui
du budget de 1900.
C'est pour affirmer cette interprétation que Ion a ajouté au
texte primitif de l'article 33 (art. 32 du projet), après les mots
« du dernier exercice clos », ceux-ci « et arrêté » i.
La loi qui règle définitivement le budget annuel de l'État a
pour objet 2 ;
L — La fixation des dépenses de l'exercice, c'est-à-dire la
somme des droits constatés et ordonnancés à charge de l'Etat,
qui se compose du total des paiements effectués et justifiés et
des paiements restant à effectuer ou à justifier;
11. — La fixation des crédits, c'est-à-dire la somme des crédits
ouverts par la Législature et de ceux restant à ouvrir (crédits
complémentaires) pour couvrir les dépenses — de ceux non
employés et qui doivent être annulés — et de ceux qui doivent
être transférés à l'exercice suivant;
* Cf. Cb. des Représ., séance du 4 mars 1846.
^ Cf. Projet de loi contenant le règlement définitif du budget de
l'exercice 1898. (Ch. des Représ., séance du 10 décembre 1901, Doc.
pari., no 28, pp. 3-11,)
(468 )
ÎII. — La fixation des recettes, qui comprend la somme des
droits et produits constatés au profit de l'État, la somme des
recouvrements effectués et de ceux restant à eflFectuer ;
IV. — La fixation du résultat général du budget, résultat qui
s'obtient par la comparaison de l'ensemble des recouvrements
effectués avec Tensembie des dépenses dont les paiements sont
justifiés ou à justifier et qui aboutit à la constatation d'un boni
ou d'un déficit.
Le projet de loi sur le règlement de chaque exercice est suivi,
à titre d'annexé, du tableau du budget clos, lequel fait con-
naître ^ :
Pour la recette : les évaluations ;
Les droits constatés sur les contributions et revenus publics ;
Les recouvrements eflFectués ;
Les produits restant à recouvrer.
Des développements applicables à l'exercice expiré et for-
mant une partie spéciale du compte de l'administration des
finances font connaître sur chaque branche de service les
valeurs, matières ou quantités qui ont été soumises à l'appli-
cation des tarifs, et qui ont déterminé le montant des droits
perçus par le trésor public 2.
Pour la dépense : Les crédits ouverts par la loi ;
Les droits acquis aux créanciers de l'État;
Les paiements effectués ;
Les dépenses restant à payer (art. 26).
De même que la loi du budget, la loi des comptes doit être
votée d'abord parla Chambre des représentants (art. 27, al. 2
de la Constitution). Cette loi suit au Parlement la procédure
des lois ordinaires.
Il est à remarquer cependant qu'à la Chambre, le projet de
^ Cf. pour le règlement définitif du budget de 1898 : Projet de loi cité,
pp. 42-105.
* Cf. ces développements : Projet de loi cité, pp. 407 et suiv.
Tome LXVI. . : 30
( 466 )
loi portant règlement définitif d*un budget ne passe pas par les
sections et la section centrale, mais est soumis à Texamen
préalal^le de la commission permanente des finances et des
comptes, constituée d'après les prescriptions des articles 59 et
suivants du règlement de la Chambre.
Au Sénat, c'est la commission des finances qui est compé-
tente pour l'examen du projet de loi des comptes (art. 50,
Règlement du Sénat).
Ces commissions, tant à la Chambre qu'au Sénat, mènent
très rapidement leur travail. Elles se contentent le plus géné-
ralement d'une analyse sommaire des résultats de l'exercice,
dont elles proposent purement et simplement le règlement
définitif.
En séance plénière des Chambres, le projet de loi, en règle
générale, ne donne lieu à aucune discussion, ce Le vote de ce
projet de loi, toujours unanime et silencieux, n'est en quelque
sorte qu'une formalité, précédée uniquement de la publication
du rapport de la commission des finances qui le plus souvent
se borne à l'analyse des résultats de l'exercice dont le budget
est à régler *. Cela tient, sans doute, en grande partie à VexceU
lence de Vinstitution de la Cour des Comptes et au soin avec lequel
cette Cour accomplit la tâche qui lui est dévolue par la Consti-
tution.
» Mais — selon la remarque très juste de M. Demeur — en
disposant, en même^temps qu'elle institue la Cour des comptes,
1 « En fait, les commissions chargées d'examiner la loi des comptes
et le Parlement laissent àfla Cour des Comptes le soin d'épuiser le débat
avec les ministres et de donner suite à ses observations. Les rapports
des commissions n'examinent pas les diverses questions relevées par la
Cour des Comptes et se contentent de constater que les résultats du
compte définitif du budget de l'exercice dont il s'agit ont été, après
examen, admis par la Cour des .Comptes, tels qu'ils ont été établis par
le département des finances.
» Le Parlement donne purement et simplement à ces résultats la
sanction législative qui lui est demandée par ses commissions. » (Marge,
toc. cit., p. 143.)
(467 )
que les Chambres arrêtent chaque année la loi des comptes, la
Constitution impose aux Chambres l'obligation de se livrer à
l'examen de cette loi, comme de toute autre.
» Il n'est pas téméraire de supposer qu'elles trouveraient,
dans l'examen annuel et méthodique des faits constatés par le
règlement définitif du budget et en mettant ces faits en regard
du budget primitivement voté, la matière de justes critiques,
d'améliorations à réaliser, des enseignements utiles pour
l'avenir ^. »
Malgré cette absence de discussion, la loi des comptes est
toujours votée avec de grands retards et le règlement définitif
des budgets ne se fait pas dans les délais prescrits par la loi et
les règlements.
Cela tient en partie à l'incurie des Chambres, en partie aussi
aux retards apportés à la présentation des comptes par le
gouvernement.
Incurie des Chambres, car celles-ci ne se hâtent pas de
discuter et de voter les projets de loi déposés. Pour ne citer
que des exemples récents : le projet de règlement du budget
de 1895, déposé le 15 novembre 1898, n'a été sanctionné que
le 3 août 1901 ; le règlement du budget de 1896, dont le projet
a été déposé le 20 février 1901, a été sanctionné par la loi du
2 août 1901 ; les règlements définitifs des budgets de 1897 et
de 1898, dont le projet avait été déposé le 10 décembre 1901,
ont été votés sans discussion le 8 juillet 1903.
D'autre part, les projets de loi des comptes ne sont pas
déposés dans les délais voulus. L'article 33 de la loi de 1846
est fréquemment violé.
Le projet de règlement définitif de l'exercice 1898, par
exemple, aurait dû être déposé vers le 15 décembre 1900, il n'a
été présenté que le 10 décembre 1901; le projet relatif à l'exer-
cice 1896 n'a été déposé que le 20 février 1901 au lieu de l'être
à la mi-décembre 1898 ; le projet relatif à l'exercice 1895 ne l'a
été que le 15 novembre 1898, au lieu de décembre 1897, etc.
* Demeur, loc. ciL
(468 )
Dans les trente dernières années, il a fallu une moyenne de
deux ans et demi pour le règlement définitif des budgets ^
(depuis la clôture définitive de l'exercice jusqu'à la date de la
loi des comptes). Auparavant, les délais étaient plus longs
encore : ils s'élevaient à trois, quatre, cinq, six, dix et même
douze années : le budget de 1881 n'a été réglé définitivement
que par la loi du 7 avril 1865 ^.
En 1846 déjà M. Roger déplorait les retards apportés au
règlement des comptes 3. « Quoique, disait-il, la Constitution
nous impose l'obligation formelle d'arrêter les comptes chaque
année, nous sommes de dix ans en arrière. En principe, nous
devrions arrêter les comptes avant le budget 4; la première
base d'un budget, c'est, en effet, le compte de l'exercice écoulé.
Voilà par où nous devrions commencer. C'est ce que nous
sommes bien loin de faire. Cela est déplorable. Il m'est arrivé
* Alors que si l'on observait strictement les délais légaux, la loi des
comptes pourrait être promulguée dix-huit mois après la clôture de
Texercice.
* Compte général de Tadministration des finances pour 1900, loc. cit.,
pp. 316-319.
3 Discussion de la loi de comptabilité : Gh. des Représ., séance du
26 février 1846.
* L'article 75 du projet primitif de la Constitution (devenu art. 115)
portait : a Chaque année les Chambres arrêtent la loi des comptes avant
de voter le budget ».
Cette rédaction avait été adoptée par toutes les sections, sauf la cin-
quième qui proposait de remplacer les mots : avant de voter le budget,
par ceux-ci : et votent le budget. La raison de ce changement était qu'il
serait dangereux d'obliger absoiumenUes Chambres à l'examen préalable
des comptes. La section centrale, appréciant ce motif, a adopté cette
rédaction qui a passé dans le texte de la Constitution. (Hutttens, IV,
no 61, p. 106.) Si celle-ci n'a pas imposé absolument le vote des comptes
avant le vote du budget suivant, il semble bien cependant, d'après les
travaux préparatoires, que les Constituants aient désiré un règlement de
budget aussi expéditif que possible.
( 469 )
à vingt reprises de signaler ce fait à la Chambre ; malgré mes
efforts et ceux de plusieurs de mes honorables collègues, on
n'est pas parvenu à plus de régularité ».
Les inconvénients de cet état de choses, qui bien qu'amélioré
depuis 1846 n'est pas encore satifaisant, ont été fréquemment
signalés par la Cour des Comptes, dans les rapports des
sections centrales et au Parlement i.
M. Demeur les résumait en ces termes : « Il est impossible
de méconnaître que, quand plusieurs années se sont écoulées,
depuis que les fonds ont été reçus et dépensés, bien des faits
auxquels les comptes se rapportent sont oubliés; il devient
diflScile de mettre en regard les promesses et l'exécution
qu'elles ont reçue ; souvent les ministres qui ont présenté la
loi du budget et même ceux qui ont présidé à son exécution
ont disparu ; le personnel des Chambres législatives s'est
modifié; les comptes eux-mêmes ne présentent plus en quelque
sorte qu'un intérêt historique.
. » Dans ces conditions, on s'explique que le vote par lequel,
en exécution de Farticle 115 de la Constitution, les Chambres
arrêtent chaque année la loi des comptes, ne constitue en
quelque sorte qu'une formalité.
» Il est donc éminemment désirable que les règlements défi-
nitifs des budgets soient soumis à l'approbation des Chambres
plus promptement qu'ils ne l'ont été jusqu'à présent 2 ».
Et s'il est difficile au ministre des finances, ainsi que la
déclaration en a été faite plusieurs fois, de se conformer aux
prescriptions de la loi, relative au délai de présentation du
compte définitif, peut-être pourrait-on prendre en considéra-
tion la proposition du rapporteur de la commission perma-
nente des finances de 1880, qui était formulée de la manière
suivante :
* Cf. les extraits cités dans le rapport de M. Demeur sur le rèjçlemeni
définitif du budget de 4876. (Ch. des Représ., sess. de 1879-4880, ùoc.
/)oW., n« 478.)
« lifidèm.
( 470 )
c< Ainsi que le porte rarticle 43 de la loi de comptabilité, le
compte général deg finances, qui doit être transmis dans le
premier trimestre de chaque année à la Cour des Comptes,
comprend :
!• L'exercice clos, c'est-à-dire l'exercice dont toutes les opé-
rations ont été terminées à la date du 31 octobre précédent ;
2® La situation provisoire de V exercice suivant, c'est-à dire la
situation de l'exercice qui a pris fin au 31 décembre précédent,
mais dont les opérations ne seront terminées que le 31 octobre
suivant.
« Or, s'il est sinon impossible du moins très difficile d'avoir
dressé, à la date du 31 mars, la situation provisoire de l'exer-
cice en cours d*exécution, pareille impossibilité n'existe pas, à
coup sûr, pour l'exercice clos le 31 octobre précédent ; et rien
ne semble donc s'opposer à ce que, sans attendre l'établisse-
ment de la situation provisoire de l'exercice suivant, le ministre
des finances transmette à la Cour des Comptes le compte défi-
nitif de l'exercice dont la clôture remonte à cinq mois.
» En procédant de la sorte, l'article 33 de la loi de compta-
bilité recevrait son entière exécution. »
Il est désirable, en tout cas, que le gouvernement et le
Parlement se préoccupent d'assurer, par ce moyen ou autre-
ment, l'application de la loi et de rapprocher autant que
possible le règlement définitif du budget de la clôture de
l'exercice.
Dans les conditions où se fait actuellement le règlement
définitif du budget et qui se caractérisent par la discussion
très superficielle et les retards apportés à la promulgation de
la loi des comptes, on peut dire que le contrôle législatif des
ordonnateurs est plutôt une formalité qu'une réalité.
La théorie veut que les Chambres contrôlent la gestion des
ministres après leur avoir donné les autorisations nécessaires
pour faire les dépenses et opérer les recettes publiques.
La loi a consacré cette règle et en a fait une pièce essentielle
de notre organisation budgétaire.
En réalité, le véritable contrôle est exercé par la Cour des
(471)
Comptes qui vérifie les comptes de l'administration des finances
et prévient les abus par son visa préalable.
D'autre part, le contrôle législatif manque lui-même de
sanction ou du moins sa sanction est incomplète en l'absence
d'une organisation de la responsabilité civile des ministres.
Cette responsabilité civile existe en principe, ce L'obligation
qui incombe au ministre d'indemniser la partie lésée, existe
tant à l'égard de TÉtat que des simples particuliers. Le ministre
est tenu à une réparation civile envers TEtat, chaque fois qu'il
lèse les intérêts de celui-ci par une mesure illégale et partieu-
lièrement quand il dépasse la somme qui lui est allouée pour les
dépenses de son département, à moins qu'une loi postérieure ne
valide la dépense ^. »
L'article 90 de la Constitution donne à la Chambre des
représentants le droit d'accuser les ministres et de les traduire
devant la Cour de cassation qui seule a le droit de lés juger,
chambres réunies, sauf ce qui sera statué par la loi, quant à
Vexercice de Faction civile par la partie lésée et aux crimes et
délits que les ministres auraient commis hors de l'exercice de
leurs fonctions.
Le même article ajoute : une loi déterminera les cas de
responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode
de procéder contre eux soit sur l'accusation admise par la
Chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties
lésées.
Cette loi n*est pas encore faite à l'heure actuelle. Aussi,
jusqu'à ce qu'il y soit pourvu, la Chambre des représentants
conserve- t-el le le pouvoir discrétionnaire que lui confère
l'article 34 de la Constitution pour accuser un ministre et la
Cour de cassation pour le juger, en caractérisant le délit et
en déterminant la peine, qui ne pourra excéder celle de la
^ OswALD DE Kerchove DE Oenterghem, De la responsabilité des
ministres dans le droit public belge, pp. 262-263. Gand, Hoste. Paris,
A. Durand, 1867.
(472)
réclusion, sans préjudice des cas expressément prévus par les
lois pénales^.
Il n'existe pas, dans notre histoire parlementaire, d'exemple
de la mise en œuvre de la responsabilité pénale ou civile des
ministres.
Il faut reconnaître» d'ailleurs, qu'une telle responsabilité
serait très diflScile à organiser et dangereuse même à susciter.
M. Léon Say Ta fait remarquer avec autorité, en se plaçant
au point de vue français. Mais la situation n'est pas différente
en Belgique.
a On se préoccupe aussi très souvent, écrivait-il, de la
sanction à donner à des responsabilités qui en sont dépour-
vues. On veut transformer les responsabilités politiques en
responsabilités pécuniaires et pénales. Les ministres seraient
des coupables supposés, qu'on pourrait ruiner ou mettre en
prison, par application du Code pénal, tandis qu'ils ne peuvent
être aujourd*hui poursuivis que par la Chambre des députés
devant le Sénat 3, pour être soumis à des peines que la loi n'a
pas déterminées. Aujourd'hui, quand ils perdent la confiance
des Chambres, ils perdent le pouvoir. Les Chambres ne les
révoquent pas, mais en annihilant leur autorité morale, elles
les forcent à donner leur démission. La sanction est unique-
ment politique, et sauf le cas de mise en accusation, elle est
la plupart du temps suflSsante.
» Il n'est peut-être pas, d'ailleurs, aussi avantageux que
certains esprits ardents se Timaginenl de vouloir serrer cette
question de trop près ; car il pourrait arriver qu'il se produisît
des grèves de ministres, ou qu'il y eût des ministres choisis
comme certains hommes de paille par les journaux pour faire
les jours de prison.
^ Cf. sur l'interprétation de ces articles et sur la théorie générale de
la responsabilité ministérielle en droit public belge et comparé, Texcel-
lent ouvrage que nous venons de citer.
2 En Belgique, devant la Cour de cassation (art. 90 de la Constitution;.
( 473 )
» Obliger un homme politique à risquer sa fortune pour la
négligence, pour un oubli ou pour Toubli d'un de ses subor-
donnés, c'est une exagération manifeste. Si on persévère dans
les projets de cet ordre, on ne trouvera plus de ministres que
parmi les gens qui désirent être ministres afin de toucher un
traitement et de placer leurs créatures, et encore ceux-là feront-
ils prudemment de quitter la place de ministre qu'ils auront
acceptée, aussitôt que tous les membres de leur famille auront
été pourvus *. »
Répétons donc qu'à défaut de responsabilité civile organisée,
le système du contrôle préventif de la Cour des Comptes
garantit très efficacement les intérêts de- l'Etat. *Par ce moyen
sont prévenus beaucoup d'actes répréhensibles qu'il faudrait
réprimer. Et le contrôle préventif a précisément pour raison
d'être de suppléer à l'insuffisance et à l'absence de sanction
du contrôle législatif-^. .
* L. Say, Les Finances, loc. cit., p. 59.
' Cf. supra, p. 427.
TABLE DES MATIÎIRES
Pages.
Préface .•. 3-6
Introdncticm historique.
CHAPITRE PREMIER.
Le budget à la fin de Vancien régime 7-45
§ 1. — Le vote des subsides . • . . 8-21
§ 2. — Le Conseil des finances et la Chambre des comptes 21-28
§ 3. — Les états et aperçus des recettes et des dépenses . 28-45
CHAPITRE IL
La domination française • 4S-47
CHAPITRE m.
L'organisation budgétaire du royaume des Pays-Bas 47-89
§ 1. — Le budget décennal 51-72
J 2. — Le syndicat d'amortissement 72-78
§ 3. — La Chambre générale des comptes et la compta-
bilité publique 79-89
CHAPITRE IV.
Le Congrès national et la Constitution belge 89-94
(«S)
PREMIÈRE PARTIE.
La préparation da budget.
CHAPITRE PREMIER.
Pages.
L'absence (Tunité dans le budget belge 93-454
S 1. — La pratique beljçe des budgets spéciaux et divisés. 93-94
§ 2. — La forme extérieure des budgets. — L'arrêté royal
du 19 février 4848 95-98
§ 3. — La tentative de réforme de M. Graux : le budget
de 1884 99-112
§ 4. — Le budget extraordinaire 112-138
A. — La situation avant 1884.
B. — La réforme de M. Graux.
C. — Le budget extraordinaire organisé par M. Beer-
naert.
D. — La distinction des dépenses exceptionnelles et
des dépenses ordinaires, inaugurée en 1895.
§ 5. — Appréciation critique de cette organisation .... 138-154
CHAPITRE II.
La procédure belge en matière de préparation du budget. Le
comité permanent du budget . • ^ . . . . 154^157
CHAPITRE III.
La règle de ^universalité if^-ill
§ 1. — L'article 115, alinéa 2 de la Constitution 157-158
§ 2. — Étendue d'application de la règle 158-175
A. — Le budget belge est un budget brut.
B. — Loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité :
article 16.
C. -> Le budget des recettes et dépenses pour ordre.
J 3. — La spécialisation 175-477
(476)
CHAPITRE IV.
Pages.
L'évaluation des recettes et des dépenses. Les crédits comptée
mentaires et les crédits supplémentaires 178'489
CHAPITRE V.
Époque de la présentation du budget à la Chambre, (Loi du
45mai4846: art. 1. — Loi du 24 juillet 4900.) 490-197
DEUXIÈME PARTIE.
Le bnd^t devant le Parlement.
CHAPITRE PREMIER.
Le vote annuel du budget 199-S05
CHAPITRE II.
Étude préalable du budget par les Chambres S0S-S4S
CHAPITRE m.
La discussion des budgets . . S4S-M0
CHAPITRE IV.
Levote article par article, — La spécialité budgétaire. — Les
transferts SSÙ-iSS
CHAPITRE V.
V initiative parlementaire en matière budgétaire ^SSS-SéS
CHAPITRE VL
ïh la modification d^une loi organique par voie budgétaire. . : S4à-S6S
( 477 )
CHAPITRE VIL
. . Pages.
L'initiative du Sénat en matière de lois de finances. (Article 27,
alinéa 2 de la Constitution.) i63-27S
CHAPITRE VIII.
IhL droit pour le gouvernement de retirer devant le Sénat un
projet de budget voté par la Chambre S7S-S9S
CHAPITRE IX.'
Dtt retard dans le vote des budgets. — Les crédits provisoires, —
^ Le changement de la date d'ouverture de Vannée financière . 999-SU
CHAPITRE X.
ihi refus du budget S44-S47
TROISIÈME PARTIE.
L'exécution du budget. — Théorie de la comptabilité
publique.
CHAPITRE PREMIER.
Notions préliminaires .... S49-SSS
J 1. — Généralités 319-320
§ 2. — Définition de Texercice. — La gestion et Texercice 321-326
1 3. — L'unité d'exécution du budget. — Le ministre
des finances . . . ^ 326-332
§ 4. — Définition de l'ordonnateur et du comptable. —
Incompatibilité entre ces deux natures de fonc-
tions . 332-335
(478)
CHAPITRE IL
Pages
Le service des recettes. SSS-SSS
S 1. — Comptables chargés de la perception et du senrice
des recettes 335-339
§ 2. — Dépenses acquittées directement par les comptables
des différentes administrations (articles 16, 17
et 135 à 143, de l'arrêté de 18(>8) 33^-346
§ 3. — Règles générales concernant les receveurs et les
compUbles de l'État 347-356
CHAPITRE III.
La Banque Nationale de Belgique, caissier de VÈtat SSÛ-SSS
CHAPITRE IV.
^exécution des dépenses S8S-408
§ i. — L'engagement de la dépense 386-390
§ 2. — La liquidation et l'ordonnancement. — Livres de
contrôle. — États de situation. — Les diverses
catégories de dépenses 390-404
§ 3. — Le paiement de la dépense. — Déchéances, pres-
criptions, saisies-arrêts, oppositions 404406
CHAPITIŒ V.
La clôture de Texerdce 408-444
QUATRIÈME PARTIE.
Le contrôle de rezécution du Imdget.
CHAPITRE PREMIER.
Généralités : Les diverses espèces de contrôle. — Le contrôle des
comptables et celui des ordonnateurs 416-448
( 479 )
CHAPITRE IL
Pages.
La Cour des Comptes AlS-âSS
J 1. — Sa nature. — Législation en vigueur 418-421
§ 2. — Le personnel : composition, nomination, incompa-
tibilités, traitements 421-424
§ 3. — Les attributions 425-4S6
A. — Le visa préalable.
B« — Le contrôle judiciaire des comptables .
C. — Le contrôle de la dette publique.
D. — Le contrôle des pensions.
CHAPITRE m.
Le contrôle législatif des ordonnateurs 457-475
f 1. — Compte général de l'administration des finances et
états de situation à fournir par les ministres • • 457-462 .
§ 2. — Le règlement définitif du budget par la loi des
comptes. — La responsabilité civile des ministres 462-473
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